👁🗨 "Julian se bat pour sa survie"
La paresse conceptuelle consistant à voir Julian comme lanceur d'alerte & considérer ses activités comme distinctes de celles des autres médias, a conduit à une mauvaise lecture de son cas.
👁🗨 "Julian se bat pour sa survie"
Depuis quatre ans, le fondateur de Wikileaks Julian Assange est en prison en Angleterre. Son avocate et épouse Stella Assange évoque les conditions de dé*tention désastreuses.
🎙 taz : Aujourd'hui, cela fait quatre ans que votre mari, Julian Assange, a été ar*rêté. Quelle était son état d'esprit la dernière fois que vous l'avez vu ?
Stella Assange : Il se bat pour sa survie. Il se trouve depuis quatre ans dans un établissement de haute séc*urité à Belmarsh. Sans avoir été co*ndamné. Et même au Roy*aume*Uni, il n'a pas encore été inc*ulpé. Il est en dé*tention en vue d'une ex*tradition, requise par les Et*ats*Un*is. Sans date butoir.
🎙 À quelle fréquence pouvez-vous le voir actuellement à Londres ?
Une à deux fois par semaine. C'est la prison la plus dure de Grand*e*Bretagne. On y trouve toutes sortes de niveaux de qualifications. Mais cette prison manque d'argent, de personnel et d'équipement. Il est plus facile de traiter tout le monde comme un cri*minel dangereux. Sur le papier, Julian a certains dr*oits. Par exemple, celui de recevoir des visites tous les jours. Et de travailler en dé*tention provisoire. Mais en réalité, il est traité comme un dé*tenu. Il subit les rest*rictions d'un grand cri*minel.
🎙 Comment peut-on s'imaginer son quotidien en prison, quelle est par exemple la taille de sa cellule ?
Elle mesure trois mètres sur deux. Il doit rester au moins 20 heures par jour dans sa cellule. Les visiteurs peuvent rester 75 minutes. Les dé*tenus ne peuvent pas sortir plus d'une heure. Ensuite, il doit aller chercher son repas et le manger seul dans sa cellule. Tous les deux jours, il peut prendre une douche. Il y a une salle de télévision commune et il reçoit des livres. Chaque jour, il peut passer des appels téléphoniques. Il y a un ordinateur, mais sans fonction Internet ou d'écriture. Une sorte de lecteur de pdf. Une fois en quatre ans, il a pu aller à la salle de sport. Et une fois pour jouer au football lorsque le mini*stre est venu lui rendre visite.
🎙 Il y a un an, vous avez épousé Assange en prison. Vous avez ensemble deux enfants. Comment vivent-ils le fait que leur père soit en prison depuis si longtemps ?
C'est dur. Ils ont maintenant quatre et cinq ans. Mais nous faisons en sorte que ce soit aussi positif et amusant que possible. Ils sont assez grands pour se forger des souvenirs. Et nous ne savons pas combien de temps nous pourrons être ensemble. Car Julian pourrait être ex*tradé en l'espace de quelques semaines.
🎙 Il faudrait alors le rejoindre aux Et*ats*Un*is.
Là-bas, il vivrait dans un iso*lement extrême. Nous ne le verrions qu'une fois par mois.
🎙 En quoi les prisons amer*icaines diffèrent-elles des prisons br*itanniques ?
Aux Et*ats*Un*is, quatre-vingt mille personnes sont en iso*lement permanent au quotidien. Cela se produit couramment, et c'est de la tort*ure selon l'ONU. Les conditions sont terribles. Des éléments médicaux recueillis lors de l'au*dience d'ex*tradition indiquent que la vie de Julian prendra fin aux Et*ats*Un*is.
🎙 Comment cela ?
Cela va le pousser au su*icide. En Grande*Bretagne, il peut me voir avec ses enfants et s'opposer à l'ex*tradition. Ici, il n'est pas co*ndamné à un terrible enfer.
🎙 Votre mari est dé*tenu en Grande*Bretagne depuis quatre ans, avant cela il a été longtemps à l'am*bassade équatorienne en bénéficiant de l'as*ile poli*tique et ne pouvait pas sortir. Pourquoi est-il toujours dé*tenu ?
