👁🗨 John Kiriakou: Anthony Blinken, le passeur d'armes
Envahir l'Afghanistan? Bien sûr. Envahir l'Irak? Pourquoi pas? Mener une guerre par procuration contre la Russie? C'est pour protéger la liberté, non?
🚩 Le passeur d'armes
📰 Par John Kiriakou 🐦@JohnKiriakou, Spécial Consortium News, le 20 octobre 2022.
Antony Blinken a écumé le monde pour trouver des armes russes pour l'Ukraine. Il a même fait appel à Chypre.
La politique étrangère est compliquée. Elle comporte de nombreuses composantes mouvantes et, comme ce sont des êtres humains qui élaborent la politique, et que les sensibilités et les egos sont en jeu, c'est d'autant plus complexe.
Certains responsables politiques ont une vision à long terme, d'autres souffrent de myopie. Ajoutez à cela le problème dont j'ai été témoin tant de fois au cours de ma carrière à la C.I.A. et à la commission des affaires étrangères du Sénat : la prétention des diplomates américains, des professionnels du renseignement et des membres du personnel de la Maison Blanche à être littéralement les personnes les plus intelligentes au monde et à avoir la science infuse.
L'ancien président égyptien Gamal Abdel-Nasser a dit un jour que
"Le génie des Américains, c'est leur capacité à ne jamais prendre de décision stupide et tranchée. Vous adoptez toujours des décisions stupides et compliquées, ce qui amène le reste d'entre nous à se demander si quelque chose nous échappe."
Il avait raison. Mais soyez assurés que la plupart du temps, les actions sont tout bonnement absurdes.
▪️ Le voyage de "politique migratoire" de Blinken
Le commentaire de Nasser m'est revenu à l'esprit il y a deux semaines, lorsque le secrétaire d'État Antony Blinken a annoncé qu'il se rendrait en Colombie, au Chili et au Pérou pour discuter de la "problématique migratoire." L'annonce m'a paru étrange, car les Colombiens, Chiliens et Péruviens ne sont pas très nombreux à être en situation irrégulière aux États-Unis.
Aucun de ces pays ne se trouve en "première ligne" du débat sur l'immigration. Le voyage de Blinken n'avait aucun sens.
Ce n'est qu'après le retour de Blinken qu'une obscure publication militaire nous a donné un indice sur l'objet du voyage. La Army Technology Newsletter a rapporté que Blinken avait obtenu la promesse des Colombiens d'aider les troupes ukrainiennes à désamorcer les mines terrestres.
Au Pérou, le président Pedro Castillo a accepté de faire approuver par le parlement une condamnation de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Mais Il a refusé d'imposer des sanctions à la Russie, ce qui, selon lui, aurait constitué une violation du droit international.
Il a toutefois émis des critiques à l'encontre des deux protagonistes du conflit, affirmant que la guerre avait coupé l'approvisionnement en céréales des pays et des personnes qui en avaient le plus besoin.
Les Chiliens, eux, étaient heureux de répondre aux attentes de Blinken.
Mais ce n'était pas tout ce que Blinken avait en tête. Il souhaitait également sonder l'intérêt pour l'échange de tout équipement russe ou soviétique ancien que ces pays pourraient avoir en leur possession afin de l'envoyer en Ukraine, puis de le faire remplacer par des munitions américaines de pointe.
Les Ukrainiens sont confrontés à un problème: les armes américaines sont très difficilement utilisables. Elles sont sophistiquées et complexes. Et les Américains n'ont tout simplement pas le temps de former les Ukrainiens à leur maniement.
La bonne idée, selon l'administration américaine, était de demander aux pays du monde détenant des armes russes de les aider. Il n'a pas uniquement sollicité ces trois pays d'Amérique latine. M. Blinken a également sondé l'Afrique du Sud, la Finlande, le Cambodge, le Rwanda, le Mexique, la République démocratique du Congo et Chypre. Consentiraient-ils à expédier leurs armes russes en Ukraine, et à recevoir des armes américaines en retour ?
▪️ Chypre a dit non.
Selon le New York Times, la plupart de ces pays ont accepté. Chypre, en revanche, a dit non. La situation de Chypre est celle à laquelle je faisais référence au début de cet article.
La Grèce et la Turquie sont toutes deux membres de l'OTAN. Chypre ne l'est pas.
La Grèce et Chypre sont membres de l'Union européenne. La Turquie ne l'est pas.
En 1974, la Turquie a envahi Chypre et occupe depuis lors le tiers nord de l'île. 33 000 militaires d'occupation turcs s'y trouvent actuellement. En 1974, Henry Kissinger, alors secrétaire d'État et conseiller à la sécurité nationale, estimait que la seule façon de mettre fin aux combats était d'imposer un embargo sur les armes aux trois pays.
La Grèce a quitté l'OTAN en signe de protestation. L'embargo sur les armes n'a pas duré longtemps. Il a été levé pour la Grèce et la Turquie en 1979 et la Grèce a réintégré l'OTAN. Mais pour des raisons qui n'ont jamais été très claires, l'embargo sur les armes a été maintenu à Chypre - jusqu'au mois dernier. (L’explication fréquemment avancée pour justifier l'embargo était le soutien aux efforts de réunification de Chypre, facilités par les Nations unies).
Au cours des 48 dernières années, Chypre a développé son économie, rejoint l'Union européenne, et acheté des armes françaises et russes. Maintenant, Tony Blinken aimerait que Chypre livrent ces armes russes aux Ukrainiens.
La semaine dernière, le parlement chypriote a posé une question rhétorique: où étaient les États-Unis au cours des 48 dernières années, alors que quelque 1 510 Chypriotes sont toujours portés disparus et présumés morts depuis l'invasion turque.
Cinq citoyens américains sont même toujours portés disparus dans ce conflit. Ils ont dit à Tony Blinken qu'ils sont confrontés à des problèmes plus urgents que la provenance des armes utilisées en Ukraine. Ils s'inquiètent de la présence dans le pays de 33 000 soldats turcs, et des déclarations quotidiennes de la Turquie selon lesquelles une autre invasion pourrait être envisagée à l'approche des élections turques qui auront lieu l'année prochaine.
C'est ce que je sous-entends lorsque je dis que les membres de l'establishment de la politique étrangère américaine pensent toujours être les personnes les plus intelligentes qui soient. Envahir l'Afghanistan ? Bien sûr. Envahir l'Irak ? Pourquoi pas ? Mener une guerre par procuration contre la Russie ? C'est pour protéger la liberté, non ?
Mais pendant ce temps-là, Washington intimide ses alliés en Amérique du Sud, pousse les Africains dans les bras des Chinois et maintient un embargo sur les armes vieux de 48 ans contre un membre de l'Union européenne - enfin, tant que ce dernier n'a pas de nouveaux besoins. Ils n'en tireront probablement jamais de leçon.
* John Kiriakou est un ancien agent de la CIA chargé de la lutte contre le terrorisme et ancien enquêteur principal de la commission des affaires étrangères du Sénat. John est devenu le sixième lanceur d’alerte inculpé par l'administration Obama en vertu de l'Espionage Act - une loi conçue pour punir les espions. Il a purgé 23 mois de prison suite à ses tentatives de s'opposer au programme de torture de l'administration Bush.
Les opinions exprimées sont uniquement celles de l'auteur et peuvent ou non refléter celles de Consortium News.
https://consortiumnews.com/2022/10/20/john-kiriakou-the-arms-swapper/