đâđš Kristinn Hrafnsson : "Si le procĂšs Assange se poursuit, plus aucun journaliste ne sera en sĂ©curitĂ©".
Vous exposez les crimes de guerre documentĂ©s par l'armĂ©e US elle-mĂȘme & d'un autre cĂŽtĂ©, on dit que celui qui les a divulguĂ©s a pu risquer quelques vies. C'est surrĂ©aliste & tout le monde le sait.
đâđš Kristinn Hrafnsson : "Si le procĂšs Assange se poursuit, plus aucun journaliste ne sera en sĂ©curitĂ©".
đ° Par Guido Vassallo, le 14 dĂ©cembre 2022
En tournĂ©e en AmĂ©rique latine, M. Hrafnsson cherche Ă faire pression sur le gouvernement dĂ©mocrate pour qu'il change de cap et rejette l'extradition de Julian Assange vers les Ătats-Unis.
Pour Kristinn Hrafnsson, il n'y a pas de temps Ă perdre. Le rĂ©dacteur en chef de WikiLeaks estime qu'au-delĂ du "combat pour sauver la vie" de son ami Julian Assange, une "terrible menace pĂšse sur la libertĂ© de la presse dans le monde". Lors d'une tournĂ©e en AmĂ©rique latine qui l'a conduit Ă Buenos Aires pour quelques jours, M. Hrafnsson relance la campagne mondiale contre l'extradition d'Assange vers les Ătats-Unis, pour laquelle il pourrait ĂȘtre condamnĂ© Ă 175 ans de prison pour espionnage.
Dans un dialogue approfondi avec PåginaI12, M. Hrafnsson affirme que ce voyage, qui a commencé en Colombie, est passé par le Brésil et l'Argentine et va maintenant poursuivre sa route vers la Bolivie, vise à faire pression sur Washington pour qu'elle modifie sa position sur l'affaire Assange. "Nous ne pouvons pas rester les bras croisés et permettre à l'empire de mettre la démocratie en danger", prévient le journaliste islandais de 60 ans.
Hrafnsson rĂ©pond Ă chaque question avec sĂ©rieux et fermetĂ©, et ne rompt l'Ă©quilibre nordique qu'Ă deux reprises. D'abord, lorsque, en proie Ă la fiĂšvre de la Coupe du monde, il sourit en se remĂ©morant le match nul au goĂ»t de victoire entre l'Islande et l'Argentine Ă Russie 2018, oĂč le gardien de but qui a arrĂȘtĂ© le penalty de Lionel Messi est devenu un "hĂ©ros national". Puis, quand il est amenĂ© Ă parler de la santĂ© d'Assange. "Il perd du poids et je crains pour sa vie", se dĂ©sole Hrafnsonn, pour qui "il est clair qu'il s'agit d'une pure affaire de justice et de persĂ©cution politique".
đ Quel est l'objectif de cette tournĂ©e en AmĂ©rique latine ?
â Nous devons continuer Ă agir contre l'autoritĂ© responsable des poursuites politiques Ă l'encontre de Julian Assange. Et c'est le ministĂšre de la Justice des Ătats-Unis et l'ensemble de l'establishment. Julian a besoin d'un soutien pour inciter l'administration Biden Ă changer de discours et Ă abandonner l'affaire, et pas seulement Ă arrĂȘter le processus d'extradition. Et comment faire ? En cherchant un soutien sur le front politique. C'est pourquoi nous avons dĂ©cidĂ© de dĂ©ployer une initiative dans cette rĂ©gion. Il y a ici une comprĂ©hension de la nature du combat juridique et de la persĂ©cution politique. On comprend ici pourquoi les droits de Julian ont Ă©tĂ© violĂ©s lorsqu'il a Ă©tĂ© traĂźnĂ© hors de l'ambassade d'Ăquateur Ă la suite de la pirouette et de la trahison mĂ©prisables de LenĂn Moreno, qui a succĂ©dĂ© Ă Rafael Correa et a fini par le pousser Ă l'exil. Nous avons commencĂ© ce voyage en Colombie oĂč nous avons rencontrĂ© Gustavo Petro. Nous nous sommes ensuite rendus au BrĂ©sil, dans une pĂ©riode de transition trĂšs difficile. MalgrĂ© cela, et le fait qu'il ait dĂ» subir une intervention chirurgicale et se rendre Ă COP-27, Lula nous a accordĂ© du temps et a fait preuve d'une grande volontĂ© d'aider.
