đâđš Joyeux NoĂ«l ! Nous devrions tous ĂȘtre embastillĂ©s Ă La Haye
Puis le Grinch a montré la zone réservée aux cadavres de Palestiniens. Elle était déjà bien remplie, mais il a réservé une zone attenante pour s'assurer que l'endroit serait suffisamment spacieux...
đâđš Joyeux NoĂ«l ! Nous devrions tous ĂȘtre embastillĂ©s Ă La Haye
Par Jon Schwarz & Elise Swain, le 24 décembre 2023
Parce que la joie humaine nous insupporte, nous attirons votre attention, durant ces fĂȘtes, sur votre complicitĂ© dans les violences en IsraĂ«l et en Palestine.
Nous espĂ©rons que tous les lecteurs de The Intercept vivent paix et bonheur avec leur famille en cette pĂ©riode de fĂȘtes. En effet, la joie humaine est pour nous insupportable, et notre politique institutionnelle consiste Ă localiser de telles Ă©motions, et Ă les dĂ©truire.
Nous avons dĂ©jĂ essayĂ© d'anĂ©antir votre joie de NoĂ«l en Ă©voquant les enfants vivant dans la peur de nos drones tueurs et la façon dont le capitalisme nous tue tous. Cette annĂ©e, nous aimerions souligner que, dans un univers juste, tous les citoyens des Ătats-Unis et de l'Union europĂ©enne devraient ĂȘtre actuellement incarcĂ©rĂ©s Ă la prison internationale de La Haye, aux Pays-Bas.
Nous avons tous commis de nombreux crimes, mais le plus marquant aujourd'hui est notre complicitĂ© dans l'ultraviolence de ces derniers mois en IsraĂ«l et en Palestine. Ceci inclut la complicitĂ© dans les attaques du 7 octobre par le Hamas, de la mĂȘme maniĂšre que les AmĂ©ricains blancs, incapables de dĂ©raciner l'esclavage, ont Ă©tĂ© complices de la mort des cinq douzaines d'hommes, de femmes et d'enfants tuĂ©s par Nat Turner et ses partisans en 1831.
La prison de La Haye - officiellement le âquartier pĂ©nitentiaire des Nations uniesâ - permet actuellement dâhĂ©berger 52 dĂ©tenus. Puisque nous sommes 750 millions en AmĂ©rique et dans l'Union europĂ©enne, il va falloir l'agrandir un peu. Et pourquoi pas ? Le centre de dĂ©tention comprend un accĂšs âĂ l'air frais, Ă l'exercice, aux soins mĂ©dicaux, Ă l'ergothĂ©rapie [ainsi quâ] Ă l'accompagnement spirituelâ. Ce dernier point est particuliĂšrement essentiel, car nous aurons besoin de beaucoup de misĂ©ricorde pour nous sortir de ce mauvais pas.
Il ne s'agit pas lĂ de conseils pour nous inciter Ă nous sentir coupables. Cela ne fait de bien Ă personne, et encore moins aux habitants de Gaza et de Cisjordanie. Mais nous estimons que nous devons 1) nous reconnaĂźtre coupables, 2) enquĂȘter sur la maniĂšre dont nous avons commis ces crimes et 3) cesser de les commettre dans les plus brefs dĂ©lais.
Tout cela a l'air horrible. Joyeux Noël, et commençons.
Manque d'imagination
Notre plus grand crime s'inscrit dans le mĂ©canisme dĂ©faillant du cerveau humain. Les gens aiment instinctivement s'entraider, voilĂ qui est merveilleux. Le problĂšme, c'est que nous ne sommes pas capables, d'un point de vue cognitif, de percevoir plus de 150 autres personnes en tant qu'ĂȘtres humains Ă part entiĂšre. Les 8 milliards d'individus restants sur Terre sont une masse indiffĂ©renciĂ©e de protoplasme dont nous pouvons facilement croire qu'elle essaie de nous tuer.
Hillel l'Ancien a tentĂ© de rĂ©soudre ce problĂšme en expliquant : âN'inflige pas Ă ton prochain ce qui t'est odieux : ainsi se rĂ©sume toute la Torah ; le reste n'est que pure thĂ©orieâ.
Quelques annĂ©es plus tard, JĂ©sus s'est montrĂ© plus rusĂ© en informant ses fidĂšles : âJe vous le dis en vĂ©ritĂ©, dans la mesure oĂč vous l'avez infligĂ© aux plus petits de mes frĂšres, c'est Ă moi que vous l'infligezâ.
En d'autres termes, JĂ©sus a dit Ă son auditoire : âVous me connaissez et vous m'aimez bien, n'est-ce pas ? Je suis l'une des 150 personnes que vous estimez ĂȘtre humaines ? Eh bien, accrochez-vous Ă votre p***** de lustre, parce que toutes les autres vies sur terre sont aussi humaines que moiâ.
