👁🗨 Julian Assange et l'accord de plaidoyer
Comment épargner à Julian Assange une nouvelle épreuve, en amenant Washington à admettre son échec à vouloir condamner un éditeur ? Le combat reste malheureusement d'actualité.
👁🗨 Julian Assange et l'accord de plaidoyer
Par Binoy Kampmark, le 22 mars 2024
Il faut se méfier des offres formulées par Washington dans le cadre de négociations, même lorsque la conjoncture est favorable. L'empire fait des offres et des concessions quand cela lui est profitable, l'hégémon offre et reprend ce qu'il juge bon de dire et faire. L'équipe juridique du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, le sait bien. Le Wall Street Journal révèle “en exclusivité” qu'il est en train de négocier avec des représentants du ministère de la Justice des États-Unis un éventuel accord de plaider-coupable.
À l'heure actuelle, le ministère américain de la justice est déterminé à poursuivre Julian Assange sur la base de 18 chefs d'accusation, dont 17 relèvent de la loi brutale de l'Espionage Act de 1917. Toute condamnation pour ces chefs d'accusation est passible d'une peine d'emprisonnement de 175 ans, ce qui revient à condamner à mort l'éditeur australien.
La loi sur la guerre, qui visait à restreindre la liberté d'expression et à museler la presse pendant la durée de la Première Guerre mondiale, a été dénoncée par le sénateur républicain du Wisconsin, Robert La Follette, comme un dispositif douteux portant atteinte au “droit du peuple à débattre de la guerre dans tous ses développements”. C'est précisément en temps de guerre que le citoyen “doit être plus vigilant quant à la préservation de son droit à contrôler son gouvernement. Il doit être particulièrement attentif à toute atteinte des militaires au pouvoir civil”. Cet abus est d'autant plus grave que la loi s’est retournée contre les auteurs de fuites et les éditeurs de documents relatifs à la Sécurité nationale. Dans sa version la plus choquante, elle est devenue l'arme politique du gouvernement américain contre un ressortissant non américain pour avoir publié des documents classifiés américains en dehors des États-Unis.
L'idée d'un accord de plaidoyer n'est pas nouvelle. En août 2023, le Sydney Morning Herald a repris les propos de l'ambassadrice des États-Unis en Australie, Caroline Kennedy, selon lesquels une “solution” à l'imbroglio Assange pourrait être envisagée. “Il y a moyen de régler cela”, a suggéré l'ambassadrice à l'époque. Une telle résolution pourrait impliquer une réduction des accusations en faveur d'un plaidoyer de culpabilité, sous réserve des conclusions du ministère de la Justice. Ses remarques ont été assorties de nombreuses réserves : cette question est davantage du ressort du ministère de la Justice que de celui du département d'État ou de toute autre instance. “Il ne s'agit donc pas vraiment d'une question diplomatique, mais je suis persuadée qu'une solution peut être trouvée”.
Le Wall Street Journal rapporte aujourd'hui que des représentants du ministère de la Justice et de l'équipe juridique d'Assange
“ont engagé des discussions préliminaires au cours des derniers mois sur la forme que pourrait prendre un accord de plaider-coupable pour mettre fin à cette interminable saga juridique”. Ces négociations “restent en suspens” et “pourraient échouer”.
De manière redondante, le Journal rapporte que tout accord de ce type “nécessiterait l'approbation des plus hauts niveaux du ministère de la Justice.”
Barry Pollack, l'un des avocats d'Assange, n'a reçu aucune indication que le ministère accepterait l'accord en tant que tel, ce qu'il a rappelé à Consortium News :
“Nous n'avons aucune information indiquant que le ministère de la Justice a l'intention de trouver une solution à cette affaire.”
L'une des possibilités évoquées serait un plaidoyer de culpabilité pour mauvaise gestion de documents confidentiels, considérée comme un délit mineur. Cela permettrait d'alléger l'acte d'accusation, qui comporte actuellement de nombreux délits et un chef d'accusation de complot pour intrusion informatique.
“Dans le cadre de cet accord, M. Assange pourrait potentiellement plaider sa cause à distance, sans avoir à mettre les pieds aux États-Unis”.
Les hypothèses du journal sont les suivantes : “Le temps passé derrière les barreaux à Londres serait pris en compte dans sa condamnation aux États-Unis, et il serait probablement libre de quitter la prison peu de temps après la conclusion de l'accord”.
Sans grande justification, l'article affirme que l'échec des négociations n'est pas nécessairement une mauvaise chose pour M. Assange. Il pourrait tout de même “être extradé vers les États-Unis pour y être jugé”, où “il pourrait ne pas avoir à rester longtemps, compte tenu de l'engagement pris par l'Australie”. L'engagement en question fait partie d'une série de garanties très douteuses données au gouvernement britannique selon lesquelles les conditions carcérales d'Assange n'incluraient pas de détention dans la prison supermax ADX Florence, l'imposition de mesures administratives spéciales notoires, et un accès à des soins de santé adaptés. S'il était condamné, il pourrait demander à purger sa peine en Australie. Mais tous ces engagements ont été pris sous réserve qu'ils puissent être annulés, et les accords de transfert entre les États-Unis et d'autres pays ont été entachés de retards, d'incohérences et de mauvaise foi.
Assange se voit confronté à un ensemble de dangers et de perspectives. Il s'agit plus d'une hypothèse que de la formulation d'un accord concret. Et les négociations peuvent être interrompues. Comment imaginer que M. Assange ne soit pas obligé de monter à bord d'un vol à destination des États-Unis, même s'il pouvait plaider sa cause à distance ? L'avocat constitutionnel Bruce Afran, dans une interview accordée à CN Live ! en août dernier, a suggéré qu'un plaidoyer international n'était “interdit par aucune loi. Si toutes les parties y consentent, le tribunal est compétent”. Oui, mais ensuite ?
Quoi qu'il en soit, une fois sur le sol américain, rien ni personne ne peut garantir un retournement de situation, qui consiste à ajouter de nouveaux chefs d'accusation susceptibles d'entraîner des condamnations encore plus lourdes. Il ne faut jamais oublier qu'Assange serait livré à un pays dont les autorités ont envisagé, à certains moments, son enlèvement, sa restitution illégale et son assassinat.
Quoi qu'il en soit, le processus actuel est un assassinat judiciaire et pénal progressif, mené dans le cadre de procédures prolongées qui continuent d'affecter la santé de l'éditeur alors même qu'il reste emprisonné à la prison de Belmarsh. (M. Assange attend la décision de la High Court britannique pour savoir s'il sera autorisé à faire appel de l'ordre d'extradition du ministère de l'intérieur). La question sera de savoir comment épargner au fondateur de WikiLeaks une nouvelle épreuve en contraignant Washington à admettre sa défaite dans sa tentative d'emprisonnement d'un éditeur. Et cette quête, malheureusement, est toujours d'actualité.
* Binoy Kampmark a été boursier du Commonwealth au Selwyn College de Cambridge. Il enseigne à l'université RMIT de Melbourne. Courriel : bkampmark@gmail.com
https://www.counterpunch.org/2024/03/22/julian-assange-and-the-plea-nibble/