đâđš La CIA en Ukraine, du point de vue d'un ancien de l'agence
La CIA a formé un commando d'élite ukrainien. C'est ce que la CIA est censée faire & dans le cas contraire, je suggÚre une action collective pour que les Américain récupÚrent l'argent de leurs impÎts.
đâđš La CIA en Ukraine, du point de vue d'un ancien de l'agence
Par John Kiriakou / Original ScheerPost, le 3 mars 2024
Le New York Times a-t-il publiĂ© son article âLa guerre des espions : comment la CIA aide secrĂštement l'Ukraine Ă combattre Poutineâ pour rĂ©vĂ©ler des secrets gouvernementaux dans l'intĂ©rĂȘt du public ? Ou Ă©tait-ce pour convaincre les AmĂ©ricains que âces rĂ©seaux de renseignement sont plus importants que jamaisâ ?
Le 25 fĂ©vrier, le New York Times a publiĂ© un article âexplosifâ sur ce qui est censĂ© ĂȘtre l'histoire de la CIA en Ukraine, depuis le coup d'Ătat de Maidan en 2014 jusqu'Ă nos jours. L'article, intitulĂ© âThe Spy War : How the CIA Secretly Helps Ukraine Fight Putinâ [La guerre des espions : comment la CIA aide secrĂštement l'Ukraine Ă lutter contre Poutine], fait Ă©tat d'une mĂ©fiance bilatĂ©rale prĂ©alable, mais d'une peur et d'une haine mutuelles de la Russie, qui Ă©volue vers une relation si intime que l'Ukraine figure dĂ©sormais parmi les partenaires les plus proches de la CIA en matiĂšre de renseignement dans le monde.
Dans le mĂȘme temps, la publication par le Times de l'article, dont les journalistes affirment qu'il s'appuie sur plus de 200 entretiens en Ukraine, aux Ătats-Unis et dans âplusieurs pays europĂ©ensâ, soulĂšve de nombreuses questions : pourquoi la CIA ne s'est-elle pas opposĂ©e Ă la publication de l'article, d'autant qu'il s'agit de l'un des mĂ©dias favoris de l'Agence ? Lorsque la CIA s'adresse Ă un journal pour se plaindre des informations classifiĂ©es qu'il contient, l'article est presque toujours supprimĂ© ou sĂ©vĂšrement Ă©ditĂ©. Les Ă©diteurs de journaux sont des patriotes, aprĂšs tout. N'est-ce pas ?
L'article a-t-il Ă©tĂ© publiĂ© parce que la CIA voulait que l'information soit diffusĂ©e ? L'article avait-il surtout pour but d'influencer les dĂ©libĂ©rations budgĂ©taires du CongrĂšs sur l'aide Ă l'Ukraine ? L'article avait-il pour objectif de vanter les mĂ©rites de la CIA ? Ou s'agissait-il d'avertir les parlementaires : âRegardez tout ce que nous avons accompli pour faire face Ă l'ours russe. Vous ne laisseriez pas tout cela se perdre, n'est-ce pas ?â
L'article du Times prĂ©sente toutes les caractĂ©ristiques de l'examen approfondi, de l'intĂ©rieur, d'un sujet sensible - peut-ĂȘtre classifiĂ©. Il va en profondeur sur l'un des Saint des Saints de la communautĂ© du renseignement, une opĂ©ration de liaison, un sujet qu'aucun officier de renseignement n'est jamais censĂ© aborder. Mais en fin de compte, ce n'est pas si sensible que cela. Elle ne nous apprend rien que les AmĂ©ricains n'aient dĂ©jĂ supposĂ©. Nous ne l'avions peut-ĂȘtre pas encore vu Ă©crit, mais nous Ă©tions tous convaincus que la CIA aidait l'Ukraine Ă lutter contre les Russes. Nous savions dĂ©jĂ que la CIA avait des âpions sur le terrainâ en Ukraine, et que le gouvernement amĂ©ricain entraĂźnait les forces spĂ©ciales ukrainiennes et les pilotes ukrainiens, donc rien de bien neuf sur ce point.
