đâđš La guerre de Prigozhin
La nation russe sâest ralliĂ©e Ă Poutine, dĂ©mentant que la Russie serait aujourdâhui une nation dangereusement instable. Mais les idĂ©ologues ne tirent que rarement les enseignements qui sâimposent.
đâđš La guerre de Prigozhin
Par Joe Lauria, Spécial Consortium News, le 7 juillet 2023
Les analystes divergent sur les raisons qui ont poussĂ© le chef du groupe militaire privĂ© Wagner Ă faire marcher des milliers de ses hommes vers Moscou, un Ă©pisode dont la Russie et lâOccident peuvent tirer des leçons, Ă©crit Joe Lauria.
Deux semaines aprĂšs les Ă©tranges Ă©vĂ©nements survenus en Russie le week-end du 23 au 25 juin, il existe encore diffĂ©rentes interprĂ©tations de lâaventure de 36 heures dâEvgueni Prigojine sur la route de Moscou et de ses retombĂ©es.
Sâagissait-il dâune vĂ©ritable mutinerie ou dâune tentative de coup dâĂtat ? Travaillait-il avec les services secrets occidentaux ou ukrainiens ? Quel est lâavenir de Prizgozhin et du groupe Wagner ? Et, surtout, pourquoi a-t-il agi de la sorte ?
Le feuilleton a pris fin lorsque Prigozhin a interrompu sa marche sur la capitale, faisant faire demi-tour Ă sa colonne de quelque 4 000 hommes du Groupe Wagner. Les forces spĂ©ciales russes Ă Moscou Ă©tant prĂȘtes Ă lâaccueillir aux portes de la ville et les forces tchĂ©tchĂšnes se dirigeant vers Rostov-sur-le-Don, quâil occupait partiellement, la raison a repris le dessus lorsque Prigozhin a rĂ©alisĂ© que lui et ses hommes Ă©taient promis Ă la mort.
Ă Londres et Ă Washington, la tension Ă©tait palpable. Ils pensaient ĂȘtre sur le point dâatteindre lâobjectif principal de leur guerre contre la Russie : renverser Vladimir Poutine. Ils continuent dâaffirmer que Poutine a Ă©tĂ© incontestablement affaibli par cet Ă©vĂ©nement, et que la Russie reste un pays terriblement instable.
Le deal
Le prĂ©sident du Belarus, Alexandre Loukachenko, a conclu un accord pour mettre fin Ă la crise. En contrepartie, la Russie â pour lâinstant en tout cas â abandonne ses accusations de mutinerie Ă lâencontre de Prigozhin.
Ce dernier a perdu son poste et aurait Ă©tĂ© exilĂ© au Belarus. Mais des doutes planent aujourdâhui sur ce point. Jeudi, M. Loukachenko a dĂ©clarĂ© que M. Prigojine Ă©tait un « homme libre ». Il a ajoutĂ© : « Peut-ĂȘtre est-il allĂ© Ă Moscou, peut-ĂȘtre ailleurs, mais il nâest pas sur le territoire de la BiĂ©lorussie ».
Le New York Times a rapportĂ© le mĂȘme jour que Prigozhin pourrait avoir recours Ă un sosie:
« Un fonctionnaire du Pentagone sous couvert dâanonymat en raison de la nature sensible du sujet a confirmĂ© par la suite que M. Prigozhin se trouvait en Russie, entre Moscou et Saint-PĂ©tersbourg, pendant la majeure partie de la pĂ©riode qui a suivi la mutinerie. Le fonctionnaire a dĂ©clarĂ© quâil nâĂ©tait pas certain que M. Prigozhin se soit jamais rendu au Belarus, car il utilise apparemment des doublures pour brouiller les pistes ».
Dans son Ă©mission MOATS, George Galloway a diffusĂ© le 25 juin une brĂšve vidĂ©o dâun homme ressemblant trait pour trait Ă Prigozhin, dormant sur un banc public Ă Minsk le lendemain de la fin de la rĂ©bellion. (On pourrait penser que Prigozhin aurait pu se permettre de rĂ©server une chambre dâhĂŽtel Ă son double, sâil sâagissait bien de celui-ci).
