👁🗨 Jonathan Cook: Les fascistes au gouvernement ne réduiront pas le soutien occidental à Israël.
Itamar Ben Gvir n'est pas une aberration. Il n'est que la dernière incarnation, la plus laide, d'un suprémacisme juif qui domine depuis longtemps la politique israélienne.
👁🗨 Les fascistes au gouvernement ne réduiront pas le soutien occidental à Israël.
📰 Par Jonathan Cook 🐦@Jonathan_K_Cook, le 4 novembre 2022
Le résultat le plus inquiétant des élections générales israéliennes de cette semaine n'est pas le fait qu'un parti ouvertement fasciste ait remporté le troisième plus grand nombre de sièges, ni qu'il soit sur le point de devenir la cheville ouvrière du prochain gouvernement. C'est le peu de changement qui en résultera, en Israël ou à l'étranger.
Que le sionisme religieux soit au cœur du gouvernement modifiera le ton de la politique israélienne, la rendant encore plus grossière, plus brutale et intransigeante. Mais cela ne changera rien au suprémacisme ethnique qui guide la politique israélienne depuis des décennies.
Israël n'est pas soudainement un État plus raciste. Il est simplement de plus en plus enclin à admettre son racisme au monde entier. Et le monde - ou du moins la partie de celui-ci qui se décrit avec arrogance comme la communauté internationale - est sur le point de confirmer que cette confiance est bien fondée.
En effet, l'attitude de l'Occident à l'égard du prochain gouvernement de coalition israélien ne sera pas différente de celle qu'il affichait à l'égard de ceux qui l'ont précédé, censés être moins corrompus.
En privé, l'administration Biden aux États-Unis a clairement fait savoir aux dirigeants israéliens qu'elle était mécontente de voir des fascistes occuper une place aussi importante au gouvernement, notamment parce que leur présence risque de mettre en lumière l'hypocrisie de Washington et d'embarrasser les alliés du Golfe. Mais ne vous attendez surtout pas à ce que Washington entreprenne quoi que ce soit de concret.
Il n'y aura pas de déclarations appelant à ostraciser le gouvernement israélien comme un paria, ni de démarches visant à le sanctionner ou à mettre fin aux aides de plusieurs milliards de dollars que les États-Unis lui accordent chaque année. Dans un Washington encore marqué par les retombées des émeutes du 6 janvier, il n'y aura pas de mise en garde contre un sabotage interne de la démocratie israélienne.
De même, on n'exigera pas d'Israël qu'il s'engage à protéger plus rigoureusement les Palestiniens sous son régime militaire, et on ne relancera pas les efforts pour le forcer à s'asseoir à la table des négociations.
Après un petit traînement de pieds embarrassé, et peut-être un refus symbolique de rencontrer les ministres des partis fascistes, ce sera le business comme d'habitude - l'"habitude" consistant à opprimer et à procéder à un nettoyage ethnique de la population palestinienne.
▪️ Mort et enterré
Il ne s'agit pas de minimiser l'importance des résultats. Le Meretz, seul parti juif qui affirme préférer la paix aux droits des colons israéliens, n'a pas réussi à franchir le seuil électoral. Le petit camp de la paix israélien semble mort et enterré.
L'extrême droite laïque, celle des colons et la droite religieuse fondamentaliste ont obtenu 70 des 120 sièges du Parlement, même si des querelles intestines font que tous ne sont pas prêts à siéger ensemble. Une volonté suffisante, cependant, pour assurer le retour au pouvoir de l'ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou pour une sixième fois, un record.
Il est pratiquement certain qu'Itamar Ben-Gvir, dont le parti fasciste du Pouvoir juif représente l'héritage brutal et ouvertement suprématiste du célèbre rabbin Meir Kahane, qui souhaitait expulser les Palestiniens de leur patrie, sera au cœur du nouveau gouvernement. Netanyahou sait qu'il doit son retour en force à l'ascension étonnante de Ben-Gvir - et il devra le récompenser comme il se doit.
Plusieurs dizaines de sièges supplémentaires à la Knesset sont détenus par des partis juifs issus d'une droite largement laïque et militariste. Leurs législateurs encouragent fidèlement ce qui équivaut maintenant à un siège de 15 ans de Gaza et de ses deux millions d'habitants palestiniens, ainsi que le bombardement intermittent de l'enclave côtière "ramenée à l'âge de pierre".
