👁🗨 La création au service de la dissidence : l’art de la solidarité derrière l’écran
L'objectif : la solidarité. Voir la famille de Julian & les militants persévérer m'a motivé. La vie de Julian, sa liberté & les principes porteurs de cette lutte ont été source de motivation constante
👁🗨 La création au service de la dissidence : l’art de la solidarité derrière l’écran
Par Assange Archives, le 23 avril 2025
Entretien avec Bean, le créateur de nombreux visuels librement utilisables pour les rassemblements en faveur de Julian Assange à travers le monde, sur la création au service de la justice et la perpétuation du message.
Avant la libération de Julian en 2024, c'est la persévérance des gens ordinaires qui a porté son histoire pendant les années les plus sombres, de l'ambassade d'Équateur à la prison de Belmarsh. L'un des moteurs de cette lutte en coulisses a été Bean, un designer qui a transformé son studio à domicile en imprimerie pour la résistance. Ses graphismes simples et percutants sont devenus le fer de lance des rassemblements, des manifestations et des messages à travers le monde, tous librement accessibles à tous.
Nous avons échangé avec Bean sur le langage visuel de la dissidence, son lien personnel avec l'affaire Assange et ce que signifie créer de l'art non pas pour être reconnu, mais pour avoir un impact.
★ Vous souvenez-vous du moment ou de l'histoire qui vous a fait vous intéresser à l'affaire Julian Assange ? Qu'est-ce qui vous a poussé à dire “Je dois agir” ?
C'est en fait WikiLeaks qui a attiré mon attention. En 2009, j'ai vu une vidéo dans laquelle Julian expliquait son projet, et je me suis dit : “Voilà un projet qui pourrait vraiment faire bouger les choses et apporter un véritable changement”. Comme l'a expliqué Yanis Varoufakis :
“L'idée consiste à utiliser la technologie de Big Brother pour créer un grand miroir numérique capable de lui renvoyer son image, afin que nous puissions le voir nous observer, un peu comme si l'on tournait le miroir vers le visage de la Méduse”.
À l'époque, je suivais une formation de deux ans en graphisme pour mettre à jour mes compétences, et je ne savais pas trop où cela allait me mener. Lorsque Julian a commencé à faire l'objet d'une persécution acharnée, j'ai ressenti le besoin d'agir. J'ai donc commencé à créer des supports pour le soutenir et à les partager gratuitement en ligne. C'était pour moi une façon de contribuer, non pas à travers des discours ou des batailles juridiques dans lesquelles d'autres s'étaient déjà engagés avec brio, mais à travers des visuels et des messages que tout le monde pouvait utiliser partout.
★ Quelle a été votre approche initiale lorsque vous avez commencé à créer des graphiques pour le mouvement ?
Je suis resté sobre et pratique. L'objectif était toujours de créer des supports faciles à utiliser et à imprimer rapidement : des affiches, des pancartes, des autocollants, des banderoles, des choses que les gens pouvaient imprimer chez eux ou emporter dans la rue. Je me suis efforcé de rester clair et cohérent : des caractères marquants, des couleurs vives, des messages simples. Je voulais créer un langage visuel que les gens reconnaîtraient immédiatement, peu importe l'endroit où il apparaît. J'ai commencé à développer des infographies pour transmettre des informations souvent complexes et verbeuses sous une forme facilement assimilable.
★ Vous soutenez la campagne depuis des années. À quoi ressemblait une “journée de campagne” pour vous durant cette période ?
Cela dépendait vraiment des événements : une audience au tribunal, un rassemblement, une grande journée d'action. En début de journée, je commençais par vérifier si quelqu'un avait besoin de nouvelles affiches, de traductions ou de quelque chose de personnalisé pour un événement local. Parfois, je travaillais sur un nouveau design ou je modifiais simplement ce que nous avions déjà. Le budget était toujours très limité, mais cela me semblait crucial. Même lorsque les médias n’ont pas couvert la campagne, celle-ci continuait, tout comme mon travail. Elle a développé sa propre dynamique, et c'est ce qui m'a permis de continuer.
