👁🗨 La croisade de Craig Murray contre l'Empire
La classe politique n'est plus connectée au peuple. Elle est en prise avec l'industrie de l'armement, les lobbyistes, en particulier le lobby sioniste. La démocratie occidentale n'a plus aucun sens.
👁🗨 La croisade de Craig Murray contre l'Empire
Par Chris Hedges* pour ScheerPost, le 1er juillet 2024
Blackburn, Angleterre : Je suis aux côtés de Craig Murray, qui se présente aux élections législatives dans cette ancienne ville minotière. Nous sommes dans une rue étroite avec des maisons de briques en rangées qui se succèdent en lacets jusqu'au pied d'une colline. Le ciel est couvert. La pluie tombe par intermittence.
Craig, corpulent, les cheveux blancs en bataille, vêtu d'une chemise à carreaux et d'une cravate cachemire, distribue des tracts à l'entrée de la Masjid e Tauheedul Islam, la plus grande mosquée de Blackburn. Il se présente poliment à ceux qui sortent de la prière de midi.
Je discute avec une demi-douzaine de fidèles qui, comme la majorité de la communauté musulmane de Blackburn, sont d'origine indienne et pakistanaise. Ils critiquent sèchement les dirigeants des partis travailliste et conservateur au pouvoir, qu'ils considèrent comme coupés de leur vie et de leurs préoccupations, y compris de leur indignation face au génocide à Gaza.
Le thème central de la campagne de Craig, comme celui de George Galloway - récemment élu député de Rochdale - porte sur l’arrêt du génocide à Gaza, et notamment de toutes les livraisons d'armes à Israël. Craig se présente sous l'étiquette du parti socialiste Workers Party of Britain de George Galloway, afin de contrer ce qu'il qualifie d'“effroyable position pro-génocide” du parti travailliste de l'opposition, qui devrait remporter les élections britanniques du 4 juillet et évincer le gouvernement du parti conservateur dirigé par le Premier ministre Rishi Sunak.
Le parti travailliste a remporté les élections parlementaires à Blackburn au cours des 69 dernières années. La militante socialiste Barbara Castle - qui a contribué à révéler les atrocités commises par les Britanniques au Kenya, notamment la mort de quelque 300 000 Kikuyus et la détention de 320 000 autres personnes dans plus de 100 camps, où les prisonniers ont été torturés, assassinés et sont morts de maladies - a précédemment occupé ce poste, tout comme l'ancien secrétaire d'État aux affaires étrangères Jack Straw. Straw était nettement moins progressiste. Il a été l'un des architectes de la guerre de 2003 en Irak sous l'ancien premier ministre Tony Blair. Craig a défié Straw pour le siège en 2005 sur la base d'un programme anti-guerre. Il a obtenu 5 % des voix.
La députée travailliste de Blackburn, Kate Hollern, a obtenu 64,9 % des voix lors des dernières élections de 2019. Elle s'écarte de la ligne du Parti travailliste pour Gaza, appelant à un cessez-le-feu immédiat et un arrêt des livraisons d'armes à Israël. Elle a été l'un des rares membres du parti à rester fidèle à Jeremy Corbyn lorsque sa campagne pour briguer le poste de Premier ministre a été sabotée par des apparatchiks du parti proches de Blair, qui l'ont accusé d'être un antisémite en raison de sa défense des Palestiniens.
“Je n'ai rien de négatif à dire sur cette femme, si ce n'est que si elle est élue, elle participera à la nomination de Keir Starmer au poste de numéro 10, et j'ai beaucoup de choses à reprocher à Keir Starmer”,
déclare M. Craig à propos de son adversaire du parti travailliste.
