đâđš La crucifixion de Julian Assange
Mon ami Julian souffre pour nos péchés & notre indifférence. Ou nous défendons la vérité, Julian, et nous le libérons. Ou nous restons complices des ténÚbres de la tyrannie qui nous engloutira tous.
đâđš La crucifixion de Julian Assange
Par Chris Hedges, le 20 août 2023
Voici le sermon que j'ai prononcé le dimanche 20 août à Oslo, en NorvÚge, à la Kulturkirken Jakob. L'actrice et réalisatrice Liv Ullmann a lu les passages bibliques.
Lecture de la Bible des HĂ©breux :
Et comme l'armée des Chaldéens s'était retirée de Jérusalem par crainte de celle du Pharaon, Jérémie sortit de Jérusalem et se mit en route,
Jérémie sortit de Jérusalem pour se rendre dans les terres de Benjamin, afin de s'isoler auprÚs du peuple.
Lorsqu'il se trouva aux portes du pays de Benjamin, le chef de la garde, nommé Irija, fils de Schélémia, fils de Hanania, se rendit auprÚs de Jérémie, le prophÚte, et lui dit : Tu tomberas aux mains des Chaldéens.
Jérémie répondit : C'est faux, je ne me rends pas au pouvoir des Chaldéens. Il ne l'écouta point. Irija emmena Jérémie auprÚs des chefs.
Les chefs, irrités par Jérémie, le frappÚrent, et le mirent en prison dans la maison de Jonathan, le scribe, car on en avait fait la prison.
Jérémie fut jeté dans la geÎle et dans les cachots, et il y resta bien des jours ;
Le roi SĂ©dĂ©cias l'envoya chercher, et le fit sortir. Le roi l'interrogea en secret dans sa demeure, et lui dit : As-tu reçu une parole de l'Ăternel ? JĂ©rĂ©mie rĂ©pondit : En effet, dit-il, tu seras livrĂ© au roi de Babylone.
Et Jérémie dit au roi Sédécias : En quoi t'ai-je offensé, toi, tes serviteurs ou ce peuple, pour que vous m'ayez jeté en prison ?
OĂč sont vos prophĂštes, ceux-lĂ qui vous ont dit : Le roi de Babylone ne marchera pas sur vous, ni sur ce pays ?
Ăcoute donc, je te prie, mon seigneur le roi, que ma priĂšre soit exaucĂ©e auprĂšs de toi, et que tu fasses en sorte que je ne retourne pas dans la maison de Jonathan, le scribe, de peur que je n'y meure.
Le roi Sédécias ordonna qu'on enfermùt Jérémie dans la cour de la prison, et qu'on lui donnùt chaque jour un morceau de pain de la rue des boulangers, jusqu'à ce que tous les pains de la ville fussent épuisés. Jérémie resta donc dans la cour de la prison.
Lecture du Nouveau Testament :
Matthieu 4.1-17
Alors JĂ©sus fut emmenĂ© par lâEsprit dans le dĂ©sert, pour y ĂȘtre tentĂ© par le diable. Et quand il eut jeĂ»nĂ© quarante jours et quarante nuits, il fut pris par la faim. Et le Tentateur sâapprochant, lui dit : Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres se changent en pains. JĂ©sus rĂ©pondit ainsi : Il est Ă©crit que lâhomme ne vivra point seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Alors le Diable le transporta dans la ville sainte, le monta sur les hauteurs du temple, et lui dit : Si tu es Fils de Dieu, jette-toi donc en bas ; car il est Ă©crit : Il ordonnera Ă ses Anges de te garder entre leurs mains, de peur que tu ne heurtes un jour ton pied sur quelque pierre.
JĂ©sus lui dit : il est aussi Ă©crit : Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu.
Puis le Diable le transporta sur une fort haute montagne, lui montra tous les Royaumes du monde et leur magnificence, et lui dit : Je te donnerai toutes ces choses, si tu te prosternes et m'adores. Mais JĂ©sus lui dit : Va-t'en, Satan ; car il est Ă©crit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui. Le Diable le quitta, et voici que des Anges vinrent et le servirent.
Je dédie ce sermon à mon guide à la Harvard Divinity School, Monseigneur Krister Stendhal.
