👁🗨 John Pilger : Les trahisons subies par Julian Assange
Ceux qui incarnent l'antithèse de Julian, au courage, aux principes & à l'honneur inexistants, s'interposent entre lui & la liberté tels ceux qui prétendent encore diriger une démocratie en Australie.
👁🗨 John Pilger : Les trahisons subies par Julian Assange
Par Chris Graham, le 20 juillet 2023
Plus de dix ans après son asile forcé et les tortures qu'il subit depuis 2012 aux mains des autorités britanniques et américaines, Julian Assange est toujours abandonné par son propre gouvernement, écrit John Pilger.
Je connais Julian Assange depuis que je l'ai interviewé pour la première fois à Londres en 2010. J'ai tout de suite apprécié son sens de l'humour brut et noir, souvent ponctué d'un rire contagieux. C'est un marginal fier de l'être, vif et réfléchi. Nous sommes devenus amis, et j'ai assisté, dans de nombreuses salles d'audience, aux tentatives des tribuns de l'État de le faire taire, lui et sa révolution morale du journalisme.
J'ai vécu un moment fort lorsqu'un juge de la Cour royale de justice s'est penché sur sa chaise et m'a grogné : "Vous n'êtes qu'un Australien vagabond, comme Assange". Mon nom figurait sur une liste de volontaires pour la libération sous caution de Julian, et ce juge m'a repéré comme étant celui qui avait signalé son rôle dans la fameuse affaire des expulsés des îles Chagos. Sans le vouloir, il m'a fait un compliment.
J'ai vu Julian à Belmarsh il n'y a pas longtemps. Nous avons parlé de livres et de la lourdeur oppressante de la prison : les messages enjoués sur les murs, les petites punitions ; ils ne le laissent toujours pas utiliser la salle de sport. Il doit faire de l'exercice seul dans une zone qui ressemble à une cage, où un panneau indique qu'il ne faut pas toucher à l'herbe. Mais il n'y a pas d'herbe. Nous avons ri ; pendant un court instant, certaines choses n'ont pas semblé trop graves.
Le rire est une armure, bien sûr. Lorsque les gardiens de prison ont commencé à faire cliqueter leurs clés, comme ils aiment à le faire, pour indiquer que notre temps était écoulé, il s'est tu. Lorsque j'ai quitté la pièce, il a levé le poing et l'a serré, comme il le fait toujours. Il est l'incarnation même du courage.
Ceux qui incarnent l'antithèse de Julian, chez qui le courage n’existe pas plus que les principes et l'honneur, s'interposent entre lui et la liberté. Je ne fais pas référence au régime mafieux de Washington, dont la poursuite d'un homme de bien est un avertissement pour nous tous, mais plutôt à ceux qui prétendent encore diriger une démocratie équitable en Australie.
Bien avant d'être élu premier ministre de l'Australie l'année dernière, Anthony Albanese prononçait sa formule favorite : "Trop, c'est trop". Il a donné à beaucoup d'entre nous de précieux espoirs, y compris à la famille de Julian. En tant que premier ministre, il a ajouté des formules ambiguës en disant qu'il "ne comprenait pas" ce que Julian avait fait. Apparemment, il fallait comprendre qu'il avait besoin de couvrir ses arrières, au cas où Washington le rappellerait à l'ordre.
Nous savions qu'il faudrait à Albanese un courage politique, voire moral, exceptionnel pour se lever devant le Parlement australien et dire :
En tant que Premier ministre, il incombe à mon gouvernement de ramener au pays un citoyen australien clairement victime d'une grande injustice vengeresse : un homme qui a été persécuté pour le type de journalisme qui constitue un véritable service public, un homme qui n'a ni menti, ni trompé - comme tant de ses semblables dans les médias - mais qui a dit aux gens la vérité sur la façon dont le monde est dirigé.
J'appelle les États-Unis, pourrait dire un Premier ministre Albanese courageux et moral, à retirer leur demande d'extradition, à mettre fin à la farce malveillante qui a entaché les cours de justice britanniques autrefois tant admirées, et à permettre la libération inconditionnelle de Julian Assange pour le rendre à sa famille. Le maintien de Julian dans sa cellule de Belmarsh est un acte de torture, comme l'a qualifié le rapporteur des Nations unies. C'est ainsi que se comporte une dictature.
Hélas, mon rêve éveillé de voir l'Australie faire ce qu'il faut pour Julian a atteint ses limites. L'espoir suscité par Albanese est désormais proche d'une trahison que la mémoire collective n'oubliera pas, et que beaucoup ne lui pardonneront pas. Qu'attend-il donc ?
N'oublions pas que Julian s'est vu accorder l'asile politique par le gouvernement équatorien en 2013, en grande partie parce que son propre gouvernement l'avait abandonné. Ce seul fait devrait faire honte aux responsables, à savoir le gouvernement travailliste de Julia Gillard.
Mme Gillard était si désireuse de collaborer avec les Américains pour faire taire WikiLeaks, qui dit la vérité, qu'elle a demandé à la police fédérale australienne d'arrêter M. Assange et de lui retirer son passeport pour ce qu'elle a appelé ses publications "illégales". L'AFP a fait remarquer qu'elle ne disposait pas de tels pouvoirs : Assange n'a commis aucun crime.
