đâđš La chaĂźne CBC blanchit les crimes dâIsraĂ«l dans la bande de Gaza. Je l'ai vĂ©cu Ă mes dĂ©pens
AprĂšs cinq ans comme productrice Ă CBC, j'ai constatĂ© la politique âdeux poids, deux mesuresâ, la dĂ©sinformation sur la Palestine& vĂ©cu en direct les sanctions de CBS infligĂ©es Ă ceux qui s'expriment.
đâđš La chaĂźne CBC blanchit les crimes dâIsraĂ«l dans la bande de Gaza. Je l'ai vĂ©cu Ă mes dĂ©pens
Par Molly Schumann, le 16 mai 2024
AprĂšs cinq ans en tant que productrice Ă la chaĂźne publique [CBC : Canadian Broadcast Channel], j'ai Ă©tĂ© tĂ©moin de la politique du âdeux poids, deux mesuresâ et de la discrimination dans sa couverture de la Palestine, et directement confrontĂ©e Ă la façon dont CBC sanctionne ceux qui s'expriment.
Le producteur exĂ©cutif me regardait avec inquiĂ©tude. Nous Ă©tions le 16 novembre 2023 et j'avais Ă©tĂ© convoquĂ© Ă une rĂ©union virtuelle Ă CBC. J'approchais de ma sixiĂšme annĂ©e au sein du radiodiffuseur public, oĂč je travaillais comme productrice pour la tĂ©lĂ©vision et la radio.
Il m'a dit qu'il me trouvait âpassionnĂ©eâ par les Ă©vĂšnements Ă Gaza. Son travail, m'a-t-il dit, consiste Ă s'assurer que ma passion ne me rend pas partiale. Il m'a dit que je n'avais pas encore âfranchi la ligne rougeâ, mais que je devais faire preuve de prudence. Ă la fin de la conversation, il m'a suggĂ©rĂ© de prendre des congĂ©s pour fatigue psychologique.
J'ai refusé. Mon esprit se portait bien. Je voyais surtout trÚs clairement ce qui se passait.
Plus tĂŽt dans la journĂ©e, j'avais pris la parole lors d'une rĂ©union avec mon Ă©quipe du CBC News Network, la chaĂźne d'information tĂ©lĂ©visĂ©e diffusĂ©e 24 heures sur 24. Six semaines s'Ă©taient Ă©coulĂ©es depuis le dĂ©but du blocus et des bombardements de la bande de Gaza par IsraĂ«l, qui avait, Ă l'Ă©poque, dĂ©jĂ tuĂ© plus de 11 000 Palestiniens, dont une majoritĂ© de femmes et d'enfants. Des experts en droit suggĂ©raient dĂ©jĂ que ce qui se passait pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un âgĂ©nocide potentielâ, un spĂ©cialiste israĂ©lien de l'Holocauste parlant d'un âcas d'Ă©coleâ.
J'ai fait part Ă mon Ă©quipe de mon inquiĂ©tude quant Ă la frĂ©quence des annulations d'invitĂ©s palestiniens, Ă l'examen minutieux de leurs dĂ©clarations et Ă la pratique du âdeux poids, deux mesuresâ dans notre couverture de l'Ă©vĂ©nement. J'ai proposĂ© ensuite une interview impartiale et Ă©quilibrĂ©e : deux spĂ©cialistes du gĂ©nocide aux points de vue opposĂ©s discutant de la question de savoir si les actions et la rhĂ©torique d'IsraĂ«l correspondent bien Ă la dĂ©finition lĂ©gale du crime.
Mes collĂšgues ont eu l'air paniquĂ©. Mon producteur exĂ©cutif a rĂ©pondu que nous devions âveiller Ă ne pas mettre les animateurs dans une position dĂ©licateâ. Ils voulaient avoir le temps de consulter leurs supĂ©rieurs avant de prendre une dĂ©cision. Quelques heures plus tard, j'Ă©tais assise en face du mĂȘme cadre et on me mettait en garde contre le risque de âpasser les bornesâ.
L'aprĂšs-midi suivant, je me suis prĂ©sentĂ©e Ă ce qui Ă©tait censĂ© ĂȘtre une rĂ©union de travail ordinaire pour passer en revue les interviews prĂ©vues pour les jours suivants, mais des invitĂ©s inattendus Ă©taient prĂ©sents. En plus de la prĂ©sence de mes collĂšgues, les visages de mon producteur exĂ©cutif et de ses supĂ©rieurs sont apparus sur Google Meet.
Les directeurs Ă©taient lĂ pour parler de mon projet. Ils ont dit qu'ils n'opposaient pas leur veto - ils ne sont mĂȘme pas censĂ©s prendre de dĂ©cisions Ă©ditoriales - mais ont suggĂ©rĂ© que notre Ă©mission n'Ă©tait pas le meilleur support. J'ai fait remarquer que la chaĂźne Ă©tait considĂ©rĂ©e comme un lieu appropriĂ© pour des interviews avec des invitĂ©s qui ont qualifiĂ© la guerre de la Russie contre l'Ukraine et l'oppression des OuĂŻgours par la Chine de gĂ©nocide. Les responsables ont eu l'air mal Ă l'aise. J'ai Ă©tĂ© reprogrammĂ©e Ă un panel avec deux invitĂ©s appelant l'Occident Ă soutenir le changement de rĂ©gime Ă Moscou et Ă TĂ©hĂ©ran. (Depuis le dĂ©but de ces rĂ©unions inhabituelles, je les ai enregistrĂ©es pour me protĂ©ger).
