đâđš La âfin de partieâ Ă gĂ©omĂ©trie variable de Netanyahou - non pas un stratagĂšme, mais un retour Ă la bonne vieille stratĂ©gie sioniste
Si le âsystĂšmeâ s'Ă©croule (comme le 7 octobre), des concepts comme ceux de Blinken sur le âjour d'aprĂšsâ Ă Gaza mettent en doute la viabilitĂ© du projet sioniste: il devra ĂȘtre repensĂ© - ou abandonnĂ©.
đâđš La âfin de partieâ Ă gĂ©omĂ©trie variable de Netanyahou - non pas un stratagĂšme, mais un retour Ă la bonne vieille stratĂ©gie sioniste
Par Alastair Crooke, le 22 janvier 2024
Feu Ariel Sharon, chef militaire et politique israélien de longue date, confia un jour à son ami Uri Dan que
âles Arabes n'ont jamais vĂ©ritablement acceptĂ© la prĂ©sence d'IsraĂ«l... et qu'une solution Ă deux Ătats n'Ă©tait donc pas possible - ni mĂȘme souhaitableâ.
Dans l'esprit de ces deux personnes - ainsi que dans celui de la plupart des IsraĂ©liens aujourd'hui - se trouve le ânĆud gordienâ au cĆur du sionisme : comment maintenir des droits distincts sur un territoire physique incluant une importante population palestinienne.
Les dirigeants israĂ©liens pensaient qu'avec l'approche non conventionnelle de Sharon, l'âambiguĂŻtĂ© spatialeâ, IsraĂ«l Ă©tait sur le point de trouver une solution Ă l'Ă©nigme de la gestion des droits distincts au sein d'un Ătat Ă majoritĂ© sioniste qui comprend d'importantes minoritĂ©s. De nombreux IsraĂ©liens pensaient (jusqu'Ă rĂ©cemment) que les Palestiniens Ă©taient contenus avec succĂšs dans un espace politique et physique restreint - et qu'ils Ă©taient mĂȘme en train de âdisparaĂźtreâ de maniĂšre significative - mais le 7 octobre, le Hamas a fait voler en Ă©clats tout ce paradigme complexe.
Cet Ă©vĂ©nement a dĂ©clenchĂ© une peur gĂ©nĂ©ralisĂ©e et existentielle de voir le projet sioniste imploser si ses fondements sionistes exceptionnelistes Ă©taient rejetĂ©s par une large rĂ©sistance prĂȘte Ă porter le problĂšme jusqu'Ă la guerre.
L'article rĂ©cent du journaliste amĂ©ricain Steve Inskeep - âIsrael's Lack of Strategy is the Strategyâ [Les lacunes stratĂ©giques, voilĂ la stratĂ©gieâ] - met en lumiĂšre un paradoxe Ă©vident : alors que Netanyahou est trĂšs clair sur ce qu'il ne veut pas, il reste obstinĂ©ment opaque sur ce qu'il veut comme avenir pour les Palestiniens vivant sur un territoire partagĂ©.
Pour ceux qui pensent que la paix au Moyen-Orient pourrait (ou devrait) ĂȘtre l'objectif de Netanyahou, ce manque de clartĂ© constitue une grave âfailleâ dans la rĂ©solution de la crise de Gaza. Cependant, si Netanyahou (soutenu par son cabinet et par une majoritĂ© d'IsraĂ©liens) ne propose aucune stratĂ©gie de paix avec les Palestiniens, alors cette omission n'est peut-ĂȘtre pas un âbugâ, mais plutĂŽt une caractĂ©ristique.
Pour comprendre l'oxymore sous-jacent, il faut comprendre pourquoi Ariel Sharon et Uri Dan âont dit ce qu'ils ont ditâ, et comment l'expĂ©rience militaire de Sharon lors de la guerre de 1973 a effectivement influencĂ© l'ensemble du concept palestinien. En 2011, j'ai Ă©crit un article dans Foreign Policy qui avançait que la notion d'ambiguĂŻtĂ© permanente palestinienne de Sharon Ă©tait - et a Ă©tĂ© - la principale rĂ©ponse des sionistes Ă la maniĂšre de contourner le paradoxe inhĂ©rent au sionisme. Trente ans plus tard, cette notion est toujours prĂ©sente dans toutes les dĂ©clarations rĂ©centes de Netanyahou (et des dirigeants israĂ©liens de tout l'Ă©chiquier politique).
DĂ©jĂ en 2008, la ministre des affaires Ă©trangĂšres (et avocate), Tzipi Livni, expliquait pourquoi
âla seule rĂ©ponse d'IsraĂ«l (Ă la question de savoir comment maintenir le sionisme) Ă©tait de maintenir les frontiĂšres de l'Ătat indĂ©terminĂ©es - tout en s'accrochant aux rares ressources en eau et en terre - laissant les Palestiniens dans un Ă©tat d'incertitude permanente, dĂ©pendant de la bonne volontĂ© d'IsraĂ«lâ.
