đâđš La guerre, cette mise en scĂšne
VoilĂ le problĂšme majeur de la guerre de façade et de rumeurs: ce qui va dans son sens n'a ni besoin d'ĂȘtre factuel, ni vĂ©ridique: il suffit juste de le dire et le rĂ©pĂ©ter, encore et encore.
đâđš La guerre, cette mise en scĂšne
đ° Par Patrick Lawrence đŠ@thefloutist, Special to Consortium News, le 1er novembre 2022.
Ă l'approche des Ă©lections de mi-mandat aux Ătats-Unis, le fossĂ© entre la reprĂ©sentation de la guerre en Ukraine par les mĂ©dias occidentaux, et la rĂ©alitĂ© sur le terrain semble se creuser de maniĂšre dramatique.
On nous incite systĂ©matiquement Ă rejeter tout ce que dit Vladimir Poutine comme Ă©tant Ă l'opposĂ© de la vĂ©ritĂ©. Ceux d'entre nous qui gardent la tĂȘte froide, alors que tout autour de nous les autres perdent la boule, et nous en rendant responsables, risquent d'ĂȘtre rejetĂ©s lorsqu'ils prennent le prĂ©sident russe au sĂ©rieux.
Peu importe. Il est temps de tout simplement rejeter ceux qui rejettent.
Dans ses longs entretiens avec Oliver Stone il y a cinq ans, Poutine faisait remarquer qu'il est impossible de travailler avec les Américains, car tout est pris en otage par leurs cycles électoraux. C'est tellement vrai. Dommage que nombreux d'entre nous soient incapables d'écouter le dirigeant russe à ce sujet, et d'en tirer un enseignement sur les dysfonctionnements de notre systÚme post-démocratique.
La politique intérieure - ce qui se joue à Peoria etc - détermine la politique étrangÚre. Tel était le point de vue de Poutine. Et lorsque la politique électorale détermine la politique étrangÚre, celle-ci devient une simple façade, peu fiable, car tout ce que le bon peuple de Peoria obtient des politiciens de Washington, ce sont des projections peu sérieuses d'événements et de politiques sans grand rapport avec la réalité.
L'Amérique a déclenché des guerres pour répondre à ce que les candidats politiques pensaient pouvoir faire à Peoria au moment des élections. D'innombrables vies ont été sacrifiées à la cause de tel ou tel candidat ou parti politique.
Comme l'ont Ă©tabli les regrettĂ©s Robert Parry et Gary Sick, il y a de nombreuses raisons de soupçonner que la campagne de Reagan avait conspirĂ© avec l'Iran pendant la prĂ©sidentielle de 1980 pour retarder la libĂ©ration des otages amĂ©ricains de l'ambassade des Ătats-Unis Ă TĂ©hĂ©ran jusqu'aprĂšs les Ă©lections du 4 novembre.
Quoi qu'il se soit passé entre les gens de Reagan et les religieux au pouvoir en Iran, le Grand Communicateur a continué à se présenter comme l'homme fort sauveur des otages, libérés le 20 janvier 1981, le jour de l'investiture de Reagan aprÚs avoir battu Jimmy Carter aux élections.
Et maintenant, nous avons le cas de l'Ukraine, et nous n'avons pas besoin de nous embarrasser de "raisons suffisantes". Il est évident à ce stade que nous assistons à deux guerres lorsque les forces armées ukrainiennes affrontent l'armée russe. Il y a la guerre de façade, la méta-guerre, pourrait-on dire, et il y a la guerre en cours, celle qui se déroule sur le terrain, qui n'a rien de méta.
L'administration Biden s'est engagée dÚs le départ à mener cette guerre des apparences, car il est essentiel d'entretenir le soutien du public à cette épouvantable folie pour pouvoir la poursuivre. Et à l'approche des élections de mi-mandat, l'administration et les commis de la presse libérale à ses ordres font pression sur la guerre des apparences avec la vigueur des généraux du Débarquement.
"Soyez avec nous, vous tous qui agitez les drapeaux bleu et jaune. Oubliez l'inflation et ce que vous devez payer pour un gallon d'essence ou une boßte de Wheaties. Nous allons y arriver. Le vent a tourné. Les Ukrainiens, bons, courageux et pleins d'abnégation, sont en train de gagner contre ces forces russes qui pillent, commettent des crimes de guerre, détruisent des villages et se montrent brutales - elles sont toujours et toujours plus brutales. Ne perdez pas courage. Soutenez-nous le 8 novembre, car nous soutenons l'Ukraine."
C'est le message, la prestation.
