đâđš La Gaza d'avant a rejoint nos morts
Nous ne vivrons jamais soumis, occupĂ©s, sous blocus. Nous n'accepterons jamais ni ne pardonnerons Ă un Ătat de poursuivre son expansion coloniale sur les tombes des enfants & des anciens.
đâđš La Gaza d'avant a rejoint nos morts
Par Hebh Jamal, le 10 octobre 2024
Nous ne nous battons pas pour la Palestine pour nos familles. Je ne me raccroche plus aux espoirs de réunification et de survie. Nous nous battons pour la Palestine parce que la libération de son peuple signifie notre libération à tous.
On a peine Ă croire qu'un an s'est Ă©coulĂ© depuis le dĂ©but de ce gĂ©nocide. Il est difficile d'imaginer que Gaza est toujours noyĂ©e dans le bĂ©ton et le sang alors que nous n'avons pas rĂ©ussi Ă mettre fin aux bombardements et Ă l'anĂ©antissement systĂ©matique du peuple palestinien. Et maintenant, alors que la guerre s'Ă©tend au Liban, personne ne semble pouvoir arrĂȘter IsraĂ«l et sa soif de destruction.
J'ai toujours espĂ©rĂ© que tant que mes proches, ma famille, seraient toujours en vie, on pourrait simplement reconstruire quand ce cauchemar cesserait. MĂȘme si le bombardement de la maison d'enfance de mon mari Ă Khan Younis lui a brisĂ© le cĆur, nous nous sommes mutuellement promis que les maisons seraient reconstruites et que de nouveaux souvenirs y fleuriraient, pour autant que nos proches survivent.
C'est donc en m'accrochant à cet espoir de réunification que j'ai lutté contre la complicité de mon pays dans le génocide. J'ai participé à toutes les manifestations possibles et plaidé la cause de la population de Gaza sur les réseaux sociaux et dans le cadre de campagnes politiques. Dans mon organisation créée en octobre, Zaytouna, nous avons continué à sensibiliser les citoyens allemands à la lutte de libération palestinienne.
Sinon qu'en Allemagne, le simple fait de protester ou de contester les crimes de guerre d'IsraĂ«l, peut vous faire sombrer dans un ocĂ©an d'amendes et de batailles juridiques pour avoir simplement repris des refrains tels que âdu fleuve Ă la merâ, ou mĂȘme le fait plus Ă©vident quââIsraĂ«l commet un gĂ©nocide.â
En ce qui me concerne, je suis clairement dans le collimateur du gouvernement fĂ©dĂ©ral. J'ai rĂ©cemment appris que la police allemande (Bundespolizei) m'avait signalĂ©e pour âradicalisation Ă la haine anti-israĂ©lienne et Ă l'antisĂ©mitismeâ, ainsi que pour sa conviction que mon mari et moi-mĂȘme âne croyons pas au droit d'IsraĂ«l d'existerâ, c'est du moins ce qu'on m'a dit Ă la sĂ©curitĂ© des frontiĂšres. Bien que je n'aie jamais Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e ou inculpĂ©e pour quelque dĂ©lit que ce soit, y compris pour motif politique, le gouvernement fĂ©dĂ©ral nous a mis sur liste noire, nous a surveillĂ©s et a tentĂ© de nous coincer, moi et mes collĂšgues, pour avoir exercĂ© notre droit Ă manifester.
Mais tout cela ne m'a pas perturbĂ©e, car si c'est le prix Ă payer pour lutter pour la survie de ma famille, alors qu'il en soit ainsi. Tout va bien tant qu'ils survivent, et nous serons de nouveau rĂ©unis une fois la guerre terminĂ©e. J'avais hĂąte de revoir ma cousine par alliance, Sama. Elle m'a serrĂ© contre elle Ă la fin de notre sĂ©jour Ă Gaza, en aoĂ»t 2022, et m'a dit : âS'il te plaĂźt, reviens vite.â Je le lui ai promis.
