đâđ¨ La faillite de l'empire amĂŠricain
Le problème de ce système est celui auquel est confrontÊe toute pyramide de Ponzi : tôt ou tard, il n'y a plus de pigeons à plumer. La seule question qui se pose est de savoir quand la pompe va lâcher
đâđ¨ La faillite de l'empire amĂŠricain
Le dollar est enfin dĂŠtrĂ´nĂŠ
Par John Michael Greer, le 22 avril 2023
La seule question qui se pose est de savoir quand la pompe va lâcher.
Commençons par les bases. Environ 5 % de l'humanitĂŠ vit actuellement aux Ătats-Unis d'AmĂŠrique. Cette toute petite fraction de l'humanitĂŠ bĂŠnĂŠficiait, jusqu'Ă très rĂŠcemment, d'environ un tiers des ressources ĂŠnergĂŠtiques et des produits manufacturĂŠs du monde, et d'environ un quart de ses matières premières. Cela ne s'est pas produit parce que personne d'autre ne voulait de ces choses, ou parce que les Ătats-Unis fabriquaient et vendaient quelque chose de si tentant que le reste du monde s'empressait de leur cĂŠder ses richesses en ĂŠchange. Cela s'est produit parce que, en tant que nation dominante, les Ătats-Unis ont imposĂŠ des modèles d'ĂŠchange dĂŠfavorables au reste du monde, leur permettant de s'approprier une part disproportionnĂŠe des richesses de la planète.
Ce type d'arrangement n'a rien de nouveau. En son temps, l'Empire britannique contrôlait une part encore plus importante des richesses de la planète, et l'Empire espagnol jouait un rôle comparable, plus loin dans le temps. Il y a eu auparavant d'autres empires, mais les technologies de transport limitÊes ne leur permettaient pas une portÊe aussi grande. Par ailleurs, rien de tout cela n'a ÊtÊ inventÊ par les personnes à la peau claire. De puissants empires ont prospÊrÊ en Asie et en Afrique, alors que les peuples d'Europe vivaient dans des huttes de terre au toits de chaume. Les empires naissent chaque fois qu'une nation devient suffisamment puissante pour en dominer d'autres, et les priver de leurs richesses. Ils ont prospÊrÊ aussi loin que remontent les archives, et continueront sans doute à prospÊrer aussi longtemps que les civilisations humaines existeront.
L'empire amĂŠricain est nĂŠ dans le sillage de l'effondrement de l'empire britannique, au cours des guerres fratricides europĂŠennes du dĂŠbut du XXe siècle. Tout au long de ces annĂŠes amères, le rĂ´le d'hĂŠgĂŠmon mondial a fait l'objet d'une lutte acharnĂŠe et, vers 1930, il ĂŠtait assez clair que l'Allemagne, l'Union soviĂŠtique ou les Ătats-Unis finiraient par remporter la palme. Comme Ă l'accoutumĂŠe, deux prĂŠtendants ont uni leurs forces pour ĂŠvincer le troisième, puis les vainqueurs se sont affrontĂŠs, se taillant des sphères d'influence concurrentes jusqu'Ă ce que l'un d'entre eux s'effondre. Lorsque l'Union soviĂŠtique a implosĂŠ en 1991, les Ătats-Unis sont apparus comme le dernier empire tenant debout.
Dans un essai publiĂŠ en 1989, Francis Fukuyama a insistĂŠ sur le fait que les Ătats-Unis ĂŠtaient destinĂŠs Ă rester ĂŠternellement Ă la première place. Il avait bien sĂťr tort, mais il ĂŠtait hĂŠgĂŠlien et n'a donc pas pu dire autrement. (Si un adepte de Hegel vous dit que le ciel est bleu, allez vĂŠrifier.) L'ascension d'un empire engendre l'affĂťtage des couteaux des autres prĂŠtendants au pouvoir. Ils devront en faire usage, car les empires s'autodĂŠtruisent invariablement : au fil du temps, les consĂŠquences ĂŠconomiques et sociales de l'empire entraĂŽnent la destruction des conditions qui ont permis Ă l'empire d'exister. Cela peut se produire vite, ou Ă plus long terme, en fonction du mĂŠcanisme utilisĂŠ par chaque empire pour extraire les richesses des nations qui lui sont assujetties.