Les prophĂštes sont notoirement des ĂȘtres complexes. Ce ne sont pas des saints. Ce sont des personnes qui souffrent, comme l'Ă©crit le rabbin Abraham Heschel, dont "la vie et l'Ăąme sont en jeu". Le prophĂšte est touchĂ© par la dĂ©tresse humaine. Les prophĂštes ne sont pas des devins. Ils ne prĂ©disent pas l'avenir. Pour le prophĂšte, l'injustice "prend des proportions presque cosmiques". Un prophĂšte, consumĂ© par une fureur contre nature, tĂ©moigne du "pathos divin". "Dieu, Ă©crit Heschel, se dĂ©chaĂźne au travers des paroles du prophĂšte". Il ou elle se tient indĂ©fectiblement aux cĂŽtĂ©s des crucifiĂ©s de la terre, jusqu'Ă leur propre anĂ©antissement. "Alors que le monde repose et dort", Ă©crit Heschel, "le prophĂšte ressent le souffle du ciel". Le prophĂšte dit "non" Ă la sociĂ©tĂ© qui l'entoure, "condamnant ses habitudes et ses prĂ©jugĂ©s, sa complaisance, ses Ă©garements et son syncrĂ©tisme". Le prophĂšte "est souvent contraint de proclamer tout le contraire de ce que son cĆur dĂ©sire".
Les prophĂštes croient en la justice mĂȘme lorsque le monde qui les entoure dit qu'il n'y aura pas de justice. Ce n'est pas qu'ils transcendent la rĂ©alitĂ©. Ils sont plutĂŽt contraints de s'y opposer, refusant de se taire, quelle que soit la duretĂ© de la vie. Ils sont saisis par ce que Reinhold Niebuhr appelle "une sublime folie de l'Ăąme", car "rien d'autre qu'une telle folie ne peut lutter contre le pouvoir du mal", et "la mĂ©chancetĂ© spirituelle en haut lieu". Cette folie est dangereuse, mais vitale, car sans elle, "la vĂ©ritĂ© est obscurcie". Le libĂ©ralisme, poursuit Niebuhr,
"manque de l'esprit de ferveur, pour ne pas dire de fanatisme, si nĂ©cessaire Ă un changement du monde hors des chemins tracĂ©s. Il est trop intellectualisĂ© et manque trop de sensibilitĂ© pour ĂȘtre une force efficace dans l'histoire".
Mais comme l'a dit le prĂȘtre Amaziah Ă propos du prophĂšte Amos, "le pays n'est pas de taille Ă supporter tous ses discours".
Les prophĂštes bibliques - Ălie, Amos, JĂ©rĂ©mie, IsaĂŻe - croyaient que tout ce qui valait la peine d'ĂȘtre vĂ©cu valait la peine dâen mourir. Leur ennemi n'Ă©tait pas seulement la souffrance, la calomnie, la pauvretĂ©, l'injustice, mais une vie dĂ©pourvue de sens. "Il faut ĂȘtre prĂȘt Ă mourir pour pouvoir commencer Ă vivre", a dĂ©clarĂ© Fred Shuttlesworth, icĂŽne des droits civiques. Les prophĂštes ne peuvent se laisser intimider. Ils ne peuvent ĂȘtre achetĂ©s. Ils vivent une obsession sans faille. James Baldwin, lui-mĂȘme prophĂšte, le comprend. Il Ă©crit :
" En définitive, l'artiste et le révolutionnaire fonctionnent ainsi, et paient le prix qu'ils doivent payer pour cela : ils sont tous deux possédés par une vision, et ce n'est pas tant la vision qu'ils suivent, mais plutÎt qu'elle les anime. Sinon, jamais ils ne seraient en mesure de supporter, et encore moins d'embrasser les vies qu'ils sont contraints de mener".
Les puissants et les riches font la guerre au prophĂšte. Ils le calomnient et l'insultent. Ils mettent en doute sa santĂ© mentale et ses motivations. Ils font en sorte que le prophĂšte peine Ă survivre en lui ĂŽtant sa maigre source de revenus. Ils punissent et marginalisent ceux qui soutiennent le prophĂšte. Ils rĂ©duisent la voix du prophĂšte au silence, par la censure, l'emprisonnement et souvent le meurtre. La liste des prophĂštes martyrs est longue. Socrate. Jeanne d'Arc. Isaac Babel. Federico GarcĂa Lorca. MiklĂłs RadnĂłti. IrĂšne NĂ©mirovsky. Malcolm X. Martin Luther King Jr. Victor Jara. Ken Saro-Wiwa.
La vĂ©ritĂ© Ă©treint le prophĂšte au point d'y ĂȘtre si fortement liĂ© que seule la mort peut l'en sĂ©parer. C'est dans cette vĂ©ritĂ© qu'il trouve Dieu.
"On ne lutte jamais assez avec Dieu si c'est par pur souci de vĂ©ritĂ©", Ă©crit Simone Weil. "Le Christ aime que nous lui prĂ©fĂ©rions la vĂ©ritĂ© car, avant d'ĂȘtre le Christ, il est la vĂ©ritĂ©. Si l'on se dĂ©tourne de lui pour aller vers la vĂ©ritĂ©, le chemin ne sera guĂšre long avant de lui tomber dans les bras".
Qui a crucifié Jésus ? La religion organisée. La politique organisée. Les entreprises organisées.
