đâđš La CIA en Ukraine dixit le NY Times en visite guidĂ©e
Entous & Schwirtz ne sont pas des journalistes, au mieux des commis de la classe dirigeante se faisant passer pour des journalistes diffusant des messages sur un site qui prĂ©tend ĂȘtre un journal.
đâđš La CIA en Ukraine dixit le NY Times en visite guidĂ©e
Par Patrick Lawrence / Original ScheerPost, le 3 mars 2024
Le New York Times a rĂ©cemment publiĂ© un article intitulĂ© âLa guerre des espions : comment la CIA aide secrĂštement l'Ukraine Ă combattre Poutineâ. Ces âsecretsâ ne contiennent que ce que la CIA âvoulait voir et ne pas voir divulguĂ©â, et que ce qui a Ă©tĂ© âeffectivement autorisĂ©â par l'agence.
Si vous avez prĂȘtĂ© attention Ă ce que divers sondages et responsables aux Ătats-Unis et ailleurs en Occident ont fait et dit au sujet de l'Ukraine ces derniers temps, vous ne connaissez que trop bien la mĂ©lodie et la voix du dĂ©sespoir. Vous seriez Ă©galement dĂ©sespĂ©rĂ© si vous dĂ©fendiez une guerre que les Ukrainiens sont sur le point de perdre et ne gagneront jamais, qu'ils soient sur le point de perdre ou non. De plus, vous voudriez que tous ceux qui sont conscients de la situation, y compris 70 % des AmĂ©ricains selon un rĂ©cent sondage, continuent d'investir des sommes extravagantes dans cette folie ruineuse.
Et voici ce qui me semble ĂȘtre la vraie source d'angoisse de ces desperados : aprĂšs avoir dĂ©peint cette guerre comme une confrontation universelle entre dĂ©mocrates et autoritaires du monde, ceux qui l'ont dĂ©clenchĂ©e et entendent la prolonger se sont mis eux-mĂȘmes dans le pĂ©trin. Ils sont incapables de perdre cette guerre. Ils nâarrivent pas Ă perdre une guerre qu'ils ne peuvent pas gagner : voilĂ ce que l'on voit et ce que l'on entend de la part de tous ceux qui, pour gagner de l'argent, essaient encore de nous persuader qu'une mauvaise guerre est une bonne guerre, et qu'il est juste d'y sacrifier inutilement des vies humaines et de l'argent.
Tout le monde doit agir pour cette cause en ces temps difficiles. Chuck Schumer s'est rendu à Kiev la semaine derniÚre pour essayer de montrer aux Républicains de la Chambre des représentants qu'ils devraient vraiment, vraiment autoriser le régime Biden à dépenser 61 milliards de dollars supplémentaires dans sa guerre par procuration avec la Russie.
âTous ceux que nous avons rencontrĂ©s, de Zelensky Ă la base, ont Ă©tĂ© trĂšs clairs sur ce pointâ, a affirmĂ© le sĂ©nateur dĂ©mocrate de New York lors d'une interview accordĂ©e au New York Times. âSi l'Ukraine reçoit de l'aide, elle gagnera la guerre et battra la Russie.â
MĂȘme Ă cette heure tardive, des gens ont encore le culot de dĂ©clarer de telles Ă©normitĂ©s.
Les dirigeants européens se sont réunis lundi à Paris pour se rassurer les uns les autres quant à leur unité derriÚre le régime de Kiev - et Emmanuel Macron a refusé d'exclure l'envoi de troupes terrestres de l'OTAN sur le front ukrainien.
âLa Russie ne peut pas et ne doit pas gagner cette guerreâ, a dĂ©clarĂ© le prĂ©sident français Ă ses hĂŽtes de l'ElysĂ©e.
Sauf qu'elle le peut et que, sauf coup de théùtre, elle la gagnera.