Prigozhin nâa pas bĂ©nĂ©ficiĂ© dâune amnistie comme les troupes de Wagner impliquĂ©es dans la mutinerie. Ceux qui nây ont pas participĂ© ont eu la possibilitĂ© de signer des contrats avec le ministĂšre russe de la dĂ©fense. Que Prigozhin soit laissĂ© en libertĂ© en Russie sans avoir Ă©tĂ© amnistiĂ© jette le trouble sur son statut et son avenir.
MĂȘme sâil est libre, ses principales revendications dans la mutinerie, Ă savoir le limogeage du ministre de la dĂ©fense, Sergei Shoigu, et du chef dâĂ©tat-major, le gĂ©nĂ©ral Valery Gerasimov, nâont pas abouti jusquâĂ prĂ©sent.
Sâagit-il dâune tentative de coup dâĂtat ?
Ătant donnĂ© que Prigozhin ne cherchait ouvertement quâĂ obtenir la tĂȘte de Shoigu et de Gerasimov, et non celle de Poutine, on peut affirmer que sa manĆuvre nâĂ©tait pas une tentative de renversement de lâensemble du gouvernement.
Lâanalyste gĂ©opolitique Alexander Mercouris, sur la chaĂźne Duran, affirme quant Ă lui que sâil Ă©tait allĂ© jusquâĂ vouloir mettre la main sur le ministĂšre de la dĂ©fense, ce qui, selon Mercouris, Ă©tait exclu, il se serait effectivement emparĂ© du pouvoir Ă la place de Poutine.
Scott Ritter, ancien officier de contre-espionnage des Marines amĂ©ricains, a dĂ©clarĂ© au podcast de Robert F. Kennedy Jr. quâil sâagissait dâune trahison et dâune tentative de coup dâĂtat manifeste. Selon lui, Prigozhin avait mis en place des structures Ă Moscou pour participer au renversement, mais les services de sĂ©curitĂ© russes les ont dĂ©mantelĂ©es avant quâelles ne puissent agir.
Certains analystes estiment quâil ne sâagissait pas du tout dâune tentative de coup dâĂtat. Le colonel amĂ©ricain Ă la retraite Douglas MacGregor, fĂ©roce critique de la politique ukrainienne de Washington, pense que Prigozhin envoyait plutĂŽt un message Ă Poutine pour quâil intensifie la guerre en Ukraine.
Pour autant, dĂšs le premier jour de la marche vers Moscou, Prigozhin a insistĂ© sur le fait quâil ne sâagissait pas dâun « coup dâĂtat militaire, mais dâune marche de la justice ».
Poutine lui-mĂȘme a qualifiĂ© lâaction de Prigojine de « crime grave », de « mutinerie armĂ©e », de « chantage », de  » traĂźtrise », de « terrorisme », de « rĂ©volte interne » et de « coup de poignard dans le dos du pays, et de notre peuple ».
Il a également parlé de « trahison ». M. Poutine a ajouté
 âLes ambitions dĂ©mesurĂ©es et les intĂ©rĂȘts personnels se sont soldĂ©s par une trahison â une trahison contre notre pays, notre peuple et la cause commune pour laquelle les soldats et les commandants du Groupe Wagner se battaient et mouraient au coude Ă coude, avec nos autres unitĂ©s et troupesâ.
Le mystĂšre Surovikin
Les mĂ©dias occidentaux ont uniformĂ©ment prĂ©sentĂ© cet Ă©pisode comme la plus grande menace pour le gouvernement de Poutine depuis sa prise de fonction en tant que prĂ©sident la veille du Nouvel An 1999. Le New York Times a citĂ© des responsables des services de renseignement amĂ©ricains selon lesquels le gĂ©nĂ©ral Sergei Surovikin, commandant adjoint des forces russes en Ukraine, Ă©tait au courant de la tentative de coup dâĂtat, mais nâa rien fait pour lâempĂȘcher, ce qui laisse entendre quâil Ă©tait dans le coup.