Mais le retour de bĂąton ne s'est pas arrĂȘtĂ© lĂ . La semaine suivante, un vendredi en fin d'aprĂšs-midi, j'ai reçu un courriel des deux mĂȘmes directeurs qui avaient rejetĂ© mon projet. Ils avaient besoin de me parler de toute urgence. Au tĂ©lĂ©phone, on m'a priĂ©e de respecter la confidentialitĂ© de l'entretien.
Ils m'ont dit que j'avais heurté la sensibilité de certains de mes collÚgues. Mais ce n'était pas juste une question de sensibilité : quelqu'un m'accusait d'antisémitisme.
J'avais, semble-t-il, âpassĂ© les bornesâ.
Pour tenter d'accĂ©der Ă un poste stable au sein du radiodiffuseur public canadien, il faut savoir quels types de sujets, d'angles et d'invitĂ©s sont acceptables - et lesquels ne le sont pas. En tant que collaboratrice âoccasionnelleâ prĂ©caire - une catĂ©gorie de personnel qui reprĂ©sente plus d'un quart des effectifs de CBC - il ne m'a pas fallu longtemps pour comprendre que le sujet IsraĂ«l-Palestine devait ĂȘtre Ă©vitĂ© dans la mesure du possible. Lorsqu'il Ă©tait abordĂ©, on s'attendait tacitement Ă ce qu'il soit cadrĂ© de maniĂšre Ă occulter les faits et Ă aseptiser la rĂ©alitĂ© contemporaine.
AprÚs le 7 octobre, la chaßne ne pouvait plus continuer à l'éviter. Mais parce que CBC n'avait jamais correctement mis en contexte l'occupation militaire la plus ancienne au monde avant ces atrocités, elle était mal préparée pour rendre compte de ce qui s'est passé par la suite.
CBC allait passer les mois suivants à blanchir les horreurs qu'Israël allait faire subir aux Palestiniens de Gaza. Dans les jours qui ont suivi le début de la campagne de bombardements israélienne, c'était déjà évident : alors que les fonctionnaires et les experts israéliens ne faisaient l'objet d'aucune vérification minutieuse, les membres des familles des personnes piégées à Gaza faisaient l'objet d'un niveau de suspicion sans précédent.
Dans le cadre de mon travail, je devais contrÎler le travail des producteurs associés et superviser les interviews, et j'étais donc bien placée pour observer de prÚs cette politique de deux poids, deux mesures.
Au dĂ©but, craignant que cela ne compromette mes chances d'obtenir un poste de collaboratrice pour lequel j'avais rĂ©cemment postulĂ©, je n'ai exprimĂ© que de lĂ©gĂšres rĂ©serves. Mais au fur et Ă mesure que le nombre de morts augmentait, ma carriĂšre a commencĂ© Ă me sembler moins importante. Si les journalistes de Gaza sacrifiaient leur vie pour dire la vĂ©ritĂ©, je devais au moins ĂȘtre prĂȘte Ă prendre des risques.
En outre, me disais-je naïvement, il me serait plus facile d'exprimer mon désaccord que la plupart de mes collÚgues. Je suis d'origine juive, ayant été élevée par un pÚre qui a fui l'Holocauste alors qu'il était encore un jeune enfant et qui a dû faire face toute sa vie au traumatisme et à la culpabilité d'avoir survécu alors que les membres de sa famille avaient été assassinés par les nazis. Je pensais qu'il serait plus difficile pour des acteurs cyniques de brandir de fausses accusations d'antisémitisme à mon encontre.
J'avais tort.
L'exception palestinienne Ă CBC
Dans la pĂ©riode prĂ©cĂ©dant le 7 octobre, un collĂšgue haut placĂ© a dĂ©clarĂ© que si nous avions de la chance, âles dieux de l'information nous souriraientâ et mettraient un terme Ă une sĂ©rie de journĂ©es âĂ lâactualitĂ© rareâ. En me rĂ©veillant ce samedi fatidique avec de multiples alertes sur mon tĂ©lĂ©phone, j'ai su que le monde et ma vie professionnelle Ă©taient sur le point de changer radicalement.
MĂȘme avant octobre 2023, il Ă©tait difficile de persuader mes collĂšgues de CBC de rĂ©aliser des reportages fiables sur les Palestiniens. Voici quelques-unes des idĂ©es d'interviews tĂ©lĂ©visĂ©es qu'un collĂšgue et moi-mĂȘme avons prĂ©sentĂ©es mais qui ont Ă©tĂ© refusĂ©es :
le rapport de Human Rights Watch de 2021 dĂ©signant IsraĂ«l comme un Ătat d'apartheid
les expulsions de Sheikh Jarrah la mĂȘme annĂ©e
l'assassinat par Israël de la journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh en 2022, et
le bombardement israélien du camp de réfugiés de Jénine en juillet 2023.
La derniĂšre de ces idĂ©es a d'abord reçu le feu vert, mais a ensuite Ă©tĂ© annulĂ©e parce qu'un des producteurs craignait que l'animatrice n'ait trop de choses Ă gĂ©rer. Ă la mĂȘme Ă©poque, j'ai Ă©galement proposĂ© Ă un reprĂ©sentant de l'organisation israĂ©lienne de dĂ©fense des droits de l'homme B'Tselem de parler de l'impact potentiel sur les Palestiniens des rĂ©formes judiciaires largement contestĂ©es, mais cette idĂ©e a Ă©tĂ© rejetĂ©e par crainte de plaintes. Ces excuses allaient devenir monnaie courante.