Ensuite, Jens Stoltenberg, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral belliciste de l'OTAN, a dĂ©clarĂ© la semaine derniĂšre sur Radio Free Europe/Radio Liberty que Kiev n'aurait aucun problĂšme Ă utiliser des F-16 pour attaquer les villes russes une fois qu'ils seront opĂ©rationnels, cet Ă©tĂ©. Les avions de combat de fabrication amĂ©ricaine, les munitions, l'argent - tout cela est essentiel âpour s'assurer que la Russie ne fasse pas de nouvelles avancĂ©esâ. Stephen Bryen, ancien sous-secrĂ©taire adjoint au ministĂšre de la DĂ©fense, a apportĂ© une excellente rĂ©ponse Ă cette question ce week-end dans sa lettre d'information Weapons and Strategy :
âRenvoyez Jens Stoltenberg avant qu'il ne soit trop tardâ.
C'est une bonne idĂ©e, mais Stoltenberg, le porteur d'eau de longue date de Washington Ă Bruxelles, sâacquitte simplement de la tĂąche qui lui a Ă©tĂ© confiĂ©e : entretenir l'illusion sur la puissance de Kiev et, avec elle, la russophobie, la plus primaire Ă©tant la meilleure. On ne se fait tout de mĂȘme pas virer pour une rhĂ©torique irresponsable susceptible de provoquer une situation proche de la TroisiĂšme Guerre mondiale.
Et que serait un blitz de propagande d'une telle ampleur et d'une telle bĂȘtise sans un article du New York Times ? Au vu de l'ampleur avec laquelle le Times a abandonnĂ© toute dĂ©ontologie au service du pouvoir dont il est censĂ© rendre compte, on se doutait bien qu'il se joindrait Ă l'aventure.
Ces derniĂšres semaines, le Times a publiĂ© de trĂšs nombreux articles sur la nĂ©cessitĂ© de poursuivre la guerre et sur l'urgence d'un vote de la Chambre des reprĂ©sentants autorisant les 61 milliards de dollars que les responsables de la sĂ©curitĂ© nationale de Joe Biden veulent envoyer Ă l'Ukraine. Mais qu'importent tous ces articles quotidiens. Dimanche dernier, le journal a sorti lâartillerie lourde. âThe Spy War : How the C.I.A. Secretly Helps Ukraine Fight Putinâ [La guerre des espions : comment la C.I.A. aide secrĂštement l'Ukraine Ă combattre Poutine] est un long pavĂ© illustrĂ© par de nombreuses photographies. Ces derniĂšres illustrent les dĂ©gĂąts habituels - voitures, immeubles d'habitation, fermes, chemin de terre enneigĂ© bordĂ© de mines antipersonnel. Mais l'histoire qui l'accompagne n'est pas ordinaire, elle.
Quelque part Ă Washington, quelqu'un semble avoir dĂ©cidĂ© qu'il Ă©tait temps de faire connaĂźtre la prĂ©sence et les programmes de la Central Intelligence Agency en Ukraine. Et quelqu'un Ă Langley, le siĂšge de la CIA, semble avoir dĂ©cidĂ© que ce serait une bonne chose, voire mĂȘme la meilleure chose Ă faire. Lorsque je parle de la prĂ©sence et des programmes de l'agence, je veux dire certains : nous n'avons qu'une image trĂšs partielle des activitĂ©s de la CIA en Ukraine, car les mensonges par omission - sans parler des mensonges par procuration - sont nombreux dans cet article. Mais ce que le Times a publiĂ© le week-end dernier, en 5 500 mots, nous en dit plus que ce qui avait Ă©tĂ© rendu public auparavant.
Examinons attentivement ce texte exceptionnellement long pour ce qu'il est, et comment il en est arrivé à faire la premiÚre page de l'édition de dimanche dernier.
Dans un article rĂ©cent, je me suis penchĂ© sur le pĂ©trin dans lequel le Times s'est fourrĂ© lorsqu'il a publiĂ© un rapport d'enquĂȘte totalement discrĂ©ditĂ© - et je laisse aux lecteurs le soin de comprendre les termes employĂ©s dans la salle de rĂ©daction - sur les violences sexuelles que les milices du Hamas auraient perpĂ©trĂ©es le 7 octobre dernier. J'ai dĂ©crit une relation corrompue mais routiniĂšre entre les organes du pouvoir officiel et les journalistes chargĂ©s dâen rendre compte, la comparant Ă l'alimentation des oies par un producteur de foie gras : les journalistes du Times ouvrent grand la bouche, et avalent. Pour sauver les apparences, ils se sont ensuite efforcĂ©s de prĂ©senter ce qu'ils avaient ingĂ©rĂ© comme un travail indĂ©pendant. La routine, quoi.
