đâđš Kristinn Hrafnsson: Un empire contre un seul homme
Si les Ătats veulent regagner en crĂ©dibilitĂ© dans l'arĂšne internationale, des changements politiques vont s'imposer. La prioritĂ© Ă©tant dâabandonner les poursuites contre Julian Assange, et maintenant.
đâđš Un empire contre un seul homme
Par Kristinn Hrafnsson, le 26 janvier 2023
La rĂ©sistance de Julian Assange a mis Ă nu les Ă©lĂ©ments bruts d'un empire qui fait totalement fi des principes qu'il prĂŽne si fiĂšrement, Ă savoir les droits de l'homme, la libertĂ© de la presse et l'Ătat de droit, dĂ©clare le rĂ©dacteur en chef de WikiLeaks.
M. Hrafnnson a prononcé le discours suivant par liaison vidéo au tribunal de Belmarsh, vendredi soir, au National Press Club de Washington.
Transcription:
L'histoire de WikiLeaks et de Julian Assange comporte deux composantes principales, deux chapitres, tous deux d'égale importance. L'un concerne les publications, le travail journalistique le plus important de ce siÚcle. L'autre chapitre porte sur la réaction à ce travail, et il est tout aussi révélateur.
Les histoires explosives qui ont émergé des publications, il y a plus de dix ans, sont bien connues : crimes de guerre, escadrons de la mort, violations des droits de l'homme en Irak, en Afghanistan et à Guantanamo Bay, les dessous de la diplomatie américaine, et les cùbles diplomatiques publiés en 2010 et 11.
Le cÎté "réactionnel" de la saga WikiLeaks est permanent. C'est l'histoire de la façon dont les empires ont déployé toutes leurs forces contre un individu, Julian Assange, pour tenter de l'écraser, de le réduire au silence, puis de le faire disparaßtre.
Sa rĂ©sistance ne lui a pas encore rendu justice, mais elle a mis Ă nu les Ă©lĂ©ments bruts de l'empire, celui qui fait totalement fi des principes qu'il prĂȘche si fiĂšrement, Ă savoir les droits de l'homme, la libertĂ© de la presse, l'Ătat de droit ; la quĂȘte d'une vengeance brutale, et la tentative de faire de Julian un exemple.
Les Ătats-Unis sont prĂȘts Ă nĂ©gliger et Ă compromettre le fragile systĂšme de l'ordre international. Ils ont rejetĂ© de maniĂšre flagrante les conclusions des Nations unies en faveur d'Assange, affaiblissant ainsi deux importants organes de dĂ©fense des droits de l'homme, l'un Ă©tant le Tribunal des Nations unies sur la dĂ©tention arbitraire, qui a souvent contribuĂ© avec succĂšs Ă la libĂ©ration de dissidents politiquement persĂ©cutĂ©s. L'autre organe est le Rapporteur spĂ©cial des Nations Unies sur la torture, qui a tranchĂ© en faveur de Julian.
En ne respectant pas et en rejetant ces mandats de l'ONU, on sape leur capacitĂ© Ă aider tous les individus politiquement persĂ©cutĂ©s et torturĂ©s. Les rĂ©gimes autoritaires diront simplement : Pourquoi devrions-nous nous conformer aux conclusions de ces institutions de l'ONU, alors que les Ătats-Unis, le Royaume-Uni et la SuĂšde les ignorent totalement ?
Il en va de mĂȘme pour d'autres organismes multilatĂ©raux : le Conseil europĂ©en, le Parlement europĂ©en, l'OEA, et ainsi de suite. Rien n'arrĂȘte donc la poursuite enragĂ©e dont Julian Assange fait l'objet, y compris la mise Ă mal des fragiles structures juridiques internationales Ă©laborĂ©es au fil des dĂ©cennies au prix de grands efforts pour tenter d'accroĂźtre l'ordre sur notre planĂšte.