Julian est un pris*onnier poli*tique. Et il restera en prison aussi longtemps que différents pays continueront à se tirer d'affaire. Les membres de ma famille et moi-même parlons aux médias et jugeons cela inacceptable. Aucun pays démo*cratique ou libre ne met des gens en prison pour leurs idées ou pour avoir publié la vérité.
🎙 Il a dé*noncé des cri*mes de gue*rre en Ir*ak, en Af*gh*anistan et à Gu*antanamo. Pourquoi cela dérange-t-il les Et*ats*Un*is et la Grand*e*Bretagne ?
Parce qu'il a révélé leurs mé*faits. Et on utilise alors une astuce bien connue : on détourne l'attention de ses propres cri*mes, et on blâme le messager. Bien sûr, les Et*ats*Un*is devraient pour*suivre cux qui travaillaient pour l'ar*mée amer*icaine et qui ont tu*é deux journalistes de Reuters et dix autres ci*vils depuis un hé*licoptère. Ces cri*mes de gue*rre ont pu être observés grâce à des preuves filmées depuis l'hé*licoptère positionné au-dessus d'une rue de Ba*gdad. La seule personne à avoir été empris*onnée pour avoir publié les cri*mes de gue*rre amer*icains contre des milliers et des milliers de ci*vils ir*akiens, c'est Julian Assange.
🎙 Récemment, des quotidiens de premier plan du monde entier se sont publiquement inquiétés du sort de Julian Assange. Le degré de soutien à votre mari a-t-il évolué ces derniers temps ?
Oui, on constate une grande différence. Le soutien des organisations de dé*fense des dr*oits de l'homme comme Amnesty International, Human Rights Watch et Reporters sans frontières est massif. Du Conseil de l'Europe, du Haut Commissaire des Nations unies. Et de chefs d'Ét*at, comme ceux du Me*xique et du Br*ésil. Le Premier ministre australien estime désormais que la dé*tention de Julian est trop longue. Trop c'est trop, a-t-il dit. Le Premier ministre ne voit pas l'intérêt que représente tout cela. Julian devrait être libéré.
🎙 Pensez-vous que la li*berté de la presse soit men*acée ?
La li*berté de la presse est toujours en danger. Les journaux ont mis du temps à découvrir ce qui était réellement reproché à Julian. Et l'ad*ministration Tr*ump a redonné vie à l'Es*pion*age Act. Celle-ci s'applique désormais à la "réception, la possession et la div*ulgation d'informations class*ifiées au public". Cela est désormais considéré comme un cri*me.
🎙 Cette loi date de 1917.
Oui, et elle était volontairement formulée de manière très vague. En fait, le go*uvernement ne l'avait jamais appliquée contre la presse. Jusqu'à ce que le président Ob*ama l'utilise ag*ressivement contre les sou*rces des journalistes, contre les la*nceurs d'ale*rte comme Ch*elsea Man*ning et E*dward Snow*den. Mais pas contre Julian Assange et Wikileaks. Même pendant la gue*rre froide, lorsque des informations sec*ret-dé*fense ont été rendues publiques, cette loi n'avait pas été invoquée. Le président Tr*ump a toutefois voulu at*taquer la presse de cette manière.
🎙 Il s'agit de la différenciation entre la*nceurs d'ale*rte et éditeurs.
Oui. Une partie de la confusion et de l'ambiguïté réside dans le fait que Wikileaks et Julian ont été considérés comme des la*nceurs d'ale*rte. Il n'est pas un la*nceur d'ale*rte, ni un in*filtré, mais un éditeur. Il a reçu des informations de la*nceurs d'ale*rte. C'est l'essence même du métier de journaliste, publier des informations lorsqu'elles sont importantes. La paresse conceptuelle de considérer Julian comme un la*nceur d'ale*rte, de considérer ses activités comme indiscernables des autres médias, a conduit à ce que son cas soit mal compris.
🎙 Que voulez-vous dire ?
