đâđš La guerre de Gaza, un dĂ©sastre pour la sĂ©curitĂ© Ă©nergĂ©tique de l'Europe
La guerre d'IsraĂ«l vs Gaza semble prĂȘte Ă dĂ©gĂ©nĂ©rer en conflit rĂ©gional & une conflagration rĂ©gionale fera flamber le coĂ»t de l'Ă©nergie, surtout si elle s'Ă©tend aux voies navigables du golfe Persique.
đâđš La guerre de Gaza, un dĂ©sastre pour la sĂ©curitĂ© Ă©nergĂ©tique de l'Europe
Par Mohamad Hasan Sweidan, le 8 novembre 2023
AprÚs le début du conflit en Ukraine il y a prÚs de deux ans, les Européens ont imposé un embargo limité à la Russie, qui détient 6 % des réserves mondiales de pétrole et 24 % des réserves mondiales de gaz.
Cette dĂ©cision stratĂ©gique a contraint l'Europe Ă rechercher rapidement d'autres sources d'Ă©nergie, notamment en Asie occidentale et en Afrique du Nord, rĂ©gions collectivement riches dâenviron 57 % des rĂ©serves mondiales de pĂ©trole et 41 % des rĂ©serves mondiales prouvĂ©es de gaz.
Remplacer le gaz naturel russe par d'autres importations en gaz, plus coĂ»teuses et plus problĂ©matiques d'un point de vue logistique, a coĂ»tĂ© cher aux EuropĂ©ens. Mais aujourd'hui, mĂȘme ces sources d'Ă©nergie secondaires pourraient ĂȘtre sĂ©rieusement menacĂ©es si les bombardements aveugles d'IsraĂ«l sur les Palestiniens de Gaza s'intensifient et impliquent d'autres pays de cette rĂ©gion riche en Ă©nergie.
L'Ă©nergie dâAsie occidentale et dâAfrique du Nord
L'Asie occidentale et l'Afrique du Nord sont depuis longtemps des acteurs essentiels de la scÚne énergétique mondiale. Selon les données publiées par l'Agence internationale de l'énergie en 2022, cette zone représentait environ 50 % des exportations mondiales de pétrole et 15 % des exportations de gaz naturel.
Par conséquent, lorsque l'Union européenne a décidé de réduire sa dépendance à l'égard du gaz russe, elle a considéré les producteurs d'Asie occidentale et d'Afrique du Nord comme des sauveurs potentiels pour répondre aux besoins énergétiques du continent.
En 2021, l'Arabie saoudite (14,5 % des exportations mondiales de pĂ©trole), l'Irak (7,57 %), les Ămirats arabes unis (6,15 %) et le KoweĂŻt (4,21 %) sont devenus les principaux exportateurs de pĂ©trole de la rĂ©gion Asie occidentale-Afrique du Nord. En ce qui concerne les exportations de gaz naturel en 2022, les principaux acteurs sont le Qatar (136,3 milliards de m3/an), l'AlgĂ©rie (38,4 milliards de m3/an), l'Iran (17,7 milliards de m3/an), Oman (11 milliards de m3/an) et l'Ăgypte (8,9 milliards de m3/an).
Le conflit en Ukraine a entraßné une augmentation de 2 % de la consommation de pétrole en Europe. Les données relatives aux importations de pétrole de l'UE au deuxiÚme trimestre 2023 ont révélé que l'Arabie saoudite, la Libye, l'Irak et l'Algérie étaient les principaux pays exportateurs de pétrole vers l'Union européenne, fournissant collectivement plus d'un quart des besoins en pétrole de l'Union.
Ă l'inverse, la consommation de gaz en Europe a chutĂ© de 15 % au cours de la mĂȘme pĂ©riode. Les chiffres des importations de gaz de l'UE au deuxiĂšme trimestre 2023 montrent que l'AlgĂ©rie, le Qatar, Oman, la Libye, la Turquie et l'Ăgypte sont les principaux fournisseurs de gaz de l'UE, que ce soit sous forme liquide, ou par gazoduc. Ensemble, ces pays reprĂ©sentent plus d'un tiers des besoins en gaz de l'Union.