Les bourreaux n'ont pas changé. Ils ont simplement remanié l'histoire, créé un faux évangile, comme l'écrit le poÚte Langston Hughes :
Ăcoute, Christ,
Tu as bien agi en ton temps, je l'admets -
Mais cette époque est révolue.
Ils t'ont aussi inventé une belle histoire,
Quâon a appelĂ©e la Bible -
Mais elle est morte maintenant.
Les papes et les prĂȘcheurs
ont fait trop d'argent avec.
Ils t'ont vendu Ă de nombreux
rois, généraux, voleurs et tueurs -
MĂȘme au Tzar et aux Cosaques,
mĂȘme Ă l'Ă©glise de Rockefeller,
MĂȘme au SATURDAY EVENING POST.
Tu n'es plus bon Ă rien.
Ils t'ont mis en gage
Jusqu'Ă lâĂ©puisement.
Le général carthaginois Hannibal, qui a failli vaincre la République romaine lors de la deuxiÚme guerre punique, s'est suicidé en 181 avant J.-C., en exil, alors que les soldats romains se rapprochaient de sa résidence en Bithynie, l'actuelle Turquie. Cela faisait plus de 30 ans qu'il avait mené son armée à travers les Alpes et anéanti les légions romaines. Rome n'a pu se sauver de la défaite qu'en reproduisant la tactique militaire d'Hannibal.
Peu importe que plus de 20 consuls romains se soient succĂ©dĂ© depuis l'invasion d'Hannibal. Peu importe qu'Hannibal ait Ă©tĂ© traquĂ© des dĂ©cennies durant et contraint de fuir Ă©ternellement, Ă©chappant toujours de justesse aux autoritĂ©s romaines. Il avait humiliĂ© Rome. Il avait brisĂ© son mythe de toute-puissance. Et il allait payer. De sa vie. Des annĂ©es aprĂšs la disparition d'Hannibal, les Romains n'Ă©taient toujours pas satisfaits. Ils achevĂšrent leur Ćuvre de vengeance apocalyptique en 146 av. J.-C. en rasant Carthage et en rĂ©duisant en esclavage le reste de ses habitants. Caton le Censeur rĂ©sume les sentiments de l'Empire : CarthÄgĆ dÄlenda est - Carthage doit ĂȘtre dĂ©truite. Rien n'a changĂ© dans l'Empire, depuis cette Ă©poque jusqu'Ă aujourd'hui.
Les puissances impĂ©riales ne pardonnent pas Ă ceux qui exposent les rouages sordides et immoraux de l'Empire. Les empires sont des Ă©difices fragiles. Leur puissance est autant une question de perception que de force militaire. Les vertus qu'ils prĂ©tendent soutenir et dĂ©fendre, gĂ©nĂ©ralement au nom de leur civilisation supĂ©rieure, masquent le pillage, la corruption, le mensonge, l'exploitation d'une main-d'Ćuvre bon marchĂ©, la violence de masse aveugle contre les innocents, et la terreur d'Ătat.
L'empire américain actuel, lésé et humilié par la multitude de documents internes publiés par WikiLeaks, persécutera pour cela Julian jusqu'à la fin de ses jours. Peu importe quel président ou quel parti politique est au pouvoir. Les impérialistes parlent d'une seule voix despotique.
C'est pourquoi Julian est exĂ©cutĂ© Ă petit feu. Sept ans enfermĂ© dans l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londres. Quatre ans Ă la prison de Belmarsh. Il a levĂ© le voile sur les sombres machinations de l'empire amĂ©ricain, le massacre de civils en Irak et en Afghanistan, les mensonges, la corruption, la rĂ©pression brutale de ceux qui tentent de dire la vĂ©ritĂ©. L'Empire a l'intention de lui faire payer. Il doit servir d'exemple Ă tous ceux qui oseraient envisager de faire ce qu'il a fait.
Julian avait d'autres options. Son gĂ©nie et ses compĂ©tences en tant que programmeur informatique et cryptographe lui auraient permis d'ĂȘtre trĂšs bien rĂ©munĂ©rĂ© par les agences de sĂ©curitĂ©, les entrepreneurs privĂ©s ou la Silicon Valley. Il aurait pu gagner confortablement sa vie en servant l'Empire. Son Ăąme, comme nous le montre Christopher Marlow dans Doctor Faustus, se serait atrophiĂ©e et consumĂ©e, comme l'Ăąme de tous ceux qui se prostituent au pouvoir, mais les rĂ©compenses matĂ©rielles auraient Ă©tĂ© considĂ©rables. Il aurait connu le succĂšs, du moins le succĂšs selon les normes des puissants et des riches.
Satan tente JĂ©sus en lui offrant le pouvoir, avec"tous les Royaumes du monde", la gloire et le prestige.
