đâđš La fermeture des gazoducs russes nuit bien plus Ă lâEurope quâĂ la Russie
Nous vivons une fragilisation de l'Europe & une montĂ©e en puissance de la Russie, suite aux dĂ©cisions de Bruxelles de couper l'approvisionnement en gaz, dĂ©cision saluĂ©e par lâEurope comme une rĂ©ussite
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Par Ian Proud, le 12 février 2025
La mise en sommeil des gazoducs russes en guise de punition présumée pour la guerre en Ukraine a eu l'effet inverse.
L'industrie européenne est paralysée par les prix élevés de l'énergie, et on nous dit que c'est la faute de la Russie. Mais c'est le résultat des politiques énergétiques autodestructrices de Bruxelles et de Berlin. La seule réponse serait d'augmenter l'approvisionnement mondial, un choix qui pourrait impliquer des décisions difficiles concernant les gazoducs russes.
Le Financial Times a rĂ©cemment rapportĂ© que certains Ătats membres de l'Union europĂ©enne envisagent de relancer l'approvisionnement en gaz russe en cas de cessez-le-feu en Ukraine. Cette solution s'avĂšre controversĂ©e, notamment parmi les Ătats russophobes purs et durs comme la Pologne et les pays baltes. Mais elle pourrait ĂȘtre Ă©conomiquement justifiĂ©e, non pas pour le bien de la Russie, mais pour celui de l'Europe.
Avant le dĂ©but de la guerre, les prix du gaz en Europe Ă©taient extrĂȘmement bas - comparables aux prix actuels du gaz aux Ătats-Unis - en raison d'une offre mondiale extrĂȘmement favorable. Le GNL en provenance des Ătats-Unis, du Moyen-Orient et d'Afrique, ainsi que le gaz acheminĂ© par gazoduc depuis la NorvĂšge et la Russie, ont fait baisser le prix de gros du gaz Ă des niveaux jamais vus depuis 2005.
Les importations europĂ©ennes de GNL ont fortement augmentĂ© aprĂšs le dĂ©but de la crise ukrainienne en 2014, passant de seulement 10 % Ă prĂšs de 50 % aujourd'hui, tandis que le gaz russe acheminĂ© par gazoduc continuait Ă affluer. Dans ce contexte, les importations en provenance des Ătats-Unis ont triplĂ© en volume entre 2021 et 2023 et reprĂ©sentent dĂ©sormais prĂšs de 50 % du total des importations europĂ©ennes de GNL.
Si vous lisez la presse europĂ©enne, vous entendrez souvent dire que le GNL amĂ©ricain est trop cher, contribuant ainsi aux difficultĂ©s Ă©conomiques auxquelles sont confrontĂ©s les industriels en Allemagne et ailleurs. Emmanuel Macron a par le passĂ© qualifiĂ© les Ătats-Unis d'âinamicauxâ pour avoir vendu Ă un prix Ă©levĂ© leur GNL. Mais c'est profondĂ©ment trompeur.
En 2019, on pouvait produire plus de gaz que le monde n'en consommait, entraßnant une baisse des prix. L'approvisionnement par gazoduc ou par bateau n'avait aucune incidence sur cette offre excédentaire.
La hausse des approvisionnements amĂ©ricains a eu le mĂȘme effet sur les prix mondiaux du gaz que l'offre excĂ©dentaire de pĂ©trole de schiste amĂ©ricain en janvier 2016, lorsque les prix ont chutĂ© Ă 26 dollars le baril.
L'effondrement des prix du pĂ©trole en 2016 a exercĂ© une pression considĂ©rable sur l'Ă©conomie russe, qui dĂ©pend fortement des taxes sur l'exportation de pĂ©trole et de gaz. L'excĂ©dent de la balance commerciale de la Russie en 2016 a atteint son niveau le plus bas depuis 1999, rĂ©duisant considĂ©rablement les recettes fiscales. Et cela s'est produit Ă un moment oĂč la Russie pompait des quantitĂ©s record de pĂ©trole et de gaz.
Car en l'occurrence, le prix mondial de l'énergie a un impact bien plus important sur la Russie que la quantité d'énergie que vous achetez à la Russie.
Lorsque le président Trump parle à l'OPEP de réduire le prix du pétrole et, par extension, le prix du gaz, il pense que cela nuira davantage à l'économie russe que de réduire les approvisionnements russes
Cependant, la politique monétaire russe est aujourd'hui trÚs différente de celle de 2016. Un rouble faible est le bienvenu, car il permet de compenser la chute des prix de l'énergie et d'obtenir des excédents plus importants lorsque les prix flambent.
Ainsi, mĂȘme une baisse du prix du pĂ©trole Ă 45 dollars, comme le suggĂšre Trump, pourrait ne pas avoir autant d'impact sur la Russie qu'il ne le pense. Et, dans tous les cas, ces prix ne seront envisageables qu'en modifiant radicalement l'Ă©quation de l'offre.