La vulnérabilité de l'Europe à une guerre en Asie occidentale
Historiquement, toute tension ou guerre importante en Asie occidentale a un impact sur les marchés de l'énergie en réduisant l'offre régionale de pétrole et en faisant grimper les prix mondiaux de l'énergie. En 2019, par exemple, lorsque les forces dirigées par Ansarallah au Yémen ont pris pour cible les installations d'Aramco en Arabie saoudite, les exportations de pétrole saoudien ont chuté de prÚs de 5,7 millions de barils par jour.
AprĂšs le lancement dâAl-Aqsa Flood de la rĂ©sistance palestinienne contre IsraĂ«l le 7 octobre, les prix du gaz naturel en Europe ont grimpĂ© de 35 %. Cette flambĂ©e a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă la fermeture d'un champ gazier au large de la cĂŽte palestinienne occupĂ©e pour des raisons de sĂ©curitĂ©, et Ă l'explosion des gazoducs en mer Baltique. En bref, le conflit ukrainien et la guerre en Palestine sont entrĂ©s en collision, avec un impact nĂ©gatif sur les prix de l'Ă©nergie en Europe.
Au lendemain du d'Al-Aqsa Flood, la Banque mondiale a réalisé une étude d'analyse des risques géopolitiques afin d'évaluer l'impact du conflit israélo-palestinien sur les prix mondiaux du pétrole. L'étude a classé l'escalade des tensions en trois catégories : faible, moyenne et forte.
Dans un scĂ©nario de âtensions moindresâ similaire Ă la guerre de 2011 en Libye, la Banque mondiale prĂ©voit une rĂ©duction de l'offre mondiale de pĂ©trole de 0,5 Ă 2 millions de barils par jour, entraĂźnant une augmentation initiale du prix du pĂ©trole de 3 Ă 13 % - entre 93 et 102 dollars le baril.
Dans un scĂ©nario de âtensions moyennesâ, comparable Ă la guerre d'Irak de 2003, la Banque mondiale prĂ©voit une contraction de l'offre mondiale de pĂ©trole de 3 Ă 5 millions de barils par jour, entraĂźnant une hausse initiale du prix du pĂ©trole de 21 Ă 35 %, soit des coĂ»ts compris entre 109 et 121 dollars le baril.
Enfin, dans un scĂ©nario de âfortes tensionsâ ressemblant, par exemple, Ă l'embargo pĂ©trolier arabe de 1973, la Banque mondiale prĂ©voit une rĂ©duction de l'offre mondiale de pĂ©trole de 6 Ă 8 millions de barils par jour, entraĂźnant une escalade initiale des prix du pĂ©trole de 56 % Ă 75 %, avec des coĂ»ts grimpant en flĂšche jusqu'Ă 140 Ă 157 dollars le baril.
Une telle augmentation des prix du pétrole serait catastrophique pour l'Europe, qui doit déjà acheter des sources d'énergie à des prix élevés pour compenser la réduction de ses importations en provenance de Russie.
Si l'étude ne s'est pas penchée sur l'impact de l'escalade des tensions sur les prix du gaz naturel en Asie occidentale, elle a souligné la nature interconnectée des sources d'énergie. Lorsque l'offre de pétrole diminue, l'effet d'entraßnement s'étend à d'autres sources d'énergie, les prix du gaz étant particuliÚrement affectés.
Déplacement de la dépendance au gaz
L'Europe est le continent le plus Ă mĂȘme de connaĂźtre une hausse significative des prix du gaz en raison de lâabandon du gaz russe acheminĂ© par gazoduc, entraĂźnant une dĂ©pendance considĂ©rablement accrue Ă l'Ă©gard du gaz naturel liquĂ©fiĂ© (GNL) transportĂ© par les Ătats-Unis.
Outre les répercussions immédiates de l'escalade des tensions et de la guerre régionale imminente qui font grimper les prix du pétrole et du gaz dans le monde entier, l'Europe est confrontée à une multitude d'autres facteurs qui pourraient influencer profondément les exportations d'énergie en provenance du monde arabe.
Un conflit régional de grande ampleur impliquant les pays de l'axe de la résistance, tels que l'Iran, le Yémen, l'Irak, la Syrie et le Liban, pourrait avoir des conséquences désastreuses. Ces pays, qui ont tous accÚs à des mers et des détroits, pourraient perturber les routes commerciales vers l'Europe, y compris les mouvements de pétrole et de gaz liquéfié.