Ce NoĂ«l, JĂ©sus dirait : âPlusieurs enfants JĂ©sus ont Ă©tĂ© massacrĂ©s dans un kibboutz. De plus, des avions de chasse Lockheed ont bombardĂ© plusieurs enfants JĂ©sus avec des bombes de la sĂ©rie MK80 de General Dynamics. Des centaines d'enfants JĂ©sus ont Ă©tĂ© dĂ©chiquetĂ©s et broyĂ©s. Ensuite, nombre de ces petits JĂ©sus ont Ă©tĂ© amenĂ©s Ă l'hĂŽpital Ă dos d'Ăąne sur des routes jonchĂ©es de ruines, mais cela n'a servi Ă rien car l'hĂŽpital Ă©tait Ă court d'anesthĂ©siques et de mĂ©dicaments depuis longtemps. Depuis le 7 octobre, l'Ă©quivalent en explosifs de la bombe nuclĂ©aire larguĂ©e par les Ătats-Unis sur Hiroshima a Ă©tĂ© dĂ©versĂ© sur les 2,3 millions d'enfants et adolescents JĂ©sus de Gazaâ.
Paradoxalement, les ĂȘtres humains on besoin d'une imagination trĂšs dĂ©veloppĂ©e pour percevoir la rĂ©alitĂ©, y compris celle qui consiste Ă se dire que les autres sont aussi des ĂȘtres humains. Nous n'avons pas su nous servir de notre imagination pour comprendre rĂ©ellement ce qu'Hillel et JĂ©sus essayaient de nous dire. Nous voilĂ donc dans le vif du sujet.
Absence d'action
Notre manque d'imagination a engendré une absence d'action, en particulier de la part du gouvernement américain. Si nous avions clairement perçu le monde, nous aurions compris que l'occupation israélienne de Gaza et de la Cisjordanie est, depuis 56 ans, à la fois une urgence humanitaire permanente et un gros pépin pour l'empire américain.
Dans son autobiographie âMon parcours amĂ©ricainâ, le secrĂ©taire d'Ătat Colin Powell dĂ©crit le bombardement de Beyrouth par l'USS New Jersey en 1983, en soutien Ă l'invasion israĂ©lienne du Liban.
âCe que nous avons tendance Ă oublier dans de tels contextes, c'est que d'autres rĂ©agissent de la mĂȘme façon que nousâ, a Ă©crit Powell. âEt comme ils n'Ă©taient pas en mesure de toucher le croiseur, ils ont trouvĂ© une cible plus vulnĂ©rableâ.
Il s'agissait de casernes militaires américaines et françaises, simultanément détruites par des camions piégés, tuant 307 personnes.
Nous aurions pu profiter du point de bascule du 11 septembre 2001 pour comprendre - ce sont des mots difficiles Ă Ă©crire - la sagesse de Powell. Les attentats du 11 septembre Ă©taient en grande partie inspirĂ©s par le dĂ©sir d'Al-QaĂŻda de monter en puissance dans le monde arabe en exerçant des reprĂ©sailles contre les Ătats-Unis, qui soutenaient la politique israĂ©lienne. Ce n'est pas la preuve que les musulmans sont âintrinsĂšquement mauvaisâ. Non, bien au contraire, cela montre qu'ils sont comme nous, et que certains d'entre eux peuvent inĂ©vitablement ĂȘtre aussi effroyables que certains d'entre nous.
Si nous lâavions su, nous aurions fait en sorte de mettre fin immĂ©diatement au cauchemar palestinien, Ă la fois pour des raisons de justice Ă©lĂ©mentaire, mais aussi dans notre propre intĂ©rĂȘt. Mais au contraire, nous avons fermĂ© les yeux toujours plus fort. Le gouvernement israĂ©lien s'est Ă ce point abruti de racisme qu'il a considĂ©rĂ© les membres du Hamas comme des sauvages mentalement dĂ©ficients incapables de commettre un attentat tel que celui du 7 octobre. Ils auraient pu l'empĂȘcher s'ils avaient compris qu'ils sont exactement comme eux : intelligents, organisĂ©s et capables d'une brutalitĂ© spectaculaire.
L'échec des engagements et de la créativité
Si les dirigeants amĂ©ricains n'ont pas agi dans leur propre intĂ©rĂȘt, cela n'a pas Ă©tĂ© un souci pour les autres. Le reste d'entre nous a largement contribuĂ© Ă l'action. Le problĂšme, c'est que nous n'avons pas su crĂ©er de structures institutionnelles Ă mĂȘme de traduire toutes ces actions en un pouvoir durable. L'une des raisons principales de cette situation rĂ©side dans notre manque de crĂ©ativitĂ©.
