đ© John Pilger: La guerre en Europe et la montĂ©e de la propagande brute
En Grande-Bretagne, une xĂ©nophobie d'Ătat et mĂ©diatique se dĂ©clenche au seul mot "Russie". La restauration de la mythologie impĂ©riale exige-t-elle un ennemi permanent? Nous mĂ©ritons mieux...
8 octobre 2014 : la sous-secrĂ©taire d'Ătat amĂ©ricaine Victoria Nuland dans une base de service des gardes-frontiĂšres de l'Ătat ukrainien Ă Kiev. (Ambassade des Ătats-Unis Ă Kyiv, Flickr)
đ© La guerre en Europe et la montĂ©e de la propagande brute
đ°Â Par John Pilger, le 17 fĂ©vrier 2022
Les propositions de sĂ©curitĂ© de la Russie devraient ĂȘtre bien accueillies en Occident, Ă©crit John Pilger. Mais qui comprend leur signification quand on dit Ă tout le monde que Poutine est un paria ? Â
La prophĂ©tie de Marshall McLuhan selon laquelle «le successeur de la politique sera la propagande » s'est rĂ©alisĂ©e. La propagande brute est dĂ©sormais la rĂšgle dans les dĂ©mocraties occidentales, en particulier aux Ătats-Unis et en Grande-Bretagne
En matiĂšre de guerre et de paix, la tromperie ministĂ©rielle est rapportĂ©e comme une actualitĂ©. Les faits gĂȘnants sont censurĂ©s, les dĂ©mons sont attisĂ©s. Le modĂšle est la propagande corporative, la devise de l'Ă©poque. En 1964, McLuhan a dĂ©clarĂ© que "le mĂ©dia est le message". Aujourd'hui, le message, câest le mensonge.
Mais est-ce bien nouveau? Il y a plus d'un siÚcle qu'Edward Bernays, le pÚre de la manipulation, a inventé les "relations publiques" pour couvrir la propagande de guerre. Ce qui est nouveau, c'est la quasi-élimination de la dissidence dans le courant dominant.
Le grand Ă©diteur David Bowman, auteur de The Captive Press, a qualifiĂ© cette situation de "dĂ©fenestration de tous ceux qui refusent du suivre une ligne et d'avaler l'immangeable, et qui sont courageux". Il faisait rĂ©fĂ©rence aux journalistes indĂ©pendants et aux lanceurs d'alerte, les francs-tireurs honnĂȘtes auxquels les organisations mĂ©diatiques donnaient autrefois de l'espace, souvent avec fiertĂ©. Cet espace a Ă©tĂ© supprimĂ©.
L'hystérie de guerre qui a déferlé comme un raz-de-marée ces derniÚres semaines et ces derniers mois en est l'exemple le plus frappant. Connue dans son jargon sous le nom de "façonnage du récit", elle est en grande partie, sinon en totalité, de la pure propagande.
âȘïž Le principe de l'absence de preuves
Les Russes arrivent. La Russie est pire que mauvaise. Poutine est mauvais, "un nazi comme Hitler", a salivĂ© le dĂ©putĂ© travailliste Chris Bryant. L'Ukraine est sur le point d'ĂȘtre envahie par la Russie - ce soir, cette semaine, la semaine prochaine. Les sources comprennent un ancien propagandiste de la CIA qui parle maintenant pour le dĂ©partement d'Ătat amĂ©ricain et n'offre aucune preuve de ses affirmations sur les actions de la Russie, puisque "cela vient du gouvernement amĂ©ricain".
La rÚgle de l'absence de preuves s'applique également à Londres. La ministre britannique des Affaires étrangÚres, Liz Truss, qui a dépensé 500 000 £ d'argent public pour se rendre en Australie dans un avion privé afin de prévenir le gouvernement de Canberra que la Russie et la Chine étaient sur le point de bondir, n'a fourni aucune preuve. Les chefs des antipodes ont opiné du bonnet ; le "récit" y est incontesté. Une rare exception, l'ancien Premier ministre Paul Keating, a qualifié de "démentiel" le bellicisme de Truss.
Truss a allÚgrement confondu les pays Baltes et de la Mer Noire. à Moscou, elle a déclaré au ministre russe des affaires étrangÚres que la Grande-Bretagne n'accepterait jamais la souveraineté russe sur Rostov et Voronej - jusqu'à ce qu'on lui fasse remarquer que ces endroits ne faisaient pas partie de l'Ukraine mais de la Russie. Lisez la presse russe sur la bouffonnerie de cette prétendante au 10 Downing Street et vous frémirez.
