đâđš Julian Assange, trahi par la justice, sur le point d'ĂȘtre extradĂ©.
"Si les agences d'Ătat Ă©taient prĂȘtes Ă espionner, kidnapper & assassiner Assange, c'est que le risque de mesures extrajudiciaires ou de reprĂ©sailles doit ĂȘtre rĂ©el s'il est extradĂ© aux Ătats-Unis".
đâđš Julian Assange, trahi par la justice, sur le point d'ĂȘtre extradĂ©.
Par Marjorie Cohn pour Truthout, le 15 juillet 2023
C'est la premiÚre fois qu'un éditeur est inculpé en vertu de la loi sur l'espionnage pour avoir divulgué des secrets gouvernementaux.
Depuis prĂšs de cinq ans, l'Ă©diteur et journaliste Julian Assange lutte contre son extradition vers les Ătats-Unis, oĂč il risque 175 ans de prison pour avoir rĂ©vĂ©lĂ© des preuves de crimes de guerre commis par les Ătats-Unis.
Au lieu de protĂ©ger la libertĂ© de la presse, Ă laquelle il a prĂȘtĂ© allĂ©geance lors du dĂźner des correspondants de la Maison Blanche en avril, Joe Biden maintient les poursuites engagĂ©es par Donald Trump contre Julian Assange en vertu de cette loi dĂ©sastreuse dite "Espionage Act" [Loi sur l'espionnage]. James Ball est au moins l'un des quatre journalistes sur lesquels le ministĂšre de la justice et le FBI font pression pour qu'ils coopĂšrent aux poursuites engagĂ©es contre M. Assange, a Ă©crit M. Ball dans Rolling Stone.
Le ministĂšre de la justice de Joe Biden tente apparemment de renforcer les poursuites engagĂ©es contre M. Assange au cas oĂč il serait extradĂ© vers les Ătats-Unis. M. Ball a dĂ©clarĂ© que les trois autres journalistes pressĂ©s de faire une dĂ©claration lui ont dit qu'ils n'avaient pas l'intention d'aider l'accusation.
M. Assange, dont la santé physique et mentale se dégrade aprÚs des années de détention, conteste le rejet de son appel par la High Court du Royaume-Uni. S'il perd au Royaume-Uni, le dernier recours de M. Assange sera la Cour européenne des droits de l'homme pour contester plusieurs violations de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).
Mais mĂȘme si la Cour europĂ©enne Ă©met une injonction contre l'extradition, les tribunaux britanniques pourraient ne pas honorer cette dĂ©cision. Julian Assange est "dangereusement proche" de l'extradition, selon sa famille et les observateurs.
"Julian Assange et Wikileaks ont permis de révéler des actes criminels commis par le gouvernement américain à une échelle massive et sans précédent, notamment des actes de torture, des crimes de guerre et des atrocités commises contre des civils", peut-on lire dans les motifs d'appel avancés par M. Assange.