AprĂšs le 7 octobre, j'ai redoutĂ© d'aller travailler : les prĂ©jugĂ©s s'intensifiaient Ă chaque journĂ©e de travail. MĂȘme Ă ce stade prĂ©coce, les responsables israĂ©liens faisaient des dĂ©clarations gĂ©nocidaires non prises en compte dans notre couverture. Le 9 octobre, le ministre de la dĂ©fense Yoav Gallant a dĂ©clarĂ© :
âJ'ai ordonnĂ© un blocus complet de la bande de Gaza. Il n'y aura ni Ă©lectricitĂ©, ni vivres, ni carburant ; tout est bouclĂ©. Nous combattons des animaux et nous agissons en consĂ©quenceâ.
MĂȘme aprĂšs ce commentaire, mon producteur exĂ©cutif a continuĂ© Ă ergoter sur l'utilisation dans nos scripts du terme âblocusâ ou des rĂ©fĂ©rences au âsort des Palestiniensâ.
Le 20 octobre, j'ai proposé à Hammam Farah, un psychothérapeute canadien d'origine palestinienne, de participer à nouveau aux émissions de la chaßne. Lors d'une précédente interview, il nous avait dit que sa famille était réfugiée dans l'église orthodoxe grecque Saint Porphyrius, dans la ville de Gaza. La semaine suivante, j'ai appris par les réseaux sociaux que son beau-cousin avait été tué lors d'une frappe aérienne israélienne sur ce bùtiment datant du XIIe siÚcle. Mon producteur exécutif a répondu à ma proposition par message instantané :
âOui, s'il est d'accord. Nous devrons peut-ĂȘtre aussi prĂ©ciser que nous ne pouvons pas procĂ©der aux vĂ©rifications, Ă moins que nous le puissions.â
J'étais abasourdie. En prÚs de six ans à CBC, on ne m'avait jamais demandé de vérifier le décÚs d'un proche d'un invité, ni de mentionner dans une interview que nous ne pouvions pas vérifier les faits. Ce n'est pas une norme que les producteurs étaient censés respecter - sauf, apparemment, pour les Palestiniens.
En outre, mĂȘme dans les premiers temps, la sociĂ©tĂ© civile s'Ă©tait complĂštement effondrĂ©e dans la bande de Gaza. Je ne pouvais pas appeler les autoritĂ©s sanitaires ou le palais de justice pour leur demander de m'envoyer un certificat de dĂ©cĂšs par courrier Ă©lectronique. J'avais dĂ©jĂ le nom complet du parent de Farah et j'avais trouvĂ© un profil Facebook correspondant Ă une photo commĂ©morative qu'il avait postĂ©e sur Instagram. C'Ă©tait dĂ©jĂ plus de vĂ©rifications que je n'en avais faites pour les IsraĂ©liens interviewĂ©s dont les proches ont Ă©tĂ© tuĂ©s le 7 octobre. Quelques jours plus tard, une autre Ă©mission de la chaĂźne a diffusĂ© une interview de l'invitĂ© en utilisant une formulation passive dans le titre : âUn homme de Toronto affirme qu'un membre de sa famille a Ă©tĂ© tuĂ© lors d'une frappe aĂ©rienne sur Gazaâ.
J'étais obligé de marcher sur la corde raide, en essayant de conserver une certaine intégrité journalistique tout en préservant ma carriÚre.
Début novembre, on m'a demandé de superviser la production d'une interview d'un ancien fonctionnaire américain travaillant désormais pour le Washington Institute for Near East Policy, un think tank pro-israélien.
Au cours de l'interview, il a Ă©tĂ© autorisĂ© Ă rĂ©pĂ©ter en direct un certain nombre de dĂ©clarations dont on savait pertinemment qu'elles Ă©taient fausses, notamment que les combattants du Hamas avaient dĂ©capitĂ© des bĂ©bĂ©s le 7 octobre, et que les civils de Gaza pourraient Ă©viter les bombardements si seulement ils Ă©coutaient l'armĂ©e israĂ©lienne en se dirigeant vers le sud. Et ce, aprĂšs que des convois de civils fuyant vers le sud par des âitinĂ©raires sĂ»rsâ aient Ă©tĂ© bombardĂ©s par l'armĂ©e israĂ©lienne sous les yeux du monde entier.
DÚs que j'ai entendu ce deuxiÚme mensonge, j'ai envoyé un message à mon équipe pour suggérer à l'animatrice de riposter, mais je n'ai reçu aucune réponse. Par la suite, l'animatrice a déclaré qu'elle avait laissé passer le commentaire parce que le temps était limité, alors qu'elle aurait pu consacrer moins de temps à un sujet moins important plus tard dans l'émission.
La majoritĂ© des invitĂ©s palestiniens Ă qui j'ai parlĂ© au cours des six premiĂšres semaines de l'assaut israĂ©lien sur Gaza ont tous dit la mĂȘme chose : ils voulaient des interviews en direct pour Ă©viter le risque que leurs propos soient censurĂ©s ou que leur interview ne soit pas diffusĂ©e. Ces inquiĂ©tudes Ă©taient fondĂ©es.