La mise en veille prolongée des gazoducs russes en guise de punition pour la guerre de Poutine en Ukraine produit l'effet inverse : elle restreint l'approvisionnement, fait grimper les prix et nuit bien plus à l'Europe qu'à la Russie.
En 2018, l'Europe a importé 201 milliards de mÚtres cubes de gaz de Russie, principalement par gazoducs, ce qui représente 38 % de ses importations totales de gaz. Depuis le début de la guerre, l'Europe a réduit de 185 milliards de mÚtres cubes son approvisionnement annuel potentiel, soit 35 % de ses importations totales de gaz.
Ces chiffres incluent la destruction de ou la suspension des gazoducs Nord Stream (110 milliards de mÚtres cubes), la suspension du gazoduc Yamal via la Biélorussie (33 milliards de mÚtres cubes) et désormais la coupure du transit de gaz via l'Ukraine début 2025 (42 milliards de mÚtres cubes). Il ne reste donc que 17,5 milliards de mÚtres cubes de capacité de transit via la Turquie pour le gaz russe.
CÎté demande, la Commission européenne a encouragé la constitution de stocks de gaz induite par la peur, alimentant ainsi l'inflation.
Ajoutez Ă cela l'Allemagne, autrefois moteur Ă©conomique et aujourd'hui pays malade de l'Europe. Si sa stratĂ©gie en matiĂšre d'Ă©nergie verte pourrait avoir du sens Ă long terme, la fermeture de ses derniĂšres centrales nuclĂ©aires en 2023, l'annĂ©e suivant le dĂ©but de la guerre en Ukraine, a Ă©tĂ© pour le moins imprudente. Il n'est pas Ă©tonnant qu'Annalena Baerbock, la ministre allemande des Affaires Ă©trangĂšres, membre des Verts, fasse tout son possible pour rejeter la responsabilitĂ© de la crise Ă©conomique que lâAllemagne sâest auto-infligĂ©e sur la Russie, et non sur son propre parti politique.
En raison de cette forte augmentation de la demande, on peut observer une spéculation massive en Europe de la part de négociants qui concluent des contrats à long terme avec des fournisseurs américains et revendent le gaz avec une marge bénéficiaire.
Les prix ne mentent pas. Le coĂ»t du gaz naturel en Europe est astronomique comparĂ© Ă celui des Ătats-Unis. Fin 2024, les prix du gaz naturel aux Ătats-Unis s'Ă©levaient Ă un peu plus de 8 âŹ/MWh, contre 40 âŹ/MWh en Europe, soit une diffĂ©rence de quatre fois et demie.
L'une des raisons pour lesquelles l'économie américaine a connu une croissance de 2,8 % et l'économie russe de plus de 3 % est l'abondance d'énergie bon marché dans ces deux pays. Les indicateurs économiques du Royaume-Uni et de la zone euro ont à peine bougé l'année derniÚre.
Pendant ce temps, la soliditĂ© des exportations russes ne montre aucun signe d'affaiblissement. AprĂšs une annĂ©e 2022 extrĂȘmement rentable, la Russie a enregistrĂ© un excĂ©dent commercial de 88 milliards de dollars en 2023 et de 120 milliards de dollars en 2024, les deux tiers de ses exportations Ă©tant constituĂ©s de pĂ©trole et de gaz. On peut supposer que lâannĂ©e 2025 ne sera pas diffĂ©rente.
Car le gaz, comme le pĂ©trole, va lĂ oĂč existe la demande. La guerre en Ukraine a entraĂźnĂ© une hausse continue des livraisons de gaz russe Ă la Chine. La Russie a augmentĂ© ses exportations de GNL vers l'Europe Ă un prix plus Ă©levĂ© que celui des livraisons de gaz par gazoduc, moins onĂ©reuses. Et la Russie dĂ©veloppe actuellement une route d'approvisionnement de la mer Caspienne vers l'Iran.
Un rappel opportun de la façon dont, avec la guerre en Ukraine, la politique est à nouveau victime de la tyrannie que constitue la vision à court terme.
Nous vivons une situation de fragilisation de l'Europe et de montée en puissance de la Russie, suite à la décision de Bruxelles de couper l'approvisionnement en gaz par pipelines, décision saluée par les dirigeants européens comme une réussite.
Si le prĂ©sident Trump veut âforer, forer, forer pour inonder l'Europe de gaz naturel liquĂ©fiĂ© (GNL) amĂ©ricainâ, alors les dirigeants europĂ©ens devraient rĂ©pondre âexportez, exportez, exportezâ, car cela ferait baisser les prix, offrant ainsi Ă l'industrie europĂ©enne le coup de pouce dont elle a dĂ©sespĂ©rĂ©ment besoin. Ne le dites pas trop fort, mais acheter du gaz russe pourrait aussi aider l'Europe.