Bien qu'il ne siège plus au Parlement, M. Straw jette une ombre inquiétante sur la campagne de Craig. En effet, comme dans la plupart des circonscriptions où le parti travailliste est contesté par des candidats qui s'opposent à son soutien à Israël, un deuxième candidat indépendant bien financé, dépourvu d'expérience politique ou d'antécédents sur presque tous les sujets, se présente également sur un programme anti-génocide. Dans le cas de Blackburn, il s'agit d'Adnan Hussain. Alors que M. Hussain consacre une grande partie de sa campagne à attaquer Craig, ce dernier a organisé une série de réunions sur la Palestine, dont une au cours de laquelle lui, Richard Medhurst et moi-même avons pris la parole devant une salle comble à l'église méthodiste Saint-Paul de Blackburn. Craig a également organisé des événements de campagne avec le professeur David Miller, renvoyé en 2021 de l'université de Bristol pour ses critiques d'Israël, et le Dr Bob Gill, qui a documenté le dégraissage, l'externalisation et la commercialisation du service national de santé britannique par tous les partis au pouvoir depuis Margaret Thatcher. Roger Waters doit tenir un meeting de campagne à Blackburn pour Craig le 2 juillet.
Le site médiatique musulman 5Pillars a proposé que Craig et Hussain tirent à pile ou face pour savoir qui se présenterait en tant qu'indépendant contre le parti travailliste. Craig a accepté. Hussain, un avocat de 34 ans, a refusé.
“Ceux qui soutiennent la campagne de Hussain sont des proches de Jack Straw”, explique Craig. “Le parti travailliste divise pour mieux régner. Et pas seulement ici, mais dans tout le pays. C'est ce qui se passe dans tout le pays”.
Le bureau de campagne de Craig, situé au deuxième étage et encombré, est situé dans une rue étroite au-dessus du café Mi Chaii, à Whalley Range. Les fenêtres sont couvertes d'immenses affiches et de panneaux d'affichage sur lesquels figurent des photos de personnalités publiques, dont George Galloway, Roger Waters et Stella Assange, qui soutiennent la candidature de Craig.
Près de la moitié des électeurs de Blackburn sont musulmans. La ville est réputée pour compter plus de mosquées que n'importe quelle autre ville d'Europe. Les musulmans britanniques, à l'instar des musulmans américains qui ont rejeté Joe Biden, ont quitté le parti travailliste en raison du soutien sans équivoque de M. Starmer à Israël. Lors des élections municipales de Blackburn en mai, le parti travailliste a enregistré une baisse significative du nombre de voix.
Craig, ancien ambassadeur en Ouzbékistan, a été évincé du ministère des Affaires étrangères après avoir divulgué au Financial Times, en 2004, un mémorandum dont il était l'auteur et qui détaillait le programme de torture et de restitutions extraordinaires de la CIA en Ouzbékistan. Craig affirme que ses réclamations en interne auprès du ministère des Affaires étrangères n'ont pas été prises en compte.
Il a dénoncé les pratiques des sites noirs ouzbeks en matière d'humiliations sexuelles, de mutilations génitales, de viols d'hommes et de femmes, d'excisions et d'aspersion de prisonniers avec des liquides bouillants, y compris la mort d'un prisonnier immergé dans une cuve d'eau bouillante.
“Les Ouzbeks agissaient pour le compte de la CIA”, m'explique-t-il un matin, alors que nous sommes assis dans son bureau de campagne. “Au début, les prisonniers étaient principalement des Ouzbeks capturés en Afghanistan. Mais par la suite, des gens ont été amenés de partout”.
Selon le rapport du Conseil de l'Europe sur les restitutions extraordinaires, 50 % des vols de la CIA ayant fait escale en Pologne se sont rendus en Ouzbékistan.
À l'époque des révélations de Craig, Straw était ministre des Affaires étrangères. Il a insisté pour que Craig soit poursuivi en justice, ce que le ministère des Affaires étrangères a décidé de ne pas faire. Pris dans une affaire de “pots de vin”, Straw a été contraint de se retirer de la vie politique. Mais il reste un homme de pouvoir au sein du parti travailliste, en particulier à Blackburn.
