đâđš La guerre de Bibi
M. Netanyahou a clairement dit ne plus ĂȘtre axĂ© sur l'Ă©change de prisonniers ou de pourparlers de paix avec le Hamas : il veut la mort du Hamas, de ses dirigeants & tous ses membres, dĂšs le dĂ©but.
đâđš La guerre de Bibi
Mais pas seulement la sienne
Par Seymour Hersh, le 21 février 2024
En tant que journaliste spécialisé de longue date dans la sécurité nationale, je me suis rendu à de nombreuses reprises en Israël au cours des cinq derniÚres décennies pour faire des reportages sur des questions allant du bombardement de mauvaises cibles à ses différends politiques avec la Maison-Blanche. Lorsqu'il s'agit de déterrer la vérité, j'ai appris que les généraux de l'armée de l'air israélienne fraßchement retraités sont souvent le meilleur point de départ. Mes sources américaines, dont certaines sont encore en service actif, ne tarissent pas d'éloges sur les capacités et l'intégrité des officiers qui dirigent l'armée de l'air israélienne, et elles ont raison. Il est possible de parler franchement dans les maisons de banlieue à l'extérieur de Tel Aviv - toujours sous couvert d'anonymat, bien sûr.
L'Ă©tĂ© dernier, lorsque le gouvernement israĂ©lien de droite a cherchĂ© Ă rĂ©duire le pouvoir de la Cour suprĂȘme d'IsraĂ«l, plus d'un millier de membres de la rĂ©serve de l'armĂ©e de l'air, dont 235 pilotes de chasse, ont signĂ© une lettre dĂ©clarant qu'ils ne serviraient pas si le Premier ministre Benjamin Netanyahu insistait pour mettre en Ćuvre le plan imminent. Le New York Times a citĂ© un gĂ©nĂ©ral de brigade de rĂ©serve de l'armĂ©e de l'air, Ofer Lapidot, qui a dĂ©clarĂ© lors d'une interview Ă la radio :
âLorsque nous sommes au bord du gouffre ou que nous sommes en train de perdre le pays pour lequel nous nous sommes battus, le contrat est caducâ.
Aucune plainte de ce type n'a Ă©tĂ© formulĂ©e publiquement par les pilotes israĂ©liens depuis le 7 octobre. Au cours des quatre derniers mois, ils ont participĂ© Ă ce que l'on appelle dans le jargon militaire du âtir au pigeonâ : des milliers de sorties au-dessus de Gaza sans opposition antiaĂ©rienne et sans capacitĂ© Ă distinguer les cibles militaires des cibles civiles. Les bombes ont Ă©tĂ© les principales responsables de la mort et de la blessure de prĂšs de 100 000 Palestiniens, dont de nombreux enfants. Il est impossible de savoir combien de combattants du Hamas sont inclus dans ce bilan.
Aucun pilote de l'armĂ©e de l'air israĂ©lienne n'a jamais exprimĂ©, ni en public ni en privĂ©, son opposition Ă ces bombardements incontestĂ©s, qui se poursuivent aujourd'hui. IsraĂ«l et les Ătats-Unis n'ont pas reconnu la compĂ©tence de la Cour internationale de justice de La Haye, qui a entendu des tĂ©moignages sur la lĂ©galitĂ© de la riposte israĂ©lienne.
IsraĂ«l, dont les nombreuses manifestations en faveur d'une Cour suprĂȘme forte ont suscitĂ© l'admiration du monde entier, a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© au cours du dĂ©bat de l'ONU cette semaine par son ambassadeur, Gilad Eilan, qui a accusĂ© l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les rĂ©fugiĂ©s de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), responsable de la livraison de nourriture et d'autres biens essentiels aux rĂ©fugiĂ©s de Gaza, d'ĂȘtre une âorganisation terroristeâ. Ă Gaza, a-t-il dĂ©clarĂ©, âle Hamas est l'ONU, et l'ONU est le Hamasâ.
Dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre, il a été envisagé, avec le soutien de conseillers américains, d'ouvrir des procÚs pour crimes de guerre contre les dirigeants du Hamas, au lieu de procéder à un bombardement total de Gaza, comme le préconisaient alors les dirigeants de droite. Une autre proposition, inspirée de l'exil du mouvement du Fatah de Yasser Arafat à Tunis en 1982, aurait conduit à l'expulsion des dirigeants du Hamas en échange de la libération de tous les otages. Le gouvernement israélien a préféré opter pour des bombardements tous azimuts et s'est engagé auprÚs du Mossad à assassiner tous les dirigeants du Hamas vivant à l'étranger dans un délai d'un an.