"Le travail de M. Assange, qui vise Ă garantir la responsabilitĂ© publique en dĂ©nonçant les violations des droits de l'homme dans le monde et en facilitant les enquĂȘtes et les poursuites relatives Ă la criminalitĂ© d'Ătat, a contribuĂ© Ă sauver d'innombrables vies, Ă mettre un terme aux violations des droits de l'homme et Ă faire tomber des rĂ©gimes despotiques et autocratiques",
prĂ©cise le texte de l'appel de M. Assange. Les dĂ©fenseurs des droits de l'homme qui dĂ©noncent les crimes d'Ătat subissent "des reprĂ©sailles politiques et sont persĂ©cutĂ©s par les rĂ©gimes dont ils dĂ©noncent la criminalitĂ©. Julian Assange ne fait pas exception Ă la rĂšgle.â
Les crimes de guerre mis en lumiĂšre par Assange et WikiLeaks
En 2010, Chelsea Manning, analyste du renseignement de l'armĂ©e amĂ©ricaine, a fourni Ă WikiLeaks des documents contenant des preuves de crimes de guerre commis par les Ătats-Unis. Il s'agit notamment des "Journaux de guerre dâIraq", 400 000 rapports de terrain dĂ©crivant 15 000 dĂ©cĂšs non signalĂ©s de civils irakiens, ainsi que des viols, tortures et meurtres systĂ©matiques aprĂšs que les forces amĂ©ricaines ont "remis des dĂ©tenus Ă une cĂ©lĂšbre Ă©quipe de torture irakienne". Ils contenaient les "Journaux de guerre afghans", 90 000 rapports faisant Ă©tat d'un plus grand nombre de victimes civiles par les forces de la coalition que ce qu'avait rapportĂ© l'armĂ©e amĂ©ricaine. Ils contenaient Ă©galement les "GuantĂĄnamo Files", 779 rapports secrets prouvant que 150 innocents avaient Ă©tĂ© dĂ©tenus Ă GuantĂĄnamo Bay pendant des annĂ©es et que 800 hommes et garçons avaient Ă©tĂ© torturĂ©s et maltraitĂ©s, en violation des conventions de GenĂšve et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dĂ©gradants.
Manning a également fourni à WikiLeaks la fameuse vidéo "Collateral Murder" de 2007, qui montre un hélicoptÚre d'attaque Apache de l'armée américaine prenant pour cible et tuant 11 civils non armés, dont deux journalistes de Reuters, ainsi qu'un homme venu secourir les blessés. Deux enfants ont été blessés. La vidéo révÚle des preuves de trois violations des conventions de GenÚve et du manuel de campagne de l'armée américaine.
C'est la premiĂšre fois qu'un Ă©diteur est poursuivi en vertu de l'Espionage Act pour avoir divulguĂ© des secrets gouvernementaux. En dĂ©cembre 2022, le New York Times, le Guardian, Le Monde, El PaĂs et Der Spiegel ont signĂ© une lettre ouverte commune appelant le gouvernement amĂ©ricain Ă abandonner les poursuites engagĂ©es contre M. Assange au titre de la loi sur l'espionnage pour avoir publiĂ© des secrets militaires et diplomatiques classifiĂ©s. "Publier n'est pas un crime", peut-on lire dans cette lettre. "Cette mise en accusation crĂ©e un dangereux prĂ©cĂ©dent et menace de saper le Premier Amendement amĂ©ricain et la libertĂ© de la presse".
Extradition initialement refusée au motif de santé psychique
Le 4 janvier 2021, la juge britannique Vanessa Baraitser a dĂ©cidĂ© que M. Assange ne pouvait pas ĂȘtre extradĂ© vers les Ătats-Unis en raison des conditions de dĂ©tention rĂ©pressives dans ce pays, et de la menace que ferait peser l'emprisonnement sur sa santĂ© psychique, y compris le risque probable de suicide. Le ministĂšre de la justice de l'administration Biden a fait appel.
La High Court du Royaume-Uni a annulĂ© la dĂ©cision de M. Baraitser aprĂšs que le ministĂšre de la justice a prĂ©sentĂ© des "garanties" douteuses selon lesquelles M. Assange serait dĂ©tenu dans des conditions humaines s'il devait ĂȘtre extradĂ©.
M. Assange a demandé à la High Court d'examiner les autres motifs d'appel que Mme Baraitser avait rejetés lorsqu'elle avait refusé l'extradition pour des raisons de santé mentale.
Le 8 juin 2023, le juge britannique Sir Jonathan Swift a rejeté l'appel de M. Assange dans une décision superficielle de trois pages ne comportant pratiquement aucune analyse des questions soulevées dans le dossier de 150 pages de M. Assange.