★ Quelles émotions ou idées avez-vous essayé de mettre en avant dans vos créations ? Vouliez-vous que les gens ressentent quelque chose de particulier en brandissant l'une de vos affiches lors des rassemblements ou en voyant une banderole dans la rue ?
Je voulais avant tout mettre en avant la solidarité. L'idée étant de ne pas se sentir seul dans le combat pour Julian. Mais il ne s'agissait pas seulement du sort d'un individu, cela touchait à des questions plus larges comme la justice, la liberté de la presse et le droit à l'information.
J'ai volontairement utilisé un langage visuel fort et sobre. J'ai évité tout ce qui était trop dramatique ou abstrait. L'objectif a toujours été la clarté : quand on voyait l'affiche, on savait exactement ce qui était revendiqué.
★ Votre travail est devenu l'identité visuelle du mouvement “Free Julian Assange”. Auriez-vous imaginé qu'il aurait une telle portée, qu'il serait utilisé dans tant de villes à travers le monde ?
Pas du tout. Au début, je voulais juste créer quelque chose qui puisse être utile.
Puis j'ai commencé à voir les designs apparaître partout en Australie, aux États-Unis, en Europe, en Amérique latine, et même en Afghanistan. C'est là que j'ai réalisé à quel point les visuels partagés peuvent être efficaces. Ils peuvent aider à créer un sentiment d'appartenance par-delà les frontières.
La cohérence de certains éléments centraux, comme les couleurs, la police et le message, a contribué à renforcer le message. Mais il y avait aussi une grande diversité de styles, qui reflétait la diversité politique et géographique du mouvement. La plupart des groupes et des personnes qui ont utilisé ces supports étaient autonomes et les adaptaient à leur propre contexte, à leur langue et à leurs traditions visuelles. C'est cette combinaison d'unité et de diversité qui a donné sa force à la campagne.
★ Travailler sur une affaire pendant plus de dix ans doit être très éprouvant. Y a-t-il eu des moments de découragement ? Avez-vous douté de l'impact de votre travail ? Qu'est-ce qui vous a motivé à continuer ?
Oui, il y a eu des moments où j'avais vraiment l'impression que tout empirait.
La procédure d'extradition semblait interminable, la couverture médiatique était souvent trompeuse ou inexistante, et on avait facilement l'impression que nos efforts étaient vains. Mais ensuite, je voyais un nouveau groupe de soutien apparaître dans un autre pays, ou quelqu'un me disait à quel point les affiches avait été utiles lors d'un événement, ou à quel point c'était impressionnant de voir passer un panneau d'affichage mobile. Cela m'a toujours rappelé que l'objectif était d'instaurer une solidarité à long terme. Voir les gens persévérer – la famille de Julian, les militants qui n'ont jamais abandonné – m'a moi aussi aidé à rester motivé. Et bien sûr, la vie de Julian, sa liberté, et les principes qui sous-tendent tout cela ont été une source de motivation constante.
★ Selon vous, quel rôle jouent les artistes et les designers dans les mouvements politiques et de défense des droits humains aujourd'hui, en particulier à l'ère numérique ?
Nous contribuons à façonner la façon dont les gens perçoivent un problème. Aujourd'hui, il est plus difficile que jamais d'attirer l'attention, mais un visuel fort peut se démarquer, être partagé et devenir un symbole fédérateur. Mais il ne s'agit pas seulement de créer quelque chose de beau, bien sûr : le design doit être au service du message. Dans le domaine politique et des droits humains, la clarté et l'intention sont sans doute plus importantes que le style.
Je pense que les designers peuvent apporter beaucoup, surtout lorsqu'ils restent ancrés dans le mouvement et collaborent, plutôt que de travailler seuls dans leur coin.
★ Julian parlait souvent du pouvoir de l'information et du discours. Comment voyez-vous le design s'inscrire dans ce processus ? Quelle responsabilité cela implique-t-il ?
