đâđš La dictature du silence
La tyrannie mondiale des médias, le nouveau Goebbels collectif, devient une arme de destruction massive de la conscience sans précédent, exigeant des journalistes la complaisance, ou le silence.
đâđš La dictature du silence
đ° Par Oleg Yasinsky, le 6 novembre 2022
L'un des plus grands mythes de la sociĂ©tĂ© occidentale moderne repose sur la libertĂ© individuelle de conscience et de pensĂ©e, offerte Ă chacun de ses citoyens comme valeur suprĂȘme des dĂ©mocraties de notre Ă©poque. C'Ă©tait la carte de visite du "premier monde", le monde des libres, le monde des privilĂ©giĂ©s.
à l'époque de la perestroïka, le monde nous a séduits avec la phrase de l'écrivaine anglaise Ewelyn Holl, qui disait:
âJe ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire.â
et peut-ĂȘtre pour assurer l'efficacitĂ© des mots, on les attribue habituellement Ă Voltaire. ĂlevĂ©s par le systĂšme soviĂ©tique et nous plaignant de la censure excessive de l'Ătat, nous avons nĂ©anmoins appris Ă croire au mot imprimĂ©.
Nous pensions savoir lire entre les lignes, mais nous n'avions aucun Ă©lĂ©ment pour comprendre la logique de la propagande occidentale, et nous tombions facilement dans le piĂšge de la "libertĂ© de pensĂ©e" de la presse et de la culture qui, manipulĂ©e par les meilleurs experts, s'avĂ©rait ĂȘtre le parfait dĂ©guisement des mille nuances d'une mĂȘme couleur, toujours dĂ©finies par le mĂȘme pouvoir. Sortis d'une autre logique discursive, nous n'avions tout simplement aucun moyen de la dĂ©chiffrer.
Il est singulier que nous soyons tombĂ©s amoureux de l'histoire de la libertĂ© des idĂ©es, prĂ©cisĂ©ment Ă l'Ă©poque oĂč la pensĂ©e reprĂ©sentait encore une valeur, et oĂč il n'y avait pas dans le monde entier d'espaces plus critiques et analytiques que les cuisines soviĂ©tiques, oĂč jusqu'Ă tard dans la nuit, nos doutes et nos certitudes Ă©taient cuisinĂ©s avec mille assaisonnements, grĂące Ă notre bonne Ă©ducation, et le goĂ»t Ă©picĂ© du fruit dĂ©fendu. Nous y passions des nuits entiĂšres, fumant, buvant du thĂ©, du cafĂ©, de la vodka ou autre, discutant entre amis de l'humain et du divin. Oui, il y avait une censure politique dans la partie institutionnelle de notre vie. Il y avait aussi des restrictions sur les voyages Ă l'extĂ©rieur du pays. Mais l'accĂšs Ă la culture, Ă la connaissance et Ă l'histoire de l'humanitĂ© Ă©tait si large que nous parcourions tous le monde, dĂ©vorant les meilleurs livres des grands auteurs, voyageant dans le temps, curieux de l'histoire de l'humanitĂ©, et sachant qu'avec les autres peuples de la planĂšte, nous allions partir Ă la conquĂȘte des Ă©toiles lointaines.
Les libertĂ©s Ă©changĂ©es dans nos rĂȘves se sont avĂ©rĂ©es ĂȘtre des colliers de verre, comme ceux que les aborigĂšnes innocents ont offerts aux conquĂ©rants.
Ils ont offert au monde un ocĂ©an d'informations, nous piĂ©geant lĂ oĂč toute pensĂ©e se noie bien avant d'apprendre Ă nager. Les Sans-Nom ne sont plus disposĂ©s Ă combattre les idĂ©es par les idĂ©es. Ils sont rĂ©duits au silence, neutralisĂ©s et dissous dans le bruit. Une dictature mondiale de lieux communs dans le discours et de "non-lieux" de l'espace public Ă©merge, propre, aseptique et futuriste, dĂ©pouillĂ©e de culture, de mĂ©moire, de passĂ©, d'apprentissage et d'humain. L'humanitĂ© dans ce monde est superflue.
