👁🗨 La “coalition des ploutocrates” de Trump marginalise-t-elle Israël ?
Trump semble peu disposé à prendre les décisions pour mettre fin au génocide & assurant la prospérité au Moyen-Orient & aux USA. Seul résultat concret : la construction d'une Trump Tower à Dubaï.
👁🗨 La “coalition des ploutocrates” de Trump marginalise-t-elle Israël ?
Par Juan Cole, le 30 mai 2025
On a peut-être (ou peut-être pas) demandé un jour à Willie Sutton, criminel en série au parcours haut en couleur, pourquoi il braquait des banques. “Parce que c'est là qu'il y a de l'argent”, aurait-il répondu. Un principe similaire pourrait expliquer le premier voyage à l'étranger du président Donald J. Trump depuis le début de son second mandat, et pas chez les alliés traditionnels des États-Unis en Europe. Il s'est plutôt rendu dans les capitales des potentats hydrocarbures du Golfe, l'Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis. Dans les palais royaux de ces pays, il a été accueilli en grande pompe et s'est vu offrir des centaines de milliards de dollars d'investissements dans des entreprises américaines, ainsi que des opportunités pour la Trump Organization. Le Qatar a même suscité la controverse en lui offrant un Boeing 747-8 d'une valeur de 400 millions de dollars qui servira de futur Air Force One.
La publicité a été royale, tout montrant que Trump n’a pas rendu une visite pourtant prévue à Netanyahu et son gouvernement extrémiste.
Mais Israël a été mis à l'écart et pris au dépourvu par les déclarations de Trump. À la veille de son voyage, le président a surpris les Israéliens en annonçant brusquement la fin de sa campagne de bombardements (coûteuse et infructueuse) contre les Houthis du Yémen. Les dirigeants israéliens ont ensuite dû écouter Trump proclamer que les États-Unis “n'ont pas de partenaire plus solide” que l'Arabie saoudite, avec laquelle il a négocié un contrat d'armement américain de 142 milliards de dollars. Les Émirats arabes unis disposent d'un fonds souverain de 2 200 milliards de dollars, tandis que celui de l'Arabie saoudite s'élève à 1 100 milliards de dollars et que le dirigeant de ce pays, le prince héritier Mohammad ben Salmane, en a déjà déposé 2 milliards dans la société d'investissement de Jared Kushner, le gendre de Trump. Le fonds souverain du Qatar s'élève à 526 milliards de dollars. Et ces sommes n'incluent même pas les vastes réserves de devises de ces pays, générées par la vente de pétrole et de gaz fossile.
Et au cours de cet unique voyage de plusieurs jours, le président Trump a réussi à réorienter la politique américaine au Moyen-Orient pour la centrer sur – et oui, cela mérite d'être écrit en majuscules ! – un Axe des Ploutocrates, ces cheikhs du Golfe qui utilisent leurs fortunes colossales pour remodeler la région, de la Libye au Soudan, de l'Égypte à la Syrie, et qui guettent avidement de nouvelles opportunités d'investissement dans des domaines tels que l'industrie émergente de l'intelligence artificielle.
La Syrie : Un contexte très lourd
Et pendant son voyage, Trump a révélé que le président turc Tayyip Erdogan et le prince saoudien bin Salman l'ont bel et bien convaincu de lever les sanctions américaines contre la Syrie, une mesure à laquelle s'opposent fermement les Israéliens. Alors qu'il se trouvait dans la capitale saoudienne, Riyad, il a même tenu une rencontre surprise avec le président syrien extrémiste Ahmad al-Shara, autrefois été à la tête d'une organisation affiliée à Al-Qaïda. Interrogé sur les objections des Israéliens à cette décision, Trump a répondu : “Je ne sais pas. Je ne leur ai pas posé la question”. En fait, Associated Press a rapporté que lors d'une réunion avec Trump en avril, Netanyahu l'a expressément supplié de ne pas lever ces sanctions contre la Syrie, car il craignait que le nouveau gouvernement fondamentaliste de ce pays ne finisse par lancer une attaque contre Israël.
Trump semble avoir été totalement insensible à la supplique de Netanyahu. Après avoir rencontré al-Shara à Riyad, le président a résumé ainsi son opinion sur cet ancien guérillero et soutien de l'islam salafiste radical :
“Un jeune type séduisant. Un dur. Un passé lourd. Un passé très lourd. Un combattant”.