Le design est un outil puissant pour renforcer ou remettre en question un récit. Il peut simplifier des informations complexes, rendre un message accessible ou créer un sentiment d'urgence. Et ce pouvoir s'accompagne d'une responsabilité : être précis, ne pas manipuler, et utiliser les outils à bon escient. Dans cette campagne, il s'agissait également de ne pas se perdre dans le design lui-même. L'accent a toujours été mis sur Julian et ce que son cas représente, et non sur moi ou le design.
★ Avec le recul, y a-t-il une œuvre qui occupe une place particulière dans votre cœur ? Une préférée, ou une qui vous a particulièrement touché lorsque vous en avez vu le résultat ?
J'ai toujours du mal à choisir, mais je dirais l'image de Julian avec le bâillon en drapeau américain. Elle a été largement diffusée. L'idée originale m'est venue, je crois, d'une couverture du magazine Time. Je l'ai retravaillée : j'ai mis Julian en noir et blanc, j'ai gardé le drapeau en couleur et j'ai ajouté des messages simples. Elle a été traduite presque immédiatement et s'est rapidement répandue partout : affiches, bannières, autocollants, badges, t-shirts... et les médias l'ont souvent reprise.
Les panneaux d'affichage mobiles m'ont également semblé très efficaces. Voir ces images imprimées en grand format, sillonnant les rues, devant le tribunal, devant les bâtiments gouvernementaux, a vraiment eu un impact. Les médias ont repris les photos, et c'était très gratifiant de voir qu'elles suscitaient autant d'intérêt, tant sur le terrain qu'en ligne. J'ai toujours aimé créer de l'infographie. C'est un moyen très efficace de transmettre des informations complexes dans un format clair et accessible. Cela permet de simplifier les choses et, espérons-le, de faire en sorte que les informations restent dans l'esprit des gens. La série des 10 publications les plus importantes de WikiLeaks en 10 ans a été très gratifiante à réaliser et a été largement et bien accueillie.
La série de journaux imprimés a été plus difficile à réaliser, mais aussi très plaisante.
Beaucoup de ces projets occupent une place particulière dans mon cœur, notamment grâce à de belles collaborations avec des personnes intelligentes, créatives et motivées.
Désolé, j’ai du mal à choisir mes préférés !
★ Enfin, maintenant que Julian est libre (il faut bien sûr qu'il obtienne une grâce totale), quel message aimeriez-vous adresser à ceux qui se demandent si de petits gestes créatifs ou solidaires peuvent vraiment changer les choses ?
Absolument, oui. Cette campagne s'est construite grâce à des milliers de petits gestes : des gens qui ont distribué des tracts, créé des pancartes, imprimé des affiches chez eux, participé à des événements.
La plupart de ces actions sont passées inaperçues, mais elles ont toutes contribué à faire avancer les choses. Elles ont permis de maintenir la question à l'ordre du jour, même là où de puissants intérêts ont voulu l'enterrer (ainsi que Julian).
La créativité n'est pas seulement là pour décorer, elle fait partie intégrante de notre manière de nous organiser, de résister et de créer des liens.
“Si quelque chose vous tient à cœur, n'attendez pas la permission. Lancez-vous et faites ce que vous pouvez”.
Chaque rassemblement, chaque affiche, chaque acte de résistance, même discret, raconte une histoire. Tout comme l'art de Beans est devenu partie intégrante de ce mouvement, votre parcours compte aussi. Avez-vous participé à un rassemblement ? L'affaire Julian vous a-t-elle poussé à agir dans votre ville, votre communauté, dans votre cœur ?
Nous aimerions connaître votre histoire.
Faites-nous parvenir votre expérience, vos réflexions, vos moments forts, dans la rue ou chez vous, afin que nous puissions les partager avec les archives grandissantes de voix qui se sont élevées pour la liberté de la presse et la justice.
Parce que ces archives vivent à jamais à travers nous tous.
Traduit par Spirit of Free Speech








