đâđš Julian Assange, l'ultime combat ?
Alors qu'Assange va rejoindre le banc des accusés, il est dur de savoir si l'un des arguments aura convaincu les juges. Assange espÚre qu'au moins l'un d'entre eux suffira à mettre fin à son calvaire.
đâđš Julian Assange, l'ultime combat ?
Par Tim Dawson*, le 13 février 2024
Ce qui pourrait ĂȘtre le dernier recours de Julian Assange contre l'extradition de la Grande-Bretagne vers les Ătats-Unis dĂ©butera devant les Royal Courts of Justice le 20 fĂ©vrier - son Ă©chec serait un jour sombre pour toute l'humanitĂ©.
Lorsque Julian Assange entrera dans le box des accusés de la Cour royale de justice à la fin du mois, il aura passé prÚs de cinq ans à la prison de Belmarsh. Il appartiendra à la Cour de décider combien de temps encore il demeurera un prisonnier britannique. Il est tout à fait possible que dans quelques jours, il soit en route pour Washington.
Cette Ă©tape, qui pourrait ĂȘtre la derniĂšre de sa campagne juridique pour rĂ©sister Ă l'extradition, intervient exactement quatre ans aprĂšs qu'elle a commencĂ© - Ă la Woolwich Crown Court, dans l'enceinte de Belmarsh.
Un membre de son Ă©quipe juridique m'a dit que les chances d'une issue favorable Ă ce stade Ă©taient faibles.
âNous ne sommes pas enchantĂ©s par le choix des juges qui entendront notre affaire, et bien que nos arguments soient trĂšs solides, ils ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© rejetĂ©s une foisâ, m'a-t-on dit.
Pour l'observateur lambda, le parcours juridique de M. Assange semble rocambolesque. Lors de la premiÚre audience d'extradition, l'équipe juridique australienne a présenté plusieurs arguments pour rejeter la procédure, et notamment ce qui suit :
Le traitĂ© d'extradition entre le Royaume-Uni et les Ătats-Unis exclut l'extradition pour des crimes politiques - un procĂšs Ă©quitable est impossible pour de nombreuses raisons, notamment l'espionnage des entretiens d'Assange avec ses avocats - les poursuites violeraient le droit d'Assange Ă la libertĂ© d'expression - et les conditions de dĂ©tention aux Ătats-Unis auraient un effet catastrophique, cliniquement prĂ©visible, sur la santĂ© d'Assange.
Le juge Baraitser, qui a entendu l'affaire initiale, a rejetĂ© tous ces arguments, Ă l'exception de la possibilitĂ© que l'extradition soit âoppressiveâ pour la santĂ© d'Assange.
Sa conclusion est intervenue aprÚs plusieurs journées éprouvantes au tribunal, au cours desquelles les problÚmes médicaux de M. Assange ont été présentés avec des détails médico-légaux, parfois bouleversants. Il a tenté de se suicider à plusieurs reprises par le passé, a subi une longue période d'isolement effectif au cours de sa premiÚre année à Belmarsh, nuisant considérablement à sa santé, et une forme ou une autre d'isolement est une quasi-certitude s'il devait intégrer le systÚme pénitentiaire américain.
HĂ©las, les espoirs suscitĂ©s par le jugement de Mme Baraitser ont Ă©tĂ© de courte durĂ©e. Les Ătats-Unis ont fait appel de son jugement, principalement sur la base d'un point de procĂ©dure litigieux et de garanties non confirmĂ©es concernant les conditions pĂ©nales probables. Le jugement a Ă©tĂ© annulĂ©.
L'audience de deux jours qui se tiendra à la fin du mois de février examinera deux appels.
Le premier concerne le rejet par Mme Baraitser de tous les autres arguments contre l'extradition.
Le second concerne la décision de Priti Patel, alors ministre de l'Intérieur, d'émettre un ordre d'extradition d'Assange dÚs que la procédure judiciaire serait clÎturée.
Il semble peu probable que la décision de la ministre soit annulée. L'équipe juridique d'Assange estime que les nouveaux éléments de preuve concernant les autres arguments sont convaincants, mais elle reconnaßt que le combat est difficile.