"Si tu m'adores, dit Satan, alors tout t'appartiendra".
Cette tentation touche du mal funeste ceux qui servent le pouvoir et, avec lui l'orgueil et l'avarice qui précipitent, comme le dit le prophÚte Amos, "le rÚgne de la violence".
Et pourtant, ce ne sont pas ces forces malveillantes qui sont les plus dangereuses.
"Lorsque j'étais rabbin de la communauté juive de Berlin sous le régime hitlérien, la principale grande leçon tirée de ces circonstances tragiques fut que le sectarisme et la haine ne sont pas les maux les plus pressants", déclare le rabbin Joachim Prinz. "Le problÚme le plus urgent et le plus honteux, le plus tragique, c'est le silence".
La crucifixion de Julien est un spectacle public. Elle est visible de tous. Et pourtant, nous regardons passivement. Nous n'inondons pas les rues de nos protestations. Nous ne condamnons pas les bourreaux, y compris Donald Trump et Joe Biden. Nous consentons silencieusement à sa crucifixion. W. H. Auden écrit dans Le Musée des Beaux-Arts :
Sur la souffrance, ils ne se trompaient jamais,
Les vieux MaĂźtres : comme ils comprenaient bien
Sa place dans la vie humaine, et quâelle se produit
Pendant quâun autre mange, ouvre une fenĂȘtre ou encore passe avec indiffĂ©rence ;
Et tandis que les vieux attendent pieusement, passionnément,
La naissance miraculeuse, toujours il faut quâil se trouve
Des enfants qui sâen moquent, patinant
Sur un Ă©tang Ă lâorĂ©e de la forĂȘt.
Jamais ils nâoubliaient
Que mĂȘme lâhorrible martyre doit suivre son cours
Peu importe comment, dans un coin, quelque lieu en dĂ©sordre oĂč les chiens continuent Ă mener leur vie de chiens, et le cheval du bourreau
Frotte son innocent postérieur contre un arbre.
Dans l'Icare de Breughel, par exemple : comment tout se détourne tranquillement du désastre ; le laboureur a sans doute entendu les éclaboussures,
Le floc dans lâeau, le cri de l'abandonnĂ©,
Mais pour lui, pas de désastre, le soleil brillait
Comme il se doit sur la blancheur des jambes disparaissant dans lâeau verte,
Et le coĂ»teux, le dĂ©licat navire qui avait dĂ» assister Ă
Quelque chose de stupéfiant, un garçon précipité du ciel,
Avait quelque part oĂč aller, poursuivant tranquillement sa course.
Le sacrifice, le sacrifice de soi, est le prix Ă payer pour devenir disciple. Mais peu sont prĂȘts Ă payer ce prix. Nous prĂ©fĂ©rons dĂ©tourner le regard de la souffrance, d'un garçon tombĂ© du ciel. Et c'est notre indiffĂ©rence, et avec elle notre complicitĂ©, qui condamne tous les prophĂštes.
"Mais quel est donc le prix de la paix ?", demande dans son livre "No Bars to Manhood" le pĂšre Daniel Berrigan, prĂȘtre radical qui a passĂ© deux ans dans une prison fĂ©dĂ©rale pour avoir brĂ»lĂ© des registres de recensement pendant la guerre du ViĂȘt Nam :
âJe pense aux braves gens, dĂ©cents et pacifiques que j'ai connus par milliers, et je m'interroge. Combien d'entre eux sont si affectĂ©s par la maladie de la normalitĂ© que, alors mĂȘme qu'ils prĂŽnent la paix, leurs mains se tendent dans un spasme instinctif... vers leur confort, leur maison, leur sĂ©curitĂ©, leurs revenus, leur avenir, leurs projets - ce plan d'Ă©tudes de cinq ans, ce plan de carriĂšre de dix ans, ce plan de croissance et de cohĂ©sion familiale de vingt ans, ce plan de vie convenable et de mort naturelle honorable de cinquante ans ? "Bien sĂ»r, faisons la paix", crions-nous, "mais en mĂȘme temps, faisons la normalitĂ©, ne perdons rien, que nos vies restent intactes, que nous ne connaissions ni la prison, ni l'infamie, ni le dĂ©litement des liens". Et parce que nous devons contenir ceci et protĂ©ger cela, et parce qu'Ă tout prix - Ă tout prix - nos espoirs doivent voir le jour, et parce qu'il est inimaginable qu'au nom de la paix, le glaive s'abatte, tranchant la trame fine et astucieuse que nos vies ont tissĂ©e, parce qu'il est inimaginable que des hommes de bien subissent l'injustice, que des familles soient brisĂ©es ou que l'honneur soit perdu - Ă cause de cela, nous pleurons la paix. Nous pleurons la paix, et la paix n'est pas faite. Pas de paix sans artisans de la paix. Il n'y a pas d'artisans de paix parce que faire la paix est au moins aussi coĂ»teux que faire la guerre - au moins aussi exigeant, aussi perturbant, tout aussi susceptible d'entraĂźner l'opprobre, la prison et la mort dans son sillageâ.