Le dĂ©troit d'Ormuz, situĂ© entre Oman et l'Iran, revĂȘt une importance considĂ©rable en tant que principal corridor Ă©nergĂ©tique mondial, puisqu'il voit passer plus d'un cinquiĂšme de l'approvisionnement mondial en pĂ©trole et un tiers de l'approvisionnement total en gaz naturel liquĂ©fiĂ© (GNL).
Les principaux pays exportateurs de pĂ©trole, dont l'Arabie saoudite, l'Iran, les Ămirats arabes unis, le KoweĂŻt et l'Irak, dĂ©pendent de ce passage. En outre, le Qatar, le plus grand exportateur de GNL au monde, expĂ©die la majoritĂ© de ses exportations de GNL par le dĂ©troit. Ătant donnĂ© qu'environ 20 % des flux mondiaux de GNL traversent le dĂ©troit chaque annĂ©e, toute fermeture par l'Iran ou ses alliĂ©s pourrait avoir de graves rĂ©percussions sur l'approvisionnement en pĂ©trole et en gaz de l'Europe.
Si la Palestine se vide de son sang, l'Europe en subira les conséquences
Un autre scénario possible concerne la fermeture du détroit de Bab al-Mandab, le passage stratégique qui surplombe le Yémen et constitue un pivot de la route commerciale maritime reliant la Méditerranée à l'océan Indien via la mer Rouge et le canal de Suez.
La plupart des exportations de GNL en provenance du golfe Persique empruntent cette voie et, en 2017, prÚs de 9 % de l'ensemble du pétrole et des produits raffinés transportés par voie maritime ont transité par le détroit, dont plus de la moitié à destination de l'Europe. Une fermeture du détroit de Bab al-Mandab pourrait obliger les pétroliers en provenance du golfe Persique à contourner la pointe sud de l'Afrique, ce qui entraßnerait une augmentation du temps de transit et des coûts d'expédition.
L'Europe se retrouverait face à un choix cornélien : accepter des prix exorbitants pour un flux continu de pétrole et de gaz, entraßnant de graves difficultés économiques, ou revoir sa position à l'égard du gaz russe, ce qui serait perçu au niveau international comme un retour en arriÚre humiliant.
L'UE s'est d'abord tournĂ©e vers l'Asie occidentale pour compenser la diminution de son approvisionnement en gaz russe, mĂȘme si cela signifiait des coĂ»ts plus Ă©levĂ©s. Toutefois, la perspective croissante de voir la guerre en Palestine se transformer en un conflit Ă l'Ă©chelle rĂ©gionale jette dĂ©sormais un sĂ©rieux doute sur la fiabilitĂ© des livraisons de pĂ©trole et de gaz d'Asie occidentale Ă l'Europe. Toute escalade du conflit entraĂźnera probablement une flambĂ©e des prix de l'Ă©nergie, et portera un coup dĂ©vastateur Ă des secteurs clĂ©s de l'Ă©conomie europĂ©enne, notamment l'Allemagne.
En prĂ©vision de la crise imminente, le chancelier allemand Olaf Scholz s'est discrĂštement mis en quĂȘte de sources d'Ă©nergie alternatives : la semaine derniĂšre, il s'est rendu au Ghana et au Nigeria dans l'espoir de trouver de nouvelles sources d'Ă©nergie pour l'Europe.
Alors qu'Israël intensifie ses bombardements sur Gaza avec des armes américaines et européennes, le risque est de voir apparaßtre de nouveaux fronts de combats ouverts par des éléments militairement plus sophistiqués de l'axe de résistance de la région, et de déclencher des escalades massives dans toute l'Asie de l'Ouest, précipitant potentiellement l'Europe vers un gouffre économique.
L'Ă©poque oĂč l'Europe jouissait d'une prospĂ©ritĂ© constante tandis que l'Asie occidentale subissait les consĂ©quences des politiques israĂ©lo-occidentales est depuis longtemps rĂ©volue. L'axe de la rĂ©sistance, associĂ© au poids croissant des puissances multipolaires comme la Russie et la Chine, dispose dĂ©sormais des capacitĂ©s et arguments nĂ©cessaires pour dĂ©fier l'axe occidental, de Washington Ă Bruxelles en passant par Tel-Aviv, et remodeler fondamentalement le marchĂ© mondial de l'Ă©nergie tel que nous le connaissons.