đ Puis du BrĂ©sil en Argentine. Qui vous a accueilli ?
â Nous avons rencontrĂ© le jour mĂȘme de notre arrivĂ©e la vice-prĂ©sidente Cristina Kirchner et le prĂ©sident Alberto Fernandez, et nous avons obtenu les mĂȘmes rĂ©actions positives qu'en Colombie et au BrĂ©sil. Comme je l'ai expliquĂ© lors de notre conversation avec le prĂ©sident FernĂĄndez, il est fondamental d'avoir un discours commun, que les pays les plus influents de la rĂ©gion s'unissent pour demander Ă l'administration Biden d'opĂ©rer un revirement. Je n'ai pas besoin d'avoir recours au mĂȘme discours pĂ©dagogique que je dois tenir dans les pays europĂ©ens lorsque je rencontre des premiers ministres et d'autres autoritĂ©s, car cette affaire est trĂšs fraĂźche dans les mĂ©moires et en termes historiques. Personne n'a besoin d'ĂȘtre convaincu, par exemple, de la capacitĂ© de la CIA Ă s'immiscer dans des assassinats et Ă renverser des gouvernements. C'est dans les mĂ©moires collectives.
đ Il y a quelques jours, Cristina Kirchner a Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă six ans de prison dans une dĂ©cision trĂšs controversĂ©e. Avez-vous parlĂ© de justice avec la vice-prĂ©sidente ?
â Nous avons parlĂ© de Julian Assange et elle Ă©tait prĂ©occupĂ©e par sa situation. Je lui ai expliquĂ© les Ă©lĂ©ments de l'action en justice contre Julian et elle a Ă©tĂ© trĂšs rĂ©ceptive. Elle pense qu'elle est victime du mĂȘme phĂ©nomĂšne. La rĂ©union a eu lieu un jour avant le verdict. Nous n'avons eu aucune discussion sur ce cas particulier. Je ne parle pas espagnol, je ne connais pas les dĂ©tails, et tout ce que je peux dire, c'est que tous ceux Ă qui j'ai parlĂ© et qui connaissent l'affaire m'ont fait remarquer deux choses. PremiĂšrement, qu'il y a une claire intentionnalitĂ© politique dans les procĂ©dures judiciaires. Et deuxiĂšmement, que les preuves semblent avoir Ă©tĂ© trĂšs minces. Et je ne suis pas surpris. Mais enfin, c'est ce que j'ai vu Ă lâoeuvre dans l'affaire Julian Assange, dans une dĂ©mocratie ancienne et distinguĂ©e du nom d'Angleterre. Tout ce que je peux dire, c'est que la demande universelle doit ĂȘtre pour que le systĂšme judiciaire fonctionne d'une maniĂšre impartiale, basĂ©e sur le factuel et totalement indĂ©pendante de l'environnement politique.
đ Vous attendiez-vous Ă une position diffĂ©rente de Biden et de son gouvernement sur l'affaire Assange ?