Concernant la reconnaissance du nouveau gouvernement de Damas et de la levée des sanctions imposées par le Congrès, Trump a déclaré :
“C'est maintenant leur heure de gloire... Ce qui m'amène à dire : ‘Bonne chance, la Syrie. Montrez-nous ce que vous savez faire’”.
Al-Shara affirme vouloir entretenir de bonnes relations avec tous les voisins de son pays et être ouvert à la paix avec Israël.
On ne le devinerait pas à la rhétorique enflammée de Netanyahu, mais durant la guerre civile syrienne de la dernière décennie, Israël a effectivement apporté une aide médicale au Front de soutien (Jabhat al-Nusra) fondé et dirigé par al-Shara lorsqu'il combattait le régime de Bachar al-Assad. Le groupe d'al-Shara ayant régulièrement persécuté la minorité druze hétérodoxe en Syrie, cette décision a scandalisé les Druzes d'Israël, dont certains membres ont même attaqué une ambulance qui transportait un rebelle syrien blessé vers un hôpital israélien, tandis que les dirigeants du groupe font pression sur Netanyahu pour qu'il cesse d'aider le groupe lié à Al-Qaïda.
Les récentes suggestions de Netanyahu à Trump selon lesquelles al-Shara, qui contrôle désormais une grande partie de la Syrie, représente une menace pour Israël, sont donc tout à fait hypocrites. De plus, c'est tout le contraire qui se passe. Dès le succès de la révolution à Damas, Netanyahu a ordonné une orgie de destruction, bombardant des navires dans le port syrien de Lattaquié et des installations militaires à travers tout le pays, laissant la Syrie pratiquement sans défense. Les troupes israéliennes ont ensuite envahi la Syrie, occupant de vastes portions de son territoire et prenant le contrôle d'un barrage qui fournit à la Syrie 40 % de son eau. Bezalel Smotrich, membre d'extrême droite du cabinet israélien, a alors promis que la guerre d'expansion menée par Israël sur plusieurs fronts ne prendrait fin que lorsque la Syrie serait – on ne pourrait le dire plus clairement – “démantelée”.
Aujourd'hui, les analystes israéliens craignent non seulement le retour en force de la Syrie, mais aussi qu’Erdogan, grâce à l'influence qu'il exerce sur Trump en matière de politique syrienne, ne soit encouragé à poursuivre ses ambitions. Après tout, la Turquie a soutenu le groupe rebelle qui a pris le pouvoir et est son principal soutien international. Des avions de combat turcs opèrent déjà dans l'espace aérien nord de la Syrie, et la tentative d'Israël d'établir son hégémonie sur les régions du sud est compromise par les revendications turques selon lesquelles, depuis l'époque ottomane, la Syrie a toujours fait partie de sa sphère d'influence.
Iran : pas de retombées nucléaires
Trump a également écarté Netanyahu durant son voyage en continuant à faire pression pour conclure un nouvel accord nucléaire avec l'Iran. Ses hôtes arabes du Golfe ont manifesté un enthousiasme collégial pour les pourparlers en cours, et Trump a révélé que le dirigeant du Qatar, Tamim Bin Hamad Al Thani, l'a effectivement poussé à engager des discussions directes avec l'Iran. Les monarchies arabes du Golfe craignent d'être prises entre deux feux dans une future guerre américano-israélienne avec l'Iran. Les dirigeants du Qatar et des autres États du Golfe craignent que les retombées (trop concrètes) de toute frappe aérienne contre des installations nucléaires enrichies en Iran ne se répercutent sur leurs populations, affectant leur approvisionnement en eau. Trump a tenté de rassurer ses hôtes en affirmant qu'“il n'y aura pas de retombées nucléaires en Iran”, ajoutant qu'il souhaite d'abord tenter des négociations dans l'espoir d'éviter une telle issue.
Les deux administrations Trump et Biden ont vu Washington inciter les États arabes du Golfe à reconnaître Israël, à commercer avec lui et à former une alliance militaire contre l'Iran. Jared Kushner avait déjà convaincu les petits pays du Golfe que sont les Émirats arabes unis et Bahreïn de signer les accords d'Abraham avec Israël le 15 septembre 2020.
