👁🗨 Julian Assange : Ce que les “garanties” américaines impliquent en cas d'extradition
Faut-il croire que les États-Unis tiendront leurs promesses ? Pour la plupart des observateurs, comme le dit Gore Vidal dans le livre que tenait Assange, “ces gens ne sont pas dignes de confiance”.
👁🗨 Julian Assange : Ce que les “garanties” américaines impliquent en cas d'extradition
Par Anja Larsson & John Brown, le 15 avril 2024
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Les États-Unis vont donner au Royaume-Uni des “garanties” diplomatiques concernant l'éventuelle extradition de Julian Assange. Que faut-il en penser ? Et qu'en est-il des récentes déclarations de Joe Biden sur l'Australie, pays d'origine de Julian Assange ?
Le 11 avril 2019, le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a été arrêté par la police britannique à l'ambassade d'Équateur, où il vivait sous la protection de l'asile politique depuis le milieu de l'année 2012. Lors de son expulsion, criant que “le Royaume-Uni doit résister”, il tenait à la main une copie de l'“Histoire de l'État de sécurité nationale” (2014) de Gore Vidal. Ces cinq dernières années, il a vécu en détention provisoire dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, surnommée le “Guantanamo britannique” en raison de la détention de longue durée de personnes soupçonnées de terrorisme sans inculpation. L'année dernière, dans une lettre envoyée à Sa Majesté le Roi Charles III, nouvellement couronné, M. Assange a noté “le record du Royaume-Uni en tant que nation ayant la plus grande population carcérale d'Europe occidentale”, et les “pittoresques corbeaux nichant dans les barbelés ainsi que les centaines de rats affamés”.
À l'automne 2020, à l'issue d'un procès de quatre semaines visant à déterminer s'il devait être extradé vers les États-Unis, le juge s'est prononcé en sa faveur. Malgré cette victoire, il a dû rester à Belmarsh pendant la procédure d'appel. À l'issue d'une audience de deux jours en février dernier, deux juges de la High Court ont reporté la décision d'autoriser ou non M. Assange à faire appel devant la Cour suprême du Royaume-Uni jusqu'à ce que le gouvernement américain puisse éventuellement offrir des garanties diplomatiques sur certains points : “que M. Assange soit autorisé à invoquer le Premier Amendement, qu'il ne soit pas lésé lors du procès (y compris lors de la condamnation) en raison de sa nationalité, qu'il bénéficie des mêmes protections du Premier Amendement qu'un citoyen américain et que la peine de mort ne soit pas prononcée.” La date limite pour la soumission de ces assurances est le 16 avril. Une nouvelle audience est provisoirement prévue pour le 20 mai.
“Si les garanties ne sont pas fournies, nous accorderons l'autorisation d'interjeter appel sans autre forme de procès. Si des garanties sont fournies, nous donnerons aux parties la possibilité de présenter d'autres arguments avant de prendre une décision finale sur la demande d'autorisation d'appel”,
indique le jugement de la High Court. Si les juges n'autorisent pas M. Assange à faire appel pour quelque motif que ce soit, la procédure au Royaume-Uni aura été légalement épuisée et un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) sera engagé. La Cour européenne des droits de l'homme a déjà confirmé en décembre 2022 qu'elle avait reçu sa demande d'appel préliminaire, et Stella Assange a déclaré que “ses avocats demanderaient aux juges européens une injonction d'urgence si nécessaire” afin de garantir que M. Assange ne sera pas extradé tant qu'ils n'auront pas statué sur la question.
À l'approche de la date limite de remise des garanties, nous devons poser trois questions : Le gouvernement des États-Unis peut-il fournir des garanties sur l'un de ces points ? S'il le peut, pourquoi ne l'a-t-il pas encore fait ? Et si le gouvernement des États-Unis viole les garanties, existe-t-il un recours ?
Les garanties diplomatiques sont des promesses orales ou écrites faites par un État, généralement le chef d'État ou au moins des fonctionnaires de haut rang, à un autre État concernant le transfert et le traitement d'une personne. Elles sont généralement fournies dans le cadre de procédures d'expulsion, de déportation ou d'extradition, lorsque l'“État requérant” souhaite convaincre l'“État d'origine” que la personne ne risque pas de faire l'objet d'un procès inéquitable, d'être maltraitée, torturée ou condamnée à la peine de mort.