Porter la croix, vivre dans la vĂ©ritĂ©, n'a rien Ă voir avec la poursuite du bonheur. Il ne s'agit pas d'embrasser l'illusion d'un inĂ©vitable progrĂšs humain. Il ne s'agit pas non plus d'accĂ©der Ă la richesse, la notoriĂ©tĂ© ou le pouvoir. Cela implique des sacrifices. Il s'agit de notre prochain. Les organes de sĂ©curitĂ© de l'Ătat vous surveillent et vous harcĂšlent. Ils accumulent sur vous et vos activitĂ©s d'Ă©normes dossiers. Ils perturbent votre vie. Ils vous jettent en prison, mĂȘme si, comme Julian, vous n'avez pas commis de crime. Cette histoire n'est pas une nouveautĂ©. Notre indiffĂ©rence au mal, au mal palpable et visible sous nos yeux, n'est pas non plus une nouveautĂ©.
Dans la lecture de la Bible hĂ©braĂŻque, nous dĂ©couvrons l'histoire du prophĂšte JĂ©rĂ©mie. Comme Julien, il a dĂ©noncĂ© la corruption et la soif de guerres des puissants. Il a mis en garde contre lâinĂ©vitable catastrophe qui survient lorsque l'alliance avec Dieu est brisĂ©e. Il a condamnĂ© l'idolĂątrie, la corruption des rois, des prĂȘtres et des faux prophĂštes. JĂ©rĂ©mie est arrĂȘtĂ©, battu et mis au pilori. Il lui est interdit de prĂȘcher. On a tentĂ© de l'assassiner. AprĂšs la conquĂȘte de l'Ăgypte par Babylone, et les prĂ©paratifs de guerre en JudĂ©e, JĂ©rĂ©mie prononce l'oracle recommandant au roi de maintenir la paix. Le roi SĂ©dĂ©cias n'en tient pas compte. Babylone assiĂšge JĂ©rusalem. JĂ©rĂ©mie est arrĂȘtĂ© et emprisonnĂ©. LibĂ©rĂ© par les Babyloniens aprĂšs la conquĂȘte de JĂ©rusalem, il est exilĂ© en Ăgypte oĂč, selon la tradition biblique, il est lapidĂ© Ă mort.
Jérémie, comme Julian, a compris qu'une société qui musÚle la liberté de parole et de vérité anéantit la capacité de vivre dans un esprit de justice.
Oui, tous ceux d'entre nous qui connaissent et admirent Julien dénoncent sa souffrance sans fin et celle de sa famille. Oui, nous exigeons que cessent les innombrables torts et injustices qui lui sont infligés. Oui, nous lui rendons hommage pour son courage et son intégrité. Mais la bataille pour la liberté de Julian a toujours dépassé le cadre de la persécution d'un éditeur. Il s'agit de la bataille la plus essentielle de notre époque pour la liberté de la presse, et la vérité. Et si nous perdons cette bataille, ce sera dévastateur, non seulement pour Julian et sa famille, mais aussi pour nous tous.
Les tyrannies, des temps bibliques Ă nos jours, dĂ©tournent l'Ătat de droit. Elles transforment la loi en instrument d'injustice. Elles dissimulent leurs crimes sous une fausse lĂ©galitĂ©. Elles utilisent le dĂ©corum des tribunaux et des procĂšs pour dissimuler leurs crimes. Ceux qui, comme Julian, exposent ces crimes au public sont dangereux, car sans le prĂ©texte de la lĂ©gitimitĂ©, la tyrannie perd sa crĂ©dibilitĂ© et ne possĂšde plus que la peur, la coercition et la violence en guise d'arme.
La longue offensive contre Julian et WikiLeaks est rĂ©vĂ©latrice de l'effondrement de l'Ătat de droit, de la montĂ©e de ce que le philosophe politique Sheldon Wolin appelle notre systĂšme de "totalitarisme inversĂ©", une forme de totalitarisme qui maintient les fictions de l'ancienne dĂ©mocratie capitaliste, y compris ses institutions, son iconographie, ses symboles patriotiques et sa rhĂ©torique, mais qui, en interne, a cĂ©dĂ© le contrĂŽle total au diktat des grandes entreprises mondiales.