CNN a rapporté le 30 juin que Surovikin était un « membre V.I.P. de Wagner ». M. Surovikin a été remplacé en janvier par M. Gerasimov en tant que commandant général des forces en Ukraine.
Le Moscow Times, journal anti-Poutine de langue anglaise, a publiĂ© une information non confirmĂ©e selon laquelle M. Surovikin avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©. LâAssociated Press a fait de mĂȘme, citant des sources anonymes.
Mais comme lâa rapportĂ© le Wall Street Journal :
« Surovikin a Ă©tĂ© le premier haut commandant Ă condamner le complot ⊠et Ă exhorter Prigozhin Ă stopper lâavancĂ©e de ses hommes. Les forces sous le commandement de Surovikin ont menĂ© des frappes aĂ©riennes sur la colonne Wagner, la seule attaque de ce type menĂ©e par des troupes rĂ©guliĂšres contre les insurgĂ©s. »
Pourquoi a-t-il agi de la sorte ?
Au cours des mois précédents, Prigozhin avait lancé plusieurs attaques trÚs publiques contre Shoigu et Gerasimov, les accusant de corruption, et de ne pas avoir fourni suffisamment de munitions pour la bataille de Wagner à Bakhmut.
Prigozhin a dĂ©clarĂ© que cela avait entraĂźnĂ© la mort inutile dâun grand nombre de ses combattants. Moscou a tolĂ©rĂ© ses frasques, mĂȘme aprĂšs la prise de contrĂŽle de Bakhmut par Wagner en mai.
La rhĂ©torique de Prigozhin sâest intensifiĂ©e la veille de sa rĂ©volte, lorsquâil a dĂ©clarĂ© que les motifs de lâintervention russe en Ukraine Ă©taient bidons. Il a dĂ©clarĂ© que lâUkraine ne prĂ©voyait pas dâoffensive sur le Donbass en fĂ©vrier 2022 et que la dĂ©militarisation et la dĂ©nazification de lâUkraine nâĂ©taient que des prĂ©textes. Ces propos ressemblent Ă ceux de responsables de Kiev, Londres, ou Washington.
Il semble que plusieurs raisons aient motivé le geste imprudent de Prigozhin. Le premier était un plan apparemment insensé pour arriver au ministÚre de la défense et forcer le départ de Shoigu et Gerasimov.
Le second motif semble ĂȘtre une soif de pouvoir proche de la mĂ©galomanie. Lâancien chef cuisinier et traiteur (de Poutine et du ministĂšre de la DĂ©fense) a Ă©tĂ© placĂ© Ă la tĂȘte de lâorganisation mercenaire Wagner, bien quâil nâait eu aucune expĂ©rience militaire.
(Prigozhin a Ă©galement dirigĂ© lâInternet Research Agency, qui a achetĂ© pour 100 000 dollars de publicitĂ©s sur Facebook pendant la campagne prĂ©sidentielle amĂ©ricaine de 2016 et a jouĂ© un rĂŽle important dans la fraude du Russiagate).
Poutine a dĂ©clarĂ© la semaine derniĂšre que le contrat dâun milliard de dollars de Prigozhin pour alimenter lâarmĂ©e russe avait Ă©tĂ© rĂ©siliĂ©.
Le Groupe Wagner a Ă©tĂ© crĂ©Ă© en 2014 en tant quâorganisation militaire privĂ©e afin dâĂ©viter lĂ©galement la surveillance et la rĂ©glementation des branches rĂ©guliĂšres de lâarmĂ©e russe, bien que le MinistĂšre de la DĂ©fense lâait Ă©quipĂ© et financĂ©, comme lâa confirmĂ© M. Poutine dans ses remarques publiques de lundi dernier.
En tant quâentitĂ© juridiquement distincte du gouvernement russe, le Groupe Wagner a opĂ©rĂ© en CrimĂ©e et Ă la dĂ©fense du Donbass Ă partir de 2014 (sans quâune intervention militaire officielle de la Russie ne soit nĂ©cessaire) contre lâassaut militaire du gouvernement du coup dâĂtat de Kiev sur le Donbass aprĂšs que celui-ci a dĂ©clarĂ© son indĂ©pendance de lâUkraine.