“Cette campagne est purement et simplement motivée par le génocide à Gaza”, explique Craig à propos de sa campagne parlementaire. “Je ne serais pas revenu sans le génocide à Gaza. L'attitude de Starmer à l'égard du génocide à Gaza me rappelle celle de Straw à l'égard de la torture, des restitutions extraordinaires et de la guerre en Irak. Le parti travailliste est corrompu. Il ne défend aucun des principes que le parti travailliste est censé défendre”.
“Gaza représente la dislocation de la classe politique vis-à-vis du peuple”, ajoute-t-il. “Les gens veulent y mettre un terme, en tout cas ici au Royaume-Uni, mais ne disposent d'aucun moyen de pression. La classe politique n'est plus connectée au peuple. Elle est en prise avec l'industrie de l'armement, les lobbyistes, en particulier le lobby sioniste. Voilà où se concentrent les intérêts de la classe politique. Elle ne se soucie pas du peuple. C'est vrai pour les deux principaux partis. Ils ne subissent aucune pression parce que personne d'autre n'est susceptible d'être élu. La démocratie occidentale n'a plus aucun sens. La classe politique est homogène. Tous pourraient passer de l'un à l'autre des principaux partis sans que cela ne change quoi que ce soit. Si nous voulons sauver la démocratie, nous devons proposer une véritable alternative démocratique. Gaza l'a fait comprendre aux gens”.
Craig, ardent soutien de Julian Assange, qui a publié les reportages les plus éloquents sur les nombreuses audiences judiciaires de Julian, a passé quatre mois en prison à Édimbourg au cours de l'été 2022.
Il a été reconnu coupable d'outrage au tribunal par médias interposés pour ses reportages sur le procès du leader indépendantiste écossais Alex Salmond, accusé d'inconduite sexuelle.
“C'était un autre exemple du recours par l'État aux allégations sexuelles pour saper et détruire la réputation d'un opposant”, dit-il à propos de Salmond et Julian.
Le groupe de femmes qui a porté plainte contre M. Salmond était étroitement lié au premier ministre de l'époque, Nicola Sturgeon. Craig a été emprisonné pour avoir fait allusion à ce fait dans ses témoignages au tribunal.
Salmond a été déclaré non coupable.
“Plus de 5 000 personnes m'ont écrit en prison”, explique-t-il. “J'ai répondu à toutes ces lettres personnellement, à raison de 50 à 60 lettres par jour”.
“Beaucoup de détenus sont analphabètes”, ajoute-t-il. “Si vous voulez quelque chose en prison, vous devez remplir un formulaire. Si vous vous coupez le pied et que vous avez besoin d'un pansement, vous devez remplir un formulaire. Si vous voulez recevoir la visite de votre famille, vous devez remplir un formulaire. Des formulaires apparaissaient sous la porte de ma cellule. Quelqu'un criait à travers la porte ce qu'il voulait faire remplir. Une grande partie des prisonniers sont là en raison de la pauvreté. Leur crime est la pauvreté. Ils sont tous nés dans le dénuement. Ils ont reçu une très mauvaise éducation. La plupart d'entre eux sont nés dans la dépendance. Le nombre de ceux qui ne sont pas toxicomanes est infime. Dans mon quartier, qui compte 120 personnes, seules deux personnes ne sont pas toxicomanes, et je suis l'une d'entre elles”.
“La plupart d'entre eux sont en prison pour des délits très, très mineurs”, poursuit-il. “Vol à l'étalage, cambriolage ou vente de petites quantités de drogue pour nourrir leur dépendance. Puis ils sont emprisonnés. En prison, ils ne bénéficient d'aucun traitement pour leur addiction. On leur prescrit des médicaments tous les jours parce que les gardiens les maintiennent dans un état second. Chaque matin, ils ont leur dose. Ils purgent une peine de deux ans. Ils sont remis en liberté. Ils commettent un nouveau cambriolage et se font prendre, puis retournent en prison. La plupart d'entre eux ont été emprisonnés cinq ou six fois. Le nombre de vrais criminels, c'est-à-dire de personnes violentes ou de personnes ayant commis des crimes à grande échelle, est minime. La plupart d'entre eux sont des personnes extrêmement tristes et dépassées qui ont besoin d'aide dans leur vie. Ils n'ont pas besoin d'être enfermés.”
