đâđš Julian Assange, vie privĂ©e & CIA
Plaignants et militants pour l'intĂ©rĂȘt public peuvent se rĂ©jouir Ă l'idĂ©e que les procĂšs civils contre la CIA pour violation de la Constitution des Ătats-Unis sont encore envisageables.
đâđš Julian Assange, vie privĂ©e & CIA
Par Binoy Kampmark, le 29 décembre 2023
Les possibilités de poursuivre une agence de renseignement sont peu nombreuses pour le citoyen lambda.
Mais dans le cas du fondateur et Ă©diteur de WikiLeaks, Julian Assange, une tentative de poursuivre l'Agence centrale de renseignement des Ătats-Unis (CIA) a Ă©tĂ© portĂ©e devant les tribunaux amĂ©ricains.
Alors que le ministÚre américain de la justice s'efforce d'inculper Julian Assange pour des accusations d'espionnage absurdes, divers éléments de son dossier ont commencé à se déliter.
La surveillance organisĂ©e par la CIA lorsque M. Assange Ă©tait rĂ©fugiĂ© Ă l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londres a suscitĂ© un intĂ©rĂȘt spĂ©cifique, car elle a violĂ© les principes gĂ©nĂ©raux du respect de la vie privĂ©e et du secret professionnel de l'avocat.
La question de savoir si de telles actions ont violé l'attente raisonnable de respect de la vie privée, protégée par le QuatriÚme Amendement, a également retenu l'attention.
Quatre citoyens américains ont contesté cette surveillance, effectuée par la société de sécurité espagnole Undercover (UC) Global et son directeur David Morales, sur instruction de la CIA.
Margaret Ratner Kunstler, avocate spécialisée dans les droits civils, Deborah Hrbek, avocate spécialisée dans les médias, ainsi que les journalistes John Goetz et Charles Glass, ont porté l'affaire devant le tribunal fédéral du district sud de New York en août de l'année derniÚre.
Ils sâagissait de quatre cibles de litige : la CIA, son ancien directeur Michael R Pompeo, Morales et UC Global.
Les quatre plaignants ont allégué que le gouvernement américain les avait surveillés et copié leurs données personnelles lors de visites à Assange à l'ambassade, violant ainsi le QuatriÚme Amendement.
Ce faisant, les plaignants ont fait valoir qu'ils avaient droit Ă des dommages-intĂ©rĂȘts et Ă des mesures d'injonction.
Le gouvernement a demandé le rejet de la plainte telle qu'amendée.
Le 19 dĂ©cembre, le juge de district John G Koeltl a rendu un jugement qui, pour partie, a accueilli la demande de rejet du gouvernement amĂ©ricain, mais a rejetĂ© d'autres Ă©lĂ©ments de cette requĂȘte.
Avant d'examiner les éléments pertinents des motifs de Koeltl, il convient de rappeler certaines observations faites dans l'affaire.
Le juge a notĂ©, par exemple, le discours d'avril 2017 de Pompeo dans lequel il âa promis que son bureau s'engagerait dans une campagne âĂ long termeâ contre WikiLeaksâ.
Il est conscient des affirmations des plaignants selon lesquelles
âMorales a Ă©tĂ© recrutĂ© pour surveiller Assange et ses visiteurs pour le compte de la CIA et que ce recrutement a eu lieu lors d'une convention de l'industrie de la sĂ©curitĂ© privĂ©e en janvier 2017 Ă l'hĂŽtel Las Vegas Sands Ă Las Vegas, dans le Nevadaâ.
à partir de cette réunion, il est affirmé que
âMorales a crĂ©Ă© une unitĂ© opĂ©rationnelle, amĂ©liorĂ© les systĂšmes d'UC Global et mis en place une diffusion en direct depuis les Ătats-Unis afin que la surveillance puisse ĂȘtre consultĂ©e instantanĂ©ment par la CIAâ.
Les données recueillies par UC Global
âĂ©taient soit envoyĂ©es directement Ă Las Vegas, Washington et New York par Morales [qui s'est rendu plus de 60 fois dans ces villes au cours des trois annĂ©es qui ont suivi la convention de Las Vegas], soit placĂ©es sur un serveur auquel la CIA pouvait accĂ©derâ.
M. Koeltl ne s'est pas prononcĂ© sur les allĂ©gations selon lesquelles M. Morales et UC Global âagissaient en tant qu'agents de M. Pompeo et de la CIAâ. Il s'agit lĂ de questions de fait âqui ne peuvent ĂȘtre tranchĂ©es par une motion de rejetâ.
Une des questions essentielles de ce dossier était de savoir si les plaignants avaient qualité pour poursuivre la CIA, en premier lieu.
Citant l'affaire ACLU contre Clapper, qui portait sur une contestation du programme de collecte massive de métadonnées téléphoniques de la National Security Agency, M. Koeltl a admis qu'ils avaient qualité pour agir.
Ce faisant, il a rejetĂ© un argument similaire avancĂ© par le gouvernement dans l'affaire Clapper, selon lequel les prĂ©judices allĂ©guĂ©s Ă©taient tout simplement âtrop spĂ©culatifs et gĂ©nĂ©rauxâ, et que les informations recueillies par le biais de la surveillance seraient nĂ©cessairement utilisĂ©es contre eux.
