đ© Jonathan Cook: Les Occidentaux vivent dans le dĂ©ni, persuadĂ©s d'ĂȘtre les gentils...
L'horrible vérité est que les Occidentaux vivent cloisonnés dans leur propre bulle de désinformation, gonflée par leurs dirigeants & médias, s'imaginant qu'ils sont les gentils, en dépit des réalités.
đ© Les Occidentaux vivent dans le dĂ©ni, persuadĂ©s d'ĂȘtre les gentils...
đ° Par Jonathan Cook đŠ@Jonathan_K_Cook, le 14 octobre 2022
Les contradictions frappantes dans le traitement par l'Occident de la guerre en Ukraine et de l'occupation et du siĂšge de la Palestine devraient nous servir d'avertissement.
Personne n'a endossé la responsabilité de l'explosion qui a ravagé ce week-end une section du pont de Kertch, qui relie la Russie à la Crimée et a été construit par Moscou aprÚs l'annexion de la péninsule en 2014.
Mais ce ne sont pas seulement les célébrations jubilatoires de Kiev qui ont désigné le principal suspect. En quelques heures, les autorités ukrainiennes ont publié une série de timbres commémoratifs illustrant la destruction.
Le président russe Vladimir Poutine ne se fait pas d'illusions non plus. Lundi, il a lùché un torrent de missiles qui a frappé les grandes villes ukrainiennes comme Kiev et Lviv. C'était un pùle écho slave des bombardements intermittents d'Israël sur Gaza, qui visent expressément à renvoyer l'enclave palestinienne "à l'ùge de pierre".
Si les scÚnes semblaient familiÚres - une attaque d'un cÎté, suivie d'une riposte massive de l'autre - l'humeur et le langage qui ont accueilli l'attaque ukrainienne et la contre-attaque russe étaient sensiblement différents de ce qui passe pour un commentaire occidental normal sur Israël et la Palestine.
L'explosion sur le pont de Kertch a Ă©tĂ© accueillie avec une excitation Ă peine dissimulĂ©e par les journalistes, les politiciens et les analystes occidentaux, tandis que les frappes de Moscou sur Kiev ont Ă©tĂ© uniformĂ©ment dĂ©noncĂ©es comme de la brutalitĂ© russe et du terrorisme d'Ătat. Ce n'est pas ainsi que les choses se passent lorsque les factions israĂ©liennes et palestiniennes s'engagent dans leurs propres combats.
Si les Palestiniens avaient ouvertement célébré l'explosion d'un pont à Jérusalem-Est, un territoire illégalement annexé par Israël dans les années 1960, et tué des civils israéliens comme dommages collatéraux dans le processus, qui peut raisonnablement imaginer des médias occidentaux aussi favorables ?
Les universitaires occidentaux n'auraient pas non plus fait la queue, comme ils l'ont fait pour l'Ukraine, afin d'expliquer en détail pourquoi la destruction d'un pont était un acte proportionné et parfaitement conforme aux droits d'un peuple sous occupation belligérante de résister, conformément au droit international.
Au lieu de cela, il y aurait eu des dénonciations tonitruantes de la sauvagerie et du "terrorisme" palestiniens.
En rĂ©alitĂ©, la rĂ©sistance palestinienne est aujourd'hui bien plus modeste - et pourtant, elle fait toujours l'objet de la censure occidentale. Il suffit aux Palestiniens de tirer une roquette artisanale ou de lancer un "ballon incendiaire", gĂ©nĂ©ralement sans effet, depuis leur cage de Gaza - oĂč ils sont assiĂ©gĂ©s depuis des annĂ©es par leurs persĂ©cuteurs israĂ©liens - pour s'attirer les foudres d'IsraĂ«l et des puissances occidentales qui prĂ©tendent constituer la "communautĂ© internationale".
Plus pervers encore, lorsque les Palestiniens s'en prennent uniquement aux soldats israéliens, comme ils en ont le droit sans ambiguïté en vertu du droit international, ils sont pareillement traités de criminels.