Aucun de ces partis ne préfère une solution diplomatique à l'asservissement permanent des Palestiniens, au nettoyage ethnique progressif de Jérusalem, et à l'enracinement des colonies en Cisjordanie occupée.
Ces mêmes partis, après leur victoire aux urnes il y a 19 mois, ont supervisé ce que les Nations unies ont récemment annoncé comme étant "l'année la plus meurtrière" pour les Palestiniens depuis le début de la compilation des chiffres en 2005. Au cours de leur mandat, ils ont dissous six importants groupes palestiniens de défense des droits de l'homme, affirmant sans preuve qu'ils émanaient d'organisations terroristes.
Néanmoins, les capitales occidentales vont maintenant prétendre que ces partis d'opposition offrent l'espoir - même lointain - d'une percée vers la paix.
Dans cette mer de suprémacisme juif absolu, 10 législateurs appartenant à deux partis non sionistes à majorité arabe, représentant un cinquième de la population d'Israël, pourront siéger. S'ils parviennent à élever la voix suffisamment fort pour briser le vacarme du racisme anti-palestinien au Parlement, ils seront bien les seuls à défendre une cause que la communauté internationale affirme lui être chère : une solution à deux États.
▪️ Un instant de lucidité
Le succès de la coalition fasciste du pouvoir juif et du sionisme religieux, qui devrait remporter 14 sièges, devrait marquer un instant de lucidité. Dans cette élection, le sionisme politique, l'idéologie d'État d'Israël, a brisé une façade. Il s'est avéré être un spectre étroit d'affreuses croyances suprématistes juives.
En particulier, l'ascension de Ben-Gvir fera tomber le masque d'Israël et de ses partisans à l'étranger, qui prétendent qu'Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient, sous-entendant à peine qu'il représente un avant-poste de la civilisation occidentale dans un Moyen-Orient primitif et moralement arriéré.
Ben-Gvir et ses alliés au gouvernement ne soulignent que trop clairement que le soutien occidental à Israël n'a jamais été conditionné par son caractère moral ou ses prétentions démocratiques. Dès le départ, Israël a été parrainé comme un avant-poste colonial de l'Occident - "un rempart de l'Europe contre l'Asie, une antenne de la civilisation par opposition à la barbarie", comme Theodor Herzl, le père du sionisme, a décrit le rôle d'Israël.
L'objectif central du sionisme, qui consiste à remplacer la population palestinienne autochtone par des colons juifs revendiquant un droit de naissance ancestral, est resté le même, quel que soit le dirigeant d'Israël. Le conflit au sein du sionisme a porté sur les moyens nécessaires pour parvenir à ce remplacement, sur la base de préoccupations quant à la façon dont les étrangers pourraient percevoir le racisme d'État d'Israël et y répondre.
Au fil du temps, le sionisme libéral a souvent conclu que la meilleure chose qu'il pouvait espérer était de parquer les Palestiniens dans des ghettos afin de garantir la domination juive sur le territoire. Il s'agit du modèle d'apartheid que la communauté internationale a tenté pendant trois décennies de formaliser dans une stratégie à deux États.
Mais le sionisme libéral n'a pas réussi à asservir les Palestiniens, et a maintenant été efficacement balayé de la scène politique israélienne par le triomphe du sionisme révisionniste. C'est à cette idéologie que souscrit une large majorité du nouveau parlement.
Face à la résistance palestinienne et à l'échec du sionisme libéral, le sionisme révisionniste offre une solution plus satisfaisante. Il préfère affirmer explicitement la suprématie juive, divine ou non, sur un territoire élargi. Il conclut que, si les Palestiniens refusent de se soumettre à leur statut d'invités de troisième zone, ils renoncent à tout droit en créant les motifs de leur propre expulsion.
▪️ Portrait d'un fasciste
Pour les Palestiniens, Ben-Gvir se démarquera des législateurs des autres partis avec qui il siégera au gouvernement principalement par l'audace avec laquelle il est prêt à embarrasser l'Occident - et les partisans sionistes libéraux d'Israël - en affichant son racisme.
Dans la mesure où Ben-Gvir représente un changement, ce ne sera pas en termes de mesures prises par Israël dans les territoires occupés. Elles se poursuivront comme par le passé, bien qu'il puisse s'avérer être une épine dans le pied de Netanyahou sur la question de l'annexion, comme beaucoup dans le propre parti de Netanyahou.
