👁🗨 John Kiriakou: Goulag américain
Les médias devraient méditer sur une idée de Dostoïevski, lorsqu’il écrivait: «Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d'une nation qu'en visitant ses prisons». Il avait raison.
👁🗨 Goulag américain
📰 Par John Kiriakou*, Special Consortium News, le 31 octobre 2022
Les journalistes occidentaux dépeignent, à grand renfort de clichés, les conditions de vie difficiles de la star américaine du basket Brittney Griner en Russie. Aucun d'entre eux ne s'est-il jamais aventuré à l'intérieur d'une prison américaine ?
Tous les grands médias ont annoncé récemment que l'ancienne star américaine du basket féminin Brittney Griner a été transférée dans une "colonie pénitentiaire russe" après qu'une cour d'appel a rejeté l'appel de sa condamnation et de sa peine de neuf ans pour avoir tenté de faire entrer clandestinement une fiole d'huile de THC en Russie.
La peine est draconienne, mais elle n'est pas sans rappeler les peines infligées aux toxicomanes ici aux États-Unis. Mais ce n'est pas ce que je veux aborder ici. Ce que je veux souligner, c'est l'utilisation par les médias américains de l'expression "colonie pénitentiaire russe". D'autres médias ont utilisé le mot "goulag", rappelant ainsi l'époque de Josef Staline.
NBC News a rapporté que Griner a été "transférée dans une colonie pénitentiaire, le successeur du tristement célèbre goulag russe". Insider Magazine a déclaré que Griner "craint de subir un traitement inhumain dans les colonies pénitentiaires de Russie, où les abus sont courants, les maladies endémiques, et le travail obligatoire."
Même le célèbre UPI, United Press International, a déclaré que Griner serait transférée dans une colonie pénitentiaire, " héritage des célèbres goulags de l'ère soviétique, où les prisonniers étaient assujettis à des traitements sévères et à de mauvaises conditions. Les prisonniers y ont été battus par d'autres détenus, ont enduré la torture et ont dû ingurgiter de la propagande russe pendant des heures chaque jour."
Ces atermoiements essoufflés ne sont rien d'autre qu'une mauvaise blague. Aucun de ces journalistes et écrivains n'est-il jamais entré dans une prison américaine ? Ils n'auraient pas à aller voir bien loin pour constater que le système carcéral russe n’a rien à envier au système américain, ni aucun autre.
La violence reste également un problème au Bureau américain des prisons (BOP).
▪️ Alec Arapahoe
Alec Arapahoe, un Amérindien, avait 21 ans lorsqu'il est arrivé au complexe correctionnel fédéral (FCI) de moyenne sécurité du BOP à Florence, dans le Colorado. Il a essayé de cacher son homosexualité mais un autre prisonnier amérindien, William Mexican, membre d'un gang, avait déjà entendu dire qu'Arapahoe était gay.
Mexican a attaqué Arapahoe, lui a extorqué de l'argent, l'a accusé d'être gay et a menacé de le violer. Finalement, les Amérindiens de la prison se sont réunis dans la cour de récréation et, après un différend qui a frôlé la violence, une faction dirigée par Mexican a "voté pour qu'Arapahoe soit banni de la cour" en raison de son orientation sexuelle. Cela voulait dire aussi qu'il fallait qu'Arapahoe quitte immédiatement la prison sous peine d'être tabassé.
Arapahoe a demandé à sa belle-mère d'appeler la prison et d'intervenir pour l'aider à obtenir un statut de protection. C'est ce qu'elle a fait, et il a été placé dans l'unité de détention séparée de l'USP Florence, un établissement à sécurité maximale adjacent à la prison.
Le personnel qui a enquêté sur la demande de placement sous protection a trouvé un enregistrement vidéo de la réunion dans la cour et a interrogé Mexican, qui a déclaré qu'il y aurait des problèmes pour Arapahoe s'il revenait. Ils ont néanmoins rédigé un rapport indiquant qu'ils n'avaient trouvé aucune preuve à l'appui de l'affirmation d'Arapahoe selon laquelle il était en danger.
Mexican a ensuite été transféré à l'USP et, parce qu'un membre du personnel n'a regardé que son dossier, et non celui d'Arapahoe, il a été placé en cellule avec Arapahoe.
Arapahoe a dit aux gardes qui escortaient Mexican jusqu'à sa cellule qu'il appréhendait la présence de ce dernier dans sa cellule, mais Mexican leur a assuré qu'il n'y aurait aucun problème, et ils sont repartis.
Les trois jours suivants, Mexican a agressé Arapahoe à plusieurs reprises, l'a forcé à lui faire une fellation et l'a violé par voie anale. Arapahoe s'est posté à plusieurs reprises devant la caméra vidéo de la cellule, souvent couvert de sang, et a actionné le dispositif de détresse de la cellule, mais personne n'est venu enquêter.
Mexican a forcé Arapahoe à se tourner contre le mur du fond lors de la distribution des repas, afin que le personnel ne puisse pas voir ses blessures. Enfin, Mexican a quitté la cellule pour rejoindre la cour de promenade, et dès que la porte de la cellule s'est refermée, Arapahoe a dit aux gardes qui l'escortaient qu'il était en danger. Il a été transféré dans une autre cellule et un examen médical a révélé des preuves des agressions sexuelles.
Une enquête interne du BOP a révélé que le personnel n'avait pas effectué de contrôles des cellules toutes les 30 minutes, comme l'exige le règlement, et qu'il avait falsifié des documents pour montrer qu'il avait effectué les rondes en temps voulu.