Jamais auparavant dans ma carriĂšre, je n'ai vu autant d'interviews annulĂ©es par crainte de ce que les invitĂ©s pourraient dire. Il n'y a jamais eu non plus de directives de la part de collĂšgues haut placĂ©s pour pousser une certaine catĂ©gorie de personnes Ă faire des interviews prĂ©enregistrĂ©es. (CBC a dĂ©clarĂ© Ă The Breach qu'elle ârejetait catĂ©goriquementâ l'affirmation selon laquelle les interviews Ă©taient âsystĂ©matiquement supprimĂ©esâ).
En novembre, une Canadienne d'origine palestinienne de London (Ontario), Reem Sultan, dont la famille Ă©tait bloquĂ©e dans la bande de Gaza, a Ă©tĂ© programmĂ©e pour l'une de ces interviews prĂ©enregistrĂ©es. En raison de sa frustration face aux interviews prĂ©cĂ©dentes et Ă la couverture de la situation de sa famille qui avait Ă©tĂ© âdĂ©layĂ©eâ, elle a demandĂ© si elle pouvait ĂȘtre interviewĂ©e en direct Ă la place.
Lorsque j'ai posĂ© la question au producteur principal, il a eu l'air mal Ă l'aise et m'a dit que l'interview devait ĂȘtre annulĂ©e, au motif que l'invitĂ©e Ă©tait dĂ©jĂ passĂ©e sur la chaĂźne cette semaine-lĂ . J'ai convenu qu'il serait prĂ©fĂ©rable d'interviewer une nouvelle voix palestinienne, et dit disposer des coordonnĂ©es d'un certain nombre d'autres invitĂ©s. Cependant, aprĂšs avoir annulĂ© l'interview de Sultan, le producteur principal m'a informĂ© qu'il ne voulait finalement pas d'autre invitĂ©.
Suppression du terme âgĂ©nocideâ
La plupart des Ă©missions de la chaĂźne ont Ă©vitĂ© de mentionner le terme âgĂ©nocideâ dans le contexte de Gaza.
Le 10 novembre, mon producteur principal a fait pression pour annuler une interview que j'avais organisĂ©e avec un entrepreneur canadien d'origine palestinienne, Khaled Al Sabawi. Selon sa âprĂ©-interviewâ - une conversation qui a gĂ©nĂ©ralement lieu avant l'interview diffusable - 50 de ses proches avaient Ă©tĂ© tuĂ©s par des soldats israĂ©liens.
La partie de la transcription qui a inquiĂ©tĂ© le producteur principal Ă©tait l'affirmation d'Al Sabawi selon laquelle le gouvernement de Netanyahu avait ârĂ©vĂ©lĂ© publiquement son intention de commettre un gĂ©nocideâ. Il a Ă©galement contestĂ© les rĂ©fĂ©rences de l'invitĂ© Ă une âhistoire documentĂ©e de racismeâ et d'âapartheidâ sous l'occupation israĂ©lienne, ainsi que sa suggestion selon laquelle le gouvernement canadien serait complice du meurtre des civils de Gaza.
Le producteur principal a fait part de ses prĂ©occupations par courrier Ă©lectronique au producteur exĂ©cutif, qui en a ensuite envoyĂ© une copie Ă l'un des cadres supĂ©rieurs. Le producteur exĂ©cutif a rĂ©pondu qu'il âsemblait que sa dĂ©claration relevait de l'opinion et qu'elle Ă©tait incorrecte sur le plan des faitsâ. La responsable du directeur exĂ©cutif a ajoutĂ© qu'elle pensait que l'interview serait âtrop risquĂ©e en tant que prĂ©-enregistrement ou en directâ.
Bien que la position de l'invitĂ© soit conforme Ă celle de nombreux experts de l'ONU et d'organisations occidentales de dĂ©fense des droits de l'homme, l'interview a Ă©tĂ© annulĂ©e. (CBC a dĂ©clarĂ© Ă The Breach que âl'invitĂ© a refusĂ© notre offre d'interview prĂ©enregistrĂ©eâ, alors qu'Al Sabawi avait dit au prĂ©alable aux producteurs dĂšs le dĂ©part qu'il nâaccepterait qu'une interview en direct).
Une autre fois, une invitĂ©e canado-palestinienne du nom de Samah Al Sabbagh, dont le pĂšre ĂągĂ© Ă©tait alors piĂ©gĂ© Ă Gaza, a vu une partie de son interview prĂ©enregistrĂ©e supprimĂ©e avant la diffusion de l'Ă©mission. Elle avait utilisĂ© le mot âgĂ©nocideâ et parlĂ© de la famine dĂ©libĂ©rĂ©e dont sont victimes les Palestiniens Ă Gaza. Le producteur principal m'a âexpliquĂ©â que la suppression Ă©tait due Ă des contraintes de temps pour la rĂ©alisation du montage. Mais ce producteur et l'animateur ont Ă©tĂ© entendus en train de convenir que les propos non Ă©ditĂ©s de l'invitĂ©e Ă©taient trop controversĂ©s (CBC a dĂ©clarĂ© Ă The Breach qu'elle ân'a pas âannulĂ©â d'interviews avec des Palestiniens pour avoir Ă©voquĂ© le gĂ©nocide et l'apartheidâ).
