đâđš La CPI peut-elle coffrer les criminels de guerre israĂ©liens ?
Si le processus est mené à bien, la CPI se retrouvera dans une posture inédite pour redessiner les contours de la justice internationale & contraindre les criminels de guerre à répondre de leurs actes
đâđš La CPI peut-elle coffrer les criminels de guerre israĂ©liens ?
Par Stasa Salacanin, le 21 juin 2024
La requĂȘte hardie par la CPI de mandats d'arrĂȘt Ă l'encontre de dirigeants israĂ©liens alliĂ©s de l'Occident pourrait redĂ©finir la justice internationale. MĂȘme si Netanyahou et Co ne sont pas mis derriĂšre les barreaux, âleur monde ira en s'amenuisantâ.
L'annonce par le procureur de la Cour pĂ©nale internationale (CPI), le 20 mai, de l'Ă©mission de mandats d'arrĂȘt Ă l'encontre de cinq dirigeants d'IsraĂ«l et du Hamas a immĂ©diatement dĂ©clenchĂ© un dĂ©luge de commentaires et d'opinions dans le monde entier.
Cette initiative juridique reprĂ©sente une Ă©tape sans prĂ©cĂ©dent dans les relations internationales, puisque c'est la premiĂšre fois que des dirigeants d'un Ătat alliĂ© de l'Occident sont accusĂ©s de crimes de guerre et de crimes contre l'humanitĂ©.
Selon le procureur général de la CPI, Karim Khan, il existe des arguments raisonnables pour affirmer que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre de la défense Yoav Gallant sont pénalement responsables de famine, de meurtres, d'attaques intentionnelles contre des civils, d'extermination et de persécution, entre autres crimes. Comme l'explique Khan :
â[Ces crimes ont Ă©tĂ© commis dans le cadre d'une attaque massive et systĂ©matique contre la population civile palestinienne, conformĂ©ment Ă la politique de l'Ătat. Nous estimons que ces crimes se poursuivent encore aujourd'hui.â
M. Khan a Ă©galement requis des mandats d'arrĂȘt contre Yahya Sinwar, chef du Hamas Ă Gaza, Mohammed Deif, chef de l'aile militaire du Hamas, et Ismail Haniyeh, chef politique du groupe.
Principaux effets des sanctions de la CPI
La CPI, créée en 2002 en tant que cour permanente de dernier recours chargĂ©e de poursuivre des individus pour crimes de guerre, crimes contre l'humanitĂ©, gĂ©nocide et crime d'agression, compte 124 Ătats parties. Toutefois, la Cour s'appuie sur la coopĂ©ration de ses Ătats membres pour faire appliquer la loi, une collaboration qui n'est pas assurĂ©e par des Ătats influents tels que les Ătats-Unis, la Russie, la Chine et IsraĂ«l, lesquels ne reconnaissent pas la compĂ©tence de la Cour.
L'Ă©mission de mandats d'arrĂȘt Ă l'encontre des principaux dirigeants israĂ©liens risque donc de gĂ©nĂ©rer un degrĂ© de complexitĂ© politique et logistique sans prĂ©cĂ©dent, les alliĂ©s occidentaux de Tel-Aviv s'Ă©tant ingĂ©niĂ©s Ă y faire obstacle.
Susan Akram, directrice de la School of Lawâs International Human Rights Clinic de l'UniversitĂ© de Boston, souligne que le procureur de la CPI doit d'abord rĂ©pondre Ă de nombreuses questions juridiques afin de fournir des Ă©lĂ©ments de preuve aux juges de la phase prĂ©liminaire. Le calendrier de leurs dĂ©libĂ©rations et de leurs dĂ©cisions sur les demandes de mandats d'arrĂȘt n'est pas encore arrĂȘtĂ©.
Kenneth Roth, ancien directeur exĂ©cutif de Human Rights Watch et professeur invitĂ© Ă la School of Public and International Affairs de Princeton, souligne le principal impact des mandats d'arrĂȘt de la CPI, s'ils sont dĂ©livrĂ©s comme prĂ©vu. M. Netanyahu et M. Gallant ne pourraient se rendre dans aucun des 124 Ătats membres de la CPI, car ils risqueraient d'ĂȘtre arrĂȘtĂ©s et remis Ă La Haye pour y ĂȘtre jugĂ©s.