J'Ă©tais dans la salle d'audience du tribunal de Londres lors de l'audience d'extradition de Julian, supervisĂ©e par la juge Vanessa Baraitser, une version actualisĂ©e de la Reine de CĆur dââAlice au Pays des Merveillesâ, exigeant la sentence avant mĂȘme dâavoir prononcĂ© le verdict. Ce n'Ă©tait qu'une farce judiciaire. La dĂ©tention de Julian en prison ne reposait sur aucune base lĂ©gale. Rien ne permettait de le juger, lui, citoyen australien, au titre de l'Espionage Act [la loi amĂ©ricaine sur l'espionnage]. La CIA a espionnĂ© Julian Ă l'ambassade par le biais de la sociĂ©tĂ© espagnole UC Global, chargĂ©e de la sĂ©curitĂ© de l'ambassade. Cet espionnage incluait l'enregistrement des conversations privilĂ©giĂ©es entre Julian et ses avocats alors qu'ils abordaient sa dĂ©fense. Ce seul fait a invalidĂ© l'audience. Julian est dĂ©tenu dans une prison de haute sĂ©curitĂ© afin que l'Ătat puisse, comme en a tĂ©moignĂ© Nils Melzer, le rapporteur spĂ©cial des Nations unies sur la torture, poursuivre les abus dĂ©gradants et les tortures qui, espĂšre-t-il, conduiront Ă sa dĂ©sintĂ©gration psychologique, sinon physique.
Le gouvernement amĂ©ricain a donnĂ© des instructions Ă l'avocat londonien James Lewis. Lewis a prĂ©sentĂ© ces directives Ă Baraitser. Baraitser les a adoptĂ©es comme Ă©tant sa dĂ©cision juridique. Ce fut un simulacre de justice. Lewis et la juge ont soutenu qu'ils ne cherchaient pas Ă criminaliser un journaliste et museler la presse, alors qu'ils s'employaient Ă mettre en place le cadre juridique permettant de criminaliser un journaliste et de museler la presse. C'est pourquoi le tribunal s'est efforcĂ© de dissimuler la procĂ©dure au public, en limitant l'accĂšs Ă la salle d'audience Ă une poignĂ©e d'observateurs et en rendant difficile, voire impossible, l'accĂšs Ă l'audience en ligne. Il s'agissait lĂ d'un procĂšs spectacle, pas dâun exemple de la plus grande des jurisprudences anglaises, mais de la Lubyanka [quartier gĂ©nĂ©ral de toutes les polices politiques soviĂ©tiques, de la TchĂ©ka au KGB, ainsi que pour la prison qui s'y trouvait oĂč furent enfermĂ©s, torturĂ©s et exĂ©cutĂ©s des centaines voire des milliers de prisonniers.].
Les prophĂštes appellent Ă la justice dans un monde injuste. Ce qu'ils demandent n'est pas rĂ©volutionnaire. Sur l'Ă©chiquier politique, c'est une exigence conservatrice. La restauration de l'Ătat de droit. C'est simple, et fondamental. Dans une dĂ©mocratie efficace, cette exigence n'a rien de rĂ©volutionnaire. Mais vivre la vĂ©ritĂ© dans un systĂšme despotique est l'acte de dĂ©fi suprĂȘme. Car cette vĂ©ritĂ© terrifie ceux qui dĂ©tiennent le pouvoir.
Les architectes de l'impérialisme, les maßtres de guerre, les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif contrÎlés par les entreprises et leurs courtisans serviles des médias sont illégitimes. Dites cette simple vérité et vous serez bannis, comme beaucoup d'entre nous, à la marge du paysage médiatique. Si vous prouvez la vérité, comme Julian, Chelsea Manning, Jeremy Hammond et Edward Snowden l'ont fait en nous permettant de découvrir les rouages du pouvoir, vous serez pourchassés et persécutés.
En octobre 2010, WikiLeaks a publiĂ© les journaux de guerre d'Irak. Ces documents font Ă©tat de nombreux crimes de guerre commis par les Ătats-Unis, notamment des images vidĂ©o de l'assassinat de deux journalistes de l'agence Reuters et de dix autres civils non armĂ©s dans la vidĂ©o intitulĂ©e "Collateral Murder", de la torture systĂ©matique de prisonniers irakiens, de la dissimulation de milliers de morts civiles et de l'assassinat de prĂšs de 700 civils pour avoir approchĂ© de trop prĂšs les postes de contrĂŽle amĂ©ricains. Les Ă©minents avocats Len Weinglass et mon bon ami Michael Ratner - que j'accompagnerai plus tard lors d'une visite Ă l'ambassade d'Ăquateur - ont rencontrĂ© Julian dans un studio du centre de Londres. Les cartes bancaires personnelles de Julian avaient Ă©tĂ© bloquĂ©es. Trois ordinateurs portables cryptĂ©s contenant des documents dĂ©taillant les crimes de guerre commis par les Ătats-Unis avaient disparu de ses bagages en route vers Londres. La police suĂ©doise montait un dossier contre lui dans le but, a prĂ©venu M. Ratner, d'extrader Julian vers les Ătats-Unis.