M. Assange a fait appel de la décision de M. Swift devant la Haute Cour du Royaume-Uni, et son appel est en cours.
Le traitĂ© d'extradition entre le Royaume-Uni et les Ătats-Unis interdit l'extradition pour des dĂ©lits politiques
Les chefs d'accusation retenus dans l'acte d'accusation au titre de la loi sur l'espionnage sont les suivants :
Conspiration en vue d'obtenir, de recevoir et de divulguer des informations relatives à la défense nationale (chef d'accusation 1) ;
Obtention et réception non autorisées d'informations relatives à la défense nationale (chefs d'accusation 3 à 9) ; et
Divulgation non autorisée d'informations relatives à la Défense nationale (chefs d'accusation 10 à 18).
En outre, M. Assange est accusĂ© de "conspiration en vue de commettre une intrusion informatique" dans l'intention de "faciliter la collecte et la transmission par M. Manning d'informations classifiĂ©es liĂ©es Ă la dĂ©fense nationale des Ătats-Unis".
L'article 4, paragraphe 1, du traitĂ© d'extradition entre le Royaume-Uni et les Ătats-Unis stipule que "l'extradition ne sera pas accordĂ©e si l'infraction pour laquelle l'extradition est demandĂ©e est une infraction politique". Dans leur appel, les avocats d'Assange notent que l'espionnage est une "infraction politique au sens strict" puisqu'il s'agit d'une infraction contre l'Ătat.
Comme l'Ă©crit l'Ă©quipe juridique de M. Assange, "le fondement (et la caractĂ©ristique juridique dĂ©terminante) de chacun des chefs d'accusation est donc l'intention prĂ©sumĂ©e d'obtenir ou de divulguer des secrets d'Ătat amĂ©ricains d'une maniĂšre prĂ©judiciable Ă la sĂ©curitĂ© de l'Ătat amĂ©ricain", ce qui fait de ces chefs d'accusation des infractions politiques.
Dans son refus, M. Swift a Ă©crit que la loi sur l'extradition de 2003 l'emportait sur le traitĂ© contraignant conclu entre les Ătats-Unis et le Royaume-Uni.
La demande d'extradition a été faite pour des motifs politiques inavoués et non de bonne foi
L'article 4, paragraphe 3, du traité d'extradition interdit l'extradition si la demande est "motivée par des considérations politiques".
Le caractÚre juridiquement sans précédent et sélectif des poursuites, qui se concentrent sur des fuites d'informations relatives à la sécurité nationale, témoigne du caractÚre politique des poursuites et de la demande d'extradition, souligne la demande d'appel.
Les avocats de M. Assange ont noté que
"ces poursuites sont motivĂ©es par des questions autres que celles liĂ©es aux procĂ©dures habituelles et appropriĂ©es de la justice pĂ©nale. Elle est plutĂŽt motivĂ©e par une intention concertĂ©e de dĂ©truire ou d'empĂȘcher la publication de preuves de la responsabilitĂ© criminelle d'un Ătat, et de mettre ainsi un terme au processus d'enquĂȘte, de procĂšs et de prĂ©vention de tels crimes internationaux Ă l'avenir".
Les documents d'appel soulignent que M. Assange est poursuivi pour avoir dĂ©noncĂ© "des abus et des crimes de guerre Ă grande Ă©chelle" commis par les Ătats-Unis.
Si, au contraire, il avait "dĂ©noncĂ© des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanitĂ© commis par un Ătat comme la FĂ©dĂ©ration de Russie", Ă©crivent les avocats de la dĂ©fense, "il ne fait aucun doute que les poursuites engagĂ©es contre lui pour de telles rĂ©vĂ©lations seraient considĂ©rĂ©es Ă la fois comme une infraction politique (au sens du traitĂ©) et des poursuites inadmissibles motivĂ©es par le dĂ©sir de le punir pour ses opinions/actes politiques".
"Alors que les auteurs de ces fuites ont Ă©tĂ© poursuivis, bien que de maniĂšre sĂ©lective, aucune procĂ©dure n'a jamais Ă©tĂ© engagĂ©e pour l'obtention ou la publication de secrets d'Ătat", peut-on lire dans le recours.