La guerre aĂ©rienne en cours Ă Gaza, avec sa notion implicite de punition collective, est la guerre de Bibi depuis le dĂ©but, et il en reste le porte-parole le plus virulent. Les officiers de l'armĂ©e de l'air qui se souciaient suffisamment de la constitution d'IsraĂ«l pour protester au printemps et Ă l'Ă©tĂ© bombardent maintenant rĂ©guliĂšrement des cibles civiles sans exprimer de regrets et sans poser de questions - du moins pas en public. M. Netanyahou a clairement fait savoir qu'il n'Ă©tait plus intĂ©ressĂ© par des Ă©changes de prisonniers ou des pourparlers de fin de guerre avec le Hamas : il veut la mort du Hamas, de ses dirigeants et de tous ses membres, et son dĂ©part. Il est soutenu par la grande majoritĂ© des IsraĂ©liens, y compris l'armĂ©e et l'extrĂȘme droite, autrefois marginalisĂ©e. Pour Bibi, le prĂ©sident Joe Biden doit poursuivre les livraisons de bombes et d'autres armes amĂ©ricaines et continuer Ă opposer son veto Ă toute rĂ©solution de cessez-le-feu aux Nations unies. Jusqu'Ă prĂ©sent, Joe Biden s'est pliĂ© Ă ces deux exigences. (Une troisiĂšme rĂ©solution de ce type au Conseil de sĂ©curitĂ© a Ă©tĂ© rejetĂ©e hier par l'ambassadrice amĂ©ricaine Linda Thomas-Greenfield, qui agissait manifestement sous les ordres de Joe Biden). Les reprĂ©sentants de la Maison Blanche, tels que le secrĂ©taire d'Ătat Antony Blinken, ont tenu des propos confus sur la nĂ©cessitĂ© d'un cessez-le-feu et d'un Ă©change de prisonniers, mais ces nĂ©gociations sont moribondes.
Au lendemain du 7 octobre, la plupart de mes interlocuteurs semblaient considĂ©rer Netanyahou comme politiquement mort. Le problĂšme Ă©tait que l'attaque du Hamas s'Ă©tait dĂ©roulĂ©e sous sa responsabilitĂ©. Mais cet Ă©chec, aussi traumatisant qu'il ait Ă©tĂ©, n'est plus un problĂšme, et il assume pleinement ses responsabilitĂ©s et s'en dĂ©lecte. Lors d'une interview accordĂ©e le 11 fĂ©vrier au correspondant de la chaĂźne ABC, Jonathan Karl, M. Netanyahou a ouvertement ignorĂ© les inquiĂ©tudes de l'administration Biden et du peuple amĂ©ricain, y compris de la jeune gĂ©nĂ©ration de Juifs, en insistant sur le fait que les voisins d'IsraĂ«l au Moyen-Orient ân'ont pas Ă se poser de questionsâ sur la situation humanitaire Ă Gaza.
âNous l'avons fait, et je l'ai ordonnĂ© de maniĂšre systĂ©matique. La victoire est Ă portĂ©e de main [et] sera la meilleure chose qui puisse arriver, non seulement pour IsraĂ«l, mais aussi pour les Palestiniens eux-mĂȘmes. Je ne vois pas d'avenir pour les Palestiniens ou pour la paix au Moyen-Orient si le Hamas remporte la victoireâ.
M. Netanyahou a affirmé qu'Israël avait
âtuĂ© et blessĂ© plus de vingt mille terroristes du Hamas [...] et nous faisons tout ce que nous pouvons pour minimiser les pertes civiles et nous continuerons Ă le faireâ.