Le mĂŠcanisme utilisĂŠ par les Ătats-Unis Ă cette fin ĂŠtait ingĂŠnieux, mais encore plus limitĂŠ dans le temps que la plupart des autres. En termes simples, les Ătats-Unis ont imposĂŠ Ă la plupart des autres nations une sĂŠrie d'accords garantissant que la majeure partie du commerce international utiliserait le dollar amĂŠricain comme moyen d'ĂŠchange, et ont veillĂŠ Ă ce qu'une part toujours plus importante de l'activitĂŠ ĂŠconomique mondiale nĂŠcessite des ĂŠchanges internationaux. (Cela a permis au gouvernement amĂŠricain de fabriquer des dollars Ă partir de rien, grâce Ă des dĂŠficits budgĂŠtaires gargantuesques, afin que les intĂŠrĂŞts amĂŠricains puissent investir ces dollars dans l'acquisition de vastes quantitĂŠs de richesses dans le reste du monde. Comme les banques centrales et les entreprises d'outre-mer se sont emparĂŠes des dollars excĂŠdentaires, dont elles avaient besoin pour leur propre commerce extĂŠrieur, l'inflation est restĂŠe sous contrĂ´le, profitant essentiellement aux catĂŠgories les plus aisĂŠes des Ătats-Unis.
Le problème de ce système est le mĂŞme que celui auquel sont confrontĂŠes toutes les pyramides de Ponzi : tĂ´t ou tard, il n'y a plus de pigeons Ă plumer. C'est ce qui s'est produit peu après le tournant du millĂŠnaire et qui, avec d'autres facteurs - notamment le pic de la production mondiale de pĂŠtrole conventionnel - a menĂŠ Ă la crise financière de 2008-2010. Depuis 2010, les Ătats-Unis passent d'une crise Ă l'autre. Ce n'est pas un hasard. La pompe Ă richesse qui maintenait les Ătats-Unis au sommet de la pyramide mondiale s'est essoufflĂŠe, car un nombre croissant de pays ont ont mis en place des dispositifs pour conserver la plus grande part de leurs propres richesses en ĂŠlargissant leurs marchĂŠs intĂŠrieurs et en ĂŠlevant le type de barrières commerciales que les Ătats-Unis utilisaient avant 1945 pour construire leur propre ĂŠconomie. La seule question qui se pose est de savoir quand la pompe va lâcher.
Lorsque la Russie a lancĂŠ son invasion de l'Ukraine en fĂŠvrier 2022, les Ătats-Unis et leurs alliĂŠs y ont rĂŠpondu non pas par la force militaire, mais par des sanctions ĂŠconomiques punitives, censĂŠes paralyser l'ĂŠconomie russe et mettre la Russie Ă genoux. Apparemment, personne Ă Washington n'a envisagĂŠ la possibilitĂŠ que d'autres nations ayant intĂŠrĂŞt Ă affaiblir l'empire amĂŠricain puissent avoir quelque chose Ă dire Ă ce sujet. Bien entendu, c'est ce qui s'est produit. La Chine, la première puissance ĂŠconomique de la planète en termes de pouvoir d'achat, a fait un doigt d'honneur Ă Washington en augmentant ses importations de pĂŠtrole, de gaz, de cĂŠrĂŠales et d'autres produits en provenance de Russie. L'Inde, troisième ĂŠconomie de la planète en termes de pouvoir d'achat, a fait de mĂŞme, tout comme plus d'une centaine d'autres pays.
Enfin, il y a l'Iran, que la plupart des AmĂŠricains ignorent superbement. L'Iran est la 17e nation du monde, plus de deux fois la taille du Texas et encore plus riche en pĂŠtrole et en gaz naturel. C'est aussi une puissance industrielle en plein essor. Son industrie automobile est florissante, et il construit et lance ses propres satellites sur orbite. Le gouvernement et le secteur industriel iraniens maĂŽtrisent donc toutes les astuces possibles et imaginables pour contourner ces sanctions.