L'impact de Ben-Gvir se fera plutôt ressentir à l'intérieur d'Israël. Il cible le portefeuille de la sécurité publique afin de pouvoir commencer à transformer la force de police nationale en une milice à l'image fasciste de son parti, reproduisant le succès antérieur des colons qui ont pénétré et progressivement pris le contrôle de l'armée israélienne.
Ce qui va accélérer la tendance à une coopération plus étroite entre la police et les groupes de colons armés, légitimant un recours encore plus grand à des types de violence formelle et informelle contre la grande minorité de citoyens palestiniens vivant en Israël. Et qui permettra à Ben-Gvir et à ses alliés de sévir contre les "déviants" de la société juive, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas d'accord sur les questions religieuses, sexuelles ou politiques.
Les fascistes du gouvernement de Netanyahou vont chercher à s'appuyer sur le discours incitatif existant à l'encontre des citoyens palestiniens vivant en Israël pour qualifier la minorité en question de cinquième colonne et justifier publiquement son expulsion. Une telle démarche n'est pas sans précédent: les dirigeants et ministres précédents ont suggéré que les Palestiniens sont intrinsèquement des traîtres, les comparant à des "cancers" ou des "cafards", et appelant à leur expulsion.
Entre-temps, Avigdor Lieberman, ministre dans plusieurs gouvernements, a établi il y a longtemps un plan pour redessiner les frontières d'Israël afin de refuser la citoyenneté à certaines parties de la minorité palestinienne.
Au cours de l'été, Ben-Gvir a vanté les mérites d'un sondage d'opinion montrant que près des deux tiers des Juifs israéliens étaient favorables à la législation qu'il proposait pour expulser les citoyens palestiniens "déloyaux" de l'État et leur retirer la citoyenneté. Les autres partis juifs, qui souscrivent à leurs propres versions du suprémacisme ethnique, auront du mal à trouver un moyen de contrer de manière crédible la rhétorique fasciste de Ben-Gvir.
▪️ Un test difficile
Tout cela va constituer un test difficile pour les partisans d'Israël en Europe et aux États-Unis. La plupart d'entre eux s'identifient au sionisme libéral, même si leur aile du sionisme a été éradiquée en Israël il y a quelque temps.
Les sionistes libéraux juifs affirment invariablement qu'Israël est au cœur de leur identité. Ils ont même insisté pour redéfinir tout ce qui ne relève pas de la critique la plus sanglante d'Israël comme de l'antisémitisme. Une attaque contre Israël est une attaque contre l'identité juive, affirment-ils, et constitue donc de l'antisémitisme.
C'est précisément cette logique tordue qui a été adoptée par l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA) lorsqu'elle a rédigé une nouvelle définition de l'antisémitisme - une définition largement adoptée par les partis politiques occidentaux, les autorités locales et les universités.
Parmi les exemples d'antisémitisme cités par l'IHRA, on peut notamment citer le fait de qualifier Israël d'"entreprise raciste", de comparer ses actions à celles des nazis (même si de véritables fascistes dictent la politique israélienne), ou d'exiger d'Israël "un comportement que l'on n'attend ou n'exige d'aucune autre nation démocratique" (ce qui pose la question: qu'est-ce qu'Israël doit faire de plus pour cesser d'être qualifié de "toute autre nation démocratique") ?
Ceux qui s'y refusent, comme l'ancien leader travailliste britannique Jeremy Corbyn, ont subi de plein fouet la colère des sionistes libéraux, tout comme ceux qui font campagne pour le boycott d'Israël afin de freiner ses excès. Ce sont les sionistes libéraux qui ont mis fin à la campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS), et le sentiment d'impunité qui en a résulté a certainement contribué au déchaînement du léviathan fasciste israélien.
Les partisans d'Israël vont-ils répudier la définition de l'IHRA ou d'Israël, alors que Ben-Gvir siège au gouvernement, représentant une grande partie de la population israélienne ? Il est fort à parier qu'ils ne le feront pas.
Si Ben-Gvir oblige les supporters d'Israël à choisir entre la suprématie juive du sionisme, et le libéralisme, la plupart s'en tiendront au sionisme. Comme ce fut le cas tant de fois auparavant, le glissement vers la droite se normalisera rapidement. Avoir des fascistes affichés au sein du gouvernement sera bientôt banal.
Pire encore, Ben-Gvir servira d'alibi pour les autres politiciens d'extrême droite à ses côtés, permettant aux États-Unis et à l'Europe de les présenter comme des modérés, des hommes et des femmes de paix, les adultes dans la pièce.