👁🗨 John Kirby vs l'armée russe
Il se passe des choses entre l'Ukraine & la Russie qui ont poussé le porte-parole du Conseil national de sécurité des États-Unis à tenter de préparer le public américain à des développements majeurs.
👁🗨 John Kirby vs l'armée russe
Par Scott Ritter*, Spécial Consortium News, le 31 octobre 2023
L'administration Biden a du pain sur la planche en ce qui concerne la Russie.
Alors que la guerre de 2023 à Gaza a détourné l'attention de la défaite en Ukraine, une contre-offensive ukrainienne désastreuse parrainée par l'OTAN s'est essoufflée, avec près de 100 % de pertes parmi les hommes et les équipements qui y ont participé.
(L'OTAN a formé une force de 90 000 soldats ukrainiens pour cette opération et leur a fourni environ 300 chars ; la Russie a publié des chiffres qui évaluent les pertes ukrainiennes depuis le début de la contre-offensive à quelque 90 000 tués et blessés, avec environ 300 chars détruits).
La Russie a adopté une position offensive. D'après les premières informations recueillies sur le champ de bataille, elle remporte plus de succès au cours des premières semaines de ses attaques que l'Ukraine au cours de sa contre-offensive qui a duré cinq mois.
Pour ne rien arranger, U.S. News and World Report vient de publier le classement des armées les plus puissantes du monde et la Russie a devancé les États-Unis à la première place.
Dans des moments comme celui-ci, la Maison Blanche se tourne vers ses spécialistes pour manipuler le récit, et il n'y a pas de meilleur praticien de l'art de la pirouette dans l'écurie de la Maison Blanche que le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby.
“Je voudrais, si vous me le permettez, prendre quelques minutes pour vous informer de la situation sur le champ de bataille en Ukraine”, a déclaré M. Kirby à la presse le 26 octobre.
Il semble que la Russie soit passée à l'attaque, ayant, selon M. Kirby, lancé une nouvelle offensive dans l'est de l'Ukraine “sur plusieurs fronts”, notamment autour d'Avdiivka, de Lyman et de Kupiansk. Cette offensive, a déclaré M. Kirby,
“n'est pas une surprise. Nous l'avons vue se développer et s'intensifier. Nous avons signalé que le président Poutine avait toujours l'intention de conquérir l'Ukraine, et nous efforçons de faire en sorte que l'Ukraine dispose des équipements dont elle a besoin pour défendre son territoire”.
Le discours de M. Kirby était différent en juin 2022. Kirby avait alors déclaré
“Ils [l'Ukraine] reçoivent tout ce que nous pouvons leur envoyer, aussi vite que nous pouvons le faire. Nous allons nous engager à aider les forces armées ukrainiennes à se défendre et à tenter de reprendre les territoires, en particulier à l'est et au sud, ce qu'elles essaient de faire en ce moment.”
Aujourd'hui, il n'est plus question que l'Ukraine reprenne des territoires. Au lieu de cela, M. Kirby a souligné qu'un nouveau dispositif de soutien, axé sur la défense aérienne et les missiles antichars, ainsi que sur les munitions d'artillerie, permettait à l'Ukraine “de tenir bon et de contrer cette offensive, en repoussant avec succès les colonnes de chars russes qui avançaient sur Avdiivka”.
M. Kirby s'est empressé de souligner que les Russes avaient “subi des pertes significatives dans leur tentative d'offensive, dont au moins 125 véhicules blindés autour d'Avdiivka et plus d'un bataillon d'équipement”.
Malgré ce revers, dont Kirby n'a fourni aucune preuve, la Russie devrait continuer à attaquer les lignes ukrainiennes. “Il s'agit d'un conflit dynamique”, a déclaré M. Kirby, “et nous devons garder à l'esprit que la Russie conserve une certaine capacité offensive et pourrait être en mesure de réaliser des gains tactiques dans les mois à venir”.
La différence entre “l'Ukraine va reprendre les territoires perdus” et “la Russie est à l'offensive et pourrait réaliser quelques gains tactiques” est d'un ordre de grandeur qui ne peut pas être simplement ignoré.
Quelque chose se passe sur le terrain entre l'Ukraine et la Russie, et Kirby tente désespérément de préparer le public américain à des développements majeurs sur le champ de bataille qui favorisent exclusivement la Russie.
Conséquences d'une contre-offensive ratée
Essayer de minimiser ces gains en les qualifiant de “tactiques” ne change rien au fait qu'ils sont la conséquences d'une contre-offensive ratée soutenue par la puissance militaire et économique collective des États-Unis, de l'OTAN et de l'Union européenne.