Juste après le dĂŠbut de la guerre en Ukraine, la Russie et l'Iran ont soudainement commencĂŠ Ă conclure des accords commerciaux en faveur de l'Iran. Il est clair que l'une des contreparties ĂŠtait que les Iraniens transmettaient leurs connaissances chèrement acquises sur la manière de contourner les sanctions Ă un auditoire attentif de fonctionnaires russes. Avec un peu d'aide de la Chine, de l'Inde et du reste de l'humanitĂŠ, la faillite totale des sanctions n'a pas tardĂŠ Ă se manifester. Aujourd'hui, les sanctions nuisent aux Ătats-Unis et Ă l'Europe, pas Ă la Russie, mais les dirigeants amĂŠricains se sont enfermĂŠs dans une posture irrĂŠversible. Cela pourrait expliquer en grande partie pourquoi la stratĂŠgie russe en Ukraine a ĂŠtĂŠ si modĂŠrĂŠe. Les Russes n'ont aucune raison de se presser. Ils savent que le temps ne joue pas en faveur des Ătats-Unis.
Depuis plusieurs dÊcennies, la menace de l'exclusion du commerce international du fait des sanctions amÊricaines Êtait le bâton brandi par Washington pour dissuader les nations insoumises, pas assez petites pour permettre une invasion amÊricaine, ni assez fragiles pour faire l'objet d'une opÊration de changement de rÊgime appuyÊe par la CIA. Au cours de l'annÊe ÊcoulÊe, ce bâton s'est en fait rÊvÊlÊ être du petit bois et s'est brisÊ sous la main de Joe Biden. En consÊquence, partout dans le monde, les nations qui pensaient n'avoir d'autre choix que d'utiliser des dollars dans leur commerce extÊrieur se tournent vers leurs propres monnaies, ou vers les monnaies des puissances montantes. La domination du dollar amÊricain en tant que vecteur d'Êchange mondial touche donc à sa fin.
Il a ÊtÊ intÊressant d'observer les rÊactions des experts Êconomiques. D'autres ont soulignÊ qu'aucune autre monnaie n'Êtait prête à prendre la place du dollar ; c'est vrai, mais ce n'est pas pertinent. Lorsque la livre sterling a perdu un rôle similaire dans les premières annÊes de la Grande DÊpression, aucune autre monnaie n'Êtait prête à jouer ce rôle non plus. Ce n'est qu'en 1970 environ que le dollar amÊricain a fini de s'instaurer monnaie du commerce mondial. Dans l'intervalle, le commerce international a ÊvoluÊ maladroitement en utilisant les monnaies ou les Êchanges de matières premières sur lesquels les partenaires commerciaux pouvaient s'entendre : c'est-à -dire la même situation que celle qui se dessine autour de nous dans la foire d'empoigne du commerce mondial qui dÊfinira l'ère de l'après-dollar.
L'une des consĂŠquences intĂŠressantes du changement en cours est un retour vers les moyennes de rĂŠpartition des richesses au niveau mondial. Jusqu'Ă l'ĂŠpoque de l'empire europĂŠen, le cĹur ĂŠconomique du monde se trouvait en Asie du Sud Est. L'Inde et la Chine ĂŠtaient les pays les plus riches de la planète, et une sĂŠrie d'autres Ătats riches, de l'Iran au Japon, complĂŠtaient le tableau. Aujourd'hui encore, la majeure partie de la population mondiale se concentre dans cette rĂŠgion du monde. La grande ĂŠpoque de la conquĂŞte europĂŠenne a temporairement dĂŠtournĂŠ une grande partie de cette richesse vers l'Europe, appauvrissant du mĂŞme coup l'Asie. Cette situation a commencĂŠ Ă se dĂŠgrader avec l'effondrement des empires coloniaux europĂŠens au cours de la dĂŠcennie qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, mais certains des mĂŞmes arrangements ont ĂŠtĂŠ soutenus par les Ătats-Unis par la suite. Aujourd'hui, ils sont en train de s'ĂŠcrouler et l'Asie est en pleine ascension. D'ici l'annĂŠe prochaine, quatre des cinq plus grandes ĂŠconomies de la planète en termes de paritĂŠ de pouvoir d'achat seront asiatiques. La cinquième ĂŠconomie est celle des Ătats-Unis, et il se pourrait qu'elle ne figure plus dans cette liste pour très longtemps.
