👁🗨 La famine à Gaza, une arme pour l'Égypte & Israël à Rafah
Alors que le blocus d'Israël pour affamer Gaza est notoire, l'Égypte soutient le statu quo en profitant discrètement des opérations de passage de la frontière, qui sont une question de vie ou de mort.
👁🗨 La famine à Gaza, une arme pour l'Égypte & Israël à Rafah
Par le correspondant du Cradle en Égypte, le 19 janvier 2024
Par un matin pluvieux, un groupe d'enfants palestiniens s'est rassemblé dans la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Le rassemblement n'était pas spontané, car les enfants ont rapidement commencé à brandir des pancartes sur lesquelles on pouvait lire “Ouvrez le passage”. Leur appel s'adressait aux organisations internationales situées de l'autre côté de la frontière, en Égypte, transmis par des pancartes alors que des camions d'aide restaient bloqués dans l'attente de l'autorisation égyptienne de traverser la frontière.
Alors que les enfants marchaient le long de la grille frontalière, un déjeuner a été offert aux observateurs de l'UE et au personnel de la société civile, qui ont donné leur repas aux enfants de Rafah. C'est là que le bât blesse. Ces affiches n'étaient pas adressées à l'Égypte. Le checkpoint en question n'était pas Rafah, mais Karni, le passage frontalier entre Gaza et Israël, au nord-est. Et l'incident a eu lieu en 2006, pas en 2024.
Des accords pour contrôler
En 2006, Israël a puni les Palestiniens, qui avaient voté pour le Hamas lors d'élections libres et équitables, en les privant de vivres. C'est la guerre silencieuse de Tel-Aviv, un blocus dont les victimes disparaissent peu à peu, en privant les 2,3 millions de civils de Gaza de nourriture et d'aide médicale.
Depuis que les forces israéliennes se sont retirées de Gaza en 2005, l'enclave s'est trouvée soumise à un blocus rigoureux, le transformant en une immense prison à ciel ouvert, cernée de barbelés et de checkpoints.
Huit passages étaient contrôlés - dont six par Israël - reliant Gaza aux territoires palestiniens occupés en 1948. Quatre de ces accès sont restés complètement fermés et deux ont été ouverts par intermittence : “Beit Hanoun” et “Kerem Shalom”.
Depuis le retrait militaire d'Israël de la bande de Gaza, Tel-Aviv n'a eu qu'un seul objectif : établir une hégémonie totale sur Gaza par voie terrestre, aérienne et maritime. Pour atteindre cet objectif, trois accords ont été signés pour réglementer les mouvements aux frontières : l'accord sur les postes frontières entre Israël et l'Autorité palestinienne (2005), l'accord palestino-européen-israélien sur le contrôle des frontières et le “Passage Philadelphie” entre l'Égypte et Israël.
Ce dernier accord a établi une zone tampon de 14 km le long de la frontière entre l'Égypte et la bande de Gaza, exigeant une coordination de la sécurité entre Israël et l'Égypte, la présence de gardes-frontières égyptiens le long du Passage Philadelphie et des patrouilles de sécurité de part et d'autre de la frontière.
Rafah, seul point de passage pour les habitants de Gaza
Le passage de Rafah était réservé aux détenteurs d'une carte d'identité palestinienne, les exceptions devant être notifiées au préalable au gouvernement israélien et approuvées par les plus hautes autorités de l'Autorité palestinienne.
L'Autorité générale des passages à Gaza, qui dépend de l'Autorité palestinienne, s'occupait des approbations et des objections, dans des délais stricts fixés par l'accord sur les traversées. Toutefois, les tensions ont augmenté lorsque le Hamas a pris le contrôle du passage en 2007, entraînant des modifications des opérations et fermetures en fonction de l'évolution des relations entre l'Égypte et le Hamas.
La dynamique a changé en 2017, lorsque les factions rivales du Fatah et du Hamas ont signé un accord de réconciliation, visant à mettre fin à la division interne persistante. Toutefois, le blocus complet de la bande de Gaza par Israël après l'opération de résistance menée par le Hamas le 7 octobre a renforcé l'importance du checkpoint de la bande de Gaza avec l'Égypte.
Il y a tout juste un an, le point de passage de Rafah est resté ouvert 245 jours et a permis le passage de plus de 140 000 personnes et de nombreuses denrées essentielles tels que le diesel, le gaz domestique et les matériaux de construction.