"WikiLeaks et vous-mĂȘme ĂȘtes confrontĂ©s Ă une bataille Ă la fois juridique et politique", a dĂ©clarĂ© Weinglass Ă Julian. "Comme nous l'avons constatĂ© avec l'affaire des Pentagon Papers, le gouvernement amĂ©ricain n'aime pas voir la vĂ©ritĂ© Ă©clater au grand jour. Et il n'aime pas ĂȘtre humiliĂ©. Peu importe si Nixon, Bush ou Obama, quâils soient rĂ©publicains ou dĂ©mocrates, se trouvent Ă la Maison Blanche. Le gouvernement amĂ©ricain tentera de vous empĂȘcher de publier ses vilains secrets. Et s'il doit vous dĂ©truire, et avec vous le Premier Amendement et les droits des Ă©diteurs, il sera prĂȘt Ă le faire. Nous pensons qu'ils vont s'en prendre Ă WikiLeaks et Ă vous, Julian, en tant qu'Ă©diteur".
"Me poursuivre pour quoi ?" a demandé Julian.
"Pour espionnage", a poursuivi M. Weinglass. "Ils vont accuser Bradley Manning de trahison en vertu de l'Espionage Act de 1917. Nous ne pensons pas que cette loi puisse lui ĂȘtre appliquĂ©e, car il s'agit lĂ d'un lanceur d'alerte et non d'un espion. Et nous ne pensons pas que cela s'applique Ă vous non plus parce que vous ĂȘtes un Ă©diteur. Mais ils vont essayer de forcer Manning Ă vous impliquer en tant que collaborateur".
"Me poursuivre pour quoi ?â
Telle est la question.
Ils s'en sont pris Ă Julian non pour ses vices, mais ses vertus.
Ils s'en sont pris Ă Julian parce qu'il a rĂ©vĂ©lĂ© la mort non signalĂ©e de plus de 15 000 civils irakiens, parce qu'il a dĂ©noncĂ© la torture et les mauvais traitements infligĂ©s Ă quelque 800 hommes et jeunes garçons, ĂągĂ©s de 14 Ă 89 ans Ă GuantĂĄnamo, parce qu'il a rĂ©vĂ©lĂ© qu'Hillary Clinton avait ordonnĂ© en 2009 Ă des diplomates amĂ©ricains d'espionner le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies, Ban Ki-moon, et d'autres reprĂ©sentants de la Chine, de la France, de la Russie et du Royaume-Uni au sein de l'ONU, Cet espionnage comprenait la collecte d'ADN, de scans de l'iris, d'empreintes digitales et de mots de passe personnels (dans le cadre d'une longue sĂ©rie de mesures de surveillance illĂ©gales, dont l'Ă©coute du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l'ONU, Kofi Annan, dans les semaines qui ont prĂ©cĂ©dĂ© l'invasion de l'Irak en 2003 sous l'Ă©gide des Ătats-Unis) ; l'espionnage d'autres personnalitĂ©s de l'ONU, dont le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l'ONU, Ban Ki-moon. Il a rĂ©vĂ©lĂ© que Barack Obama, Hillary Clinton et la CIA ont soutenu le coup d'Ătat militaire de juin 2009 au Honduras pour renverser le prĂ©sident dĂ©mocratiquement Ă©lu Manuel Zelaya, et l'ont troquĂ© contre un rĂ©gime militaire corrompu et meurtrier ; il a rĂ©vĂ©lĂ© que George W. Bush, Barack Obama et le gĂ©nĂ©ral David Petraeus ont menĂ© une guerre en Irak qui, selon les lois post-Nuremberg, est dĂ©finie comme une guerre d'agression criminelle, des crimes de guerre ; qu'ils ont autorisĂ© des centaines d'assassinats ciblĂ©s, y compris ceux de citoyens amĂ©ricains au YĂ©men ; et qu'ils ont secrĂštement lancĂ© des attaques de missiles, de bombes et de drones sur le YĂ©men, tuant des dizaines de civils. Julian a rĂ©vĂ©lĂ© la teneur des discours qu'Hillary Clinton a prononcĂ©s devant Goldman Sachs et pour lesquels elle a reçu 675 000 dollars, une somme si considĂ©rable qu'elle ne peut ĂȘtre confondue avec un un pot-de-vin, et qu'elle a assurĂ© en privĂ© aux chefs d'entreprise qu'elle ferait ce qu'ils voulaient tout en promettant au public une rĂ©glementation et des rĂ©formes financiĂšres ; parce qu'il a rĂ©vĂ©lĂ© comment les outils de piratage utilisĂ©s par la CIA et la National Security Agency permettent au gouvernement de surveiller Ă grande Ă©chelle nos tĂ©lĂ©viseurs, nos ordinateurs, nos smartphones et nos logiciels antivirus, leur permettant ainsi d'enregistrer et de stocker nos conversations, nos images et nos messages privĂ©s, mĂȘme depuis des applications cryptĂ©es.