En bref, l'AmĂŠrique est en faillite. Nos gouvernements, du niveau fĂŠdĂŠral jusqu'au bas de l'ĂŠchelle, nos grandes entreprises et un très grand nombre de nos citoyens aisĂŠs ont accumulĂŠ des dettes gargantuesques, dont le service ne peut ĂŞtre assurĂŠ que par un accès direct ou indirect aux flux de richesses que les Ătats-Unis ont prĂŠlevĂŠes sur reste de la planète. Ces dettes ne peuvent ĂŞtre remboursĂŠes, et nombre d'entre elles ne pourront mĂŞme pas l'ĂŞtre avant longtemps. Les seules options sont le dĂŠfaut de paiement ou le gonflement de la dette, et dans les deux cas, les accords fondĂŠs sur les niveaux de dĂŠpenses courants seront caducs. Ătant donnĂŠ que les accords en question englobent la majeure partie de ce qui constitue un mode de vie ordinaire dans les Ătats-Unis d'aujourd'hui, l'impact qui rĂŠsultera de leur dissolution sera sĂŠvère.
En effet, 5 % des AmĂŠricains vont devoir recommencer Ă vivre comme ils le faisaient avant 1945. Si nous avions encore les usines, la main-d'Ĺuvre qualifiĂŠe, des ressources naturelles abondantes et les habitudes d'ĂŠconomie que nous avions Ă l'ĂŠpoque, la transition aurait ĂŠtĂŠ douloureuse, mais pas une dĂŠbâcle. Le problème, bien sĂťr, est que nous n'avons plus rien de tout cela. Les usines ont ĂŠtĂŠ fermĂŠes lors de l'engouement pour les dĂŠlocalisations des annĂŠes soixante-dix et quatre-vingt, lorsque l'ĂŠconomie impĂŠriale s'est emballĂŠe, et la main-d'Ĺuvre qualifiĂŠe a ĂŠtĂŠ dĂŠlaissĂŠe.
Nous disposons encore de certaines ressources naturelles, mais rien de comparable à ce que nous avions autrefois. Quant aux habitudes Êconomes, elles ont disparu il y a bien longtemps. à la fin des empire, il est beaucoup plus rentable d'exploiter les flux de richesses non gagnÊes à l'Êtranger que d'essayer de produire des richesses sur le territoire national, et la plupart des gens orientent leurs efforts en consÊquence. C'est ainsi que l'on se retrouve avec une Êconomie impÊriale tardive typique, avec une classe dirigeante qui affiche des niveaux de richesse impressionnants sur le papier, une classe de parasites qui prospère en s'occupant des très riches ou des systèmes bureaucratiques obsolètes qui infiltrent la vie publique et privÊe, et la grande majoritÊ de la population appauvrie, morose et peu disposÊe à lever le petit doigt pour sauver ses soi-disant maÎtres des consÊquences de leurs propres actes.
La bonne nouvelle, c'est qu'il existe une solution Ă tout cela. La mauvaise nouvelle, c'est qu'il faudra quelques dĂŠcennies de graves bouleversements pour y parvenir. La solution est que l'ĂŠconomie amĂŠricaine se rĂŠĂŠquipe pour produire de la richesse gagnĂŠe sous la forme de biens rĂŠels et de services non financiers. Cela se produira inĂŠvitablement Ă mesure que les flux de richesses non gagnĂŠes diminueront, que les produits ĂŠtrangers deviendront inabordables pour la plupart des AmĂŠricains et qu'il sera de nouveau rentable de produire des choses ici, aux Ătats-Unis. La difficultĂŠ, bien sĂťr, est que la plupart des choix ĂŠconomiques et politiques effectuĂŠs pendant un siècle pour soutenir notre ancien projet impĂŠrial devront ĂŞtre abandonnĂŠs.