âȘïž Des saccages rĂ©guliers
Mais le double langage ne s'arrĂȘte pas lĂ . Les mĂ©dias et les politiciens occidentaux ont Ă©tĂ© consternĂ©s sans rĂ©serve par les frappes de reprĂ©sailles de Moscou sur la capitale ukrainienne. Bien que les mĂ©dias aient mis l'accent sur le fait que la Russie visait les infrastructures civiles, le nombre de civils tuĂ©s en Ukraine par la vague de missiles de lundi serait faible.
Les mĂ©dias occidentaux sont beaucoup moins horrifiĂ©s lorsqu'il s'agit des saccages rĂ©guliers d'IsraĂ«l Ă Gaza - mĂȘme lorsqu'IsraĂ«l "riposte" aprĂšs beaucoup moins de provocations, et lorsque ses frappes infligent des souffrances et des dĂ©gĂąts bien plus importants.
Et, bien sĂ»r, ce n'est pas seulement IsraĂ«l qui bĂ©nĂ©ficie de cette hypocrisie. La campagne de bombardement "Shock and Awe" des Ătats-Unis Ă lâinitiative de la guerre contre l'Irak en 2003 - et qui a tant impressionnĂ© les commentateurs occidentaux - a tuĂ© des milliers de civils irakiens. Les frappes russes sur Kiev font pĂąle figure en comparaison.
Il existe d'autres incohérences flagrantes. AprÚs les frappes de missiles de la Russie, l'Ukraine trouve une oreille encore plus réceptive dans les capitales occidentales à ses demandes d'armement supplémentaire pour l'aider à reconquérir les territoires orientaux que Moscou a annexés.
En revanche, personne en Occident ne suggĂšre d'armer les Palestiniens pour les aider Ă lutter contre des dĂ©cennies d'occupation et de siĂšge israĂ©liens. C'est plutĂŽt le contraire. Ce sont invariablement des armes occidentales qui pleuvent sur Gaza, fournies Ă l'occupant israĂ©lien belliqueux par les mĂȘmes parties qui condamnent maintenant la Russie.
Et dans un contraste frappant avec le soutien inconditionnel de la Grande-Bretagne Ă l'Ukraine qui se bat pour empĂȘcher l'annexion par la Russie de ses territoires orientaux, la premiĂšre ministre britannique Liz Truss a dĂ©clarĂ© le mois dernier qu'elle pourrait rĂ©compenser IsraĂ«l pour son annexion illĂ©gale de JĂ©rusalem en y transfĂ©rant l'ambassade britannique.
Alors que les Palestiniens sont constamment incitĂ©s Ă reporter leur lutte de libĂ©ration, et Ă attendre que leur occupant accepte des pourparlers de paix, mĂȘme si IsraĂ«l mĂ©prise ouvertement tout engagement, les Ukrainiens sont poussĂ©s par l'Occident Ă faire exactement le contraire. On attend d'eux qu'ils reportent toute nĂ©gociation avec la Russie, et qu'ils se concentrent sur le champ de bataille.
De mĂȘme, ceux qui encouragent les pourparlers entre IsraĂ«l et la Palestine, qui n'auront jamais lieu, sont encensĂ©s comme des artisans de la paix. Ceux qui prĂ©conisent des pourparlers entre l'Ukraine et la Russie - alors que Moscou a exprimĂ© Ă plusieurs reprises sa volontĂ© de nĂ©gocier, mĂȘme si ses ouvertures sont dĂ©nigrĂ©es par l'Occident - sont traitĂ©s de conciliateurs.
La Russie, quant Ă elle, fait face Ă des sanctions durables et complĂštes imposĂ©es par les Ătats occidentaux pour la mettre au pas.
