đâđš La bulle fantasmĂ©e des euro-Ă©lites vole en Ă©clats, annonçant leur propre perte
La frĂ©nĂ©sie europĂ©enne est-elle attisĂ©e par un dĂ©sir plus global de l'Ătat profond d'enrayer la ârĂ©volution Trumpâ ? Est-elle plus engagĂ©e sur cette voie qu'elle n'aurait choisi de s'y aventurer ?
đâđš La bulle fantasmĂ©e des euro-Ă©lites vole en Ă©clats, annonçant leur propre perte
Par Alastair Crooke, le 4 mars 2025
L'Europe n'a pas vraiment intĂ©rĂȘt Ă Ă©chafauder une rĂ©sistance concertĂ©e contre le prĂ©sident amĂ©ricain pour une guerre ratĂ©e.euro-Ă©lit
Ils (les euro-élites) n'ont aucune chance :
âSi Trump impose ces tarifs douaniers [25 %], les Ătats-Unis seront confrontĂ©s Ă un grave conflit commercial avec l'UEâ,
menace le Premier ministre norvégien. Bruxelles riposterait-elle ?
âIls peuvent toujours essayer, mais ils nâen ont pas les moyensâ,
a rĂ©pondu Trump. Von der Leyen a toutefois dĂ©jĂ promis qu'elle allait prendre des mesures de rĂ©torsion. NĂ©anmoins, il est peu probable que les moyens administratifs anglo-saxons contraignent Trump Ă dĂ©ployer des troupes amĂ©ricaines en Ukraine pour protĂ©ger les intĂ©rĂȘts (et les investissements !) europĂ©ens.
En rĂ©alitĂ©, les membres europĂ©ens de l'OTAN admettent dĂ©sormais publiquement, Ă divers degrĂ©s d'auto-embarras, qu'aucun d'entre eux ne souhaite participer Ă la sĂ©curisation de l'Ukraine sans que les troupes militaires amĂ©ricaines ne fournissent un âsoutienâ Ă ces forces europĂ©ennes. Il s'agit d'un stratagĂšme manifestement Ă©vident visant Ă inciter Trump Ă poursuivre la guerre en Ukraine, et Macron et Starmer tentent de leur cĂŽtĂ© de convaincre Trump de s'engager Ă nouveau dans la guerre en Ukraine en brandissant l'accord sur les minerais. Mais Trump voit Ă©videmment venir ces stratagĂšmes.
Le seul hic, c'est que Zelensky semble davantage craindre un cessez-le-feu que de perdre encore du terrain sur le champ de bataille. Lui aussi semble avoir besoin que la guerre continue (peut-ĂȘtre pour rester au pouvoir).
L'annonce par Trump de la fin de la guerre en Ukraine, pourtant perdue d'avance, semble avoir suscité une forme de dissonance cognitive chez les élites européennes. Bien sûr, il ne fait aucun doute depuis un certain temps que l'Ukraine ne rétablira pas ses frontiÚres de 1991 et ne forcera pas la Russie à négocier en position de faiblesse - afin que l'Occident puisse dicter ses propres conditions de cessez-le-feu.
Comme l'écrit Adam Collingwood :
âTrump a crevĂ© l'Ă©cran de la bulle imaginaire ... l'Ă©lite dirigeante [Ă la suite du virage de Trump] connaĂźt non seulement un revers politique, mais une vĂ©ritable catastrophe. Une dĂ©faite dans la guerre, [l'Europe] se retrouvant largement sans dĂ©fense avec
une économie en cours de désindustrialisation
des services publics et des infrastructures en ruine
des déficits budgétaires colossaux
un niveau de vie en stagnation
une dysharmonie sociale et ethnique
une forte montée populiste menée par des ennemis tout aussi redoutables que Trump et Poutine dans la lutte manichéenne contre les survivances de l'époque libérale
et stratégiquement prise en étau entre deux dirigeants qui les méprisent et les dédaignent à la fois...
âEn d'autres termes, Ă travers la dĂ©chirure de la bulle imaginaire, les Ă©lites europĂ©ennes sont tĂ©moins de leur propre dĂ©clin...
âQuiconque observait la rĂ©alitĂ© savait que les choses ne feraient qu'empirer sur le front Ă partir de l'automne 2023, mais dans leur bulle d'illusion, nos Ă©lites ne voulaient pas le voir. Vladimir Poutine, chez les âRĂ©publicainsâ et les âDĂ©mocratesâ chez nous, incarnait un dĂ©mon atavique qui tomberait inĂ©vitablement dans l'inexorable marche vers l'utopie progressiste libĂ©raleâ.
De nombreux dirigeants europĂ©ens sont manifestement furieux. Mais que peuvent rĂ©ellement faire la Grande-Bretagne ou l'Allemagne ? En effet, force est de constater que les Ătats europĂ©ens ne disposent pas des capacitĂ©s militaires nĂ©cessaires pour intervenir de maniĂšre concertĂ©e en Ukraine. Mais plus que tout, comme le souligne Conor Gallagher, c'est l'Ă©conomie europĂ©enne, en chute libre â en grande partie Ă cause de la guerre contre la Russie â qui remet la rĂ©alitĂ© Ă l'ordre du jour.