Et j'ai noté dans un autre article que
âLivni disait vouloir qu'IsraĂ«l soit un Ătat sioniste, basĂ© sur la loi du retour et ouvert Ă tous les Juifs. Toutefois, pour garantir un tel Ătat dans un pays dont le territoire est trĂšs limitĂ©, la terre et l'eau doivent rester sous contrĂŽle juif, avec des droits distincts pour les Juifs et les non-Juifs - des droits qui affectent tout, du logement et de l'accĂšs Ă la terre, aux emplois, aux subventions, aux mariages et Ă la migrationâ.
Par consĂ©quent, une solution Ă deux Ătats ne rĂ©sout pas le problĂšme du maintien du sionisme : au contraire, elle l'aggrave. La revendication incontournable d'une Ă©galitĂ© totale des droits pour les Palestiniens entraĂźnerait la fin des âdroits spĂ©ciauxâ juifs et du sionisme lui-mĂȘme, a affirmĂ© Livni - une menace avec laquelle la plupart des sionistes sont d'accord.
La réponse de Sharon à ce paradoxe ultime était cependant différente :
Sharon avait un plan alternatif pour gĂ©rer un important âgroupe Ă©trangerâ non juif, physiquement prĂ©sent dans un Ătat sioniste aux droits distincts. L'alternative de Sharon se rĂ©sumait Ă refuser une solution Ă deux Ătats Ă l'intĂ©rieur de frontiĂšres fixes.
Cela suggĂšre un raisonnement trĂšs diffĂ©rent, en contradiction avec ce qui a longtemps Ă©tĂ© prĂ©sumĂ© par le consensus international, Ă savoir qu'une solution Ă deux Ătats finirait par Ă©merger - quoi qu'il arrive - parce qu'il en allait de l'intĂ©rĂȘt dĂ©mographique ultime d'IsraĂ«l.
L'origine de l'âalternativeâ de Sharon se trouve dans sa rĂ©flexion militaire radicalement non orthodoxe sur la maniĂšre de dĂ©fendre le SinaĂŻ, alors occupĂ©, contre l'armĂ©e Ă©gyptienne lors de la guerre avec l'Ăgypte en 1973.
L'issue de la guerre israĂ©lo-arabe de 1973 a pleinement justifiĂ© la doctrine de Sharon d'une dĂ©fense par rĂ©seau basĂ©e sur une sĂ©rie de points forts rĂ©partis dans toute la profondeur du SinaĂŻ - un cadre qui a fait office de âpiĂšgeâ spatial Ă©tendu offrant aux IsraĂ©liens un haut niveau de mobilitĂ©, tout en paralysant l'ennemi pris dans sa matrice de points forts interdĂ©pendants.
(Si le lecteur remarque la similitude d'approche avec les lieux stratĂ©giques israĂ©liens que sont les âpoints fortsâ des colonies dissĂ©minĂ©s en Cisjordanie aujourd'hui, ce n'est pas une coĂŻncidence).
Sharon envisageait les profondeurs de la Cisjordanie dans son intĂ©gralitĂ© comme une âfrontiĂšreâ Ă©tendue, permĂ©able et temporaire. Cette approche pouvait donc faire abstraction de tout tracĂ© en pointillĂ©s, Ă©tabli pour indiquer une quelconque frontiĂšre politique. Ce cadre Ă©tait destinĂ© Ă laisser les Palestiniens dans un Ă©tat d'incertitude permanente, pris dans une matrice de colonies imbriquĂ©es les unes dans les autres, et soumis Ă une intervention militaire israĂ©lienne Ă la seule discrĂ©tion d'IsraĂ«l.
En 1982, Sharon a Ă©laborĂ© son plan âHâ, une structure de colonies de peuplement en âpoints fortsâ pour la Cisjordanie, censĂ©e reflĂ©ter la stratĂ©gie du SinaĂŻ. Toutefois, cette stratĂ©gie dĂ©fensive a Ă©galement eu pour effet de donner au âsionisme de colonisationâ une nouvelle raison d'ĂȘtre et une nouvelle lĂ©gitimitĂ©.
Le succĂšs de cette stratĂ©gie l'a donc fait passer d'une structure dĂ©fensive essentiellement militaire (pour paralyser les Palestiniens Ă l'intĂ©rieur d'une matrice de positions fortes des Forces de dĂ©fense israĂ©liennes) Ă la base d'une gestion plus large des Palestiniens. Au fil des ans, cette structure est devenue plus rĂ©pressive, plus inique et plus mal acceptĂ©e. Et finalement, elle a donnĂ© naissance Ă la solution d'apartheid Ă deux Ătats.
Lorsqu'Ariel Sharon a âtracĂ©â les limites de la frontiĂšre israĂ©lienne et les a âposĂ©esâ de part et d'autre de la Cisjordanie, il a en fait dĂ©clarĂ© que les colons de Cisjordanie constituent l'extension spatiale de la frontiĂšre du territoire d'avant 1967, de la mĂȘme maniĂšre qu'il avait Ă©largi la frontiĂšre d'IsraĂ«l Ă travers les matrices de points forts dans le SinaĂŻ.