L'exemple le plus Êvident ? La prolifÊration mÊtastatique des postes de direction au sein du gouvernement, des entreprises et des organisations à but non lucratif dans la vie amÊricaine. C'est une dÊcision judicieuse en cette ère d'empire, car elle permet de canaliser l'argent vers l'Êconomie de consommation, qui fournit les emplois existants aux classes appauvries. Les bureaux publics et privÊs regorgent de lÊgions d'employÊs de bureau dont le travail ne contribue en rien à la prospÊritÊ nationale, mais dont les chèques de paie soutiennent le secteur de la consommation. Cette bulle est dÊjà en train de fondre. Il est rÊvÊlateur qu'Elon Musk, après son rachat de Twitter, ait licenciÊ quelque 80 % du personnel de cette sociÊtÊ ; d'autres grands groupes Internet rÊduisent leurs effectifs, mais pas dans les mêmes proportions.
Le rÊcent tapage autour de l'intelligence artificielle contribue à amplifier la même tendance. Derrière les chatbots se cachent des programmes appelÊs "Large Language Models" (LLM), qui imitent très bien les usages les plus prÊvisibles du langage humain. De nos jours, un très grand nombre d'emplois de bureau passent la majeure partie de leur temps à produire des textes qui entrent dans cette catÊgorie : contrats, mÊmoires juridiques, communiquÊs de presse, articles de presse, etc. Ces emplois sont en voie de disparition. Le codage informatique se prête encore mieux à la production de LLM, de sorte que vous pouvez dire adieu à un grand nombre d'emplois dans le secteur des logiciels. Toute autre forme d'activitÊ Êconomique impliquant l'assemblage de sÊquences prÊvisibles de symboles est confrontÊe au même problème. Un document rÊcent de Goldman Sachs estime que quelque 300 millions d'emplois dans le monde industriel seront entièrement ou partiellement remplacÊs par des LLM dans les annÊes à venir.
Une autre technologie aux rÊsultats similaires est la crÊation d'images de synthèse. Levi's a annoncÊ il y a peu que tous ses futurs catalogues et publicitÊs utiliseraient des images de synthèse au lieu de mannequins et de photographes grassement payÊs. Il faut s'attendre à ce que la même chose se gÊnÊralise. Et ce sera au tour d'Hollywood. Nous ne sommes plus très loin du stade oÚ un programme pourra rÊcupÊrer toutes les images de Marilyn Monroe dans ses films et les utiliser pour gÊnÊrer de nouveaux films de Marilyn Monroe pour une fraction infime de ce que coÝte l'embauche d'acteurs vivants, d'Êquipes de tournage et de tout le reste. Il en rÊsultera une diminution drastique des emplois bien rÊmunÊrÊs dans un large pan de l'Êconomie.
Le rÊsultat de tout cela ? Eh bien, une partie des experts insistera à tue-tête sur le fait que rien ne changera de quelque manière que ce soit, et une autre se mettra à hurler que l'apocalypse est à nos portes. Ce sont les deux seules options que notre imagination collective peut traiter ces jours-ci. Bien sÝr, ni l'une ni l'autre ne se produira.
Ce qui se passera plutĂ´t, c'est que les classes moyennes et moyennes supĂŠrieures des Ătats-Unis et de nombreux autres pays seront confrontĂŠes au mĂŞme type de dĂŠmolition lente que celle qui a frappĂŠ les classes ouvrières de ces mĂŞmes pays Ă la fin du 20e siècle. Licenciements, faillites d'entreprises, baisse des salaires et des avantages sociaux, et la dernière version high-tech des panneaux "NO HELP WANTED" [Pas d'embauche ici] se succĂŠderont Ă intervalles irrĂŠguliers. Toutes les entreprises qui gagnent de l'argent en s'adressant Ă ces mĂŞmes classes perdront ĂŠgalement leurs revenus, pan par pan. Les communautĂŠs se videront comme ce fut le cas il y a un demi-siècle des villes industrielles de la "Rust Belt" amĂŠricaine et des Midlands anglaises, mais cette fois, ce sera au tour des banlieues huppĂŠes et des quartiers urbains branchĂŠs de s'effondrer au fur et Ă mesure que disparaĂŽtront les sources de revenus qui les faisaient vivre.