“Je n'avais pas réalisé que tant de gens menaient des vies atroces, désolantes, sans espoir”, dit-il doucement. “Leur vie entière est dépourvue d'espoir depuis qu'ils sont nés. Ils n'ont jamais eu de chance, jamais eu de but. Je pensais être socialement conscient. Je me suis rendu compte que ce n'était pas le cas. Je ne savais pas ce qu'être au plus bas de l'échelle sociale voulait dire.”
“L'État détient le monopole de la violence et s'en sert”, ajoute-t-il. “Il a usé d'une rare violence à l'encontre de Julian Assange, ce qui a eu un effet délétère sur sa santé, à la fois mentale et physique.”
Le 16 octobre 2023, alors qu'il revenait d'une réunion de WikiLeaks à Reykjavik, où il avait également assisté à une manifestation pro-palestinienne, Craig a été arrêté et interrogé à l'aéroport de Glasgow en vertu de l'annexe 7 de la loi de 2000 sur le terrorisme. Il a été interrogé sur sa relation avec WikiLeaks et sur son soutien aux Palestiniens. Il a ensuite reçu un courrier l'informant qu'il faisait l'objet d'une enquête au titre de la loi sur le terrorisme et que ses appareils électroniques, qui avaient été confisqués à l'aéroport, ne lui seraient pas restitués.
La loi de 2000 sur le terrorisme est souvent utilisée pour détenir et interroger des personnes politiquement actives, des membres de “communautés suspectes” telles que les musulmans, les Tamouls et les Kurdes, ainsi que des journalistes, comme David Miranda, pour avoir diffusé les dossiers Snowden. Le journaliste Kit Klarenberg, de The Grayzone, a été placé en détention en vertu de la loi de 2019 sur la lutte contre le terrorisme et les frontières, après que son reportage a révélé les liens étroits du journaliste Paul Mason avec les services de renseignement britanniques.
“Je suis un traître à leurs yeux”, déclare Craig à propos de la classe dirigeante. “J'étais un initié, un membre de l'establishment qui s'est retourné contre eux”.
Lorsque je lui demande ce qui le motive, il répond :
“C'est l'empathie pour les personnes torturées en Ouzbékistan et pour leurs familles, pour tous ceux qui souffrent. J'ai été motivé par l'horreur de la souffrance des victimes de la guerre en Irak. Je suis horrifié par le sort réservé aux enfants de Gaza. Je hais la souffrance des hommes. Je fais de mon mieux pour la soulager”.
Note de Chris Hedges aux lecteurs de Scheerpost :
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* Chris Hedges est un journaliste lauréat du prix Pulitzer qui a été correspondant à l'étranger pendant quinze ans pour le New York Times, en tant que chef du bureau du Moyen-Orient et du bureau des Balkans. Auparavant, il a travaillé à l'étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et NPR. Il est l'animateur de l'émission The Chris Hedges Report.
Il a fait partie de l'équipe qui a remporté le prix Pulitzer 2002 du reportage explicatif pour la couverture du terrorisme mondial par le New York Times, et il a reçu le prix mondial 2002 d'Amnesty International pour le journalisme sur les droits de l'homme. Hedges, titulaire d'une maîtrise en théologie de la Harvard Divinity School, est l'auteur des best-sellers American Fascists : La droite chrétienne et la guerre contre l'Amérique, Empire of Illusion : The End of Literacy and the Triumph of Spectacle et a été finaliste du National Book Critics Circle pour son livre War Is a Force That Gives Us Meaning. Il rédige une chronique en ligne pour le site ScheerPost. Il a enseigné à l'université Columbia, à l'université de New York, à l'université de Princeton et à l'université de Toronto.
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