Pour assurer le triomphe de la machine transhumaine, dans le plus pur style Elon Musk, plein de puces, de dollars et d'ambitions, le systĂšme, se prĂ©parant Ă son ultime attaque, tourne le dos Ă ses promesses, et commence Ă nous interdire tout ce qui nous a si rĂ©cemment sĂ©duits. Les rĂ©seaux sociaux, vantĂ©s comme un espace de libertĂ© illimitĂ©e, de rencontres entre diffĂ©rentes cultures, sont soumis Ă une censure politique, culturelle et esthĂ©tique totale, Ă©tant entendu que tous trois relĂšvent fondamentalement dâun seul et mĂȘme concept: l'idĂ©ologie. Je me souviens qu'il y a seulement quelques annĂ©es, lors des manifestations de masse dans les rues de Colombie, lorsque les autoritĂ©s dĂ©mocratiquement Ă©lues ont brutalement rĂ©primĂ© les manifestants, les torturant, les assassinant et les faisant disparaĂźtre, des centaines d'images enregistrĂ©es par les camarades des victimes dans les rues n'ont pas tenu plus de 10 minutes sur YouTube avant d'ĂȘtre supprimĂ©es. Et pendant ce temps-lĂ , la presse mondiale se passionnait pour les dĂ©mocraties de Cuba, du Venezuela et du Belarus. Nous avons quand mĂȘme trouvĂ© cela Ă©tonnant, tout comme nous avons Ă©tĂ© surpris par le bannissement de Donald Trump et de ses partisans par Twitter. Non que nous soyons des admirateurs de l'ancien prĂ©sident amĂ©ricain, mais cela ne correspondait pas Ă nos convictions les plus Ă©lĂ©mentaires sur la libertĂ© d'expression, surtout dans un pays qui, sous la menace Ă©conomique et militaire, l'exige du monde entier. Le conflit armĂ© en Ukraine a tout rĂ©vĂ©lĂ©.
Dans le monde civilisé d'aujourd'hui, il est interdit de penser. Un seul point de vue est admis, un seul type d'image est diffusé, en grande partie des "fake news", c'est le moins que l'on puisse dire, et quiconque tente de remettre en question les vérités absolues dictées par les détenteurs des grands médias ne fera au mieux que perdre son emploi de journaliste et sera donc rayé des cartes.
Les points de vue qui ne sont pas explicitement anti-russes sont purement et simplement exclus de l'espace médiatique. Critiquer l'OTAN de nos jours, c'est comme remettre en question l'existence de Dieu à l'époque de l'Inquisition. Les feux de joie pour hérétiques brûlent sur tous les écrans de la planÚte.
Vous pouvez vous émouvoir des pertes civiles ukrainiennes et remettre en cause la guerre comme moyen, mais si vous osez reconnaßtre l'existence de nazis dans l'armée ukrainienne, vous devenez systématiquement un agent de Poutine, sans droit de réponse, ni réhabilitation.
Les puissants mĂ©dias internationaux, qui, il y a quelques annĂ©es seulement, pouvaient ĂȘtre qualifiĂ©s de sĂ©rieux et de respectables, se sont transformĂ©s en quelques mois en une sorte de Goebbels collectif qui, soutenu par les derniĂšres technologies de l'image et analyses psychologiques, devient une arme de destruction massive de la conscience sans prĂ©cĂ©dent.
Dans un nombre croissant de pays, on vous demande, dans votre CV, de renseigner vos coordonnĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux. Avant de donner votre avis, sachez que cela peut vous coĂ»ter cher. Comme au Mexique ou en Colombie, oĂč les mafias du trafic de drogue offrent aux politiciens nouvellement Ă©lus le choix entre le plomb et l'argent, la tyrannie mondiale des mĂ©dias exige des journalistes la complaisance, ou le silence.
https://www.pressenza.com/2022/11/the-dictatorship-of-silence/