Parallèlement à son assaut militaire brutal et sans précédent contre Gaza, Tel-Aviv a instauré un blocus draconien contre les Palestiniens de la bande de Gaza, coupant l'accès à l'eau, à l'électricité et aux communications - ainsi qu'aux points de passage essentiels - depuis plus de 100 jours maintenant.
Le checkpoint de Rafah est devenu la seule bouée de sauvetage pour les civils qui cherchent à se protéger des bombardements, à recevoir des soins médicaux ou même un repas. Alors que les organisations internationales ont afflué pour livrer l'aide par ce point de passage, les déplacements massifs causés par les bombardements israéliens aveugles - et l'opposition égyptienne à un plan de réinstallation dans le Sinaï - ont aggravé la situation, conduisant à l'émergence d'une classe de bénéficiaires.
Trois issues pour sortir de Gaza
Avant cette guerre, il existait trois méthodes pour sortir de la bande de Gaza. La voie officielle consistait à soumettre des listes de noms à l'approbation de la partie israélienne, un processus qui prenait souvent plusieurs mois. Les demandeurs validés étaient confrontés à des obstacles supplémentaires côté égyptien, notamment des inspections et le transport vers l'aéroport du Caire dans une “caravane d'expulsion”.
La filière non officielle, gérée par des bureaux de courtage, offre un passage plus rapide moyennant des frais allant de 300 à 500 dollars, voire jusqu'à 10 000 dollars.
La troisième option, liée aux services de renseignement égyptiens, est exclusivement gérée par l’agence de voyage Hala, dont une source a indiqué à The Cradle qu'elle était liée à Ibrahim al-Arjani, homme d'affaires et chef de guerre notoire du Sinaï.
Cette route “VIP”, établie en 2021, permet un transit rapide, une dispense d'inspection et la possibilité pour les voyageurs de rester en Égypte avant de se rendre à l'aéroport, pour un coût allant de 500 à 700 dollars par personne.
L'Égypte profite de la souffrance des Palestiniens
Au vu des dernières atrocités israéliennes, l'État d'occupation a interdit de manière permanente la sortie des personnes ne figurant pas sur les listes approuvées, à l'exception des détenteurs de la double nationalité et ayant fait l'objet d'une intervention de la part d'une ambassade étrangère. Cependant, certains officiers égyptiens au point de passage ont exploité une faille connue sous le nom d'“exclusion de sécurité”. Cette pratique consiste à rejeter la sortie pour des raisons liées à l'association perçue du voyageur avec le Hamas, donnant lieu à des négociations portant sur des sommes substantielles pour la sortie.
Malgré la catastrophe militaire et humanitaire de Gaza et les demandes pressantes des ONG internationales pour autoriser l'aide à entrer dans la bande de Gaza, Israël fait la sourde oreille. Dans sa plaidoirie devant la Cour internationale de justice (CIJ), l'avocat israélien Christopher Stacker a rejeté la responsabilité sur un autre pays, déclarant sans ambages que “l'accès à la bande de Gaza par le point de passage de Rafah est contrôlé par l'Égypte”.
Il s'agissait d'une piètre tentative pour exonérer Israël de ses obligations en matière de droit international : le gouvernement égyptien a rapidement rejeté ces allégations, le chef du Service d'information de l'État (SIS), Diaa Rashwan, les qualifiant de “mensonges”.
Non seulement Le Caire a démenti les affirmations d'Israël, mais il a également soumis un argumentaire à la CIJ, précisant que l'Égypte n'a pas fermé le checkpoint de Rafah. Si l'Égypte contrôle le point de passage par voie terrestre, c'est Israël qui en assure le contrôle par voie aérienne. Ce sont les frappes aériennes israéliennes au point de passage de Rafah et dans la ville voisine de Khan Yunis qui ont tué au moins 49 personnes à la fin de l'année dernière.
La menace est grande. Si Israël n'autorise pas le passage d'un “convoi d’expulsion” ou d'un camion d'aide, c’est que Tel-Aviv pourrait procéder à de nouveaux bombardements à Rafah.
Le Caire n'est pas non plus tiré d'affaire. Même si l'Égypte n'est pas tenue pour responsable du blocus primaire de Gaza, elle en tire incontestablement profit.
https://new.thecradle.co/articles/starving-gaza-egypt-and-israels-rafah-weapon