âEn l'espĂšce, les plaignants n'ont pas besoin d'allĂ©guer, comme le fait le gouvernement, que ce dernier utilisera de maniĂšre imminente les informations recueillies Ă l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londres.
âSi la lâespionnage des conversations et des appareils Ă©lectroniques ainsi que la saisie du contenu des appareils Ă©lectroniques Ă©taient illĂ©gales, les plaignants ont subi un prĂ©judice concret et particulier pouvant ĂȘtre rattachĂ© au programme contestĂ© et ĂȘtre rĂ©parĂ© par une dĂ©cision favorableâ.
La conclusion selon laquelle les plaignants n'avaient aucune attente raisonnable en matiĂšre de respect de la vie privĂ©e concernant leurs conversations avec l'Ă©diteur est moins satisfaisante pour les plaignants, puisqu'ils savaient qu'Assange Ă©tait surveillĂ© avant mĂȘme l'implication prĂ©sumĂ©e de la CIA.
Le juge a jugé significatif que les plaignants n'aient pas allégué qu'ils n'auraient pas rencontré M. Assange s'ils avaient su que leurs conversations seraient surveillées.
En outre, il âne serait pas reconnu comme Ă©tant acceptable par tout un chacunâ de s'attendre Ă ce que les conversations tenues avec M. Assange Ă l'ambassade de Londres soient protĂ©gĂ©es, compte tenu notamment de la surveillance des bĂątiments officiels par la sociĂ©tĂ©.
Ce raisonnement est erronĂ©, Ă©tant donnĂ© que les visites des quatre plaignants Ă l'ambassade se sont produites sans quâils soient au courant de l'opĂ©ration menĂ©e par UC Global avec la bĂ©nĂ©diction de la CIA.
D'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, toute personne visitant l'ambassade ne pouvait s'empĂȘcher de soupçonner qu'Assange pouvait faire l'objet d'une surveillance, mais suggĂ©rer quelque chose qui s'apparente au renoncement au droit Ă la vie privĂ©e de la part d'avocats et de journalistes aidant un Ă©diteur persĂ©cutĂ© constitue un raisonnement Ă©trange.
Le gouvernement américain a également obtenu gain de cause sur le fait que les plaignants ne pouvaient formuler aucune attente raisonnable en matiÚre de respect de la vie privée concernant leurs passeports ou leurs appareils laissés de leur plein gré à la réception de l'ambassade.
Ce faisant, ils ont âassumĂ© la part de risque que les informations soient transmises au gouvernementâ. Les personnes qui se rendent dans les ambassades doivent, semble-t-il, ĂȘtre constamment sur leurs gardes.
Cela dit, les plaignants ont convaincu le juge qu'ils détenaient
âsuffisamment de preuves selon lesquelles la CIA et Pompeo, par l'intermĂ©diaire de Morales et d'UC Global, ont violĂ© leur attente raisonnable en matiĂšre de respect de la vie privĂ©e concernant le contenu de leurs appareils Ă©lectroniquesâ.
Le gouvernement est mĂȘme allĂ© jusqu'Ă concĂ©der ce point.
Malheureusement pour les plaignants, le gros poisson a été tiré d'affaire.
Les plaignants avaient tentĂ© d'utiliser l'affaire Bivens, jugĂ©e par la Cour suprĂȘme des Ătats-Unis en 1971, pour faire valoir que l'ancien directeur de la CIA devait ĂȘtre tenu pour responsable de la violation des droits constitutionnels.
M. Koeltl a estimĂ© que cette tentative d'Ă©tendre l'application de l'arrĂȘt Bivens Ă©tait inappropriĂ©e compte tenu de la position Ă©levĂ©e du dĂ©fendeur et du contexte.
âEn tant que personnalitĂ© nommĂ©e par le prĂ©sident et confirmĂ©e par le CongrĂšs [...] le dĂ©fendeur Pompeo appartient Ă une autre catĂ©gorie de dĂ©fendeurs de celle d'un agent du Bureau fĂ©dĂ©ral des stupĂ©fiants chargĂ© de l'application de la loi.â
C'est bien dommage.
Si l'on met de cĂŽtĂ© certains des raisonnements les plus discutables du jugement de Koeltl, les plaideurs et les militants pour l'intĂ©rĂȘt public peuvent se rĂ©jouir Ă l'idĂ©e que les procĂšs civils contre la CIA pour violation de la Constitution des Ătats-Unis sont encore envisageables.
âNous sommes contentsâ, a dĂ©clarĂ© Richard Roth, l'avocat des plaignants, âque le tribunal ait rejetĂ© les efforts de la CIA pour rĂ©duire les plaignants au silence, qui cherchent simplement Ă exposer une tentative de la CIA de mener Ă bien la vendetta de Pompeo contre WikiLeaksâ.
Toutefois, la procĂ©dure d'appel ne manquera pas d'ĂȘtre soumise Ă rude Ă©preuve.
* Binoy Kampmark enseigne actuellement à l'université RMIT.
https://www.greenleft.org.au/content/constitutional-violations-julian-assange-privacy-and-cia