C'Ă©tait prĂ©cisĂ©ment le but de sa vision : peu importe qu'IsraĂ«l soit le territoire d'avant ou d'aprĂšs 1967 - toutes les frontiĂšres sont fluides et changeantes, selon lui. La âfrontiĂšreâ Ă©tendue, Ă©lastique, permĂ©able et matricielle de Sharon a donc entamĂ© le processus - dans la sphĂšre militaire - d'effacement des dĂ©marcations entre l'intĂ©rieur et l'extĂ©rieur politiques. Ce concept, associĂ© Ă celui d'espace ânon respectĂ©â de Sharon, est devenu la doctrine militaire israĂ©lienne Ă©tablie.
âNous voulons confronter l'espace dĂ©limitĂ© de la pratique militaire traditionnelle et dĂ©modĂ©e Ă une fluiditĂ© permettant de se dĂ©placer dans l'espace et de franchir toutes les frontiĂšres et les barriĂšres sans entrave. PlutĂŽt que de contenir et d'organiser nos forces en fonction des frontiĂšres existantes, nous voulons nous dĂ©placer Ă travers ellesâ, notait un officier supĂ©rieur israĂ©lien en 2006.
Il est essentiel de noter que l'estompement de l'espace établi et délimité s'est progressivement propagé de la sphÚre militaire à la sphÚre politique israélienne. En outre, le principe de l'estompement de ce qui est à l'intérieur et de ce qui ne l'est pas a été étendu à l'espace politique et juridique des territoires palestiniens occupés. Il a permis la création d'un espace à deux vitesses, soumettant les Juifs israéliens et les Arabes palestiniens à des grilles de mobilité et de traitement administratif différentes.
L'espace juridique et administratif ainsi différencié a permis de consolider le principe politique sioniste des droits politiques distincts. Ce systÚme à deux niveaux prévoit l'exclusion politique des Palestiniens, mais maintient leur dépendance et leur inclusion juridique dans l'appareil de contrÎle israélien. Il s'agit essentiellement du systÚme d'exception souveraine abordé par des philosophes tels que Carl Schmitt et Giorgio Agamben.
Nous en sommes aujourd'hui au mĂȘme point : dĂšs lors qu'il est clair que l'objectif primordial est de maintenir le sionisme, tout ce que fait Netanyahou prend alors un sens. Le cĆur du problĂšme reste inchangĂ© : la contradiction inhĂ©rente Ă un Ătat sioniste exceptionnaliste incorporant un important groupe de non-Juifs sans droits - qu'il soit dĂ©tenu dans le ghetto clĂŽturĂ© de Gaza ou dans une âmatrice de bastion de colonsâ en Cisjordanie - est devenue intenable.
Une fois que le âsystĂšmeâ de partition d'Ariel Sharon s'effondre (comme ce fut le cas le 7 octobre), des concepts tels que les propositions de Blinken sur le âjour d'aprĂšsâ pour Gaza jettent le doute sur la viabilitĂ© du projet sioniste en tant que tel. En clair, le sionisme devra ĂȘtre repensĂ© - ou abandonnĂ©.
De mĂȘme, les rĂ©ponses politiques de l'Occident devront ĂȘtre revues. Les platitudes bien intentionnĂ©es sur une âsolutionâ Ă deux Ătats arrivent des annĂ©es trop tard. Trop d'eau a coulĂ© sous les ponts. L'Occident pourrait plutĂŽt commencer Ă envisager les implications d'une dĂ©faite pour ceux qui ont choisi leur camp dans ce conflit. Non seulement IsraĂ«l Ă Gaza est sur le banc des accusĂ©s Ă La Haye, mais aussi beaucoup d'autres (du point de vue du monde du Sud).
Cette âinclusion par exclusionâ israĂ©lienne aurait-elle vraiment pu perdurer ? Le systĂšme politique techno-spatial sharonien, malgrĂ© sa prĂ©tention Ă la lĂ©gitimitĂ© philosophique, n'est aprĂšs tout, Ă la base, qu'une Ă©volution du paradigme associĂ© Ă un stratĂšge sioniste clĂ©, Vladimir Jabotinsky : Ă savoir une maniĂšre diffĂ©rente de faire âdisparaĂźtreâ les Palestiniens.
Et si les constructions techno-spatiales ne permettent pas de faire âdisparaĂźtreâ le groupe palestinien, il ne serait pas surprenant que la logique de la situation ramĂšne Netanyahou et son gouvernement Ă la stratĂ©gie originale de Sharon, Ă savoir le non-respect radical de l'espace militaire et des frontiĂšres politiques, afin de surprendre et de crĂ©er un piĂšge gĂ©ographique Ă©largi pour les Palestiniens (comme Sharon l'a fait avec l'armĂ©e Ă©gyptienne).
âIsraĂ«l est l'Ătat du peuple juifâ, a soulignĂ© Livni en 2008, insistant sur la âposition de fondâ sioniste, âet jâinsiste sur la signification de âson peupleâ, le peuple juif, JĂ©rusalem Ă©tant la capitale unie et indivise d'IsraĂ«l et du peuple juif depuis 3007 ansâ.