Le nouveau chancelier allemand, Friedrich Merz, s'est avĂ©rĂ© ĂȘtre le dirigeant europĂ©en le plus implacable en prĂŽnant Ă la fois l'expansion militaire et la conscription des jeunes, dans ce qui s'apparente Ă un mode de pensĂ©e europĂ©en de rĂ©sistance face au rapprochement de Trump avec la Russie.
Pourtant, la CDU/CSU de Merz, pourtant victorieuse, n'a obtenu que 28 % des suffrages exprimés, tout en perdant une part importante de l'électorat. Difficile d'obtenir un mandat plus éloquent pour affronter ensemble la Russie et l'Amérique !
âJe suis en lien permanent avec de nombreux Premiers ministres et chefs d'Ătat de l'UE et pour moi, il est absolument prioritaire de renforcer l'Europe le plus rapidement possible, afin de parvenir progressivement Ă notre indĂ©pendance vis-Ă -vis des Ătats-Unisâ,
a déclaré Friedrich Merz.
Alternative pour l'Allemagne (AfD) a remporté la deuxiÚme place des élections allemandes avec 20 % des voix au niveau national. Les 25-45 ans ont massivement voté pour ce parti. Il soutient les bonnes relations avec la Russie, la fin de la guerre en Ukraine et souhaite également travailler avec l'équipe Trump.
Pourtant, l'AfD est paradoxalement exclue du ârenforcementâ de lâEurope. En tant que parti âpopulisteâ avec un fort vote des jeunes, il est automatiquement relĂ©guĂ© du âmauvais cĂŽtĂ©â du pare-feu de l'UE. Merz a dĂ©jĂ refusĂ© de partager le pouvoir avec eux, plaçant la CDU au milieu, coincĂ©e entre le SPD en perte de vitesse, celui qui a perdu le plus d'Ă©lecteurs, et l'AfD et Die Linke, autre paria, qui, comme l'AfD, a conquis de nouveaux Ă©lecteurs, en particulier parmi les moins de 45 ans.
Le hic, et il est de taille, c'est que l'AfD et le Parti de gauche, Die Linke (8,8 %), qui a obtenu le plus de voix chez les 18-24 ans, sont tous deux opposés à la guerre. Ensemble, ils représentent plus d'un tiers des voix au Parlement, ce qui constitue une minorité de blocage pour de nombreux votes importants, en particulier pour les changements constitutionnels.
Cela va donner du fil Ă retordre Ă Merz, comme l'explique Wolfgang MĂŒnchau :
âPour commencer, le nouveau chancelier aurait voulu assister au sommet de l'OTAN en juin, en s'engageant fermement Ă augmenter les dĂ©penses de dĂ©fense. Et mĂȘme si le Parti de gauche et l'AfD se dĂ©testent sur tous les autres dossiers, ils sont d'accord pour ne pas donner Ă Merz l'argent nĂ©cessaire pour renforcer la Bundeswehr. Mais surtout, ils ne soutiendront pas la rĂ©forme des rĂšgles budgĂ©taires constitutionnelles (le frein Ă l'endettement) que Merz et le SPD recherchent dĂ©sespĂ©rĂ©mentâ.
Les rÚgles sont compliquées, mais en substance, elles stipulent que si l'Allemagne veut dépenser plus d'argent pour la Défense et l'aide à l'Ukraine, il faudra le récupérer ailleurs dans le budget (trÚs probablement dans les aides sociales). Mais politiquement, économiser sur les aides sociales pour payer l'Ukraine n'a pas été spécialement bien accueilli par l'électorat allemand. La derniÚre coalition a échoué précisément sur cette question.
MĂȘme avec les Verts, Merz n'aura toujours pas la majoritĂ© des deux tiers nĂ©cessaire pour apporter des changements constitutionnels, et le âCentreâ n'a tout simplement pas la marge de manĆuvre budgĂ©taire requise pour dĂ©fier la Russie sans le financement des Ătats-Unis. Von der Leyen tentera de trouver de l'argent âmagiqueâ pour la DĂ©fense quelque part,
âmais les jeunes Allemands votent contre les partis de l'establishment qui sont exĂ©crĂ©s. Ils peuvent toujours construire quelques chars Leopard s'ils le veulent. Ils n'obtiendront pas de recruesâ.
Alors que l'UE et la Grande-Bretagne proposent de lever des milliards pour s'armer contre une invasion russe imaginaire, cela se fera sur fond de dĂ©claration explicite de Trump - face Ă la menace d'une invasion des pays de l'OTAN par la Russie - âJe n'y crois pas, je n'y crois pa du toutâ.
Encore un faux débat européen mis à mal par Trump.
Ainsi, comment le public europĂ©en, qui a largement perdu confiance dans la guerre en Ukraine, rĂ©agira-t-il Ă l'augmentation des coĂ»ts de l'Ă©nergie et Ă la multiplication des rĂ©ductions d'impĂŽts et de services sociaux, afin de poursuivre une guerre impossible Ă gagner en Ukraine ? Starmer a dĂ©jĂ Ă©tĂ© averti que les âjusticiers obligatairesâ (de la dette publique) rĂ©agiraient mal Ă une nouvelle augmentation de la dette publique britannique alors que la situation budgĂ©taire se dĂ©grade dangereusement.