Il n'est pas juste de critiquer la gauche amĂ©ricaine, pour les mĂȘmes raisons qu'il n'est pas juste de critiquer le PĂšre NoĂ«l : ni l'un ni l'autre n'existe. D'un point de vue historique et comparatif, l'AmĂ©rique est un cas Ă©trange - fragmentĂ©, dĂ©politisĂ©, complexe.
En thĂ©orie, les campagnes prĂ©sidentielles pourraient ĂȘtre les vecteurs du dĂ©veloppement d'une gauche organisĂ©e. Dans la pratique, le parti dĂ©mocrate s'y oppose fondamentalement, et si vous voulez tenter l'expĂ©rience, mieux vaut le savoir dĂšs le dĂ©part. Lorsque George McGovern a Ă©tĂ© dĂ©signĂ© pour le Parti dĂ©mocrate en 1972, il a su susciter l'Ă©mergence d'une nouvelle gĂ©nĂ©ration de bĂ©nĂ©voles et de petits donateurs. AprĂšs sa dĂ©faite, il a remis sa base de donnĂ©es au ComitĂ© national dĂ©mocrate, qui lâa jetĂ©e aux orties. Lorsque Barack Obama a remportĂ© une victoire en 2008 sur une base similaire, il a essentiellement dit aux Ă©lecteurs de rentrer chez eux et que dĂ©sormais, il s'occuperait de tout.
Malheureusement, il en va de mĂȘme pour Bernie Sanders. Nous savons dĂ©sormais que le dĂ©veloppement d'un mouvement durable n'a pas Ă©tĂ© au cĆur de ses campagnes. C'est d'autant plus navrant que la vague de protestations aux Ătats-Unis contre l'attaque israĂ©lienne sur Gaza s'est largement nourrie de ses campagnes, sans qu'il ne s'y implique ni ne les soutienne. On ne peut qu'imaginer ce qui pourrait ĂȘtre accompli avec une telle implication. Un jour, un autre porte-drapeau de la gauche se prĂ©sentera Ă ce niveau, et nous ferions mieux de nous assurer de l'engagement de ce porte-drapeau pour quelque chose qui le dĂ©passe, pour commencer.
Quoi qu'il en soit, nous devons nous rendre à l'évidence : pour changer quoi que ce soit de significatif en politique américaine, il nous faudra bien le reste de notre existence. Et pour que cela reste supportable, il faut que ce soit quelque chose que tous apprécient et souhaitent plus que tout autre chose.
Bien que nous ne soyons pas trĂšs sĂ»rs de connaĂźtre la rĂ©ponse, surtout dans un pays oĂč la tĂ©lĂ©vision offre tant de belles choses Ă voir, nous sommes pratiquement convaincus qu'il y aura un changement d'attitude dans les annĂ©es Ă venir. Cependant, nous sommes aussi persuadĂ©s qu'il faudra crĂ©er quelque chose qu'on ne peut trouver nulle part ailleurs. Commençons par de bonnes chansons que tout le monde pourra entonner, et peut-ĂȘtre aussi des marches aux flambeaux non nazies et des danses virales joyeuses comme en Iran, qui font peur aux dĂ©tenteurs du pouvoir.
Se remettre au travail
Ces derniers mois, le Grinch de NoĂ«l nous a pris par la main et emmenĂ©s au sommet de sa petite montagne de Grinch. LĂ , nous sommes restĂ©s avec lui, surplombant la dĂ©charge dĂ©solĂ©e de la guerre amĂ©ricaine contre le terrorisme. Le Grinch nous a d'abord montrĂ© le ravin oĂč se trouve le cloaque sanglant de 20 ans d'opĂ©rations en Afghanistan et au Pakistan - prĂšs d'un quart de million de morts. Puis il nous a fait approcher et nous a lu un extrait du site web âLes coĂ»ts de la guerreâ. âPlus de 940 000 personnes ont pĂ©ri victimes de violences directes si l'on inclut l'Irak, la Syrie et le YĂ©menâ, a-t-il chuchotĂ©. âEntre 3,6 et 3,8 millions de personnes sont mortes indirectement dans les zones de guerre post-11 septembre.â
Il a ensuite montré la zone réservée aux cadavres de Palestiniens. Elle était déjà bien remplie, mais il a réservé une zone attenante pour s'assurer que l'endroit serait suffisamment spacieux ...
Tout ceci est bien réel, ce n'est pas une histoire pour enfants. Tout ce que nous pouvons faire, c'est affronter la vérité et tirer les leçons de nos erreurs passées. Et ensuite, nous remettre au travail, pour voir si le voyage aux Pays-Bas n'est pas une fatalité.
https://theintercept.com/2023/12/24/merry-christmas-war-crimes/