Cependant, Kushner et le président Biden n'ont pas réussi à convaincre l'Arabie saoudite. Le prince héritier Mohammed ben Salmane s'est opposé à une guerre avec l'Iran, en particulier après l'attaque dévastatrice perpétrée en 2019 par ce pays ou l'un de ses mandataires contre la raffinerie d'Abqaiq, qui a mis en évidence la vulnérabilité de Riyad. Il n'est donc pas surprenant qu'en mars 2023, le ministre saoudien des Affaires étrangères ait rejoint son homologue iranien à Pékin, où les deux pays ont rétabli leurs relations diplomatiques et entamé des pourparlers de désescalade.
Lorsque Israël a lancé sa guerre totale contre la population de Gaza en octobre 2023, ben Salmane pouvait difficilement signer les accords d'Abraham. Dans la région, on aurait pu croire que le prince Mohammed ben Salmane contribue à la destruction des Arabes palestiniens tout en prenant pour cible l'Iran, l'un des rares États encore favorables à la cause palestinienne. Contrairement au Bahreïn et aux Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite compte une population considérable, quelque 19 millions d'habitants, et le gouvernement doit nécessairement tenir compte de son opinion, d'autant que le sang des Saoudiens bout littéralement face aux atrocités commises quotidiennement par Israël à Gaza. L'année dernière, le bureau de ben Salmane a laissé entendre à Politico que reconnaître les Israéliens dans de telles circonstances risque de lui coûter la vie, et il a insisté sur la nécessité d'un État palestinien indépendant (ce qui a semblé calmer Washington sur ce sujet).
De plus, Trump semble avoir développé la même fascination que Barack Obama pour “l'ouverture” de l'Iran, à la manière dont Richard Nixon avait autrefois contribué à l’“ouverture” de la Chine. Rien, bien sûr, ne pourrait être plus malvenu à Tel-Aviv. Netanyahu a à plusieurs reprises menacé d'attaquer les installations civiles d'enrichissement d'uranium de l'Iran (bien que les agences du renseignement occidental ne croient pas au programme d'armement nucléaire iranien). Lors d'une réunion en avril, Trump a informé Netanyahu tenter des négociations avant que quiconque n'attaque l'Iran et a ostensiblement remis au Premier ministre un exemplaire de son livre The Art of the Deal.
Le Qatar : un rôle fondamental
Si le Qatar a convaincu Trump de négocier avec l'Iran, c'est le cheikh Tamim qui a remporté une manche importante dans la course à l'influence auprès du président américain. Cette victoire s'inscrit dans le prolongement du rôle régional de longue date de Doha en tant que médiateur en cherchant des solutions pacifiques aux conflits. Et la montée en puissance de l'influence Qatari est un nouveau coup dur pour Netanyahu, qui a tenté de marginaliser le géant gazier du Golfe alors même qu'il était ravi de bénéficier de ses services.
Depuis l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023, certains éléments du gouvernement israélien et leurs soutiens ont tenté de faire porter la responsabilité de cette attaque sanglante sur le Qatar, accusé de soutenir et de financer le Hamas. Ces allégations sont stupéfiantes de malhonnêteté et servent de diversion pour masquer le véritable protecteur (en quelque sorte) du Hamas, Netanyahu lui-même. Elles avaient toutefois pour objectif précis de faire du Qatar un paria régional, stratagème jusqu'à présent en échec.
L’arrivée au pouvoir par les urnes à Gaza en 2006 du mouvement du Hamas - et qu’il s’y soit maintenu - a été perçu par Netanyahu comme une bénédiction. Les tensions entre le Hamas à Gaza et l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) en Cisjordanie ont divisé les Palestiniens sur le plan politique. Netanyahu a exploité cette rivalité pour empêcher la création d'un État pour les cinq millions de Palestiniens apatrides vivant sous occupation israélienne. Il a imposé de sévères restrictions à l'importation et à l'exportation à Gaza, mais a par ailleurs laissé le Hamas diriger la bande de Gaza comme son propre territoire. Les tirs de roquettes occasionnels du Hamas (qui ont rarement causé de réels dégâts) sont le prix que Netanyahu était alors prêt à payer. Il a chargé un proche collaborateur de servir d'intermédiaire pour les transferts d'argent du Qatar et de l'Égypte vers Gaza pour l'aide civile et l'administration. À partir de 2021, l'Égypte et le Qatar ont déposé les fonds d'aide destinés à la reconstruction civile de Gaza sur un compte bancaire israélien, puis Israël les a transférés aux Gazaouis.