Soit dit entre nous, je ne pense pas que ces inepties feront la moindre diffĂ©rence pour les AmĂ©ricains assez stupides pour se rendre aux urnes la semaine prochaine. Mais la Maison Blanche et le camp dĂ©mocrate se doivent de faire passer ce message, parce que les RĂ©publicains leur martĂšlent quotidiennement l'irrationalitĂ© de leur engagement dispendieux dans une guerre par procuration qui ne peut tout simplement pas ĂȘtre gagnĂ©e sur le terrain.
âȘïž Interdiction de couvrir le front
La guerre racontée est en désaccord avec la guerre menée depuis le début de l'intervention russe, le 24 février. C'est pourquoi les correspondants occidentaux, qui semblent de toute façon manquer de courage et d'intégrité, sont assez heureux de se soumettre à l'interdiction du régime de Kiev de couvrir les lignes de front. Dans l'ensemble, ces correspondants rendent compte de la guerre qui leur est décrite.
Mais le fossé entre la guerre théorique et la guerre réelle semble maintenant se creuser de maniÚre plus dramatique.
D'une part, les cĂ©lĂšbres contre-offensives des Ukrainiens, lancĂ©es en aoĂ»t, semblent ĂȘtre Ă©puisĂ©es sans qu'aucun gain significatif n'ait Ă©tĂ© obtenu. Vous avez Ă©galement le rappel par la Russie de pas moins de 300 000 rĂ©servistes, et la nomination de Sergei Surovkin, un gĂ©nĂ©ral sans Ă©tats d'Ăąme qui a dirigĂ© la campagne russe contre l'Ătat islamique en Syrie, au poste de commandant gĂ©nĂ©ral de l'opĂ©ration en Ukraine.
D'autre part, vous avez... vous avez les élections de mi-mandat. Depuis cet été, alors que les perspectives des Démocrates ne cessent de s'assombrir en vue du scrutin du 8 novembre, ceux qui dirigent la guerre officielle sont devenus de plus en plus imprudents dans leurs écarts par rapport à la guerre en cours.
Je peux me tromper, mais cette derniÚre phase de la guerre de façade a commencé le 12 octobre, à un mois des élections de mi-mandat, lorsque le New York Times a cité Lloyd Austin, affirmant que les offensives ukrainiennes se poursuivront pendant l'hiver, et que les récentes attaques de la Russie contre les infrastructures ukrainiennes ont renforcé la détermination de l'Occident à continuer de soutenir le régime de Kiev.
"Je m'attends Ă ce que l'Ukraine continue de faire tout son possible pendant l'hiver pour regagner son territoire et ĂȘtre efficace sur le champ de bataille", a dĂ©clarĂ© le secrĂ©taire amĂ©ricain Ă la DĂ©fense aprĂšs une rĂ©union de responsables de l'OTAN Ă Bruxelles, "et nous ferons nous-mĂȘme tout notre possible pour nous assurer qu'ils ont ce qu'il faut pour ĂȘtre efficaces."
Les remarques d'Austin marquent, me semble-t-il, un point important de rupture avec la rĂ©alitĂ©. Aucune des deux affirmations citĂ©es ci-dessus n'est vraie selon toutes les preuves disponibles. Les contre-offensives de l'Ukraine, aprĂšs que ses forces ont franchi une porte ouverte dans le nord-est, n'ont rien donnĂ© et vont passer un hiver Ă©puisant. La dĂ©termination de l'Occident, qui n'est un secret pour personne - mĂȘme pour le Times - semble de plus en plus chancelante.
Mais voilĂ le problĂšme de la guerre de façade: ce qui va dans son sens n'a ni besoin d'ĂȘtre factuel, ni vĂ©ridique: il suffit juste de le dire et le rĂ©pĂ©ter encore et encore.
âȘïž Retournement de situation
Dimanche, le Times a publiĂ© un long article d'Andrew Kramer intitulĂ© : "Avec les armes occidentales, l'Ukraine change la donne dans une guerre dâartillerie." Le sous-titre Ă©tait encore plus audacieux: "Dans le sud de la rĂ©gion de Kherson, l'Ukraine a dĂ©sormais l'avantage en matiĂšre de portĂ©e et de guidage de prĂ©cision de l'artillerie, des roquettes et des drones, gommant ce qui avait Ă©tĂ© un atout russe essentiel."
Wow, ai-je dit en buvant mon quatriÚme café du matin. Retourner la situation, effacer la supériorité de la Russie en matiÚre d'artillerie : ça fait beaucoup de retournements et de corrections.
Le rapport de Kramer repose sur des entretiens avec un lieutenant ukrainien, un sous-lieutenant, un major et un consultant polonais basés à Gdansk - tous, il faut bien le dire, des troupes de la guerre racontée. Ils sont truffés de remarques couillues : "Nous pouvons les atteindre et eux pas", "Un tir, un mort", "Ce sera pour eux un Stalingrad en hiver". Ce qui ne nous dit précisément rien.