L'enquête a retenu des allégations d'"inattention au devoir", de "non-respect du règlement" et de "falsification de documents" contre 26 employés. Arapahoe a gagné 750 000 dollars dans un procès contre le BOP.
▪️ Morgan Greenburger
Au début de l'année, un juge fédéral de New York a accordé 273 246,88 dollars à un prisonnier qui affirmait qu'un gardien l'avait violemment frappé et avait menti sur l'incident.
Morgan Greenburger, un prisonnier souffrant de troubles mentaux, a dit à un gardien qu'il avait mangé une brosse à dents et a demandé à être emmené à l'unité médicale. Il a été placé en "surveillance spéciale", où il était censé être sous surveillance constante afin de ne pas se blesser à nouveau.
Greenburger a demandé au gardien Phillip Roundtree une bouteille pour pouvoir uriner. Roundtree lui a dit d'attendre un quart d'heure. Greenburger a redemandé 15 minutes plus tard, et Roundtree a répondu : "Tu es sûr d'en vouloir une ?". Il a alors placé la bouteille dans la cellule de Greenburger. Lorsque Greenburger s'est baissé pour la ramasser, Roundtree a commencé à lui frapper le dos, les bras, la tête et les épaules à coups de matraque, si fort que la matraque s'est brisée en plusieurs morceaux.
Deux heures plus tard, d'autres gardes ont emmené Greenburger à l'hôpital, où on lui a posé cinq agrafes pour refermer sa blessure à la tête. Greenburger a également été accusé d'avoir "déclenché une agression" et d'avoir "refusé un ordre direct". Il a été placé à l'isolement 50 jours.
Près d'un an plus tard, après que Greenburger a été libéré de l'isolement, le verdict a été inversé et il a déposé une plainte fédérale.
Puisque tout cela ne suffit pas, nous sommes censés croire que les soins médicaux dans les prisons américaines sont ô combien meilleurs que dans les prisons russes ?
▪️ Marques Davis
Pour ne citer qu'un exemple, prenons le cas de Marques Davis. Cet homme de 27 ans était détenu au Département correctionnel du Kansas, où Corizon, le plus grand "fournisseur de systèmes de soins de santé" des prisons, a un contrat exclusif pour fournir des soins médicaux.
Davis est allé voir une infirmière de Corizon en disant qu'il ressentait une faiblesse dans les bras et les jambes. L'infirmière a déterminé que Davis faisait de la "simulation", c'est-à-dire qu'il inventait tout pour ne pas avoir à travailler. Il a reçu une amende de 2 $ et on lui a dit de ne plus recommencer.
Des mois plus tard, l'engourdissement s'aggravant, Davis a commencé à se plaindre qu'il avait la sensation que quelque chose " rongeait son cerveau ". De fait, quelque chose était en train de lui ronger le cerveau. Il s'agissait d'un champignon non traité qui a brouillé sa vision, rendu son élocution difficile et altéré ses capacités cognitives au point qu'il a commencé à boire sa propre urine.
Davis a finalement fait une crise cardiaque et a été transféré dans un hôpital local de Kansas City. Un scanner a révélé "un gonflement spectaculaire du cerveau". Le lendemain, il était mort. L'avocat de Davis espère réussir à prouver au tribunal qu'il ne s'agissait pas d'un incident isolé, mais "d'un schéma clair et cohérent de Corizon retardant, reportant ou ne fournissant pas le traitement médical requis".
Un porte-parole de l'ACLU a déclaré : "Corizon se contente de comptabiliser les dommages et intérêts à payer comme le coût de ses activités, sans rien faire de significatif pour les améliorer."
Et le travail forcé ? C'est peut-être la plus grosse blague de toutes concernant les reportages occidentaux sur l'emprisonnement de Griner. La Constitution des États-Unis entérine de fait le travail forcé en prison. Le 13e amendement stipule très clairement dans la section 1 : "Ni l'esclavage ni la servitude involontaire, sauf à titre punitif pour un crime dont les intéressés auront été dûment condamnés, n'existeront aux États-Unis ou en tout autre lieu soumis à leur juridiction".
L'esclavage existe aux États-Unis. C'est écrit noir sur blanc.
Je suis désolé pour Brittney Griner. Je le suis sincèrement. Elle a été durement traitée. Elle ne semblait pas avoir d'intention criminelle. Et les lois russes sur la drogue sont draconiennes. Mais celles de l'Amérique le sont aussi.
Les médias, qui pointent du doigt la Russie alors qu'ils omettent exactement les mêmes problèmes au sein du système pénitentiaire américain, sont bien négligents.
Peut-être devraient-ils méditer sur l’idée de l'auteur russe Fyodor Dostoïevski, lorsqu’il écrivait:
« Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d'une nation qu'en visitant ses prisons »
Il avait raison.
* John Kiriakou est un ancien agent de la CIA chargé de la lutte contre le terrorisme et un ancien enquêteur principal de la Commission sénatoriale des relations extérieures. John est devenu le sixième dénonciateur inculpé par l'administration Obama en vertu de l'Espionage Act - une loi conçue pour punir les espions. Il a purgé 23 mois de prison suite à ses tentatives de s'opposer au programme de torture de l'administration Bush.
Les opinions exprimées sont uniquement celles de l'auteur et peuvent ou non refléter celles de Consortium News.
https://consortiumnews.com/2022/10/31/john-kiriakou-american-gulag/