👁🗨 La Cisjordanie, une bombe à retardement
Face aux extrémistes juifs déchaînés protégés par l'armée, les USA, seuls dans ce conflit dans le rôle de nurse à plein temps, auront du mal à contenir une explosion sismique imminente en Cisjordanie.
👁🗨 La Cisjordanie, une bombe à retardement
Par le correspondant de The Cradle au Liban, le 15 janvier 2024
Parallèlement à l'assaut militaire contre Gaza, les partis religieux extrémistes de la coalition gouvernementale israélienne ont saisi une opportunité stratégique après l'opération “Al-Aqsa Flood” pour lancer un programme de déplacement systématique en Cisjordanie occupée.
Cette politique insidieuse a été facilitée par plusieurs facteurs, notamment l'escalade de la violence des colons après le 7 octobre, la montée de la pression politique sur le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le contrôle qu'exercent les colons extrémistes sur la coalition au pouvoir en Israël et sur les principales institutions gouvernementales, en particulier le ministère des Finances.
À titre d'exemple, près de 250 millions de dollars du budget national réservé aux dépenses de guerre en décembre 2023 ont été affectés par le ministre radical des Finances israélien, Bezalel Smotrich, à des projets de colonisation en Cisjordanie.
Immédiatement après son annonce, l'UE a critiqué les dispositions du budget révisé relatives au financement des colonies, arguant à juste titre que l'expansion des colonies israéliennes illégales et le déplacement forcé des Palestiniens nuisent à la sécurité en Cisjordanie occupée et ne rendront pas Israël plus sûr.
La guerre silencieuse contre la Cisjordanie
En réponse, Tel-Aviv a considérablement resserré son emprise sur les Palestiniens de Cisjordanie. Il a notamment empêché les travailleurs palestiniens de travailler en Israël et le ministre des Finances a refusé de transférer à l'Autorité palestinienne (AP) les fonds de compensation palestiniens destinés à payer les salaires des travailleurs de Gaza.
Sur le plan militaire, Israël a lancé une campagne intensive en Cisjordanie depuis le 7 octobre, entraînant la mort de centaines de personnes et l'arrestation de plus de 6 000 Palestiniens. Les actes de violence, les déplacements forcés de civils et les attaques de colons armés - facilités par les transferts d'armes du ministre extrémiste israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir - ont connu une escalade spectaculaire dans l'ensemble du territoire occupé.
M. Ben Gvir, qui représente l'agenda caché des partis nationalistes et religieux au sein du gouvernement de coalition, s’est servi des événements d'“Al-Aqsa Flood” pour déplacer 25 communautés bédouines palestiniennes, dont 266 familles dans les contreforts orientaux près de Ramallah et dans la vallée du Jourdain.
Cette année déjà, sous la pression de ses alliés extrémistes, M. Netanyahou a interrompu les démolitions d'avant-postes juifs illégaux en Cisjordanie, allant ainsi à l'encontre des recommandations du ministre de la Défense, M. Yoav Galant, qui tente d'apaiser les tensions en Cisjordanie alors que le conflit fait rage sur les fronts nord et sud d'Israël.
Début janvier, Smotrich et Ben Gvir ont publiquement appelé au déplacement des habitants de Gaza pour permettre le retour des colons sionistes dans la bande de Gaza, pour la première fois depuis leur expulsion en 2005. Leurs commentaires incendiaires ont provoqué une nouvelle fracture avec l'administration américaine de Joe Biden, qui a vivement critiqué la rhétorique “incendiaire et irresponsable” de Tel-Aviv.
La mission de Blinken à Ramallah
La récente visite du secrétaire d'État américain Antony Blinken au président de l'Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, n'était pas principalement axée sur des discussions d'après-guerre concernant Gaza, comme Washington l'a largement suggéré, mais sur la nécessité d'éviter un embrasement de la Cisjordanie.
Les territoires palestiniens occupés représentent aujourd'hui une bombe à retardement susceptible d’exploser à tout moment, à la suite de n'importe quel incident, mineur ou majeur, compromettant les tentatives désespérées des États-Unis de désamorcer et de gérer l'escalade militaire aux frontières du Liban.
L'objectif principal de Blinken était de faire pression sur l'Autorité palestinienne, qui gouverne la Cisjordanie, afin d'empêcher et d'étouffer tout soulèvement populaire palestinien qui pourrait mener à un troisième front du conflit contre Tel-Aviv.
La semaine dernière, les autorités militaires et de sécurité israéliennes ont intensifié leurs avertissements aux membres du cabinet, exhortant M. Netanyahu à désamorcer les tensions afin d'éviter une troisième intifada, que l'armée israélienne pourrait avoir du mal à contenir alors qu'elle est fortement accaparée par Gaza, le Liban et l'impact économique significatif du blocus maritime du Yémen.
Les États-Unis et Israël pas sur la même longueur d'onde
Les États-Unis sont confrontés à un calendrier très serré alors qu'ils se préparent aux prochaines élections présidentielles. Malgré ses efforts pour trouver des solutions temporaires aux troubles régionaux provoqués par la guerre de Tel-Aviv contre Gaza, Washington ne cesse de s'enliser dans le bourbier de l'Asie occidentale, en raison des récentes frappes aériennes contre le Yémen.
Ce qui tracasse le plus la Maison Blanche, c'est que son allié israélien ne semble pas se préoccuper de ce dilemme américain, Netanyahou étant bien plus concentré sur son avenir politique personnel et sur l'agenda radical de ses partenaires de coalition - un agenda non conforme aux intérêts globaux des États-Unis.