L'article entre un peu plus dans le détail, mais, là encore, sans rien fournir qui puisse mettre en danger les sources et les méthodes. On y apprend par exemple que
Un poste d'Ă©coute de la CIA se trouve dans la forĂȘt le long de la frontiĂšre russe. Il s'agit de l'une des douze bases âsecrĂštesâ des Ătats-Unis dans cette rĂ©gion. Un ou plusieurs de ces postes ont contribuĂ© Ă prouver l'implication de la Russie dans l'abattage du vol 17 de la Malaysia Airlines en 2014. VoilĂ qui est trĂšs bien. Mais cette rĂ©vĂ©lation ne dĂ©voile aucun secret et ne nous apprend rien de nouveau.
Les agents de renseignement ukrainiens ont aidĂ© les AmĂ©ricains Ă âpoursuivreâ les agents russes âs'Ă©tant immiscĂ©s dans l'Ă©lection prĂ©sidentielle amĂ©ricaine de 2016â. J'ai un scoop pour le New York Times : le rapport Mueller a conclu qu'il n'y avait pas eu d'ingĂ©rence significative de la Russie dans l'Ă©lection de 2016. Et que signifie âpoursuivreâ ?
Ă partir de 2016, la CIA a formĂ© un âcommando d'Ă©lite ukrainien connu sous le nom d'UnitĂ© 2245, qui a capturĂ© des drones russes et du matĂ©riel de communication afin que les techniciens de la CIA puissent les dĂ©sosser et craquer les systĂšmes de cryptage de Moscou.â C'est exactement ce que la CIA est censĂ©e faire. HonnĂȘtement, si la CIA n'avait pas fait cela, j'aurais suggĂ©rĂ© une action collective pour que le peuple amĂ©ricain rĂ©cupĂšre l'argent de ses impĂŽts. D'ailleurs, la CIA fait ce genre de choses depuis des dĂ©cennies. Dans les annĂ©es 1970, elle a pu obtenir d'importants composants d'armes tactiques soviĂ©tiques auprĂšs de la Roumanie, pourtant ostensiblement pro-soviĂ©tique.
L'Ukraine est devenue un centre de collecte de renseignements qui a interceptĂ© plus de communications russes que la station de la CIA Ă Kiev ne pouvait initialement en traiter. Encore une fois, je n'en attendais pas moins. AprĂšs tout, c'est lĂ que se dĂ©roule la guerre. Il va donc de soi que les communications y sont interceptĂ©es. Quant au fait que la station de la CIA Ă©tait dĂ©passĂ©e, le Times ne nous dit pas si câest dĂ» au fait que la station Ă©tait gĂ©rĂ©e par un seul homme Ă l'Ă©poque, ou si elle comptait des milliers d'employĂ©s et Ă©tait quand mĂȘme dĂ©bordĂ©e. Question de proportion.
Et si vous ne pensiez pas que la CIA et le gouvernement amĂ©ricain Ă©taient passĂ©s Ă l'offensive en Ukraine, l'article indique clairement que âM. Poutine et ses conseillers ont mal interprĂ©tĂ© une dynamique essentielle. La CIA ne s'est pas imposĂ©e en Ukraine. Les responsables amĂ©ricains Ă©taient souvent rĂ©ticents Ă s'engager pleinement, craignant que les responsables ukrainiens ne soient pas dignes de confiance et soucieux de ne pas provoquer le Kremlinâ.
C'est Ă ce moment de l'article que le Times rĂ©vĂšle ce que je pense ĂȘtre la piste cachĂ©e :
âAujourd'hui, ces rĂ©seaux de renseignement sont plus importants que jamais, car la Russie mĂšne l'offensive et l'Ukraine dĂ©pend davantage du sabotage et des frappes de missiles Ă longue portĂ©e qui requiĂšrent des espions loin derriĂšre les lignes ennemies. Et ils sont de plus en plus menacĂ©s : Si les rĂ©publicains du CongrĂšs mettent fin au financement militaire de Kiev, la CIA pourrait ĂȘtre amenĂ©e Ă rĂ©duire ses activitĂ©sâ (c'est moi qui souligne).