En revanche, ceux qui proposent un outil bien plus faible - les boycotts populaires - pour faire pression sur IsraĂ«l afin qu'il relĂąche son Ă©tau sur Gaza sont traitĂ©s d'antisĂ©mites, et risquent une lĂ©gislation visant Ă rendre leurs activitĂ©s illĂ©gales par les mĂȘmes Ătats occidentaux qui sanctionnent Moscou.
C'est presque comme si l'Occident "épris de liberté" avait un programme totalement incohérent lorsqu'il s'agit de la situation critique de l'Ukraine et de la Palestine. L'emprise d'Israël sur la Palestine est regrettable mais justifiée; celle de la Russie sur l'Ukraine ne l'est absolument pas.
La résistance ukrainienne à "l'agression non provoquée" de la Russie est héroïque. La résistance palestinienne à la violence d'Israël - invariablement présentée comme de l'autodéfense - est du terrorisme.
âȘïž Deux poids, deux mesures
L'actualité occidentale est actuellement une litanie de ces doubles standards et de ces contradictions juridiques et éthiques - et pourtant, presque personne ne semble le remarquer.
Les Occidentaux, par exemple, applaudissent actuellement les protestations en Iran, oĂč des femmes et des jeunes filles sont descendues dans la rue et ont crĂ©Ă© des perturbations massives dans les Ă©coles. Ces protestations ont Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©es par la mort de Mahsa Amini, arrĂȘtĂ©e pour avoir trop librement portĂ© son hijab.
Les médias occidentaux célÚbrent ces jeunes femmes qui abandonnent le hijab pour défier les clercs irresponsables qui les gouvernent. L'Occident se lamente sur les coups et les attaques qu'elles reçoivent de la part d'une théocratie iranienne tyrannique et patriarcale.
Et pourtant, il n'existe aucune solidaritĂ© comparable avec les Palestiniens lorsqu'ils dĂ©fient collectivement une armĂ©e d'occupation israĂ©lienne qui n'a aucun compte Ă rendre et qui les domine. Lorsqu'ils manifestent pour protester contre la clĂŽture qu'IsraĂ«l a construite tout autour de Gaza pour les emprisonner, les empĂȘchant de partir travailler ou de voir leur famille Ă l'Ă©tranger, ou de se rendre dans des hĂŽpitaux bien mieux Ă©quipĂ©s que les leurs, soumis au blocus israĂ©lien depuis des annĂ©es, ils sont abattus par des tireurs d'Ă©lite israĂ©liens.
OĂč sont les applaudissements pour ces courageux manifestants palestiniens qui tiennent tĂȘte Ă leurs oppresseurs ? OĂč sont les dĂ©nonciations d'IsraĂ«l pour avoir obligĂ© les Palestiniens Ă endurer une armĂ©e israĂ©lienne tyrannique, appliquant l'apartheid ?
Pourquoi est-il tout à fait banal que des Palestiniens - jeunes et vieux, hommes et femmes - soient réguliÚrement battus ou tués par Israël, alors que la mort d'une seule femme iranienne suffit à réduire les médias occidentaux à des paroxysmes d'indignation ?
Et pourquoi, de maniÚre tout aussi pertinente, l'Occident se soucie-t-il tant de la vie des jeunes femmes iraniennes et de leurs manifestations contre le hijab alors qu'il semble se moquer de la vie de ces femmes, ou de celle de leurs frÚres, lorsqu'il s'agit d'appliquer des décennies de sanctions occidentales ? Ces restrictions ont plongé une partie de la société iranienne dans une pauvreté profonde et durable qui met en danger la vie des Iraniens.
L'hypocrisie est telle que des Israéliennes qui n'ont manifesté aucune solidarité avec les femmes palestiniennes maltraitées et tuées par l'armée israélienne ont décidé la semaine derniÚre de se couper les cheveux dans un geste public de solidarité avec les femmes iraniennes.