Malgré les avertissements persistants concernant la situation explosive en Cisjordanie, le premier ministre israélien refuse de faire pression sur ses alliés, craignant leurs menaces répétées d'abandonner son gouvernement de coalition.
Les États-Unis ne peuvent se permettre une escalade militaire en Cisjordanie en raison des répercussions majeures possibles sur leurs propositions d'après-guerre pour Gaza et sur leur échiquier politique national. L'AP, aujourd'hui profondément impopulaire parmi ses propres électeurs palestiniens, est également une composante cruciale des projets américains en Asie occidentale, dont beaucoup se recoupent avec divers agendas régionaux.
Depuis le début de la guerre actuelle, les États-Unis ont cherché à impliquer l'AP dans la réhabilitation politique de Gaza après la guerre, en accord avec plusieurs pays arabes et occidentaux, en tant qu'étape préliminaire à la reprise des négociations pour une solution à deux États entre Israël et la Palestine.
La voie vers une “paix juste” est devenue l’élément clé des discussions entre Washington et Riyad, qui insiste pour que les Israéliens prennent des mesures tangibles en faveur d'une solution à deux États avant d'envisager une normalisation complète avec Tel-Aviv.
Alors que l'option de deux États, toujours illusoire, était initialement une considération secondaire dans les pourparlers de normalisation, l'assaut militaire brutal et sans précédent d'Israël contre Gaza, au cours duquel plus de 22 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, ont été tuées, est devenu une préoccupation centrale pour l'Arabie saoudite.
Riyad a ses propres motivations, tant sur le plan intérieur qu'extérieur, et adhère fermement à la voie des deux États. Le mécontentement croissant aux États-Unis concernant la gestion de la crise régionale par M. Biden incite la Maison Blanche à faire une percée diplomatique en Asie occidentale afin de s'assurer des gains électoraux. Toutefois, les récents sondages, qui ne manqueront pas d'être exacerbés par les frappes non provoquées de la semaine dernière au Yémen, continuent d'indiquer le mécontentement des électeurs américains (57 %) à l'égard de la gestion de la politique de l'Asie occidentale de M. Biden.
L'avenir incertain de l'AP
Pour compliquer encore les choses, l'establishment militaire israélien soutenu par les États-Unis ne fait pas les mêmes calculs que le gouvernement de Netanyahou qu'il sert. L'armée vise à démobiliser les réservistes et à passer à un niveau d'agression moins violent et plus ciblé à Gaza, s'alignant ainsi sur les conseils des États-Unis, tout en se préparant à une escalade israélienne au Liban.
On ignore beaucoup de la coordination en cours entre l'armée israélienne et le Pentagone - quant à leur volonté de saper les objectifs et les tactiques de Tel-Aviv - si cette coordination ne se résume pas à une préoccupation commune, qui est de voir le gouvernement israélien de droite privilégier les intérêts personnels au détriment des considérations stratégiques.
Mais éviter une conflagration en Cisjordanie est une préoccupation majeure pour les deux parties, ce qui explique la priorité accordée à cette question lors de la visite de M. Blinken à M. Abbas et de sa diplomatie informelle avec les Saoudiens. La menace d'une escalade en Cisjordanie a également servi de levier aux États-Unis pour arracher au gouvernement Netanyahou le versement de fonds destinés à l'apurement des comptes palestiniens. La clé des efforts de la Maison Blanche est de faire de l'AP, faible et inefficace, son principal partenaire palestinien pour l'avenir, et de la présenter comme une alternative sûre au Hamas et aux autres factions de la résistance à Gaza.
Depuis le 7 octobre, l'AP a cherché une protection politique en s'alignant étroitement sur les positions de l'Égypte et de la Jordanie, qui mettent en garde Israël et ses alliés contre les déplacements de population dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Il en résulte des engagements accrus entre Ramallah, Le Caire et Amman, un choix qui convient parfaitement à l'agenda de Washington.
Cependant, rien de tout cela n'occulte le fait qu'une AP impopulaire, s'appuyant sur les facilitateurs américains de la destruction de Gaza, aujourd'hui totalement méprisés, cherche à évincer une résistance palestinienne populaire, tandis qu'elle ne parvient pas à gérer les multiples fronts de guerre, avec un gouvernement israélien insensible aux demandes ou aux supplications des États-Unis.
Washington n'a pas été en mesure d'apporter une solution palestinienne au cours des décennies qui ont suivi la signature des accords d'Oslo, alors que peut-il envisager aujourd'hui ? Les riches États arabes ne souhaitent pas assumer la charge de l'Autorité palestinienne, alors que même les États-Unis parviennent à peine à la maintenir à flot. Même le dirigeant des Émirats arabes unis, Mohammad bin Zayed, responsable des accords d'Abraham avec Israël, a dit à Netanyahou d'aller demander de l'argent à Zelensky lorsque le Premier ministre israélien est venu quémander de l'argent pour soutenir l'Autorité palestinienne.
Les solutions de fortune ne sont jamais que temporaires. Il suffit de peu de choses pour que leur efficacité soit réduite à néant. Alors que les colons religieux se déchaînent en Cisjordanie, grâce au gouvernement de Netanyahou, les États-Unis joueront seuls le rôle de nurse à plein temps, dans un vain effort pour soigner chaque bobo. Tout cela pourrait bien imploser au moindre petit incident.
https://new.thecradle.co/articles/the-west-bank-is-a-ticking-time-bomb