âLeur monde va soudain considĂ©rablement se restreindreâ, dĂ©clare-t-il Ă The Cradle, ajoutant qu'il espĂšre que âles gouvernements rĂ©flĂ©chiront Ă deux fois avant de leur livrer davantage d'armes, sachant qu'ils auront Ă©tĂ© formellement accusĂ©s de les utiliser pour commettre des crimes de guerre, et qu'ils essaieront vraisemblablement de ne pas rĂ©pondre Ă ces accusations devant un tribunalâ.
Gentian Zyberi, professeur de droit international et de droits de l'homme au Norwegian Centre for Human Rights de l'université d'Oslo, note que la CPI pourrait imposer d'autres sanctions, telles que la saisie de fonds et de biens à l'étranger en vue d'accorder des réparations aux victimes.
âUne des consĂ©quences politiques la plus importante serait l'atteinte Ă leur lĂ©gitimitĂ© en tant que dirigeants politiques une fois que la CPI aura confirmĂ© les accusationsâ, prĂ©vient-il.
D'un point de vue plus rĂ©aliste, cependant, certains Ătats pourraient refuser de livrer M. Netanyahu, en invoquant son statut de chef de gouvernement et donc son immunitĂ© sur leur territoire, affirme le professeur John Quigley de l'universitĂ© de l'Ătat de l'Ohio. Bien que la CPI ne respecte pas cette immunitĂ©, le droit international n'a pas rĂ©solu la question de maniĂšre concluante. Il ajoute :
âEn ce qui concerne les sanctions, il ne saurait ĂȘtre question d'une quelconque sanction avant une condamnation. La peine type est l'emprisonnement. Une amende peut Ă©galement ĂȘtre imposĂ©e. Si la personne possĂšde des biens dans un Ătat partie au statut de Rome, la CPI pourrait ĂȘtre amenĂ©e Ă les saisir.â
La CPI menacĂ©e par les Ătats-Unis et IsraĂ«l
L'Ă©mission potentielle de ces mandats a suscitĂ© des rĂ©actions mitigĂ©es Ă l'Ă©chelle mondiale. Si plusieurs Ătats de l'UE, dont la France, la Belgique, la SlovĂ©nie, l'Irlande et l'Espagne, ont rĂ©agi positivement, les Ătats-Unis et IsraĂ«l ont, comme on pouvait s'y attendre, rĂ©agi avec virulence.
Le prĂ©sident amĂ©ricain Joe Biden, par exemple, a exprimĂ© son indignation devant la requĂȘte conjointe du tribunal de dĂ©livrer des mandats d'arrĂȘt Ă l'encontre des dirigeants d'IsraĂ«l et du Hamas, accusĂ©s d'avoir commis des crimes analogues :
âQuoi que ce procureur puisse laisser entendre, il n'y a pas d'Ă©quivalence - aucune - entre IsraĂ«l et le Hamasâ. M. Biden a Ă©galement niĂ© catĂ©goriquement l'existence d'un gĂ©nocide Ă Gaza : âCe qui se passe n'est pas un gĂ©nocide. Nous rĂ©futons cette thĂšseâ, a-t-il dĂ©clarĂ© lors d'un discours Ă la Maison Blanche.
De son cĂŽtĂ©, le secrĂ©taire d'Ătat amĂ©ricain Anthony Blinken a dĂ©clarĂ© que la Cour n'avait pas compĂ©tence sur les agissements d'IsraĂ«l et remettait en cause âla lĂ©gitimitĂ© et la crĂ©dibilitĂ© de cette enquĂȘteâ. Mais la chambre prĂ©liminaire de la CPI a dĂ©jĂ rejetĂ© cet argument, en se fondant sur le vote Ă©crasant de l'AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies accordant Ă la Palestine le statut d'âĂtat observateur non membreâ.
Washington affirme en outre que le procureur de la CPI aurait dĂ» s'en remettre aux auto-enquĂȘtes israĂ©liennes en vertu de ce que l'on appelle le principe de complĂ©mentaritĂ©. Mais M. Roth rĂ©fute totalement l'idĂ©e qu'IsraĂ«l soit Ă mĂȘme d'enquĂȘter objectivement sur ses propres crimes de guerre :
âIsraĂ«l a annoncĂ© mener 70 enquĂȘtes, mais aucune sur la stratĂ©gie de famine qui est au cĆur de l'affaire actuelle de la CPI.â
En outre, M. Roth souligne qu'âIsraĂ«l n'a jamais poursuivi de hauts fonctionnaires pour crimes de guerreâ et qu'il est peu probable qu'il le fasse de sitĂŽt, si l'on en croit la rĂ©ponse mĂ©prisante de M. Netanyahou en rĂ©ponse Ă la CPI, qualifiant M. Khan d'âantisĂ©miteâ.