Dans l'affaire Assange, les Ătats-Unis et le Royaume-Uni vont jusqu'Ă violer leur propre traitĂ© bilatĂ©ral d'extradition. Ce traitĂ© prĂ©voit une exemption d'extradition pour les dĂ©lits politiques. MalgrĂ© cette exemption, les Ătats-Unis exigent l'extradition de Julian Assange, sur la base de ce traitĂ©, tout en accusant Assange de dĂ©lits politiques.
Non seulement l'espionnage est une forme pure de délit politique, mais l'acte d'accusation à son encontre est truffé d'accusations à motifs politiques.
Il est vrai qu'Assange est coupable d'avoir tenté de mettre fin aux crimes de guerre et à la corruption en les exposant. On peut appeler cela de la politique. Mais si c'est vraiment un crime politique, c'est un crime que tout journaliste décent se doit de commettre. C'est un devoir journalistique, et Julian est clairement coupable de journalisme. Et la preuve en est les dizaines de prix que lui et WikiLeaks ont reçus au cours de la derniÚre décennie.
Dans notre monde tordu, l'empire a dĂ©cidĂ© qu'exposer la vĂ©ritĂ© est dĂ©sormais considĂ©rĂ© comme un crime politique. Cette volontĂ© de faire d'Assange un exemple, et d'envoyer un avertissement menaçant Ă tout journaliste dans le monde, est tellement abusive que les Ătats-Unis sont prĂȘts Ă mettre en pĂ©ril les principes de la libertĂ© de la presse inscrits dans leur Premier Amendement.
Enfin, tous les grands mĂ©dias amĂ©ricains ont compris le danger que reprĂ©sente la persĂ©cution d'Assange pour eux-mĂȘmes, et ont exprimĂ© leur inquiĂ©tude. Il en va de mĂȘme pour toutes les grandes organisations de dĂ©fense de la libertĂ© de la presse, de la libertĂ© d'expression et des libertĂ©s civiles aux Ătats-Unis et dans le monde.
Pourtant, l'affaire se poursuit. MalgrĂ© cela, les Ătats-Unis exigent toujours l'extradition du Royaume-Uni, et Julian est toujours dans la prison de Belmarsh.
En avril, aprĂšs quatre ans de dĂ©tention, il sera le plus ancien prĂ©venu du Royaume-Uni de ces derniers temps. Les attaques contre Julian se poursuivent, en dĂ©pit du fait que l'acte d'accusation Ă son encontre est totalement incompatible avec les directives rĂ©cemment introduites par le ministĂšre de la Justice des Ătats-Unis concernant la presse.
Ces directives ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©es de facto Ă la lĂ©gislation amĂ©ricaine depuis novembre. Elles reconnaissent le droit des journalistes Ă demander, recevoir, possĂ©der et publier des informations gouvernementales classifiĂ©es dans l'intĂ©rĂȘt du public.
Au moins 17 des 18 chefs d'accusation de l'acte d'accusation de Julian sont totalement incompatibles avec ces nouvelles directives. Le ministĂšre de la Justice de Merrick Garland devrait ĂȘtre inondĂ© de demandes pressantes pour justifier cette contradiction flagrante.
La persĂ©cution d'Assange a dĂ©jĂ gravement portĂ© atteinte Ă la rĂ©putation des Ătats-Unis. Que le gouvernement amĂ©ricain agisse Ă l'encontre de ses propres principes, qu'il prĂȘche dans le monde entier, ne passe pas inaperçu.
Ces derniÚres semaines, je me suis rendu dans plusieurs pays d'Amérique latine pour y rencontrer des présidents qui se montrent trÚs préoccupés par le précédent que constitue l'affaire Assange. AprÚs une rencontre avec le président argentin Alberto Fernandez et sa vice-présidente, Cristina de Kirshner, tous deux se sont rangés du cÎté de la campagne d'Assange, exhortant l'administration Biden à abandonner les poursuites à son encontre.
Les Argentins, comme d'autres dans cette partie du monde, connaissent bien les capacités de la C.I.A. à planifier l'enlÚvement ou le meurtre de personnes.