Si cette demande d'appel est acceptée, l'affaire sera entendue dans son intégralité plus tard dans l'année.
Si tous ces arguments sont rejetés, le dernier espoir juridique de s'opposer à l'extradition réside en un recours adressé à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Les juges de Strasbourg ont déjà été saisis de l'affaire Assange.
Toutefois, la Cour europĂ©enne des droits de l'homme a le pouvoir discrĂ©tionnaire d'entendre des affaires, selon que les autoritĂ©s juridiques considĂšrent ou non que les points de droit contestĂ©s sont suffisants pour mĂ©riter leur attention. Pour replacer le cas d'Assange dans son contexte, l'annĂ©e derniĂšre, 63 demandes de âmesures provisoiresâ, du type de celles dont Assange aurait besoin, ont Ă©tĂ© introduites auprĂšs de la CEDH. Une seule a Ă©tĂ© retenue.
Les développements diplomatiques à l'autre bout du monde pourraient toutefois avoir un impact plus important sur les perspectives de liberté de M. Assange. L'élection d'un gouvernement travailliste en Australie, sous la direction d'Anthony Albanese, a ajouté une nouvelle voix significative à la coalition réclamant la libération d'Assange.
En aoĂ»t dernier, l'ambassadrice des Ătats-Unis en Australie, Caroline Kennedy, a dĂ©clarĂ© au Sydney Morning Herald qu'elle pensait qu'un accord de plaidoyer pourrait ĂȘtre conclu pour M. Assange. Un tel arrangement impliquerait probablement qu'Assange plaide coupable d'une accusation moins grave pour laquelle la pĂ©riode d'emprisonnement n'excĂ©derait pas le temps dĂ©jĂ passĂ© en prison.
Cette solution pourrait présenter des avantages considérables pour M. Assange, notamment celui de pouvoir voyager dans le monde entier sans avoir à craindre en permanence une nouvelle initiative américaine visant à requérir sa détention et son extradition.
L'équipe juridique de M. Assange n'a pas expliqué pourquoi la procédure est au point mort depuis six mois, mais il semble que des négociations soient en cours.
Reste Ă savoir si un tel accord satisfera les dĂ©fenseurs de la libertĂ© d'expression. Pour eux, l'importance de l'affaire reste l'utilisation de l'Espionage Act pour poursuivre un Ă©diteur. Si un Australien vivant en Europe peut ĂȘtre poursuivi par les Ătats-Unis pour avoir encouragĂ© une source Ă partager des preuves d'actes criminels, alors les journalistes d'investigation du monde entier sont en danger.
Il ne fait aucun doute que lorsque M. Assange se retrouvera sur le banc des accusĂ©s, des manifestations de protestation se tiendront Ă l'extĂ©rieur des tribunaux royaux. C'est tout Ă l'honneur de bon nombre de ces militants d'ĂȘtre restĂ©s fidĂšles Ă la cause depuis plus d'une dĂ©cennie. En effet, la rĂ©vĂ©lation emblĂ©matique au cĆur de cette affaire est la vidĂ©o âCollateral murderâ.
Filmée depuis un hélicoptÚre de l'armée américaine survolant Bagdad, elle date de 2007 et montre des civils non armés fauchés par une mitrailleuse de gros calibre. Douze d'entre eux ont perdu la vie dans ce que beaucoup considÚrent comme un crime de guerre.
Depuis les premiers jours, alors qu'une poignĂ©e de fidĂšles protestaient au nom d'Assange, la campagne s'est progressivement Ă©largie. Elle compte dĂ©sormais des syndicats du monde entier, des mĂ©dias qui avaient autrefois dĂ©noncĂ© M. Assange, et mĂȘme des commentateurs de droite tels que Peter Oborne et Andrew Neil.
Alors que le fondateur de Wikileaks va rejoindre le banc des accusés et que les débats vont commencer, il est impossible de savoir si l'un ou l'autre de ces arguments aura réussi à convaincre les juges. Assange espÚre qu'au moins l'un d'entre eux suffira à mettre fin à son calvaire.
* Tim Dawson est secrétaire général adjoint de la Fédération internationale des journalistes - www.ifj.org.
https://morningstaronline.co.uk/article/could-be-assange's-last-stand