En novembre 2023, il Ă©tait de plus en plus difficile d'ignorer la rhĂ©torique Ă©hontĂ©e des hauts responsables israĂ©liens et le taux de mortalitĂ© civile, sans prĂ©cĂ©dent au XXIe siĂšcle. Mais vous ne pouviez toujours pas entendre parler de ces Ă©vĂšnements dans nos Ă©missions, malgrĂ© les tentatives de quelques producteurs. (Au dĂ©but de l'annĂ©e 2024, les audiences de la Cour internationale de justice et, plus tard, sa dĂ©cision d'obliger IsraĂ«l Ă s'abstenir d'actions qui pourraient âplausiblement constituerâ un gĂ©nocide ont fait Ă©voluer la discussion, et le terme âgĂ©nocideâ a finalement fait quelques timides apparitions sur la chaĂźne CBC).
Mais fin octobre, j'ai programmĂ© une interview avec Adel Iskandar, professeur associĂ© de communication globale Ă l'universitĂ© Simon Fraser, pour parler du discours et de la propagande des responsables israĂ©liens et du Hamas. L'animateur qui gĂ©rait l'Ă©mission ce jour-lĂ se mĂ©fiait des plaintes, craignant que l'invitĂ© ne veuille ĂȘtre interviewĂ© en direct et jugeant qu'il Ă©tait tendancieux. Une fois de plus, l'interview a Ă©tĂ© annulĂ©e.
Une liste noire secrĂšte ?
Un samedi de la mi-octobre, je suis arrivée au travail peu aprÚs la diffusion d'une interview de Diana Buttu, éminente avocate canadienne d'origine palestinienne et ancienne porte-parole de l'Organisation de libération de la Palestine.
On m'a dit qu'il y avait eu du grabuge. Un producteur de The National, l'émission phare de la CBC consacrée aux actualités et aux affaires courantes, avait apparemment fait irruption dans la salle de rédaction pendant l'interview, déclarant que Mme Buttu figurait sur une liste d'invités palestiniens interdits et que nous n'étions pas censés l'inviter à participer à l'émission.
J'ai appris par plusieurs collÚgues que la prétendue liste d'invités palestiniens interdits n'était pas officielle. Au contraire, un certain nombre de producteurs pro-israéliens auraient dressé leur propre liste d'invités à ne pas inviter.
Plus tard, le producteur de l'interview m'a dit qu'aprÚs la diffusion, les coordonnées de Buttu avaient mystérieusement disparu d'une base de données commune de CBC. Là , j'ai également découvert que le nom et les coordonnées de l'ambassadrice palestinienne Mona Abuamara, précédemment interviewée, avaient également été supprimés. Ce n'était pas une coïncidence si les deux invités étaient des défenseurs convaincus des droits des Palestiniens.
Alors que les producteurs affligés par la couverture de Gaza par CBC parlaient à voix basse, des collÚgues pro-israéliens étaient trÚs à l'aise pour faire des commentaires déshumanisants sur les Palestiniens en salle de rédaction.
Ainsi, j'ai entendu un producteur associĂ© parler avec mĂ©pris de la dĂ©cision d'un invitĂ© de porter un keffieh lors d'une interview, avant de commenter que â[l'animateur] sait comment s'y prendre avec ces gens-lĂ â. Des dizaines de membres de la famille de cet invitĂ© avaient Ă©tĂ© tuĂ©s par l'armĂ©e israĂ©lienne Ă Gaza.
Il semble que le seul invitĂ© palestinien susceptible dâĂȘtre interviewĂ© par CBC soit le profil Palestinien triste et docile qui Ă©voque ses souffrances sans proposer d'analyse ou de solution pour y mettre fin. Ce dont ils ne veulent pas, c'est dâun Palestinien en colĂšre, plein d'une juste indignation Ă l'Ă©gard des gouvernements complices du dĂ©placement et de l'assassinat de leur famille.
à ce stade, le travail commençait à me donner la nausée. Et puis, un samedi soir, cette nausée s'est transformée en colÚre.
On m'a demandĂ© de boucler la production d'une interview prĂ©enregistrĂ©e avec un chercheur sur le âdialogue constructifâ concernant les incidents dans les campus Ă propos de la guerre et de la maniĂšre de rassembler les gens - le genre d'interview dont CBC raffole, car c'est un moyen de montrer que l'on couvre l'histoire sans vraiment parler de ce qui se passe Ă Gaza.
Je me suis acquittĂ©e de cette tĂąche en toute bonne foi, en rĂ©digeant une introduction prĂ©sentant un exemple d'antisĂ©mitisme, puis un autre de haine anti-palestinienne, en prenant soin d'ĂȘtre âobjectiveâ dans mon approche. Mais mon producteur principal a supprimĂ© l'exemple de haine anti-palestinienne et l'a remplacĂ© par un exemple vague sur les âdeux campsâ, tout en conservant l'exemple grave spĂ©cifique d'antisĂ©mitisme. Il a Ă©galement modifiĂ© ma formulation pour suggĂ©rer que les manifestants pro-palestiniens sur les campus canadiens Ă©taient du âcĂŽtĂ©â du Hamas.
J'ai entendu l'animateur remercier le producteur principal pour ces modifications, au motif que les incidents d'antisĂ©mitisme Ă©taient supposĂ©s ĂȘtre plus graves. Bien que l'introduction de ces prĂ©jugĂ©s dans mon scĂ©nario ait Ă©tĂ© relativement minime par rapport Ă d'autres cas de deux poids deux mesures dont j'ai Ă©tĂ© tĂ©moin, elle a marquĂ© un point de non-retour.
J'ai demandé à l'ancien journaliste pourquoi il avait dégradé mon texte d'un point de vue journalistique. Il a trouvé une excuse bidon. Je lui ai dit que je ne pouvais plus continuer ainsi, et je suis sortie de la salle de rédaction en pleurant.