C'est la différence entre un article dans les médias grand public qui prétend constituer une percée dans le domaine de la sécurité nationale, et la révélation d'un lanceur d'alerte en Sécurité nationale. Dans le premier cas, il y a coopération de la part d'officiers de renseignement en exercice et, parfois, de décideurs politiques, tous anonymes. La communauté du renseignement ne fait apparemment aucun effort pour étouffer l'article ou en atténuer l'impact. (AprÚs tout, cela leur assure une bonne image ). Aucun secret n'est révélé. Et la fin de l'article propose une leçon de politique générale : Financez plus de guerres ou les méchants gagneront. Faites-nous confiance. Si vous saviez ce que nous savons...
Quand les révélations ne sont pas autorisées, le directeur de la CIA appelle directement l'éditeur du journal pour protester contre le risque de mise en danger de la vie des Américains, ou des opérations en cours et de grave atteinte à la sécurité nationale, que cela soit vrai ou non. Si l'éditeur refuse de retirer l'article, il peut alors s'attendre à recevoir un appel du conseiller à la Sécurité nationale. Tout cela est trÚs officiel et menaçant, ce qui est exactement le but recherché.
L'une des raisons pour lesquelles je pense que l'article du Times a Ă©tĂ© âautorisĂ©â par la communautĂ© du renseignement rĂ©side dans ce qui n'y figure pas. Il ne mentionne pas, par exemple, que les Nations unies ont considĂ©rĂ© l'Ukraine comme l'un des pays les plus corrompus au monde, oĂč l'argent semble tout simplement disparaĂźtre sur des comptes Ă©trangers et dans les poches des fonctionnaires ukrainiens. Il ne mentionne pas que l'Ukraine est devenue un vaste âsupermarchĂ©â pour les armes vendues au marchĂ© noir, et que des armes occidentales destinĂ©es Ă l'effort de guerre ont Ă©tĂ© retrouvĂ©es partout dans le monde. Il n'est pas non plus question de la responsabilitĂ© de la CIA et du dĂ©partement d'Ătat dans le renversement du gouvernement ukrainien en 2014, une action qui a entraĂźnĂ© la dĂ©cision de la Russie d'envahir le pays huit ans plus tard.
Je connais bien la CIA. J'y ai passĂ© 15 ans, tant dans le domaine de l'analyse que dans celui des opĂ©rations antiterroristes. Je sais comment les dirigeants de la CIA pensent, comment ils repoussent les limites juridiques et Ă©thiques jusqu'Ă ce que quelqu'un en position d'autoritĂ© leur dise âstop !â J'ai assistĂ© Ă des rĂ©unions au cours desquelles des dĂ©cisions telles que celles mentionnĂ©es dans l'article du New York Times ont Ă©tĂ© prises. J'ai participĂ© Ă des sĂ©ances de stratĂ©gie au cours desquelles des agents de la CIA se sont efforcĂ©s de manipuler la politique et les politiques.
La conclusion est simple. Ne les croyez pas. Ne croyez ni la CIA ni le New York Times. Il est rare que ces grandes questions internationales soient si simples et si facilement classĂ©es entre les bons et les mĂ©chants. La vie devrait ĂȘtre aussi simple. Il y a des annĂ©es, alors que mes fils aĂźnĂ©s Ă©taient encore des petits garçons, je les ai emmenĂ©s au Madison Square Garden pour assister Ă un spectacle de catch professionnel de la WWE [World Wrestling Entertainment, entreprise amĂ©ricaine spĂ©cialisĂ©e dans l'organisation d'Ă©vĂ©nements]. Au bout d'une demi-heure, j'ai demandĂ© Ă mon fils de neuf ans :
âLĂ , je ne comprends plus rien. Qui est le gentil et qui est le mĂ©chant ?â Il m'a rĂ©pondu : âJustement, papa, il n'y a pas de gentilâ.
C'est exactement ce que nous voyons en Ukraine. Ne laissez pas le New York Times vous convaincre du contraire.
* John Kiriakou est un ancien agent de la CIA chargĂ© de la lutte contre le terrorisme et un ancien enquĂȘteur principal de la commission sĂ©natoriale des affaires Ă©trangĂšres. John est devenu le sixiĂšme lanceur dâalerte inculpĂ© par l'administration Obama en vertu de lâEspionage Act, une loi conçue pour punir les dissidents. Il a purgĂ© 23 mois de prison pour avoir tentĂ© de s'opposer au programme de torture de l'administration Bush.