â Ecoutez, nous ne demandons pas Ă l'administration Biden de faire quelque chose de radical. Nous lui demandons de revenir Ă la position de l'administration Obama-Biden, qui a dĂ©cidĂ© qu'elle ne pouvait pas poursuivre Julian Assange parce que cela constituerait une trop lourde menace pour le principe du Premier Amendement de la Constitution. Sous l'administration Trump, il y a eu une Ă©norme politisation du ministĂšre de la Justice. Et l'une des dĂ©cisions politiques prises Ă cette Ă©poque a Ă©tĂ© d'empiler ces absurdes accusations d'Espionage Act sur Julian. C'est la premiĂšre fois dans l'histoire qu'elle est utilisĂ©e contre un journaliste et un Ă©diteur de cette maniĂšre. Maintenant que Biden reprend ce fardeau hĂ©ritĂ© de Trump, pourquoi devrait-il le poursuivre ? Si ce procĂšs a lieu, pas un seul journaliste au monde ne sera plus en sĂ©curitĂ©. Nous demandons donc aux dirigeants du monde entier de bien vouloir rappeler aux Ătats-Unis, et Ă l'administration Biden qu'ils doivent faire ce qu'il faut et rĂ©examiner leur Premier Amendement, un outil remarquable au service de la libertĂ© de la presse qui a fait des envieux dans le monde entier.
đ Quand attendez-vous la dĂ©cision de la cour britannique ?
â C'est l'aspect le plus problĂ©matique de l'ensemble du processus judiciaire Ă Londres, qui a Ă©tĂ© totalement arbitraire. Alors que les avocats nous disent que la procĂ©dure prend gĂ©nĂ©ralement six Ă huit semaines, dans le cas de Julian Assange, elle peut prendre trois Ă quatre mois. La tendance est de tout retarder. En temps normal, nous devrions apprendre d'un jour Ă l'autre si la High Court instruit l'appel, mais il n'y a encore aucun signe. Que ce soit demain, plus tard dans le mois, au Nouvel An, nous ne le savons pas. Cela peut arriver n'importe quand et cela fait partie de cette punition insupportable infligĂ©e Ă Julian. Les avocats amĂ©ricains rĂ©clament des prolongations sans fin. Il est absolument scandaleux que Julian passe son temps dans une prison construite pour les pires terroristes et meurtriers.
đ Une enquĂȘte de Yahoo News a allĂ©guĂ© que la CIA prĂ©voyait d'enlever ou mĂȘme de tuer Assange Ă l'ambassade d'Ăquateur Ă Londres. Cette information a-t-elle Ă©tĂ© versĂ©e aux preuves ?
â Cette enquĂȘte de Yahoo News n'a Ă©tĂ© dĂ©mentie par personne et a mĂȘme Ă©tĂ© confirmĂ©e par l'ancien directeur de la CIA, Mike Pompeo. Bien qu'elle ait Ă©tĂ© Ă©voquĂ©e et discutĂ©e au tribunal, l'occasion n'a pas Ă©tĂ© donnĂ©e d'introduire cette histoire comme preuve. Mais c'est le cas maintenant, cela fait partie des preuves que Julian veut prĂ©senter dans sa procĂ©dure d'appel. Lors du prĂ©cĂ©dent appel, lorsque les AmĂ©ricains ont perdu le premier tour, ils n'ont fait appel que pour les deux motifs sur lesquels ils ont perdu, Ă savoir que la vie de Julian Ă©tait en danger en raison de ses problĂšmes de santĂ© et, deuxiĂšmement, que les conditions de dĂ©tention aux Ătats-Unis ne lui permettraient pas de survivre. Ils n'ont fait qu'interjeter appel de cette dĂ©cision, qui a annulĂ© la dĂ©cision de ne pas l'extrader sur la base d'un simple bout de papier sans valeur qui disait en substance : "Nous veillerons Ă ce qu'il ne puisse pas se suicider aux Ătats-Unis". C'est l'unique preuve de la dĂ©cision de la Cour suprĂȘme d'annuler l'appel d'Assange. Ils disent qu'ils sont de bons gars et qu'ils vont bien le traiter, mais c'est du pipeau.
đ L'un des principaux arguments amĂ©ricains contre Assange est que les informations divulguĂ©es par WikiLeaks auraient pu affecter la vie des civils.