Avant la décision de 2021 de la Haute Cour britannique en faveur de l'accusation, le gouvernement américain a prétendument offert des garanties indiquant
“que M. Assange ne sera pas soumis à des SAMs [ddlr : mesures administratives spéciales - isolement et autres restrictions drastiques] ou incarcéré à ADX Florence (à moins qu'il ne commette un ou des actes qui réponde aux critères d'imposition des SAMs ou d’incarcération à ADX)”.
Les États-Unis ont également “garanti” qu'ils consentiraient à ce que M. Assange soit transféré en Australie pour y purger toute peine privative de liberté qui lui serait imposée s'il était condamné. Le jugement rendu par le très honorable Lord Chief Justice Ian Burnett of Maldon et le Lord Justice Timothy Holroyde indique que
“le juge Vanessa Baraitser n'a reçu aucune garantie lorsqu'elle s'est prononcée contre l'extradition en janvier 2021; si elle avait disposé de telles engagements, elle aurait tranché différemment la question de l'oppression”.
Tout comme le terme “restitution extraordinaire” est un euphémisme pour désigner un enlèvement parrainé par l'État, les mesures administratives spéciales (SAMs) correspondent à des conditions d'isolement extrême. En 2017, le Center for Constitutional Rights, basé à New York, a publié un rapport sur cette pratique qui, selon lui,
Selon l'Ensemble de règles pour le traitement des détenus, ou “Règles Nelson Mandela”, l'isolement cellulaire est défini comme étant de “22 heures ou plus par jour sans contact humain significatif”, et l'isolement cellulaire prolongé comme “une période de plus de 15 jours consécutifs” (Règle 44). Depuis au moins 2011, l'ONU appelle à une “interdiction absolue” de soumettre les prisonniers à un “isolement cellulaire indéfini et prolongé”. Selon l'avocate de la défense Jennifer Robinson et le rédacteur en chef par intérim de WikiLeaks Kristinn Hrafnsson, M. Assange a déjà été soumis à cette mesure lorsqu'il était à Belmarsh.
En faisant valoir que l'accusation américaine n'aurait pas dû être autorisée à faire appel, la défense d'Assange a déclaré :
Le professeur de droit Marjorie Cohn, lors d'un débat public qui a suivi la récente décision de la High Court, a souligné l'importance de la clause “à moins que” dans cette garantie précédente. “À moins que quelqu'un au Bureau des prisons ne décide, pour une raison subjective non révisable, qu'il peut être détenu sous ces conditions”, a-t-elle précisé.
Ses observations sont étayées par les témoignages de Joel Sickler, criminologue et défenseur des prisonniers, et de Maureen Baird, ancienne cadre supérieure du Bureau fédéral des prisons (BOP). Lors du procès de 2020, Joel Sickler avait déclaré
En outre, M. Baird a déclaré que si M. Assange devait s'opposer à la désignation des SAMs, tout recours éventuel ne serait “qu’une tentative vain” car “je n'ai jamais vu un détenu se voir délivrer des SAMs, plutôt les voir prolongées”.
Le professeur Cohn poursuit:
“Des cas existent, notamment en Espagne, où les États-Unis ont offert des garanties spécifiques, et la personne a malgré tout été extradée d'Espagne vers les États-Unis, ceux-ci revenant sur ces garanties. Je pense donc qu'il sera difficile pour les États-Unis de fournir des garanties infaillibles”.
Elle fait probablement référence au cas de David Mendoza-Herrarte, extradé vers les États-Unis en 2009 pour trafic de drogue. Malgré l'assurance que Mendoza pourrait purger le reste de sa peine de prison en Espagne s'il était condamné, une fois sur le sol américain, le juge américain a fait valoir que, n'étant pas signataire du traité d'extradition entre l'Espagne et les États-Unis, il ne pouvait se prévaloir d'aucune violation des accords diplomatiques, si tant est qu'il y en ait. Et ce, bien qu'il ait signé un contrat distinct avec les autorités américaines et espagnoles. Ses demandes de transfert vers l'Espagne ont ensuite été rejetées durant plusieurs années, jusqu'en 2015, après qu'un juge espagnol lui a révélé l'existence de cet accord et qu'il ait obtenu gain de cause devant les tribunaux civils américains. Le journaliste Richard Medhurst, qui a interviewé Mendoza, a rapporté qu'entre-temps, un tribunal français a bloqué l'extradition de Michael et Linda Mastro vers les États-Unis en juin 2013,
“citant le cas de Mendoza comme preuve que la France ne peut pas faire confiance aux garanties données par les États-Unis”.