Le passage d'une contre-offensive majeure destinée à reprendre la plupart, voire la totalité, des territoires annexés par la Russie, à une position défensive où l'on s'attend à ce que la Russie s'empare d'encore plus de territoires, ne peut pas être considéré comme “tactique” par nature. Il s'agit d'un revirement stratégique qui pourrait bien représenter la trajectoire finale des deux parties au conflit.
Vladimir Trukhan, colonel de réserve de l'armée russe affilié au district militaire central de Russie, est récemment revenu des lignes de front de l'opération militaire spéciale. Il affirme que la situation sur le champ de bataille est bien pire que ce qui a été dépeint par Kirby.
Lors d'une interview détaillée sur mon podcast “Ask the Inspector” au début du mois, Trukhan a fait remarquer qu'à Avdiika, les Russes ne recherchent pas des “gains tactiques”, mais plutôt un contrôle opérationnel du champ de bataille conçu pour créer une zone semi-fermée afin de reproduire le scénario du “piège” de Bakhmut et de ses environs au début de l'année.
Encercler Avdiika, selon Trukhan, n'est pas l'objectif. Le but des Russes est de placer le commandement ukrainien devant un dilemme : abandonner Avdiika pourrait entraîner un effondrement du moral des défenseurs ukrainiens, et y rester pourrait entraîner une perte massive de vies humaines en raison des difficultés liées au renforcement de la garnison.
À Bakhmut, les Russes ont pu tuer, blesser ou capturer plus de 70 000 soldats ukrainiens, ce qui représente à peu près le nombre de soldats qui avaient été rassemblés et entraînés par l'OTAN pour mener la contre-offensive.
Tenter de s'accrocher à Avdiika pourrait s'avérer fatal pour l'ensemble du système défensif ukrainien, car les réserves ukrainiennes sont épuisées, et l'Ukraine est obligée de prélever des troupes ailleurs sur la ligne de front, créant ainsi des opportunités offensives supplémentaires pour les soldats russes.
M. Kirby a mentionné Kupiansk comme une autre zone où la Russie pourrait remporter des succès “tactiques”. La bataille de Koupiansk représente la manifestation de l'art opérationnel russe, un exemple où la Russie a été capable d'exploiter un manque d'effectifs en première ligne de la part de l'Ukraine en lançant des opérations offensives dans des zones de combat où les forces ukrainiennes avaient été réduites pour fournir des effectifs supplémentaires à l'opération militaire spéciale.
Un autre cul-de-sac
À Koupiansk, la Russie cherche à créer un autre zone tampon, un nouveau “piège” de type Bakhmut, qui obligera l'Ukraine à battre en retraite ou à engager des troupes dont elle ne dispose pas, ce qui permettra à la Russie de lancer des opérations offensives sur un autre point du front.
Et ainsi, le cycle se répète, jusqu'à l’effondrement général le long de la ligne de contact ukrainienne.
Mais ce n'est pas l'aspect le plus important des évènements de Kupiansk. Contrairement à la défaite de la contre-offensive ukrainienne à Zaporizhia et aux batailles en demi-cercle de Bakhmut et d'Avdiika - qui se sont toutes déroulées sur un territoire revendiqué par la Russie et qui, à ce titre, répondent à l'objectif déclaré du président Vladimir Poutine de libérer toutes les terres russes - Koupiansk se trouve sans équivoque sur le sol ukrainien, dans l'oblast de Kharkov.
Si la Russie a maintenu une présence militaire dans l'oblast de Kharkov après son retrait à l'automne 2022, elle avait pour objectif de sécuriser le territoire septentrional de la République de Lougansk plus que de servir de tremplin à des opérations offensives russes.
Si l'Ukraine avait cherché un règlement négocié du conflit, note Trukhan, la Russie se serait retirée du territoire ukrainien. L'Ukraine ayant choisi de poursuivre le combat, la Russie est passée à l'offensive sur le territoire ukrainien.
Moscou a ainsi fait savoir que, pour assurer la sécurité des Russes ethniques dans l'est de l'Ukraine, elle lancerait des opérations susceptibles de faire perdre à l'Ukraine cinq nouveaux oblasts sous son contrôle.
Il s'agit d'un nouveau point d'inflexion critique dans le conflit, qui revêt une importance stratégique.
John Kirby peut tenter de rejeter l'offensive russe à Kupiansk comme n'étant guère plus qu'un succès “tactique”. Mais il s'agit au contraire d'un tournant décisif dans le conflit.
Un positionnement militaire de premier plan
En se concentrant sur une opération militaire spécifique, M. Kirby ne voit pas l'arbre qui cache la forêt. Ce n'est pas le cas de U.S. News and World Report.