Il en va de mĂȘme, mais de maniĂšre encore plus marquĂ©e, avec ce long article sur les activitĂ©s de la CIA en Ukraine. Adam Entous et Michael Schwirtz racontent l'histoire - c'est le sous-titre - d'un âpartenariat secret avec l'Ukraine en matiĂšre de renseignement devenu essentiel pour les deux pays dans leur combat contre la Russieâ. Ils plantent le dĂ©cor dans un poste de surveillance et de communication souterrain de la CIA, que les services de renseignements ukrainiens ont appris Ă construire grĂące Ă elle sous les dĂ©combres d'un avant-poste de l'armĂ©e dĂ©truit par une attaque de missiles russes. Ils dĂ©crivent les nombreux lieux de ce type financĂ©s, conçus et Ă©quipĂ©s par la CIA, et qu'elle aide aujourd'hui Ă exploiter. Douze d'entre eux, notons-le, se trouvent le long de la frontiĂšre ukrainienne avec la Russie.
Entous et Schwirtz, il est temps de le mentionner, ne sont pas basĂ©s en Ukraine. Ils opĂšrent respectivement depuis Washington et New York. VoilĂ qui indique assez clairement la genĂšse de la âguerre de l'espionnageâ. Il n'y a pas eu ici de portes ouvertes enfoncĂ©es, ni de correspondants intrĂ©pides fouillant dans la boue et le froid de l'Ukraine, sans guide. La CIA a remis Ă ces deux journalistes des documents en fonction de ce qu'elle voulait ou ne voulait pas divulguer, et divers fonctionnaires associĂ©s Ă la CIA se sont mis Ă leur disposition en tant que âsourcesâ - aucune des sources amĂ©ricaines n'Ă©tant nommĂ©e, comme d'habitude.
Sommes-nous censĂ©s penser que ces journalistes ont trouvĂ© le bunker souterrain et toutes les autres installations de ce type grĂące Ă leur âenquĂȘteâ - un terme qu'ils ont le culot d'utiliser pour dĂ©crire ce qu'ils ont fait ? Et qu'ils ont ensuite Ă©laborĂ© une sorte de grand exposĂ© de tout ce que l'agence voulait garder cachĂ© ? C'est ça ?
Un pur simulacre, rien de plus. Entous et Schwirtz ont ouvert grand la bouche et ont Ă©tĂ© gavĂ©s. Rien ne semble dans leurs Ă©crits ne pas avoir Ă©tĂ© effectivement autorisĂ©, et nous pouvons probablement nous passer de lââeffectivementâ.
Il y a aussi la question des sources. Entous et Schwirtz affirment avoir menĂ© 200 entretiens pour rĂ©aliser cet article. Si c'est le cas, et je m'en tiendrai Ă mon âsiâ, il ne semble pas que ces entretiens aient Ă©tĂ© de trĂšs bonne qualitĂ© si l'on en croit l'article publiĂ©. Et quel que soit le nombre d'interviews rĂ©alisĂ©es, il s'agit toujours d'un article Ă source unique, Ă©tant donnĂ© que toutes les personnes citĂ©es reflĂštent le mĂȘme point de vue et renforcent ainsi, peu ou prou, ce que toutes les autres personnes citĂ©es ont Ă dĂ©clarer. Les sources semblent avoir Ă©tĂ© fournies Ă Entous et Schwirtz, tout comme l'accĂšs au bunker souterrain.