Ce processus ne sera pas rapide. Le dollar amĂŠricain perd sa place en tant que moyen universel de commerce extĂŠrieur, mais il sera encore utilisĂŠ par certains pays pendant des annĂŠes. Le dĂŠmantèlement des mĂŠcanismes qui dirigent les richesses non gagnĂŠes vers les Ătats-Unis ira un peu plus vite, mais cela prendra tout de mĂŞme du temps. L'effondrement de la classe des employĂŠs de bureau et la destruction des banlieues s'ĂŠtaleront sur des dĂŠcennies. C'est ainsi que se dĂŠroulent les mutations de ce type.
Quant à ce que les gens peuvent faire pour rÊagir si tard dans le processus, je me rÊfère à un article que j'ai publiÊ sur The Archdruid Report en 2012, intitulÊ "Collapse Now and Avoid the Rush" (S'effondrer maintenant et Êviter le chaos). Dans cet article, je soulignais que l'effondrement de l'Êconomie amÊricaine, et le projet plus large de la civilisation industrielle, s'accÊlÊrait et que les personnes qui voulaient s'y prÊparer devaient le faire rapidement en rÊduisant leurs dÊpenses, en se libÊrant de leurs dettes et en acquÊrant les compÊtences nÊcessaires pour produire des biens et des services pour les personnes plutôt que pour la machine de l'entreprise. Je me rÊjouis de pouvoir dire que certains ont fait ces choses, mais beaucoup d'autres ont levÊ les yeux au ciel ou ont pris la ferme rÊsolution de faire quelque chose dès que les choses seraient plus faciles, ce qui n'a jamais ÊtÊ le cas.
Au cours des annÊes suivantes, j'ai rÊpÊtÊ cet avertissement, puis je suis passÊ à d'autres thèmes, car il ne servait à rien de parler du dÊsordre qui s'annonçait alors que les dÊlais d'action Êtaient dÊjà ÊcoulÊs. Ceux qui se sont prÊparÊs à temps surmonteront le dÊsordre qui s'annonce aussi bien que n'importe qui d'autre. Ceux qui ne l'ont pas fait ? L'urgence est là . Je suis dÊsolÊ de vous dire que, quoi que vous fassiez, il est probable que beaucoup d'autres personnes affolÊes essaieront de faire la même chose. Vous aurez peut-être de la chance, mais ce ne sera pas une mince affaire.
Je m'attends toutefois à ce que certains adoptent une approche diffÊrente. Dans les mois qui prÊcèdent la rÊalisation d'une de mes prÊvisions, je reçois rÊgulièrement une avalanche de commentaires insistant sur le fait que je suis trop rigide et dogmatique dans mes vues sur l'avenir, que je dois faire preuve d'une plus grande ouverture d'esprit à l'Êgard des autres possibilitÊs, que des avenirs merveilleux sont encore à portÊe de main, et ainsi de suite. J'ai reçu cette rÊponse en 2008, juste avant que la bulle immobilière ne commence à Êclater, comme je l'avais annoncÊ, et en 2010, juste avant que le prix du pÊtrole n'atteigne son maximum et ne commence à chuter, comme je l'avais Êgalement envisagÊ, entraÎnant dans son sillage le phÊnomène du "pic pÊtrolier". J'ai recommencÊ à essuyer le même genre de critiques.
Nous ĂŠvoluons au bord d'une longue pente glissante qui mène Ă une nouvelle rĂŠalitĂŠ indĂŠsirable. Les lecteurs des Ătats-Unis et de leurs proches alliĂŠs doivent se prĂŠparer Ă quelques dĂŠcennies de bouleversements ĂŠconomiques, sociaux et politiques dĂŠchirants. Ailleurs, les choses seront plus faciles, mais il faudra encore attendre, avant de pouvoir rebondir, que de nouveaux arrangements sociaux, ĂŠconomiques et politiques ĂŠmergent de l'ĂŠpave.