En ce qui concerne le cas de M. Assange,
“des failles ont été relevées dans presque toutes les garanties offertes [par le gouvernement américain], mais elles ont été traitées comme des “preuves”. La High Court of justice les a prises au sérieux et a déclaré qu'il n'y avait aucune raison de douter de ces garanties, même si elles ne font pas partie de la procédure d'extradition initiale”,
a déclaré le journaliste indépendant Kevin Gosztola lors de la même table ronde. M. Gosztola, auteur de “Guilty of Journalism : The Political Case Against Julian Assange” (2023), est l'un des rares journalistes à avoir couvert en détail la cour martiale de la source présumée Chelsea Manning et le(s) cas d'extradition de M. Assange pendant plus d'une décennie.
Même si nous pouvions être certains que les États-Unis accorderont à M. Assange les mêmes droits et protections qu'un citoyen américain, 17 des 18 chefs d'accusation retenus contre M. Assange sont basées sur la l'Espionage Act, qui a toujours porté atteinte à ces droits.
"Ce qui ne signifie pas qu'ils vont lui accorder des droits ou des protections solides du Premier Amendement. Ils ne peuvent simplement pas le traiter de pire façon qu'ils ne le feraient pour un Américain, et ils ont traité certains Américains vraiment mal”,
a observé Chip Gibbons, journaliste et directeur politique de l'organisation à but non lucratif de défense des droits et de la dissidence - Defending Rights & Dissent, DRAD, basée à Washington. Parmi eux figure feu Daniel Ellsberg, dont les poursuites dans les années 1970 ont été abandonnées avec préjudice seulement “trois jours avant la fin de mon procès, [parce que] des preuves d'écoutes téléphoniques illégales ont fait surface”. La peine de 35 ans de Manning a été commuée en janvier 2017 par le président Barack Obama alors qu'il quittait ses fonctions, au motif que - selon ses propres termes - elle avait déjà “purgé une peine de prison sévère” qui était “vraiment disproportionnée comparée à d’autres condamnations moins lourdes de divers lanceurs d’alerte”.
La loi britannique sur les secrets officiels et la loi américaine sur l'espionnage - malgré de multiples tentatives de réforme - ne prévoient même pas de défense dite d'intérêt public, dans laquelle un défendeur serait normalement en mesure de justifier ses actes en invoquant le fait que le droit du public à savoir l'emporte sur les conséquences d'une divulgation non autorisée. Carey Shenkman, avocate spécialisé dans le droit constitutionnel et les droits de l'homme internationaux, a déclaré lors du procès de 2020 que
Dans un arrêté rendu par la Cour suprême des États-Unis en juin 2020, pour déterminer si imposer des exigences ou des restrictions en matière d'expression à des groupes étrangers recevant des fonds fédéraux était inconstitutionnel, les juges ont estimé qu'
Par extension, cela incluait les “organisations étrangères opérant à l'étranger”, même lorsqu'elles étaient “étroitement liées à des organisations américaines” par le biais d'une structure affiliée. Il n'est pas certain que M. Assange, une fois sur le territoire américain, bénéficie de ces droits puisque toujours ressortissant étranger. Étant donné que les États-Unis adhèrent en principe à la séparation des pouvoirs entre branches judiciaire et exécutive du gouvernement, il serait inapproprié (même si cela est souhaitable dans le cas de M. Assange) que l'exécutif dicte à l'avance la manière dont les procédures judiciaires aux États-Unis doivent être menées, surtout si cela implique de violer un précédent de la Cour suprême.
Depuis des décennies, les défenseurs des droits de l'homme s'accordent à dire que les garanties sont, au mieux, inefficaces et, au pire, qu'elles sapent les protections en minimisant implicitement le poids des obligations déjà établies en vertu du droit international des droits de l'homme, en particulier contre la torture. En juin 2005, Human Rights Watch, une organisation basée aux États-Unis, a accusé les États-Unis d'utiliser les assurances
“pour prétendre que ces restitutions [extraordinaires] ne violent pas l'interdiction absolue des restitutions au risque de torture”, ce qui a eu pour conséquence que “de nombreux suspects [ont été envoyés] dans des pays dont les antécédents en matière de torture et de mauvais traitements sont bien documentés”.
Un document de travail de 2006 du Centre d'études sur les réfugiés de l'Université d'Oxford commence par affirmer que
“le concept d'assurances diplomatiques est paradoxal. Elles sont utilisées pour exiger des garanties de bonne conduite de la part d'États dont on sait qu'ils ne respectent pas les obligations en matière de droits de l'homme”.