Dire la vérité sur CBC
Ce soir-là , à la maison, ma nausée et ma colÚre se sont dissipées et, pour la premiÚre fois en six semaines, j'ai ressenti un sentiment de paix. Je savais que je ne pouvais pas rester chez CBC.
Lors d'une réunion d'équipe la semaine suivante, à la mi-novembre, j'ai dit ce que je voulais dire depuis le début de l'assaut israélien sur Gaza.
J'ai commencé par dire à quel point j'apprécie mon équipe, et que je considÚre certains collÚgues comme des amis. Que les problÚmes n'étaient pas propres à notre équipe, mais qu'ils concernaient l'ensemble de la chaßne CBC.
La frĂ©quence des annulations d'invitĂ©s palestiniens, la pression exercĂ©e pour faire enregistrer en amont ces invitĂ©s, ainsi que le niveau de surveillance sans prĂ©cĂ©dent dont ils font l'objet, tĂ©moignent d'une politique de deux poids, deux mesures. J'ai soulignĂ© la rĂšgle tacite autour de termes tels que âgĂ©nocideâ.
J'ai soulignĂ© que les collĂšgues arabes et musulmans, en particulier ceux dont l'emploi est prĂ©caire, avaient peur de soulever des questions, et que moi-mĂȘme et d'autres avions entendu des commentaires dĂ©shumanisants sur les Palestiniens dans la salle de rĂ©daction (CBC a dĂ©clarĂ© Ă The Breach qu'il n'y avait eu âaucun retour particulier de commentaires anti-palestiniens et islamophobes en salle de rĂ©daction auquel les responsables auraient pu rĂ©pondre ou donner suiteâ).
J'ai dit que vingt ans aprĂšs l'invasion de l'Irak par les Ătats-Unis, il Ă©tait largement reconnu que les mĂ©dias n'avaient pas fait leur travail en remettant en question les mensonges invoquĂ©s pour justifier une guerre et une occupation qui ont tuĂ© un million d'Irakiens, et qu'en tant que journalistes, nous avons la responsabilitĂ© expresse de dire la vĂ©ritĂ©, mĂȘme si elle est inconfortable.
Quelques collÚgues ont exprimé des préoccupations similaires. D'autres ont levé les yeux au ciel. (CBC a déclaré à The Breach qu'elle ne se souvenait pas que qui que ce soit ait exprimé ses inquiétudes au cours de la réunion, mais les enregistrements audio montrent le contraire).
La question de savoir pourquoi cette question suscite des inquiĂ©tudes a Ă©tĂ© soulevĂ©e. J'ai dit que l'une des raisons pour lesquelles nous n'autorisions pas les invitĂ©s palestiniens Ă utiliser le âmot en Gâ Ă©tait liĂ©e aux pressions exercĂ©es par des groupes de lobbying de droite tels que HonestReporting Canada.
En effet, en l'espace de six semaines seulement, HonestReporting s'est déjà attaqué à 19 reprises à des journalistes de CBC, y compris à un animateur de notre équipe. HonestReporting a également revendiqué la responsabilité du licenciement de deux journalistes palestiniennes dans deux autres médias, dont l'une était en congé de maternité à l'époque.
Tout cela a eu un effet dissuasif. Les animateurs et les principaux collĂšgues ont souvent citĂ© la menace de plaintes comme justification pour ne pas couvrir la situation en IsraĂ«l-Palestine. Ă l'Ă©poque oĂč j'y travaillais, une rĂ©dactrice en chef a mĂȘme Ă©tĂ© convoquĂ©e aux rĂ©unions de direction pour discuter de ses supposĂ©s prĂ©jugĂ©s aprĂšs qu'une campagne d'HonestReporting l'ait prise pour cible. Son contrat a Ă©tĂ© rĂ©siliĂ©.
Ce contrĂŽle de la production des journalistes des grands mĂ©dias a renforcĂ© les tendances institutionnelles existantes garantissant que CBC s'Ă©carte rarement du strict consensus des opinions âautorisĂ©esâ reprĂ©sentĂ©es par la classe politique actuelle du Canada.
Certaines Ă©missions de CBC semblent plus tendancieuses que d'autres. The National a Ă©tĂ© particuliĂšrement nĂ©faste : l'Ă©mission de grande Ă©coute de la chaĂźne a prĂ©sentĂ© 42 % de voix israĂ©liennes de plus que de voix palestiniennes au cours de son premier mois de couverture aprĂšs l'attaque du Hamas du 7 octobre, d'aprĂšs une enquĂȘte de The Breach.
Bien que certains podcasts et programmes radio aient semblé couvrir la guerre contre Gaza de maniÚre plus nuancée, le problÚme de la partialité anti-palestinienne dans le langage est omniprésent sur toutes les plateformes.
Selon une enquĂȘte de The Breach, CBC a mĂȘme admis cette disparitĂ©, arguant que seul le meurtre d'IsraĂ©liens peut ĂȘtre qualifiĂ© de âmeurtreâ ou de âbrutalâ, puisque le meurtre de Palestiniens se produit âen margeâ. Des images d'enfants Ă©crasĂ©s Ă mort entre deux Ă©tages d'un immeuble d'habitation et des rapports sur des bĂ©bĂ©s prĂ©maturĂ©s quâon a laissĂ© mourir de faim dans des couveuses suggĂ©raient pourtant le contraire.