Sanctionner la justice
Entre-temps, la Chambre des reprĂ©sentants des Ătats-Unis a adoptĂ© une loi visant Ă sanctionner la Cour pour avoir requis des mandats d'arrĂȘt Ă l'encontre de hauts dirigeants israĂ©liens. Cette loi doit maintenant ĂȘtre approuvĂ©e par le SĂ©nat amĂ©ricain. Le texte cherche Ă sanctionner ceux qui ont âparticipĂ© directement ou aidĂ© d'une autre maniĂšreâ la CPI Ă poursuivre des AmĂ©ricains ou des citoyens de pays alliĂ©s des Ătats-Unis qui ne reconnaissent pas la CPI, y compris IsraĂ«l.
L'intĂ©rĂȘt principal de Washington Ă restreindre la portĂ©e de la CPI est la crainte que la Cour ne focalise son attention et son autoritĂ© juridique sur les troupes et les fonctionnaires amĂ©ricains engagĂ©s dans des agressions et des opĂ©rations militaires illĂ©gales Ă travers le monde.
Ce n'est pas la premiĂšre fois que Washington et Tel-Aviv menacent la CPI et le bureau du procureur spĂ©cial. Le professeur Akram rappelle que l'ancien prĂ©sident Donald Trump a Ă©mis un ordre exĂ©cutoire gelant les comptes amĂ©ricains de l'ancienne procureure spĂ©ciale Fatou Bensouda et des membres de son personnel et leur refusant des visas d'entrĂ©e aux Ătats-Unis pour se prĂ©senter au siĂšge des Nations unies Ă New York.
Un rĂ©cent rapport d'enquĂȘte du Guardian a rĂ©vĂ©lĂ© qu'IsraĂ«l a menĂ© une campagne de harcĂšlement et de menaces contre Bensouda et sa famille pendant 10 ans, au cours de laquelle ses agences de renseignement ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©es
âpour surveiller, pirater, faire pression, salir et prĂ©tendument menacer le personnel de haut niveau de la CPI dans le but de faire capoter les enquĂȘtes de la Courâ.
Mais, comme l'affirme Zyberi, sanctionner la CPI ou son personnel pour avoir enquĂȘtĂ© sur la situation en Palestine viole le Statut de la CPI, en interfĂ©rant avec l'administration de la justice, et donc - en soi - justifie des sanctions au titre de l'article 70.
Quigley soutient que la rĂ©action de Washington tĂ©moigne d'un vĂ©ritable mĂ©pris pour l'Ătat de droit : il soutient la CPI contre ses adversaires, mais la dĂ©nonce lorsque ses amis sont pris pour cible. Cette ambiguĂŻtĂ© a Ă©tĂ© soulignĂ©e par le procureur Khan lors d'une interview accordĂ©e Ă CNN, lorsqu'il a rĂ©vĂ©lĂ© un aveu Ă©tonnant de la part d'un haut dirigeant :
âCette Cour [la CPI] est faite pour l'Afrique et pour des voyous comme Poutineâ.
Pour M. Akram, que la CPI se soit intĂ©ressĂ©e dans le passĂ© aux auteurs africains et des Balkans revient Ă ignorer les crimes des puissances occidentales, par exemple ceux commis par les Ătats-Unis et le Royaume-Uni en Irak et en Afghanistan. Elle estime que les poursuites engagĂ©es contre Netanyahu et Gallant mettent Ă l'Ă©preuve la crĂ©dibilitĂ© actuelle de la Cour, tandis que M. Roth voit dans les mandats d'arrĂȘt potentiels la preuve que mĂȘme des dirigeants puissants peuvent ĂȘtre tenus pour responsables en vertu de la loi.
Si le processus lancé par Khan est mené à bien, la CPI se retrouvera dans une posture inédite pour redessiner les frontiÚres de la justice internationale et faire en sorte que les criminels de guerre - indépendamment de leur nationalité, de leur race ou de leur religion - aient à répondre de leurs actes. Nous nous rapprocherions ainsi davantage du droit international et pourrions rompre avec l'Úre de l'impunité menée par l'Occident.
https://thecradle.co/articles/israeli-war-criminals-can-the-icc-lock-them-up