La trame narrative de l'article est intéressante. Il s'agit de la coopération bilatérale, incontournable, entre la CIA et les principaux services de renseignement ukrainiens - le SBU (l'agence d'espionnage nationale) et les services de renseignement militaire, connus sous le nom de HUR. En cela, l'article se lit comme des amours difficiles menant à une fin heureuse. Il a fallu beaucoup de temps aux Américains pour faire confiance aux Ukrainiens, car ils pensaient que le SBU était truffé d'agents doubles russes. Mais les espions ukrainiens les ont séduits avec des tonnes et des tonnes de renseignements qui semblent avoir étonné les gens de la CIA sur le terrain comme à Langley.
Il s'agit donc d'une histoire Ă double sens : les AmĂ©ricains ont aidĂ© les Ukrainiens Ă mettre au point leur technologie, leurs mĂ©thodes et leurs mĂ©thodes d'espionnage en gĂ©nĂ©ral, et les Ukrainiens se sont rendus indispensables aux AmĂ©ricains en leur fournissant des tonnes de renseignements bruts. Entous et Schwirtz dĂ©crivent cette symbiose comme âl'un des plus importants partenariats de Washington en matiĂšre de renseignement contre le Kremlin aujourd'huiâ. Voici ce qu'en dit un ancien fonctionnaire amĂ©ricain, citĂ© par le Times :
âLes relations se sont encore renforcĂ©es parce que les deux partenaires y voyaient une valeur ajoutĂ©e, et l'ambassade amĂ©ricaine Ă Kiev - notre antenne lĂ -bas, l'opĂ©ration en Ukraine - est devenue la meilleure source d'informations, de transmissions et de bien d'autres choses encore, sur la Russie. Nous ne pouvions pas nous en passer.â
En ce qui concerne les omissions et les procurations, certains aspects ont Ă©tĂ© omis dans ce document, certains Ă©vĂ©nements sont flous, certaines affirmations sont tout simplement fausses et prouvĂ©es comme telles. Ce qui m'Ă©tonne, c'est de voir Ă quel point Entous et Schwirtz remontent loin dans le temps pour dĂ©terrer toutes ces histoires - au point mĂȘme de se ridiculiser et de nous rappeler la perte dramatique de crĂ©dibilitĂ© du Times depuis la vague de russophobie survenue il y a une dizaine d'annĂ©es.
Entous et Schwirtz commencent leur rĂ©cit de l'alliance CIA-SBU/HUR en 2014, lorsque les Ătats-Unis ont organisĂ© le coup d'Ătat Ă Kiev qui a propulsĂ© le rĂ©gime actuel au pouvoir et finalement conduit Ă l'intervention militaire de la Russie. Mais aucune mention du rĂŽle des Ătats-Unis dans ce coup d'Ătat. Ils Ă©crivent :
âLe partenariat de la CIA en Ukraine remonte Ă deux appels tĂ©lĂ©phoniques dans la nuit du 24 fĂ©vrier 2014, huit ans jour pour jour avant l'invasion massive de la Russieâ.
C'est bien, c'est concis, mais absolument faux. Le coup d'Ătat a commencĂ© trois jours plus tĂŽt, le 21 fĂ©vrier, et comme Vladimir Poutine l'a rappelĂ© Ă Tucker Carlson lors de son interview du 6 fĂ©vrier avec le prĂ©sident russe, c'est la CIA qui en a effectuĂ© les prĂ©paratifs.
Je voue une tendresse particuliĂšre Ă cette phrase :
âLes Ukrainiens ont Ă©galement aidĂ© les AmĂ©ricains Ă poursuivre les agents russes qui se sont immiscĂ©s dans l'Ă©lection prĂ©sidentielle amĂ©ricaine de 2016â,
disent Entous et Schwirtz. Et plus loin dans l'article, ceci :
âLors d'une opĂ©ration conjointe, une Ă©quipe du HUR a dupĂ© un officier du service de renseignement militaire russe pour qu'il fournisse des informations qui ont permis Ă la C.I.A. de relier le gouvernement russe au groupe de pirates informatiques Fancy Bear, liĂ© Ă des tentatives d'ingĂ©rence Ă©lectorale dans un certain nombre de pays.â
Merveilleux. Extravagante nostalgie de cet intĂ©rim crĂ©pusculaire amorcĂ© il y a huit ans, lorsque rien ne devait ĂȘtre vrai tant et aussi longtemps que cela expliquait pourquoi Hillary Clinton a perdu contre Donald Trump, et pourquoi Donald Trump est le numĂ©ro 1 parmi les âdĂ©plorablesâ de l'AmĂ©rique.