On pourrait croire que l'extraordinaire abandon de souveraineté de l'Australie peut se mesurer à l'aune du traitement qu'elle réserve à Julian Assange. La pantomime de Mme Gillard devant les deux chambres du Congrès américain est un véritable scandale sur YouTube. L'Australie, a-t-elle répété, est la "grande amie" de l'Amérique. Ou était-ce plutôt la "petite copine" ?
Son ministre des affaires étrangères était Bob Carr, encore un politicien de la machine travailliste dont WikiLeaks a révélé qu'il était un informateur américain, l'un des hommes utiles de Washington en Australie. Dans ses journaux publiés, Carr se vante de connaître Henry Kissinger ; nous apprenons en effet que le grand belliciste a invité le ministre des affaires étrangères à faire du camping dans les forêts californiennes.
Les gouvernements australiens ont affirmé à plusieurs reprises que Julian avait bénéficié d'un soutien consulaire complet, ce qui est son droit. Lorsque son avocat Gareth Peirce et moi-même avons rencontré le consul général d'Australie à Londres, Ken Pascoe, je lui ai demandé : "Que savez-vous de l'affaire Assange ?”
Il m'a répondu en riant : "Juste ce que j'ai lu dans les journaux".
Aujourd'hui, le Premier ministre Albanese prépare ce pays à une guerre absurde contre la Chine, orchestrée par les Américains. Des milliards de dollars doivent être dépensés pour une machine de guerre composée de sous-marins, d'avions de chasse et de missiles capables d'atteindre la Chine. Les propos belliqueux des dits "experts" du plus ancien journal du pays, le Sydney Morning Herald, et du Melbourne Age sont une source d'embarras national, ou devraient du moins l'être. L'Australie n'a pas d'ennemis, et la Chine est son principal partenaire commercial.
Cette servilité détraquée devant l'agression est exposée dans un document extraordinaire appelé "US-Australia Force Posture Agreement" [Accord sur le dispositif des forces américano-australiennes]. Il stipule que les troupes américaines ont "le contrôle exclusif de l'accès [et] de l'utilisation" des armements et du matériel pouvant être utilisés en Australie dans une guerre agressive.
Il s'agit très certainement d'armes nucléaires. La ministre des affaires étrangères d'Albanese, Penny Wong, "respecte" l'Amérique sur ce point, mais n'a manifestement aucun respect pour le droit des Australiens à savoir.
Cette obséquiosité a toujours existé - ce qui n'est pas inhabituel de la part d'une nation de colons qui n'a toujours pas fait la paix avec les peuples aborigènes propriétaires de l'endroit où ils vivent - mais elle devient aujourd'hui dangereuse.
Le péril jaune chinois va comme un gant à l'histoire raciste de l'Australie. Cependant, il y a un autre ennemi dont ils ne parlent pas. Nous, le public. Nous avons le droit de savoir. Et de dire non.
Depuis 2001, quelque 82 lois ont été promulguées en Australie pour supprimer les maigres libertés d'expression et de dissidence, et pour préserver la paranoïa de guerre froide d'un État de plus en plus secret, dans lequel le chef de la principale agence de renseignement, l'ASIO, donne des conférences sur les principes des "valeurs australiennes". Il existe des tribunaux secrets, des preuves secrètes et des erreurs judiciaires secrètes. On dit que l'Australie est une source d'inspiration pour le maître de l'autre côté du Pacifique.
Bernard Collaery, David McBride et Julian Assange - des hommes profondément moraux qui ont dit la vérité - sont les ennemis et les victimes de cette paranoïa. Ce sont eux, et non les soldats edwardiens qui ont défilé pour le roi, qui sont nos véritables héros nationaux.
En ce qui concerne Julian Assange, le premier ministre affiche deux visages. L'un nous fait espérer que son intervention auprès de M. Biden permettra de libérer Julian. L'autre se rallie à "POTUS" [President Of The United States], et permet aux Américains de faire ce qu'ils veulent de leur vassal : fixer des objectifs susceptibles de déboucher sur une catastrophe pour chacun d'entre nous.
Albanese soutiendra-t-il l'Australie ou Washington dans l'affaire Julian Assange ? S'il est "sincère", comme le disent les partisans du parti travailliste les plus obtus, qu'attend-il donc ? S'il ne parvient pas à obtenir la libération de Julian, l'Australie cessera d'être souveraine. Nous serons de petits Américains. Officiellement.
Il ne s'agit pas de la survie d'une presse libre. Il n'y a plus de presse libre. Il y a quelques refuges dans le samizdat, comme ici. La question primordiale est celle de la justice et de notre droit le plus précieux : celui d'être libre.
Cet article est une version abrégée d'un discours prononcé par John Pilger à Sydney au début de l'année, à l'occasion de l'inauguration en Australie de la sculpture de Davide Dormino représentant Julian Assange, Chelsea Manning et Edward Snowden, des "figures de courage".
Chris Graham est l'éditeur et le rédacteur en chef de New Matilda. Il est l'ancien rédacteur en chef fondateur du National Indigenous Times et du magazine Tracker. Chris a remporté un Walkley Award, une Walkley High Commendation et deux Human Rights Awards pour ses reportages.
https://newmatilda.com/2023/07/20/john-pilger-on-the-betrayers-of-julian-assange/