On a supposé que Julian était ac*cusé de dé*nonciation. Or, ce n'est pas le cas. Il a été ac*cusé en tant qu'éditeur. C'est pourquoi Le Monde, The Guardian et The New York Times ont récemment publié une déclaration commune. Ils y expliquent que le pro*cès contre Wikileaks est un pro*cès contre la presse et l'activité journalistique. Le go*uvernement amer*icain considère la communication avec de tels dé*nonciateurs comme une co*nspiration.
🎙 Comment les choses vont-elles évoluer ?
Au Roy*aume*Uni, nous attendons de voir si la High Court auto*rise un recours. Ensuite, il y aura encore la Cour sup*rême et la Cour européenne des dr*oits de l'homme. Mais suite au Br*exit, on ne sait pas si le Roy*aume*Uni acceptera encore cette jur*idiction. Sur le continent européen, la co*nscience ju*ridique est plus forte.
🎙 Vous avez besoin d'all*iés poli*tiques pour aider votre mari. Quel est votre plan ?
Je trouve qu'il est facile de trouver des soutiens. Car Julian défend des principes démo*cratiques fond*amentaux. La presse libre qui dénonce les ab*us, qui observe les go*uvernements lorsque des cri*mes sont commis, qui montre les preuves de leurs vic*times. Il a subi des ab*us, et la tort*ure. Ce pour quoi il a agi est une man*ifestation de la démo*cratie et de la liberté de la pr*esse à l'état pur. Les mesures prises à son encontre montrent l'exact inverse. Il ne suffit pas de faire le point de la situation pour que tout redevienne normal. Non, le cas de Julian est un précédent. Tout le monde doit s'y confronter. C'est un nouveau paradigme : on peut jeter quelqu'un en pris*on s'il révèle la vérité. S'il publie des informations qui montrent que l'Et*at ab*use de son pou*voir.
🎙 L'ancien chef de la C*I*A* Mi*ke Pompe*o considère Wikileaks comme un en*nemi de l'Et*at.
Désormais, il n'est plus pris au sérieux au sein de la C*I*A*, du Conseil de séc*urité nationale et du go*uvernement. Pompe*o aurait planifié le kid*napping et l'as*sas*sinat de Julian. Mais cela ne s'est pas fait parce qu'il y avait des contre*pou*voirs, y compris au sein de l'ad*ministration Tr*ump. Ils ont dit que c'était de la folie. Dans tous les go*uvernements amer*icains, cela a été très co*ntroversé et impopulaire.
🎙 Le go*uvernement Bi*den doit-il se positionner sur cette affaire ?
Oui, en effet. Car cette affaire représente un tournant décisif aux Et*ats*Un*is. Il y avait un consensus sur la li*berté de la presse. Mais il y a désormais des précédents, et il ne faut pas se leurrer : Les Et*ats*Un*is sont une super*puis*sance. Mais des protections importantes existaient pour la li*berté de la presse et la liberté d'ex*pression. Cette affaire ouvre une grande brèche dans le Premier amende*ment. Le go*uvernement Bi*den doit décider s'il suit la ligne Tr*ump, en sapant la li*berté de la presse, ou la ligne Ob*ama, où la presse n'est pas bâ*illonnée. Mais les élections approchent et les choses vont mal pour les démo*crates. Cette affaire pourra toujours être utilisée comme moyen de press*ion. Cette affaire est là, telle une épée de Damoclès au-dessus de la presse.
🎙 Quelles en seront les conséquences ?
Déjà aujourd'hui, les av*ocats indiquent aux médias : quand il s'agit de contenu sensible de lanceurs d'alerte, vous ne pouvez pas le publier. Il suffit de se pencher sur le cas Assange. Vous risquez une peine de prison ou des pro*cès coûteux. Voilà le nouvel environnement de la presse auquel nous sommes confrontés.
🎙 Est-ce que cela se produit déjà, ou est-ce juste une menace ?
L'existence de ces nouvelles règles, qui prévoient des pour*suites pour une publication, est une men*ace. Chaque éditeur doit faire une analyse de risque pour savoir si cela en vaut la peine. Cela conditionne les décisions prises dans les rédactions.
https://taz.de/Anwaeltin-Stella-Assange-ueber-Ehemann/!5924836/