â C'est de la propagande, clairement. Je pourrais vous attaquer et dire que l'article que vous avez Ă©crit hier pourrait affecter la vie d'un propriĂ©taire terrien dans le sud ou autre. Quel genre d'argument est-ce lĂ ? Ce sont des mots totalement vides de sens et non Ă©tayĂ©s par une quelconque preuve. Dire que certaines personnes sont mises en danger est absolument ridicule dans le contexte du journalisme. Un reportage n'est jamais neutre ! Chaque histoire dĂ©place les pions sur l'Ă©chiquier Ă un certain niveau, localement, rĂ©gionalement ou dans le monde. Avec cet argument, vous pourriez arrĂȘter et criminaliser n'importe quel article. Mettez-le dans la balance: vous ĂȘtes dans une entitĂ© journalistique qui expose la mort injustifiĂ©e, non signalĂ©e auparavant, de dix mille personnes, comme ce fut le cas en Irak. Vous exposez tous les crimes de guerre documentĂ©s par l'armĂ©e amĂ©ricaine elle-mĂȘme. Vous avez toutes ces violations exposĂ©es, l'ocĂ©an de complots dans ces conflits, et d'un autre cĂŽtĂ©, on prĂ©tend que la personne qui l'a effectivement divulguĂ© aurait pu risquer quelques vies. C'est surrĂ©aliste et tout le monde le sait.
đ Mais pensez-vous qu'il devrait y avoir des limites lorsqu'il s'agit de publier une fuite ?
â Absolument. Et je tiens Ă rappeler que deux mantras ont Ă©tĂ© martelĂ©s par le Pentagone : celui de la mise en danger des vies et celui de la diffusion irresponsable des donnĂ©es. Il n'y a jamais eu de dĂ©versement massif et irresponsable de donnĂ©es. Des rĂ©ductions substantielles ont Ă©tĂ© effectuĂ©es dans les dossiers de la guerre en Irak et de la guerre en Afghanistan. En ce qui concerne les cĂąbles diplomatiques, nous avons coordonnĂ© le traitement et la recherche de matĂ©riel avec plus d'une centaine de partenaires mĂ©diatiques dans le monde, dont PĂĄgina/12. Bien sĂ»r, il y a des limites que nous prenons en compte de maniĂšre journalistique. Mais il est Ă©galement urgent d'inverser cette tendance au secret accru de la part des dĂ©tenteurs du pouvoir politique et des entreprises. Nous devons nous concentrer sur la nĂ©cessitĂ© d'accroĂźtre la protection de la vie privĂ©e des individus et des personnes sans autoritĂ©, et de rĂ©duire la confidentialitĂ© de celles qui en ont. C'est la raison d'ĂȘtre de WikiLeaks, Ă©quilibrer la balance.
đ Je passe peut-ĂȘtre Ă cĂŽtĂ© de la question la plus importante, comment va Julian ?
â Je suis l'une des deux personnes, en dehors de sa famille ou de ses avocats, qui peuvent lui rendre visite Ă la prison de Belmarsh. J'ai dĂ» y aller il y a cinq ou six semaines. Il souffre dans de telles conditions. C'est un endroit horrible pour une personne du calibre de Julian et pour n'importe qui d'autre. Il perd du poids et je crains pour sa vie. Vous devez garder Ă l'esprit qu'il se prĂ©pare Ă des audiences oĂč sa vie est en train de se jouer. C'est une question de vie ou de mort, et il doit s'y prĂ©parer dans la cellule de la prison, en prenant des notes manuscrites parce qu'on ne veut pas lui donner d'ordinateur. C'est une pression affreuse. Il a passĂ© sept ans dans l'ambassade d'Ăquateur sans voir la lumiĂšre du jour. Et maintenant trois ans et demi dans cet horrible cachot. Son Ă©tat de santĂ© a Ă©tĂ© qualifiĂ© de trĂšs prĂ©caire par d'Ă©minents experts mĂ©dicaux qui ont prĂ©sentĂ© leurs preuves aux tribunaux britanniques. Il est temps d'intervenir et de mettre fin Ă cette folie.
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