Aucune solution miracle ne semble pouvoir rĂ©soudre la situation actuelle de l'Europe. D'un cĂŽtĂ©, c'est un casse-tĂȘte existentiel pour Merz. De l'autre, c'est le mĂȘme casse-tĂȘte qui hante l'UE dans son ensemble : pour faire avancer les choses, une majoritĂ© parlementaire est une nĂ©cessitĂ© fondamentale.
Le âpare-feuâ, bien qu'il ait Ă©tĂ© initialement conçu pour protĂ©ger les âcentristesâ Ă Bruxelles des âpopulistesâ de droite, a ensuite Ă©tĂ© suralimentĂ© Ă Bruxelles par le dĂ©termination de Biden Ă l'Ă©gard de tous les âacteursâ de la politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine, selon lequel le populisme est une âmenace pour la dĂ©mocratieâ et doit ĂȘtre combattu.
Cependant, dans la pratique, des coalitions de blocage ont Ă©tĂ© formĂ©es dans toute l'UE, composĂ©es de partenaires Ă©tranges (partis minoritaires) acceptant de maintenir les centristes au pouvoir, mais ont plutĂŽt entraĂźnĂ© une stagnation sans issue et un dĂ©tachement croissant de ânous, le peupleâ.
Angela Merkel a gouverné de cette maniÚre, renvoyant les réformes aux calendes grecques depuis des années, jusqu'à ce que la situation devienne finalement (et reste) insoluble.
âEst-ce qu'une autre coalition de centristes aux vues Ă©triquĂ©es peut enrayer le dĂ©clin de l'Ă©conomie, remĂ©dier Ă l'Ă©chec des dirigeants et libĂ©rer la nation de son piĂšge politique pernicieux ? Je pense que nous connaissons la rĂ©ponseâ, Ă©crit Wolfgang MĂŒnchau.
Cependant, on peut y voir l'expression d'un problĂšme plus grave : comme M. Vance l'a trĂšs explicitement fait remarquer lors du rĂ©cent Forum de Munich sur la sĂ©curitĂ©, l'ennemi de l'Europe ne se provient pas de la Russie, mais bel et bien du coeur de lâEurope. Il provient, a laissĂ© entendre Vance, de sa bureaucratie omniprĂ©sente, qui s'arroge le pouvoir de gouverner de maniĂšre autonome, tout en s'Ă©loignant progressivement de sa propre base.
Vance a prĂ©conisĂ© de faire tomber les barriĂšres afin de revenir aux principes (dĂ©laissĂ©s) de cette vieille dĂ©mocratie partagĂ©e Ă l'origine par les Ătats-Unis et l'Europe. Implicitement, Vance s'en prend Ă l'Ătat (profond) administratif de Bruxelles.
Les eurocrates voient dans ce nouveau dĂ©fi une attaque alternative soutenue par les Ătats-Unis contre leur Ătat administratif, et y pressentent leur propre disparition.
Aux Ătats-Unis, on reconnaĂźt qu'il existe une ârĂ©sistance institutionnelle Ă Trumpâ au sein du DOD, du DOJ et du FBI. Cela prouve, selon Margot Cleveland, que ceux qui vantent la nĂ©cessitĂ© d'une ârĂ©sistance institutionnelleâ et de la prĂ©tendue indĂ©pendance vis-Ă -vis du pouvoir exĂ©cutif sont en rĂ©alitĂ© les opposants Ă la dĂ©mocratie et Ă Trump.
Compte tenu du lien Ă©troit entre Ătats-Unis, Grande-Bretagne et Ătat profond europĂ©en, on peut se demander pourquoi les dirigeants europĂ©ens opposent une rĂ©sistance parallĂšle aussi virulente Ă Trump.
Ă premiĂšre vue, il n'est pas dans l'intĂ©rĂȘt de l'Europe de se liguer contre le prĂ©sident amĂ©ricain pour une guerre ratĂ©e. La frĂ©nĂ©sie europĂ©enne serait-elle alors alimentĂ©e par un dĂ©sir plus global de l'Ătat profond (amĂ©ricain) de neutraliser la ârĂ©volution Trumpâ en dĂ©montrant, en plus de l'opposition intĂ©rieure aux Ătats-Unis, que Trump sĂšme le chaos parmi les alliĂ©s europĂ©ens des Ătats-Unis ? L'Europe serait-elle poussĂ©e plus loin sur cette voie qu'elle n'aurait sinon choisi de s'y aventurer ?
Pour que l'Allemagne change de cap, il suffirait Ă Merz, mĂȘme si c'est impensable, d'un peu d'imagination pour envisager un lien entre l'Allemagne et l'Eurasie. L'AfD a obtenu 20 % des voix en se basant sur ce programme. Et en rĂ©alitĂ©, nous n'avons sans doute pas d'autre choix.