En effet, Bibi Netanyahu était autrefois le contrôleur financier de Gaza. De plus, en 2011-2012, l'administration Obama a demandé au Qatar d'accueillir des membres du bureau politique civil du Hamas afin qu'ils puissent participer à des négociations indirectes avec les États-Unis et Israël. Cependant, la faveur accordée par le Qatar à Washington et Tel-Aviv allait s'avérer lourde de conséquences pour sa diplomatie. En 2018, l'émir du Qatar, le cheikh Tamim, a été si frustré par le Hamas qu'il a décidé d'expulser ses responsables et de cesser d'envoyer de l'aide à Gaza. Terrifié à l'idée que son approche “diviser pour régner” à l'égard des Palestiniens puisse être compromise, Netanyahu a frénétiquement envoyé le chef des services du renseignement israéliens, le Mossad, au Qatar pour supplier l'émir de maintenir l'accord.
En 2020, The Times of Israel a révélé que le chef du Mossad, Yossi Cohen, a écrit une lettre à Tamim au sujet des transferts de fonds à Gaza, dans laquelle il déclarait :
“Cette aide a sans aucun doute joué un rôle fondamental dans l'amélioration constante de la situation humanitaire dans la bande de Gaza et dans la garantie de la stabilité et de la sécurité dans la région”.
Selon l’article, d'autres responsables du gouvernement israélien ont continué à envoyer des messages similaires jusqu'en 2023. La tentative ultérieure du gouvernement Netanyahu de rejeter la responsabilité de sa politique honteuse à Gaza sur le Qatar n'a guère convaincu les observateurs avertis.
Quant à la récente visite de Trump, le génocide israélien à Gaza semble être la seule question sur laquelle les dirigeants du Golfe n'ont guère progressé. Après une table ronde avec des chefs d'entreprise qataris, le président a déclaré à propos de Gaza : “Laissez les États-Unis s'impliquer et en faire une zone de liberté”. Ces remarques, totalement déconnectées de la réalité, n'ont pas permis de savoir s'il était toujours en accord avec Netanyahu sur le projet de nettoyage ethnique de la bande de Gaza, que personne dans le Golfe arabe n'est prêt à accepter. Quoi qu'il en soit, selon des sources bien informées, Trump serait frustré que Netanyahu ne “mette pas un terme” à l'offensive, mais le président n'a pas non plus exercé de pression suffisante pour l'en empêcher.
Un revirement radical
Le voyage de Trump a marqué un revirement radical avec la version néoconservatrice de la politique américaine au Moyen-Orient. À l'époque du président George W. Bush, certains responsables ont souvent affirmé qu'Israël était le seul partenaire démocratique fiable de Washington au Moyen-Orient, et que la politique dans la région devait être organisée autour de cette réalité. Bien entendu, ils banalisaient le sort des Palestiniens, affirmant en 2002 que la paix ne reviendrait dans la région qu'après le renversement du gouvernement irakien de Saddam Hussein. Ils ont progressivement développé un discours destiné à imposer la version de la démocratie de Washington aux régimes du Moyen-Orient, au besoin par les armes. Ils ont soit marginalisé les régimes arabes, soit cherché à les effrayer pour les pousser à s'allier à Israël. Leur objectif ultime était alors une guerre contre l'Iran pour renverser son gouvernement.
“Tout le monde veut aller à Bagdad. Mais les vrais hommes veulent aller à Téhéran”,
proclamaient-ils dans un effarent mélange de machisme et de chauvinisme puéril.
Le régime de Trump n'est bien sûr pas exempt de virilité toxique ni d'un hypernationalisme simpliste. Cependant, contrairement à Bush et aux néoconservateurs, le 47e président ne semble pas intéressé par la poursuite de longues guerres étrangères usantes auxquelles s’oppose sa base. Il faut toutefois le considérer, au moins pour partie, comme le Trump d'Arabie. Bien sûr, son intérêt premier consiste à s'enrichir et à accroître la fortune de ses riches soutiens dans cette région. Si Israël fait obstacle à la conclusion d'accords avec les ploutocrates du Golfe, il pourrait devenir un obstacle que Trump jugera trop gênant. Jusqu'à présent, cependant, le président semble peu disposé à prendre les décisions difficiles qui s'imposent pour mettre fin au génocide et mettre le Moyen-Orient et les États-Unis sur la voie de la prospérité, nous laissant tous dans l'incertitude, avec pour seul résultat la construction d'une nouvelle Trump Tower à Dubaï.
Traduit par Spirit of Free Speech
https://www.juancole.com/2025/05/trumps-plutocrats-marginalizing.html