Les Ă©valuations de Kramer, qui ne sont rien d'autre que des Ă©chos des sources susmentionnĂ©es, sont de la mĂȘme veine:
"Il ne faut pas se méprendre sur l'évolution de la situation sur le front sud..... L'Ukraine dispose désormais d'une supériorité d'artillerie dans la région..... Cette puissance de feu a fait pencher la balance dans le sud..."
Ces déclarations sont diamétralement opposées à ce que l'on peut lire de sources autres que celles de Kramer - et il devrait avoir honte de les présenter comme étant fiables.
Encore une déclaration du premier lieutenant: "Nous entendons beaucoup de rumeurs selon lesquelles ils auraient abandonné les premiÚres lignes de défense."
Kramer, ici, a l'air de dire vrai: le premier lieutenant a certainement entendu beaucoup de rumeurs dans ce sens. Mais c'est tout. Je lis beaucoup de rapports selon lesquels les forces russes, aprÚs avoir évacué de nombreux habitants de Kherson, envoient des brigades du génie qui fortifient assidûment la ville en vue de toute défense qui pourrait s'avérer nécessaire dans les mois à venir.
Je vous le dis, quand je lis les articles de Kramer, j'ai besoin d'un endroit sécurisé avec des cookies, des jeux de société et des couvertures moelleuses - et surtout pas de grands quotidiens, pas de NPR ni de BBC. Son travail est la guerre présumée telle qu'elle se déroule, de maniÚre toujours plus rocambolesque, à l'approche des élections de mi-mandat.
Alexander Mercouris, podcasteur basé à Londres, passe une heure chaque soir à analyser l'état des choses sur le terrain en Ukraine, en utilisant toutes les sources disponibles avec la prudence requise par ce travail.
Ces sources sont multiples: le courant dominant occidental, les indépendants occidentaux, le courant dominant russe, les indépendants russes, les Ukrainiens de toutes sortes, d'autres sources encore. Il faut reconnaßtre à M. Mercouris la précision exceptionnelle de ses rapports et son analyse politique souvent nuancée - comme, par exemple, sa récente prise de position sur l'effondrement de la tradition de l'Ostpolitik dans la politique allemande.
Mercouris souligne avec perspicacité que les Russes se soucient peu de la guerre théorique, et qu'ils la mÚnent uniquement en fonction de considérations de fond, tactiques et stratégiques, et non en fonction de l'apparence que prendra telle ou telle action lorsque les médias occidentaux y mettront leur nez.
Selon lui, les forces ukrainiennes sont pratiquement Ă bout de souffle, les puissances occidentales sont Ă court d'armes Ă leur envoyer, les forces russes recommencent Ă avancer progressivement, et l'accumulation de troupes et de matĂ©riel russes - quiconque regarde peut le constater - peut laisser prĂ©sager l'un ou l'autre type d'assaut majeur, peut-ĂȘtre un coup de grĂące, dans les mois Ă venir.
Bien que je n'aie pas fait de reportage direct sur l'une ou l'autre des questions soulevées ici, la prépondérance des preuves présentées me pousse à conclure que des rapports tels que celui de Mercouris sont bien plus précis que ce que proposent les médias occidentaux, et que ces médias font principalement commerce de la propagande qui caractérise la guerre qui nous est racontée par les médias.
Il sera intéressant de voir ce qu'il adviendra des reportages des médias américains en Ukraine une fois que les élections de mi-mandat seront passées, et qu'il n'y aura plus rien à gagner ou à perdre pour les Démocrates. à un moment donné, les réalités de la guerre réelle seront trop importantes et encombrantes pour pouvoir les déformer, les obscurcir, ou les passer sous silence.
Dans le cas du Russiagate, lorsque le Times et tous les médias qui l'ont singé ont fini de mentir et de désinformer, et que le chùteau de cartes s'est écroulé, ils sont sortis discrÚtement par la petite porte. Pour moi, il n'y a aucune chance que cela se produise dans le cas de l'Ukraine. Les médias américains ont contribué à inventer le Russiagate de toutes piÚces. Le conflit ukrainien est trop réel pour tout cela.
Je m'attends Ă ce que l'administration et ces mĂ©dias, aprĂšs les Ă©lections, poursuivent leur campagne de propagande avec moins d'intensitĂ©, en l'alignant peut-ĂȘtre un peu plus sur le conflit en cours. Ils devront rĂ©flĂ©chir Ă un changement car, progressivement mais presque certainement, la rĂ©alitĂ© les rattrapera et ils ne pourront pas faire disparaĂźtre la rĂ©alitĂ© de la guerre.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, auteur et conférencier. Son livre le plus récent est Time No Longer : Americans After the American Century. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon.
https://consortiumnews.com/2022/11/01/patrick-lawrence-war-as-presentation/