D'une manière ou d'une autre, la Russie - dont l'armée, selon les médias occidentaux et Kirby, aurait subi des pertes effroyables, entraînant une paralysie opérationnelle en raison d'un mauvais moral, d'un leadership inefficace et d'une logistique insuffisante - a dépassé les États-Unis en tant qu'armée la plus puissante du monde.
Ce classement ne dément pas seulement la notion d'incompétence de la Russie dans son conflit contre l'Ukraine, mais reflète également la réalité - largement ignorée en Occident - selon laquelle, en même temps que la Russie poursuit avec succès son opération militaire spéciale, elle élargit la structure de sa puissance militaire active de 900 000 à 1,5 million de soldats, de marins, d'aviateurs et de Marines.
Cet effort requiert non seulement un recrutement massif - parallèlement aux combats en Ukraine - mais aussi un énorme effort de la part du complexe militaro-industriel russe, chargé non seulement de fournir des armes aux forces russes engagées contre l'Ukraine, mais aussi d'équiper et soutenir logistiquement une armée supplémentaire de 600 000 hommes.
Tous ces nouveaux hommes en uniforme, qui s'ajoutent aux 300 000 réservistes mobilisés et aux 300 000 volontaires pour l'opération militaire spéciale, représentent une augmentation de 1,2 million d'hommes sous les drapeaux, alors que le collectif de l'OTAN peine à constituer une force de réaction rapide de 300 000 hommes et que les États-Unis se trouvent à quelque 15 000 recrues de l'objectif de 60 000 qu'ils s'étaient fixé.
La Commission du Congrès sur la posture stratégique des États-Unis vient de publier un bilan qui conclut que les États-Unis doivent augmenter considérablement la puissance de leur force militaire régulière.
La question des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir, au-delà de l'allocation de fonds, n'est pas abordée. Mais même une augmentation modeste de 150 000 hommes à un moment où l'armée américaine est incapable de recruter suffisamment de personnel pour soutenir la structure actuelle des forces semble être une mission impossible.
Au-delà des comparaisons boiteuses en matière de compétences lorsqu'il s'agit de recruter et de soutenir un grand nombre de nouvelles entités militaires, la véritable signification de ce que fait la Russie a été évoquée par le colonel Trukhan, qui a souligné que l'expansion de la capacité militaire russe est plus prioritaire que la conduite d'opérations militaires sur le théâtre des opérations ukrainiennes.
Ainsi, à l'heure où l'Occident collectif - États-Unis, OTAN et Union européenne - s'efforce de trouver un moyen de soutenir le conflit ukrainien, la Russie s'est emparée de l'initiative stratégique dans le cadre de l'opération militaire spéciale, tout en reléguant cette dernière au second plan.
L'objectif premier de la Russie est de se doter d'une armée capable de tenir tête et de vaincre les forces combinées de l'Occident. Pour ce faire, elle crée de nouvelles unités dotées d'équipements modernes et soutenues par la production de l'industrie de défense russe.
L'Occident, quant à lui, s'efforce de transformer une armée qui n'existe que sur le papier ou dans l'imagination de ses dirigeants, en une force capable de prendre part à une guerre terrestre de grande envergure en Europe.
L'armée russe est aujourd'hui aguerrie, préparée au combat, assimilant la myriade de leçons tactiques et opérationnelles acquises à la dure au cours de plus de 600 jours de combat.
Les armées de l'Occident collectif, quant à elles, ont du mal à sortir des casernes, et sont organisées et équipées selon des normes héritées de l'époque de soutien aux opérations de maintien de la paix, sans être à même de se maintenir en vie plus de deux semaines dans le cas de combats à grande échelle.
John Kirby peut faire circuler l'information toute le temps qu’il voudra, mais il ne pourra jamais échapper à cette réalité : la Russie est en train de gagner la guerre en Ukraine et de dominer les États-Unis et l'OTAN en termes de puissance militaire globale. Grâce à Vladimir Trukhan, nous avons un aperçu significatif de la réalité de l'armée russe, aperçu qui contribue à confirmer les conclusions de U.S. News and World Report selon lesquelles c'est la Russie, et non les États-Unis, qui possède l'armée la plus puissante au monde.
* Scott Ritter est un ancien officier de renseignement du corps des marines américains qui a servi dans l'ex-Union soviétique pour mettre en œuvre les traités de contrôle des armements, dans le golfe Persique pendant l'opération Tempête du désert et en Irak pour superviser le désarmement des armes de destruction massive. Son dernier ouvrage est Disarmament in the Time of Perestroika, publié par Clarity Press.
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