Le document de référence des Nations unies de la même année note que
“les assurances données par l'État destinataire ne sont normalement pas des engagements juridiquement contraignants. Elles ne prévoient généralement pas de mécanisme d'exécution ni de recours juridique pour l'État d'origine ou l'individu concerné en cas de non-respect, une fois que la personne a été transférée dans l'État d'accueil.”
Un document d'information plus récent d'Amnesty International, datant de 2017, qualifie les assurances, en bref, d'“intrinsèquement erronées, intrinsèquement peu fiables”.
Ces critiques ne s'appliquent généralement qu'aux cas où l'“État d'origine” est une démocratie occidentale, mais dans le contexte spécifique des garanties données jusqu'à présent dans le cas de M. Assange, pour une extradition entre deux démocraties occidentales, Amnesty International maintient la même position :
“Les garanties sont par nature peu fiables, elles promettent des choses et se réservent ensuite le droit de ne pas tenir leur promesse.”
En fin de compte, les garanties semblent plus politiques que juridiques. C'est donc l'effet de levier des relations diplomatiques qui pourrait avoir le plus d'impact sur l'issue de cette affaire. Le 10 avril, avant une conférence de presse conjointe et un dîner d'État à la Maison Blanche avec le Premier ministre japonais Kishida Fumio, le président Biden marchait avec Kishida à l'extérieur du bureau ovale lorsqu'un journaliste s'est écrié depuis le Rose Garden :
“Avez-vous une réponse à la demande de l'Australie de mettre fin aux poursuites contre Julian Assange ?” M. Biden a d’abord répondu : “Je ne vous ai pas entendu.” Le journaliste a réitéré sa question. M. Biden, qui continuait de se diriger vers la porte d'un bureau sans regarder la presse dans les yeux, s’est contenté de répondre : “Nous y réfléchissons, nous y réfléchissons”. Le lendemain, lors d 'un point presse quotidien du département d'État, le journaliste Ryan Grim a demandé au porte-parole Matthew Miller si “le département d'État est impliqué dans ces conversations avec l'Australie”. M. Miller s'est abstenu de confirmer ou de nier cette information, bien qu'il ait tenté une nouvelle fois d'affirmer que M. Assange avait été inculpé pour une conduite qui “n'a jamais été considérée comme une pratique journalistique légitime”. Il a été nommé porte-parole par le secrétaire d'État Antony Blinken il y a près d'un an. Il est intéressant de noter qu'à titre personnel, M. Miller a précédemment qualifié l'acte d'accusation contre M. Assange de “dangereux et probablement inconstitutionnel”.
“[Le ministère de la Justice] n'a pas à décider qui mérite les protections du Premier Amendement et qui ne les mérite pas. Il y a une bonne raison pour qu’Obama n'ait pas fait inculper Julian Assange”,
a tweeté Miller en mai 2019, concernant John Demers - alors chef de la Division de la sécurité nationale du ministère de la Justice - déclarant lors d'un point de presse que “Julian Assange n'est pas un journaliste.”
En juillet dernier, lors d'une visite à Canberra, Blinken lui-même a confirmé que l’affaire “Assange avait été discutée lors des entretiens annuels avec la ministre des Affaires étrangères Penny Wong.” Le Premier ministre australien Anthony Albanese a alors
Albanese, et l'avocat américain de la défense de M. Assange, Barry Pollack, ont qualifié la réponse la plus récente de Biden de “commentaire encourageant.”
a déclaré M. Albanese à Sky News. En février, quelques jours avant les audiences au Royaume-Uni et après l'adoption par la Chambre des représentants australienne d'une motion (86 pour et 42 contre) demandant le retour de M. Assange, M. Albanese avait déclaré qu'il avait,
“dès les premières fois où j'ai eu l'occasion de le faire en tant que Premier ministre, soulevé cette question au plus haut niveau avec les États-Unis et leRoyaume-Uni”. Il a ajouté que “ce n'est pas à l'Australie d'interférer dans les processus juridiques d'autres pays, mais il est approprié que nous fassions valoir notre point de vue très ferme selon lequel ces pays doivent tenir compte de la nécessité de clôturer cette affaire”.
Faut-il croire que les États-Unis tiendront les promesses qu'ils pourraient bientôt faire ? La confiance des juges britanniques semble plutôt unilatérale. Pour la plupart des observateurs, comme le dit Gore Vidal dans le livre que tenait Assange, “ces gens ne sont pas dignes de confiance”.