Je n'ai jamais vu de preuves de l'ingĂ©rence du gouvernement russe dans les Ă©lections d'un autre pays, y compris celles de l'AmĂ©rique en 2016, et je dirai avec certitude que vous non plus. Tout ce qui a Ă©tĂ© associĂ© Ă la fable du Russiagate, Ă commencer par le piratage des courriers du Parti dĂ©mocrate, qui n'a jamais eu lieu, s'est avĂ©rĂ© ĂȘtre depuis longtemps un tissu d'inepties concoctĂ© de toutes piĂšces. Quant Ă âFancy Bearâ et son cousin âCozy Bearâ - des monologues trĂšs certainement concoctĂ©s au cours d'un long et amusant dĂ©jeuner Ă Langley - pour la Ă©niĂšme fois, il ne s'agit pas de groupes de pirates informatiques ou de toute autre sorte d'ĂȘtres humains : ce sont des ensembles d'outils numĂ©riques mis Ă la disposition de tous ceux qui veulent les utiliser.
Bùclé, fastidieux. Mais à des fins bien précises. Pourquoi donc ? Quel est l'objectif du Times en publiant cet article ?
En toute logique, nous pouvons citer d'abord le désespoir évident de ceux qui se consacrent à prolonger la guerre. L'issue de la guerre, selon moi et selon divers analystes militaires, ne dépend pas des 61 milliards de dollars d'aide aujourd'hui en jeu. Mais le régime Biden semble penser que c'est le cas, ou fait semblant de le croire. L'intention la plus immédiate du Times, pour autant que l'on puisse en juger d'aprÚs l'article, est de conférer à cette question le degré d'urgence voulu.
Entous et Schwirtz rapportent que les responsables des services de renseignement ukrainiens craignent que la CIA ne les abandonne sans que la Chambre des reprĂ©sentants ne vote l'octroi de nouveaux fonds. Certes, invoquer la nervositĂ© des Ukrainiens est une chose, mais il faut reconnaĂźtre qu'il s'agit lĂ d'un malentendu. La CIA dispose d'un budget trĂšs important, totalement indĂ©pendant de ce que le CongrĂšs vote ici ou lĂ . William Burns, le directeur de la CIA, s'est rendu Ă Kiev il y a deux semaines pour rassurer ses homologues sur la âprolongation de l'engagement des Ătats-Unisâ, comme le disent Entous et Schwirtz. C'est parfaitement vrai, Ă supposer que Burns ait fait rĂ©fĂ©rence Ă l'engagement de l'agence.
Plus gĂ©nĂ©ralement, l'article du Times a Ă©tĂ© publiĂ© alors que l'enthousiasme pour le projet ukrainien Ă©tait au plus bas. C'est dans ce contexte qu'Entous et Schwirtz ont longuement insistĂ© sur les avantages que la CIA retire de sa prĂ©sence sur le terrain en Ukraine. Mais lisez attentivement ces deux journalistes : eux, ou ceux qui ont donnĂ© Ă leur article sa forme dĂ©finitive, indiquent clairement que les opĂ©rations de l'agence sur le sol ukrainien constituent avant tout une contribution Ă la longue campagne de Washington visant Ă affaiblir la FĂ©dĂ©ration de Russie. Il ne s'agit pas de dĂ©mocratie ukrainienne, pure invention des propagandistes nĂ©olibĂ©raux. Il s'agit de la deuxiĂšme guerre froide, purement et simplement. Il est temps de dĂ©poussiĂ©rer la bonne vieille russophobie, d'oĂč toutes les balivernes sur les Russes qui corrompent les Ă©lections, etc. Rien de tout cela n'est gratuit.