âȘïž Une farce dangereuse
La ministre britannique des Affaires Ă©trangĂšres Liz Truss se rend en Estonie, le 30 novembre 2021. (Simon Dawson / No 10 Downing Street)
Toute cette comĂ©die, dans laquelle le Premier ministre britannique Boris Johnson a rĂ©cemment jouĂ© Ă Moscou une version clownesque de son hĂ©ros, Winston Churchill, pourrait ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e comme une satire si elle n'abusait pas dĂ©libĂ©rĂ©ment des faits, de la comprĂ©hension historique et du rĂ©el danger de la guerre.
Vladimir Poutine fait rĂ©fĂ©rence au "gĂ©nocide" dans la rĂ©gion orientale du Donbass, en Ukraine. AprĂšs le coup d'Ătat en Ukraine en 2014 - orchestrĂ© par la "personne de rĂ©fĂ©rence" de l'ancien prĂ©sident amĂ©ricain Barack Obama Ă Kyiev, Victoria Nuland - le rĂ©gime putschiste, infestĂ© de nĂ©onazis, a lancĂ© une campagne de terreur contre le Donbass russophone, qui reprĂ©sente un tiers de la population ukrainienne.
SupervisĂ©es par le directeur de la CIA, John Brennan, Ă Kiev, des "unitĂ©s spĂ©ciales de sĂ©curitĂ©" ont coordonnĂ© des attaques sauvages contre les habitants du Donbass, qui s'opposaient au coup d'Ătat. Des vidĂ©os et des tĂ©moignages montrent des voyous fascistes en bus brĂ»lant le siĂšge du syndicat dans la ville d'Odessa, tuant 41 personnes piĂ©gĂ©es Ă l'intĂ©rieur. La police est sur place. Obama a fĂ©licitĂ© le rĂ©gime putschiste "dĂ»ment Ă©lu" pour sa "remarquable retenue".
Dans les médias américains, l'atrocité d'Odessa a été minimisée comme étant "obscure" et une "tragédie" dans laquelle des "nationalistes" (néonazis) ont attaqué des "séparatistes" (personnes collectant des signatures pour un référendum sur une Ukraine fédérale). Le Wall Street Journal de Rupert Murdoch a condamné les victimes: "Un incendie mortel en Ukraine a probablement été déclenché par les rebelles, selon le gouvernement".
4 mars 2015 : L'OSCE surveille les mouvements d'armes lourdes dans l'est de l'Ukraine. (OSCE, Flickr, CC BY-NC-ND 2.0)
Le professeur Stephen Cohen, reconnu comme la principale autorité américaine sur la Russie, a écrit,
"Le pogrom qui a brulĂ© vifs des Russes ethniques et d'autres personnes Ă Odessa a rĂ©veillĂ© le souvenir des escadrons d'extermination nazis en Ukraine pendant la Seconde Guerre mondiale. [Aujourd'hui, les agressions de type tempĂȘte contre les homosexuels, les Juifs, les Russes ethniques ĂągĂ©s et d'autres citoyens 'impurs' sont rĂ©pandues dans toute l'Ukraine dirigĂ©e par Kiev, de mĂȘme que les marches aux flambeaux qui rappellent celles qui ont fini par enflammer l'Allemagne Ă la fin des annĂ©es 1920 et dans les annĂ©es 1930...".
"La police et les autoritĂ©s juridiques officielles ne font pratiquement rien pour empĂȘcher ces actes nĂ©ofascistes ou pour les poursuivre. Au contraire, Kiev les a officiellement encouragĂ©s en rĂ©habilitant systĂ©matiquement et mĂȘme en commĂ©morant les collaborateurs ukrainiens des pogroms d'extermination de l'Allemagne nazie, en renommant des rues en leur honneur, en construisant des monuments en leur honneur, en rĂ©Ă©crivant l'histoire pour les glorifier, etc."
Aujourd'hui, l'Ukraine nĂ©o-nazie est rarement mentionnĂ©e. Le fait que les Britanniques entraĂźnent la Garde nationale ukrainienne, qui comprend des nĂ©o-nazis, n'est pas nouveau. (Voir le rapport Declassified de Matt Kennard dans Consortium News, 15 fĂ©vrier). Le retour d'un fascisme violent et avalisĂ© dans l'Europe du XXIe siĂšcle, pour citer Harold Pinter, "ne s'est jamais produit ... mĂȘme pendant qu'il se produisait."
Le 16 dĂ©cembre, les Nations unies ont prĂ©sentĂ© une rĂ©solution appelant Ă "combattre la glorification du nazisme, du nĂ©onazisme et d'autres pratiques qui contribuent Ă alimenter les formes contemporaines de racisme". Les seules nations Ă avoir votĂ© contre ont Ă©tĂ© les Ătats-Unis et l'Ukraine.