J'ai parlĂ© Ă de nombreux collĂšgues partageant les mĂȘmes opinions pour voir avec eux si on pouvait engager une action pour contrer la tendance de notre couverture, mais il est comprĂ©hensible que d'autres aient hĂ©sitĂ© Ă agir, mĂȘme collectivement, de peur de mettre leur emploi en pĂ©ril. Certains de ces collĂšgues auraient aimĂ© quitter la chaĂźne, mais leurs obligations financiĂšres les en ont empĂȘchĂ©s.
CBC avait déjà entrepris d'améliorer la couverture d'Israël et de la Palestine sur son antenne publique. En 2021, des centaines de journalistes canadiens ont signé une lettre ouverte dénonçant la désinformation et les préjugés dans le traitement du sujet par les médias grand public.
Un certain nombre de collaborateurs de CBC qui ont signé la lettre ont été convoqués à des réunions et se sont vu signifier qu'ils n'étaient pas autorisés à couvrir le sujet, ou que tout travail ultérieur sur la question serait contrÎlé. Une collÚgue de travail a par la suite regretté d'avoir signé la lettre parce qu'elle a été taxée de partialité, entraßnant le rejet de ses projets sur la Palestine.
Traitée d'antisémite
Ă la mi-novembre, aprĂšs avoir exposĂ© mes prĂ©occupations Ă mes collĂšgues, la rĂ©union hebdomadaire a eu lieu. C'est Ă ce moment-lĂ que j'ai prĂ©sentĂ© les deux chercheurs sur le gĂ©nocide, avant de devoir assister Ă la rĂ©union virtuelle avec mon producteur exĂ©cutif - oĂč il m'a suggĂ©rĂ© de prendre un congĂ© pour raisons de santĂ© psychologique - et Ă une autre rĂ©union avec deux responsables qui mâont fait part de leurs inquiĂ©tudes au sujet de ma proposition de sujet le jour suivant. Mais la rĂ©union la plus dĂ©sagrĂ©able avec la direction allait bientĂŽt suivre.
Une semaine plus tard, j'ai Ă©tĂ© accusĂ©e d'antisĂ©mitisme sur la base de propos que je n'avais mĂȘme pas tenus. Selon un responsable, quelqu'un m'avait accusĂ© d'avoir affirmĂ© que âl'Ă©lĂ©phant dans la piĂšce [Ă©tait] le riche lobby juifâ. (CBC a dĂ©clarĂ© Ă The Breach que âles salariĂ©s ont exprimĂ© des inquiĂ©tudesâ quant au caractĂšre âdiscriminatoireâ de ces propos).
J'ai trÚs mal vécu cette accusation en raison de mon héritage juif et de la façon dont la vie de mon pÚre - et, par conséquent, la mienne - a été profondément affectée par l'antisémitisme. Mais je savais aussi que je pouvais prouver qu'elle était sans fondement : j'avais enregistré mes propos, craignant que quelqu'un ne déforme mes paroles pour les utiliser contre moi. Ce que j'avais réellement exprimé, mot pour mot, était ceci :
âJe veux juste parler de l'Ă©lĂ©phant dans la piĂšce. La raison pour laquelle nous avons peur d'autoriser des invitĂ©s palestiniens Ă utiliser le terme âgĂ©nocideâ rĂ©side en ceci que de nombreux lobbies israĂ©liens sont trĂšs, trĂšs gĂ©nĂ©reusement financĂ©s et qu'Ă chaque fois que nous accordons ce type d'interview, ils se plaignent et c'est le vrai problĂšme. VoilĂ pourquoi nous refusons des interviews. Mais cela ne constitue pas une raison suffisante pour ne pas les rĂ©aliserâ.
Je maintiens ma dĂ©claration. HonestReporting Canada est financĂ© par des milliardaires. En dĂ©cembre 2023, HonestReporting s'est vantĂ© d'avoir âmobilisĂ© les Canadiens dans le but dâenvoyer 50 000 lettres aux mĂ©diasâ. Le groupe a Ă©galement publiĂ© une sĂ©rie d'attaques contre des journalistes de CBC et d'autres mĂ©dias ayant rĂ©alisĂ© des reportages fiables sur la Palestine, et a crĂ©Ă© des modĂšles de courriels pour permettre Ă ses adeptes de se plaindre plus facilement aux mĂ©dias de certains journalistes.
D'autres groupes pro-israĂ©liens du mĂȘme acabit, comme le Committee for Accuracy in Middle East Reporting in America (CAMERA) et la Canary Mission, emploient des mĂ©thodes similaires pour tenter de rĂ©duire au silence les journalistes, les universitaires et les militants qui disent la vĂ©ritĂ© sur IsraĂ«l et la Palestine.
J'ai dit au directeur qu'il Ă©tait vraiment rĂ©vĂ©lateur de mâaccuser d'antisĂ©mitisme et de discrimination sur la base de propos que je n'ai pas tenus, au lieu de donner suite aux commentaires racistes entendus par des collĂšgues au sujet des Palestiniens, .
Banaliser le blanchiment des crimes de guerre
Lorsque j'ai remis ma dĂ©mission le 30 novembre, je me suis sentie soulagĂ©e de ne plus ĂȘtre complice de la fabrication du consentement Ă une guerre de vengeance gĂ©nocidaire.
MalgrĂ© cette expĂ©rience, je continue de croire en la nĂ©cessitĂ© pour le radiodiffuseur national d'agir dans l'intĂ©rĂȘt du public en prĂ©sentant des informations indĂ©pendantes des intĂ©rĂȘts du gouvernement et des entreprises, en exposant la vĂ©ritĂ© et en offrant un large Ă©ventail de points de vue.