Semblable Ă un gĂ©nĂ©ral amĂ©ricain dans les pires jours de la guerre du ViĂȘt Nam, il a dĂ©clarĂ© :
âNous larguons des milliers de tracts. Nous appelons les Palestiniens chez eux. Nous leur demandons de partir. Nous leur donnons des couloirs et des zones de sĂ©curitĂ©. ... et laissez-moi vous dire une autre chose. Nous allons gagner. La victoire est Ă portĂ©e de main.â
âVous pouvez les tuer [le Hamas] en tant que force militaire, mais comment tuer l'idĂ©e d'une rĂ©sistance tant qu'il y a une occupation ? A la fin de ce processus, ne faut-il pas qu'il y ait un Etat palestinien ?â. Visiblement agacĂ©, M. Netanyahou a rĂ©pondu Ă Jonathan Karl : âTous ceux qui parlent d'une solution Ă deux Etats - eh bien, quâentendez-vous par lĂ ? Les Palestiniens doivent-ils avoir une armĂ©e ? Peuvent-ils signer un pacte militaire avec l'Iran ? Peuvent-ils importer des roquettes de CorĂ©e du Nord et d'autres armes mortelles ? Doivent-ils continuer Ă Ă©duquer leurs enfants au terrorisme et Ă l'anĂ©antissement ? . . . Bien sĂ»r que nonâ.
Il a ajouté que
âdans tout accord futur, dont tout le monde s'accorde Ă dire qu'il est lointain, je pense que les Palestiniens devraient avoir le pouvoir de se gouverner eux-mĂȘmesâ. Il a Ă©numĂ©rĂ© une sĂ©rie de limites Ă ce pouvoir : âaucun de ces pouvoirs ne devrait menacer IsraĂ«l. . . . Le pouvoir le plus important qui doit rester entre les mains d'IsraĂ«l est le contrĂŽle prioritaire de la sĂ©curitĂ© dans la zone situĂ©e Ă l'ouest du Jourdain [la Cisjordanie]. Cela inclut Gazaâ.
âSinonâ, a dĂ©clarĂ© M. Netanyahu, âl'histoire a montrĂ© que le terrorisme resurgit, et nous ne le voulons pasâ.
Sa déclaration était ironique, étant donné la violence croissante soutenue par les Forces de défense israéliennes (FDI) en Cisjordanie, exercée par les colons israéliens contre les propriétaires palestiniens.
La guerre a Ă©tĂ© marquĂ©e par de nombreux discours, malheureusement sans intĂ©rĂȘt, de Biden et Blinken sur la nĂ©cessitĂ© d'une solution Ă deux Ătats. Bibi est dĂ©sormais incontestĂ© et, s'il obtient ce qu'il veut - comme il l'a fait pour toutes ses dĂ©cisions politiques rĂ©centes -, IsraĂ«l sortira de la guerre avec le contrĂŽle politique et militaire du territoire que lui et ses collĂšgues conservateurs recherchent depuis longtemps. Et Bibi sera celui qui l'aura fait.
Et cela se passe sous le regard de Joe Biden.
Dans mes reportages, j'essaie autant que possible d'Ă©viter les dĂ©clarations publiques quotidiennes de l'Ă©quipe de politique Ă©trangĂšre de Joe Biden et je m'appuie sur des sources que je connais depuis des dĂ©cennies ayant accĂšs aux renseignements et aux diffĂ©rends politiques internes. J'ai eu des contacts Ă Washington et en IsraĂ«l avec des informations de premiĂšre main sur l'arsenal nuclĂ©aire israĂ©lien. Il est peut-ĂȘtre temps pour les hauts fonctionnaires amĂ©ricains de briser le tabou et de commencer Ă parler de la capacitĂ© de cet arsenal et des implications de son existence entre les mains de Netanyahou.
L'une des erreurs que j'ai commises, comme d'autres, aprÚs le 7 octobre, a été de mal évaluer l'objectif ultime de Netanyahou. Il ne fait guÚre de doute aujourd'hui que, dÚs les premiers jours, il a considéré la guerre comme un moyen d'anéantir le Hamas et d'ouvrir à Israël la possibilité de récupérer l'ensemble des territoires de la bande de Gaza et de la Cisjordanie. Il ne serait plus question des accords d'Oslo ni d'une Autorité palestinienne prétendument indépendante en Cisjordanie.
Un de mes contacts israĂ©liens depuis des dĂ©cennies, disposant d'informations directes sur les rĂ©flexions israĂ©liennes de haut niveau au lendemain du 7 octobre, a soutenu les premiers bombardements Ă Gaza, qui visaient, selon lui, uniquement les bureaux et les immeubles d'habitation du Hamas. Il considĂ©rait les premiĂšres victimes civiles comme un coĂ»t acceptable et s'opposait Ă la pression internationale exercĂ©e Ă la fin de l'annĂ©e derniĂšre en faveur d'un cessez-le-feu parce que âce serait une victoire claire et nette pour le Hamasâ. En dĂ©cembre dernier, il m'a expliquĂ© qu'il y avait une deuxiĂšme raison :
âIsraĂ«l envoie un message Ă ses voisins. Vous attaquez IsraĂ«l ? Regardez Gaza pour voir ce que vous obtiendrez en retourâ.