Mark Feldstein, professeur de journalisme à l'université du Maryland, a déclaré lors de l'audience d'extradition de M. Assange :
"C'est parce que le Premier Amendement protÚge la liberté de la presse et qu'il est vital que la presse dénonce plutÎt qu'elle ne ferme les yeux [...], pas parce que les journalistes seraient en quelque sorte privilégiés, mais parce que les citoyens ont le droit de savoir ce qu'il se passe".
L'extradition violerait la liberté d'expression garantie par la CEDH
L'article 10 de la CEDH protÚge la liberté d'expression.
Jameel Jaffer, professeur de droit à Columbia, a déclaré que l'acte d'accusation se concentre "presque entiÚrement" sur des tùches que les journalistes spécialisés dans la sécurité nationale accomplissent "réguliÚrement et comme partie intégrante de leur travail", à savoir
"entretenir des liens avec leurs sources, communiquer avec elles de maniÚre confidentielle, les inviter à fournir des informations, protéger leur identité contre toute divulgation et publier des informations classifiées".
La condamnation d'Assange empĂȘcherait les journalistes de tenir leur rĂŽle de chien de garde du public. L'appel cite l'affaire Goodwin contre le Royaume-Uni, qui date de 1996 :
âLa libertĂ© de la presse revĂȘt une importance encore plus grande dans les circonstances oĂč les activitĂ©s et les dĂ©cisions de l'Ătat Ă©chappent au contrĂŽle dĂ©mocratique ou judiciaire en raison de leur nature confidentielle ou secrĂšte. La condamnation d'un journaliste pour avoir divulguĂ© des informations considĂ©rĂ©es comme confidentielles ou secrĂštes peut dĂ©courager les professionnels des mĂ©dias d'informer le public sur des questions d'intĂ©rĂȘt public. En consĂ©quence, la presse pourrait ne plus ĂȘtre en mesure de jouer son rĂŽle vital de "chien de garde", et sa capacitĂ© Ă fournir des informations exactes et fiables pourrait en ĂȘtre affectĂ©e.â
De nouveaux éléments de preuve n'ont pas été pris en compte par le juge de district
La CEDH protÚge le droit à la vie (article 2) et interdit la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 3). Le recours fait valoir qu'il existe un risque réel de violation de l'article 2 et/ou de l'article 3 en cas d'extradition d'Assange.
En septembre 2021, un reportage de Yahoo ! News a rĂ©vĂ©lĂ© que lorsque M. Assange vivait dans l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londres en vertu de l'asile qui lui avait Ă©tĂ© accordĂ©, de hauts responsables de la CIA et de l'administration Trump ont souhaitĂ© obtenir des "croquis" et des "options" pour l'assassiner. Trump lui-mĂȘme "a demandĂ© si la CIA pouvait assassiner Assange, et lui a fourni des 'options' sur la maniĂšre de le faire".
"Si ces agences d'Ătat Ă©taient prĂȘtes Ă aller aussi loin alors qu'il Ă©tait sous la protection d'une ambassade situĂ©e au Royaume-Uni, c'est que le risque de mesures extrajudiciaires ou de reprĂ©sailles semblables doit ĂȘtre rĂ©el s'il est extradĂ© vers les Ătats-Unis", peut-on lire dans l'appel.
La dĂ©cision de la High Court sur l'appel de M. Assange pourrait ĂȘtre rendue d'un jour Ă l'autre.
* Marjorie Cohn est professeur Ă©mĂ©rite Ă la Thomas Jefferson School of Law, ancienne prĂ©sidente de la National Lawyers Guild et membre des conseils consultatifs nationaux d'Assange Defense et de Veterans For Peace, ainsi que du bureau de l'Association internationale des juristes dĂ©mocrates. Elle est Ă©galement reprĂ©sentante des Ătats-Unis au conseil consultatif continental de l'Association des juristes amĂ©ricains. Ses ouvrages comprennent Drones and Targeted Killing : Legal, Moral and Geopolitical Issues. Elle est co-animatrice de la radio "Law and Disorder".