Or, je considÚre que la chaßne CBC ne s'est pas acquittée de ces obligations en ce qui concerne sa couverture de la question israélo-palestinienne. à l'avenir, les historiens examineront les nombreuses façons dont CBC et le reste des médias grand public n'ont pas présenté la vérité sur ce génocide en cours et, ce faisant, ont probablement accéléré leur perte de crédibilité en tant que sources d'information fiables.
Avant de dĂ©missionner, j'ai soulevĂ© la question du âdeux poids deux mesuresâ Ă diffĂ©rents niveaux de la hiĂ©rarchie de CBC. Bien que certains membres de la direction se soient engagĂ©s Ă prendre mes prĂ©occupations au sĂ©rieux, la rĂ©ponse globale m'a déçue quant au fonctionnement de ce mĂ©dia public.
AprĂšs avoir lancĂ© un appel Ă mes collĂšgues Ă la mi-novembre, j'ai eu une conversation tĂ©lĂ©phonique avec un producteur en chef comprĂ©hensif. Il m'a dit qu'il ne pensait pas que les mots que j'avais prononcĂ©s lors de la rĂ©union compromettraient mes chances d'obtenir le poste permanent dont je rĂȘvais depuis longtemps. MalgrĂ© cette confirmation, j'Ă©tais certaine que je ne l'obtiendrais plus : je savais que jâavais franchi la ligne rouge en disant tout haut ce que beaucoup chez CBC pensent tout bas, mais ne peuvent pas exprimer ouvertement. En fait, je n'aurais pas parlĂ© si je n'avais pas dĂ©jĂ dĂ©cidĂ© de dĂ©missionner.
Enfant, je rĂȘvais d'abattre Hitler pour mettre fin Ă l'Holocauste. Je ne comprenais pas comment la plupart des Allemands avaient pu accepter cela. Puis, lorsque j'ai eu une vingtaine d'annĂ©es, des amis israĂ©liens antisionistes m'ont offert le livre d'Hannah Arendt, Eichmann Ă JĂ©rusalemâ, un livre sur la banalitĂ© du mal. J'ai beaucoup pensĂ© Ă ce tĂ©moignage lorsque j'ai essayĂ© de comprendre la complicitĂ© des mĂ©dias libĂ©raux dans la dissimulation de la rĂ©alitĂ© de ce qui se passe en Terre sainte. Comme l'a montrĂ© Hannah Arendt, les soutiens des gĂ©nocides ne sont pas fonciĂšrement mauvais, ce ne sont souvent que d'ennuyeux carriĂ©ristes.
Bien sĂ»r, si un certain nombre de journalistes confirmĂ©s de CBC se sont clairement engagĂ©s Ă dĂ©fendre IsraĂ«l quelles que soient ses agissements, de nombreux autres se contentent de suivre la voie la moins compliquĂ©e. La raretĂ© des emplois permanents Ă temps plein chez CBC, combinĂ©e aux menaces de coupes budgĂ©taires imminentes, ne font quâaggraver le problĂšme.
D'anciens collĂšgues me racontent encore que les briefings sont devenus des Ă©preuves de force. Certaines Ă©missions ne couvrent presque plus Gaza.
Ătre journaliste est un immense privilĂšge avec dâimmenses responsabilitĂ©s, surtout en temps de guerre. Vous sĂ©lectionnez les informations pour le public, vous dĂ©cidez des faits Ă inclure et de ceux Ă omettre, vous choisissez les points de vue Ă prĂ©senter et ceux Ă ignorer. Je pense qu'un bon journaliste doit ĂȘtre capable de porter un regard critique, non seulement sur l'actualitĂ©, mais aussi sur sa propre couverture de l'actualitĂ©. Si vous n'ĂȘtes pas en mesure de le faire, vous ne devriez pas exercer cette profession.
C'est à dessein que je n'ai pas donné d'informations sur mes anciens collÚgues qui permettraient de les identifier. En fin de compte, il ne s'agit ni d'eux ni de moi : le phénomÚne s'inscrit dans le contexte beaucoup plus large des salles de rédaction du pays et du monde occidental, et j'estime qu'il est de mon devoir moral de le dénoncer. Si je ne le faisais pas, je ne pourrais pas me regarder en face.
Tout comme je ne citerai pas le nom de mes collÚgues, j'écris ces lignes en utilisant un pseudonyme. Bien que les limites du discours autorisé continuent d'évoluer, les conséquences professionnelles pour les lanceurs d'alerte sur la question restent redoutables.
J'encourage mes collĂšgues journalistes qui refusent de participer au blanchiment des crimes de guerre, en particulier ceux qui bĂ©nĂ©ficient de la sĂ©curitĂ© de l'emploi, Ă discuter avec des collĂšgues partageant les mĂȘmes valeurs pour mener une action collective, Ă s'adresser Ă leur dĂ©lĂ©guĂ© syndical et Ă leur reprĂ©sentant, et Ă documenter les cas de discrimination dans leurs salles de rĂ©daction et Ă les partager avec d'autres reprĂ©sentants de l'industrie des mĂ©dias.
Cette expĂ©rience a Ă©tĂ© effrayante, mais je ne regrette pas de m'ĂȘtre exprimĂ©e. Mon seul regret est de ne pas en avoir parlĂ© plus tĂŽt.
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