Mais mĂȘme Ă cette Ă©poque, au cĆur de sa rage contre le Hamas, lui qui s'est battu et a Ă©tĂ© gravement blessĂ© au combat pour son pays, il m'a dit que le âproblĂšmeâ n'Ă©tait pas la guerre d'IsraĂ«l contre le Hamas, mais âla guerre de Bibi contre l'AutoritĂ© palestinienne et l'idĂ©e d'un Ătat indĂ©pendantâ. En janvier, il en Ă©tait rĂ©duit Ă affirmer que les bombardements amĂ©ricains de Tokyo, Yokohama, Dresde et Leipzig et le largage de deux bombes nuclĂ©aires Ă©taient âpleinement justifiĂ©sâ.
Il convient de noter qu'il s'est également inquiété du fait que
âsous Bibi, la guerre et sa destruction ne sont pas liĂ©es Ă un plan politique national raisonnable d'aprĂšs-guerre qui mĂšnerait Ă un Ătat palestinien indĂ©pendantâ.
Il a ajoutĂ© que son soutien antĂ©rieur Ă la guerre contre Gaza âpourrait ĂȘtre vainâ en raison de la fureur et de la condamnation internationales qui en ont rĂ©sultĂ©. Il a nĂ©anmoins continuĂ© Ă faire l'Ă©loge du soutien de M. Biden Ă la guerre, mais a dĂ©clarĂ© que le prĂ©sident âdevrait essayer de limiter les ravagesâ que la guerre a infligĂ©s aux civils. Il a estimĂ© que M. Biden devrait âexigerâ qu'IsraĂ«l entame âun processus sĂ©rieux de rĂšglement du conflit avec les Palestiniensâ.
L'objectif immĂ©diat de la politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine, m'a-t-il dit, devrait ĂȘtre de parvenir Ă une sorte âd'entente avec l'Iranâ - perçu Ă Washington comme soutenant un certain nombre de mandataires anti-amĂ©ricains dans la rĂ©gion - mais cet objectif
âne peut aboutir tant qu'IsraĂ«l continue d'occuper et de priver les Palestiniens de leurs droits et de leur refuser le droit Ă l'autodĂ©terminationâ. Les âfantasmes de changement de rĂ©gime, de dĂ©mocratisation des sociĂ©tĂ©s traditionnelles et d'occupation Ă long terme comme ce fut le cas en Irak et en Afghanistanâ
de l'administration Bush aprĂšs le 11 septembre doivent ĂȘtre fermement rejetĂ©s.
Le président Biden devrait faire un discours maintenant, a-t-il dit,
âsur la façon dont, une fois la destruction du Hamas achevĂ©e, son administration, en collaboration avec les rĂ©gimes arabes amis, commencera Ă faire avancer et Ă mettre en Ćuvre la solution des deux Ătatsâ.
Si seulement c'Ă©tait vrai.
Un Européen impliqué depuis longtemps dans des efforts de paix trÚs complexes au Moyen-Orient m'a révélé son point de vue inflexible sur la situation actuelle. Israël
âcommet un gĂ©nocide et la majeure partie du monde est horrifiĂ©e, et la plupart des Arabes et des Musulmans ne lui pardonneront jamais. Comment un autre dirigeant israĂ©lien [que Netanyahou] pourrait-il transformer cela en une victoire stratĂ©gique ? L'AutoritĂ© palestinienne est discrĂ©ditĂ©e. . . . Elle est dĂ©testĂ©e par les habitants de la Cisjordanie parce qu'elle les opprime et ne fait rien pour les protĂ©ger, eux et leurs terres, des meurtres et de l'expansion israĂ©lienne, et elle n'a aucun soutien Ă Gazaâ.
Ces sentiments sont largement rĂ©pandus, mĂȘme s'ils ne sont pas toujours partagĂ©s, dans les communautĂ©s journalistique, universitaire et diplomatique, et sont certainement connus de nombreux membres de la Maison Blanche. La question importante, Ă laquelle il n'y a pas encore de rĂ©ponse, est de savoir si le prĂ©sident des Ătats-Unis le sait.