Julian a révélé la vérité. Il l'a exposée encore et encore, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus aucun doute sur l'illégalité endémique, la corruption et le mensonge qui caractérisent la classe dirigeante mondiale. "Rosa la Rouge a elle aussi disparu", écrivait Bertolt Brecht aprÚs l'assassinat de la socialiste allemande Rosa Luxemburg. "Elle a dit aux pauvres de quoi était faite la vie, et c'est ainsi que les riches l'ont fait disparaßtre".
Nous avons subi un coup d'Ătat corporatiste, oĂč les pauvres et les travailleurs sont rĂ©duits au chĂŽmage et Ă la faim, oĂč la guerre, la spĂ©culation financiĂšre et la surveillance interne sont les seules vĂ©ritables activitĂ©s de l'Ătat, oĂč mĂȘme l'habeas corpus a disparu, oĂč nous, en tant que citoyens, ne sommes rien de plus que des produits au service des systĂšmes de pouvoir corporatifs, des produits Ă exploiter, Ă plumer, et Ă mettre au rebut.
Refuser de se battre, de tendre la main et d'aider les faibles, les opprimés et ceux qui souffrent, de sauver la planÚte de l'écocide, de dénoncer les crimes nationaux et internationaux de la classe dirigeante, d'exiger la justice, de vivre dans la vérité, c'est porter le sceau de Caïn. Ceux qui détiennent le pouvoir doivent entendre notre colÚre, et cela signifie des actes constants de désobéissance civile de masse, de perturbation sociale et politique, car le pouvoir organisé par la base est le seul susceptible de nous sauver et de libérer Julian. La politique est le jeu de la peur. Il est de notre devoir moral et civique de faire en sorte que ceux qui sont au pouvoir aient peur, trÚs, trÚs peur.
La classe dirigeante criminelle nous retient tous prisonniers de son Ă©treinte mortelle. Elle ne peut ĂȘtre rĂ©formĂ©e. Elle a aboli l'Ătat de droit. Elle obscurcit et travestit la vĂ©ritĂ©. Elle cherche Ă consolider ses richesses et son pouvoir obscĂšnes. Mais pour cela, nous devons, comme l'a fait Julien, comme l'ont fait tous les prophĂštes, prendre la croix et porter sur nos Ă©paules son effroyable poids.
"C'est la croix que nous devons porter pour la libertĂ© de notre peuple...". nous rappelle Martin Luther King Jr. "La croix que nous portons prĂ©cĂšde la couronne que nous arborons. Pour ĂȘtre chrĂ©tien, il faut porter la croix, avec toutes ses peines, ses angoisses et ses tensions, et la porter jusqu'Ă ce que cette mĂȘme croix imprime sa marque sur nous et nous rĂ©dempte, jusqu'Ă cette voie supĂ©rieure qui ne peut venir que de la souffrance... Quand j'ai portĂ© la croix, j'ai reconnu son sens... La croix est une chose que l'on porte et sur laquelle, en fin de compte, on meurt."
«LâespĂ©rance a deux enfants magnifiques: colĂšre et courage. ColĂšre contre ce que sont les choses, et courage pour quâelles ne restent pas ainsi», Ă©crivait Saint Augustin.
Ceux qui tiennent à l'éternel et au sacré, à la vérité, comme l'a compris le sociologue Emile Durkeim, ne sont pas seulement ceux qui voient des vérités nouvelles que la plupart ignore, ce sont des hommes et des femmes, possédés par une sublime folie, animés par une pulsion transcendante qui leur permet d'endurer les épreuves de l'existence ou de les vaincre. Ils transforment le monde à travers la souffrance.
Mon ami Julian souffre. Il souffre pour nos péchés, et notre indifférence. Comme nous le rappelle le rabbin Heschel, "certains sont coupables, mais tous sont responsables". Deux choix s'offrent à nous. Ou bien nous défendons la vérité, Julian, et nous le libérons. Nous trouvons le courage de nous montrer responsables, et de porter la croix. Ou bien nous sommes complices des ténÚbres de la tyrannie des corporations qui nous engloutira tous.
Prions :
Dieu de grĂące et Dieu de gloire
En ton peuple, répands ta puissance
Encense l'histoire de ton ancienne Ă©glise,
Fais de son bourgeon une fleur glorieuse.
Accorde-nous la sagesse, accorde-nous le courage,
Pour faire face Ă cette heure
Pour faire face Ă cette heure.
Amen