Mais IsraĂ«l m'a empĂȘchĂ©e de tenir ma promesse. Le dimanche 4 fĂ©vrier 2024, IsraĂ«l a bombardĂ© la maison de Sama Abdelhadi Ă Deir Al Balah. Tout comme Sama et son frĂšre Hassan, ĂągĂ© de 17 ans, leur mĂšre Wissam, leur grand-pĂšre, leurs oncles et tantes ont tous Ă©tĂ© tuĂ©s, en une seule frappe.
AprÚs ce jour fatidique, notre famille n'a cessé de recevoir des annonces de morts. Un cousin ici, un autre là , et lors d'une frappe aérienne fatidique sur le camp de réfugiés de Maghazi, l'oncle de mon mari a perdu tous ses fils et ses petites-filles.
Je sais que la lutte pour la libĂ©ration ne peut qu'ĂȘtre un dur combat, fait de dĂ©chirements, de souffrances et de combats incessants. La Gaza d'avant a rejoint nos morts. Khan Younis, oĂč mon mari a grandi, a Ă©tĂ© rasĂ©e. L'histoire prĂ©servĂ©e au fil des siĂšcles est effacĂ©e. La Palestine d'avant n'existe tout simplement plus. Sama non plus.
Je ne me bats plus pour l'espoir d'une rĂ©unification et d'une survie. La triste rĂ©alitĂ© du peuple palestinien est que mĂȘme si IsraĂ«l tuait tous les membres de ma famille, ainsi que tous les Palestiniens de Gaza, nous, en tant que peuple, ne renoncerons jamais Ă nos exigences. Nous n'accepterons jamais de vivre soumis, sous occupation, dans l'apartheid et le blocus. Nous n'accepterons jamais ni ne pardonnerons Ă un Ătat de poursuivre son expansion coloniale sur les tombes des enfants et des anciens.
Alors que je vis ici en Allemagne, que mes amis sont confrontés à des brutalités policiÚres, que mes collÚgues sont convoqués au tribunal et que des militants de tous les coins du pays sont victimes de descentes de police brutales, cela ne change en rien notre position. Nous sommes conscients du rÎle de notre pays dans la brutalité permanente du peuple palestinien, et tant que cette réalité ne changera pas, notre combat ne cessera pas.
Nous nous battons pour la Palestine, pas pour notre famille. Nous nous battons pour la Palestine parce que la libĂ©ration de son peuple veut dire la libĂ©ration de tant d'entre nous qui vivons dans des Ătats tributaires d'IsraĂ«l pour rĂ©aliser leurs fantasmes coloniaux. La raison d'Ătat allemande qui privilĂ©gie la âSĂ©curitĂ© nationale d'IsraĂ«lâ ne le fait pas pour s'exonĂ©rer de la culpabilitĂ© de l'Holocauste. Elle le fait parce que le sionisme permet Ă la suprĂ©matie blanche d'exister sous une nouvelle forme, et cette fois contre ceux qui dĂ©noncent la doctrine propagandiste de l'Ătat.
Sama n'existe sans doute pas dans cette Palestine. J'ai souvent rationalisĂ© sa mort en disant qu'elle n'avait jamais voulu ĂȘtre dans cette Palestine-lĂ . Une Palestine en proie Ă la guerre, la famine et la souffrance. Je rationalise sa mort en me disant qu'elle est au paradis, qu'elle contemple Ă prĂ©sent la superbe Palestine libĂ©rĂ©e de tout mur, clĂŽture et avant-poste, et qu'elle est heureuse et fiĂšre que nous n'ayons pas renoncĂ©.
Nous n'abandonnerons pas, pour Sama et les dizaines de milliers d'autres morts d'avoir eu la malchance de naĂźtre Palestiniens.
https://mondoweiss.net/2024/10/the-gaza-i-knew-is-gone-with-our-martyrs/