Nous savons aujourd'hui que l'agence complotait contre Julian en 2017. J'ai rencontrĂ© Luis Arce, prĂ©sident de la Bolivie, qui s'est pleinement engagĂ© en faveur d'Assange. Idem pour le prĂ©sident nouvellement Ă©lu du BrĂ©sil, Lula da Silva, qui comprend mieux que quiconque la nature de la lutte contre Julian, ayant lui-mĂȘme passĂ© plus de 500 jours en prison Ă cause de cette lutte, une lutte oĂč, selon de trĂšs nombreuses preuves, le dĂ©partement de la Justice des Ătats-Unis Ă©tait impliquĂ©.
Le prĂ©sident Lula m'a assurĂ© que la lutte pour mettre fin Ă l'injustice liĂ©e Ă l'affaire Assange serait une prioritĂ© de sa politique Ă©trangĂšre. J'ai reçu le mĂȘme soutien appuyĂ© de Gustavo Petro, prĂ©sident de la Colombie, qui a demandĂ© la libĂ©ration de Julian et la fin de sa persĂ©cution.
Enfin, j'ai été reçu par Andrés Manuel Lopez Obrador, président du Mexique, qui a toujours soutenu Julian et qui sait que cette affaire est plus qu'un combat pour la liberté d'un individu, mais bien un combat prioritaire pour des principes fondamentaux.
C'est Obrador qui avait dĂ©clarĂ© que si Julian Ă©tait extradĂ© vers les Ătats-Unis, la statue de la LibertĂ© devrait ĂȘtre dĂ©montĂ©e et restituĂ©e Ă la France. Le prĂ©sident mexicain a reçu ces derniers de la dĂ©lĂ©gation de WikiLeaks en dĂ©but de mois, et nous a assurĂ© qu'il s'occuperait personnellement de cette question avec le prĂ©sident Biden. Ils se sont rencontrĂ©s la semaine derniĂšre Ă Mexico.
Les dirigeants politiques de tous les grands pays situĂ©s au sud de la frontiĂšre des Ătats-Unis ne sont pas les seuls Ă reconnaĂźtre la gravitĂ© du cas de Julian. Anthony Albanese, Premier ministre de l'Australie, a rĂ©cemment ajoutĂ© sa voix aux appels Ă la libĂ©ration de Julian, en dĂ©clarant devant le Parlement australien que c'en Ă©tait assez. Et nous sommes d'accord. Tous ces dirigeants montrent maintenant du doigt l'Empire.
Ils soulignent l'incapacité de l'empereur. Ils attirent l'attention sur la brutalité crue de l'affaire Assange et sur les principes sous-jacents en danger. Et d'autres leaders mondiaux suivront.
Tout message des Ătats sur la libertĂ©, la paix, les droits de l'homme et la libertĂ© de la presse est maintenant mesurĂ© Ă l'aune de l'affaire Assange et rejetĂ© pour sa vacuitĂ© et son inutilitĂ©, Ă moins que l'administration Biden n'abandonne les charges contre Julian.
Avant le dĂ©but de ce siĂšcle, le dĂ©partement d'Ătat amĂ©ricain utilisait le terme "Ătats voyous" pour dĂ©crire les rĂ©gimes violents prĂ©sentant un bilan dĂ©plorable en matiĂšre de droits de l'homme. La terminologie a Ă©tĂ© officiellement abandonnĂ©e au dĂ©but de ce siĂšcle, probablement parce qu'un grand nombre des activitĂ©s menĂ©es par les Ătats-Unis par la suite rĂ©pondaient aux critĂšres de l'Ătat voyou tel que dĂ©fini dans les annĂ©es 90. Si les Ătats souhaitent regagner une position de crĂ©dibilitĂ© dans l'arĂšne internationale, des changements de politique Ă plusieurs niveaux vont s'imposer.
La prioritĂ© Ă©tant de faire ce qui s'impose en abandonnant les poursuites contre Julian Assange, et câest maintenant.
https://consortiumnews.com/2023/01/26/hrafnsson-an-empire-against-one-man/