Pour rassembler ces considĂ©rations et les rĂ©sumer, cet article n'est pas du journalisme, et ne doit pas ĂȘtre lu comme tel. Entous et Schwirtz ne sont pas non plus des journalistes. Ce sont des commis de la classe dirigeante qui se font passer pour des journalistes en diffusant des messages sur un site d'affichage qui se fait passer pour un journal.
â
Plaçons cet article dans son contexte historique, et examinons les implications de sa parution dans le journal de référence aujourd'hui en faillite. Pensons au début des années 1970, lorsqu'on a commencé à se rendre compte que la CIA avait compromis les médias et les radiodiffuseurs américains.
Jack Anderson, chroniqueur admirablement iconoclaste, a levĂ© le voile sur l'infiltration des mĂ©dias par l'agence en mentionnant briĂšvement un correspondant corrompu en 1973. Un an plus tard, un ancien correspondant du Los Angeles Times, Stuart Loory, publiait dans la Columbia Journalism Review la premiĂšre Ă©tude approfondie des relations entre la CIA et les mĂ©dias. Puis, en 1976, la Commission Church a ouvert ses fameuses auditions au SĂ©nat. Cette Commission s'est penchĂ©e sur toutes sortes de malversations de l'agence - assassinats, coups d'Ătat, opĂ©rations secrĂštes illĂ©gales. Son objectif Ă©tait Ă©galement de mettre fin Ă l'utilisation abusive des mĂ©dias amĂ©ricains par l'agence, et de rĂ©tablir l'indĂ©pendance et l'intĂ©gritĂ© de ces derniers.
On se souvient encore largement des rĂ©sultats obtenus par la Commission Church, qui n'est jamais pas parvenue Ă ses fins. Un an aprĂšs la publication du rapport en six volumes de la Commission, Rolling Stone a publiĂ© âLa CIA et les mĂ©diasâ, l'article bien connu de Carl Bernstein. Bernstein est allĂ© beaucoup plus loin que la Commission Church, en dĂ©montrant qu'elle a prĂ©fĂ©rĂ© limiter les intrusions de la CIA dans les mĂ©dias plutĂŽt qu'y mettre un terme. Face Ă la perspective de forcer la CIA Ă rompre tous ses liens secrets avec les mĂ©dias, un sĂ©nateur que Bernstein n'a pas nommĂ© a dĂ©clarĂ© :
âNous n'Ă©tions tout simplement pas prĂȘts Ă franchir cette Ă©tapeâ.
Nous devrions lire l'article du Times sur la légitimité des activités de la CIA en Ukraine - en gardant à l'esprit la coopération évidente entre l'agence et le journal.
L'AmĂ©rique Ă©mergeait Ă peine des dĂ©shonneurs de la pĂ©riode maccarthyste lorsque Stuart Loory a abordĂ© cette question, que la Commission Church s'est rĂ©unie et que Carl Bernstein a comblĂ© les lacunes. Au sein de la profession et ailleurs, les relations secrĂštes entre mĂ©dias et espions ont suscitĂ© le dĂ©goĂ»t. Qu'en est-il aujourd'hui ? Ce qui Ă©tait alors considĂ©rĂ© comme rĂ©prĂ©hensible de bout en bout est aujourd'hui ordinaire. C'est âla routineâ. Selon moi, c'est l'une des nombreuses consĂ©quences des annĂ©es du Russiagate : elles ont Ă nouveau plongĂ© les AmĂ©ricains et leurs grands mĂ©dias dans la mĂȘme paranoĂŻa que celle qui a engendrĂ© la corruption des annĂ©es 1950 et 1960.
HĂ©las, les cicatrices laissĂ©es par cet engouement nommĂ© âRussiagateâ sont nombreuses et profondes.
* Patrick Lawrence, correspondant Ă l'Ă©tranger pendant de nombreuses annĂ©es, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique des mĂ©dias, essayiste, auteur et confĂ©rencier. Son nouveau livre, âJournalists and Their Shadowsâ, vient d'ĂȘtre publiĂ© par Clarity Press. Son site web est Patrick Lawrence.