âȘïž Les dictats occidentaux
Ces doubles standards n'ont rien de nouveau. Ils sont ancrés dans la pensée occidentale, fondée sur une vision du monde profondément raciste et coloniale, qui considÚre que "l'Occident" est le bon et que tous les autres sont moralement suspects, voire irrémédiablement mauvais, s'ils refusent de se plier aux diktats occidentaux.
Cette vision est illustrée par la bataille que mÚne actuellement un homme d'affaires palestinien de 88 ans, Munib al-Masri, pour obtenir des excuses de la part de la Grande-Bretagne.
Sur ses instructions, deux éminents avocats - Luis Moreno Ocampo, ancien procureur en chef de la Cour pénale internationale, et Ben Emmerson, ancien expert des Nations unies en matiÚre de droits de l'homme - ont examiné les preuves des crimes commis par les forces britanniques avant 1948, lorsque le Royaume-Uni dirigeait la Palestine sous mandat.
Les Occidentaux vivent en permanence dans leur propre bulle de désinformation qui leur permet de s'imaginer qu'ils sont les gentils, quelles que soient les preuves.
Lorsque la Grande-Bretagne s'est retirĂ©e, elle a effectivement permis aux institutions sionistes de prendre sa place et de crĂ©er un Ătat juif autoproclamĂ©, IsraĂ«l, sur les ruines de la patrie des Palestiniens.
Les preuves documentées par Ocampo et Emmerson - qu'ils décrivent comme "choquantes" - comprennent des crimes tels que les exécutions et les détentions arbitraires, la torture, l'utilisation de boucliers humains et les démolitions de maisons en guise de punition collective.
Si tout cela vous semble familier, ce nâest que lĂ©gitime. IsraĂ«l terrorise les Palestiniens avec exactement les mĂȘmes politiques depuis 74 ans. C'est parce qu'IsraĂ«l a intĂ©grĂ© dans ses codes juridiques et administratifs les "rĂšglements d'urgence" du mandat britannique autorisant de tels crimes. Il a simplement poursuivi ce que la Grande-Bretagne avait commencĂ©.
Masri espÚre présenter le dossier de 300 pages au gouvernement britannique dans le courant de l'année. Selon les médias, il sera "examiné en profondeur" par le ministÚre de la défense. Mais ne retenez pas votre souffle en attendant des excuses.
La rĂ©alitĂ© est qu'Ocampo et Emmerson n'ont pas eu besoin de mener leurs recherches. Rien de ce qu'ils diront au gouvernement britannique ne sera une rĂ©vĂ©lation. Les fonctionnaires britanniques sont dĂ©jĂ au courant de ces crimes. Sans aucun remords - comme dĂ©montrĂ©, ne serait-ce que par le fait que la Grande-Bretagne continue Ă soutenir IsraĂ«l Ă bout de bras, alors mĂȘme que l'armĂ©e israĂ©lienne poursuit le mĂȘme rĂšgne de terreur d'Ătat.
La tĂąche d'IsraĂ«l Ă©tait de faire passer pour une "dĂ©mocratie de type occidental" la domination coloniale brutale du mandat britannique sur la population palestinienne. C'est la raison pour laquelle IsraĂ«l reçoit des milliards de dollars d'aide de la part des Ătats-Unis chaque annĂ©e, et pourquoi il ne subit jamais de reprĂ©sailles pour aucun des crimes qu'il commet.
L'horrible vérité est que les Occidentaux vivent en permanence dans leur propre bulle de désinformation, gonflée par leurs dirigeants et les médias, qui leur permet de s'imaginer qu'ils sont les bons, en dépit de ce que les faits prouvent.
Les deux poids, deux mesures dans le traitement de l'Ukraine par l'Occident par rapport Ă la Palestine devraient ĂȘtre le moment oĂč cette dure prise de conscience finit par poindre. Malheureusement, l'opinion publique occidentale semble s'enfoncer toujours plus profondĂ©ment dans l'illusion rĂ©confortante de l'autosatisfaction.
Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflÚtent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
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