Presque tous les Russes savent que c'est à travers les plaines de la "zone frontaliÚre" de l'Ukraine que les divisions d'Hitler ont déferlé de l'ouest en 1941, soutenues par les adeptes et les collaborateurs du nazisme en Ukraine. Le résultat fut la mort de plus de 20 millions de Russes.
âȘïžPropositions russes
Le ministre russe des Affaires étrangÚres Sergueï Lavrov, à gauche, et le président Vladimir Poutine, au centre, en 2017. (The Russian Presidential Press and Information Office, CC BY 4.0, Wikimedia Commons)
Si l'on fait abstraction des manĆuvres et du cynisme de la gĂ©opolitique, quels qu'en soient les acteurs, cette mĂ©moire historique est la force motrice des propositions de sĂ©curitĂ© de la Russie, axĂ©es sur le respect et l'auto-protection, qui ont Ă©tĂ© publiĂ©es Ă Moscou la semaine oĂč l'ONU a votĂ© Ă 130 contre 2 la mise hors la loi du nazisme. Ces propositions sont les suivantes
L'OTAN garantit qu'elle ne déploiera pas de missiles dans les pays limitrophes de la Russie. (Elles sont déjà en place de la Slovénie à la Roumanie, la Pologne devant suivre).
L'OTAN arrĂȘte les exercices militaires et navals dans les pays et les mers limitrophes de la Russie.
L'Ukraine ne deviendra pas membre de l'OTAN.
L'Occident et la Russie doivent signer un pacte de sécurité Est-Ouest exécutoire.
le traitĂ© historique entre les Ătats-Unis et la Russie sur les armes nuclĂ©aires Ă portĂ©e intermĂ©diaire doit ĂȘtre rĂ©tabli. (Les Ătats-Unis l'ont abandonnĂ© en 2019).
Ces mesures constituent un projet complet de plan de paix pour l'ensemble de l'Europe d'aprĂšs-guerre et devraient ĂȘtre saluĂ©es Ă l'Ouest. Mais qui comprend leur signification en Grande-Bretagne ? Ce qu'on leur dit, c'est que le prĂ©sident russe Vladimir Poutine est un paria et une menace pour la chrĂ©tientĂ©.
Les Ukrainiens russophones, soumis à un blocus économique par Kiev depuis sept ans, luttent pour leur survie. L'armée "en masse" dont nous entendons rarement parler, ce sont les 13 brigades de l'armée ukrainienne qui assiÚgent le Donbass: environ 150 000 hommes. S'ils attaquent, la provocation envers la Russie signifiera presque certainement la guerre.
En 2015, sous l'égide des Allemands et des Français, les présidents russe, ukrainien, allemand et français se sont rencontrés à Minsk et ont signé un accord de paix provisoire. L'Ukraine a accepté d'offrir une autonomie au Donbass, aujourd'hui les républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk.
L'accord de Minsk n'a jamais été respecté. En Grande-Bretagne, la ligne de conduite, amplifiée par Boris Johnson, consiste à déclarer que l'Ukraine se fait "dicter sa conduite" par les dirigeants mondiaux. Pour sa part, la Grande-Bretagne arme l'Ukraine et forme son armée.
Depuis la premiĂšre guerre froide, l'OTAN a effectivement progressĂ© jusqu'Ă la frontiĂšre la plus sensible de la Russie, aprĂšs avoir menĂ© une agression meurtriĂšre en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak et en Libye, et rompu les promesses solennelles de retrait. Ayant entraĂźnĂ© les "alliĂ©s" europĂ©ens dans des guerres amĂ©ricaines qui ne les concernent pas, le grand non-dit est que l'OTAN elle-mĂȘme est la vĂ©ritable menace pour la sĂ©curitĂ© europĂ©enne.
En Grande-Bretagne, une xĂ©nophobie d'Ătat et mĂ©diatique se dĂ©clenche Ă la seule mention de la "Russie". Notez l'hostilitĂ© aveugle avec laquelle la BBC parle de la Russie. Pourquoi ? Est-ce parce que la restauration de la mythologie impĂ©riale exige, avant tout, un ennemi permanent ? Certes, nous mĂ©ritons mieux.
Le film de 2003 de John Pilger, Breaking the Silence, sur la "guerre contre le terrorisme", peut ĂȘtre visionnĂ© ici.
Les opinions exprimées sont uniquement celles de l'auteur et peuvent ou non refléter celles de Consortium News.
https://consortiumnews.com/2022/02/17/war-in-europe-the-rise-of-raw-propaganda/