Sans doute en partie parce quâil en avait assez des critiques constantes de Prigozhin, le ministĂšre de la DĂ©fense avait fixĂ© une date limite au 1er juillet pour lâintĂ©gration du Groupe Wagner au ministĂšre de la DĂ©fense, le faisant ainsi lĂ©galement faire partie de lâarmĂ©e russe. Prigozhin savait que cela mettrait fin Ă sa carriĂšre de chef de la force Wagner, en cours de dissolution.
Câest probablement la raison principale, et surtout le moment choisi pour sa rĂ©volte. CombinĂ© Ă sa bravade et Ă sa haine de Shoigu et de Gerasimov, ce motif a conduit Prigozhin sur le chemin de la ruine, alors quâil pensait se rendre Ă Moscou.
Selon M. MacGregor, un autre facteur a poussé Prigozhin à agir.
En Russie, la critique la plus virulente Ă lâencontre de Poutine porte sur sa trop grande modĂ©ration Ă lâĂ©gard de lâUkraine, sur le fait que lâopĂ©ration militaire a Ă©tĂ© trop prudente. Ces critiques veulent voir la Russie percer le sud de lâUkraine pour prendre Odessa et atteindre la frontiĂšre roumaine, voire prendre Kiev elle-mĂȘme.
(Cela pourrait ĂȘtre plus facile Ă dire quâĂ faire, compte tenu de lâĂ©quipement et de lâentraĂźnement de lâarmĂ©e ukrainienne par lâOTAN, de lâaugmentation du nombre de victimes russes et civiles qui en rĂ©sulterait et de la pression exercĂ©e sur la production dâarmements russes).
Selon MacGregor, Prigozhin fait partie de ces critiques intransigeants envers la guerre au ralenti. Mais au lieu de critiquer ouvertement Poutine pour cet Ă©tat de fait, Prigozhin sâest concentrĂ© sur Shoigu et Gerasimov, les rendant responsables de la stratĂ©gie militaire au coup par coup.
MacGregor a dĂ©clarĂ© Ă Galloway le 25 juin, le jour mĂȘme de la rĂ©volte avortĂ©e :
« Je ne parlerais pas de coup dâĂtat. Je pense que ce qui sâest passĂ©, câest que M. Prigozhin ⊠qui est un vantard notoire et auteur de nombreuses dĂ©clarations outranciĂšres, est parvenu Ă une conclusion Ă laquelle, je pense, beaucoup de gens dans les rangs supĂ©rieurs de lâarmĂ©e russe sont parvenus, Ă savoir ⊠premiĂšrement, que cette guerre nâa que trop durĂ© et quâils veulent que Poutine prenne des mesures dĂ©cisives pour y mettre un terme. DeuxiĂšmement, je pense que la crainte est que les Ătats-Unis soient tentĂ©s dâintervenir en Ukraine occidentale avec leurs alliĂ©s polonais, et dâautres potentiellement, si cette guerre ne prend pas finâŠ
Prigozhin et Wagner sont tous deux trĂšs populaires auprĂšs du peuple russe. Ils le considĂšrent comme le type de leader agressif dont ils veulent sur le champ de bataille dans cette guerre avec lâUkraine. Je mâattends donc Ă ce que nous assistions Ă une offensive trĂšs puissante contre les Ukrainiens. DeuxiĂšmement, je pense que nous allons assister Ă des changements au sommet de la structure de commandement. Je mâattends Ă ce que le gĂ©nĂ©ral Surovikin soit promu Ă la suite de ces changements ».
Ces propos ont Ă©tĂ© tenus avant lâannonce de lâ« arrestation » de Surovikin.
Mercouris, quant à lui, a déclaré que Poutine avait
 âvidĂ© lâabcĂšs que reprĂ©sentaient Prigozhin et Wagner, et cela a probablement banni une fois pour toutes toute idĂ©e de la part de la frange nationaliste â les gens qui sont hostiles pour diverses raisons Ă Gerismov et Shoigu et Ă dâautres personnalitĂ©s au sein du ministĂšre russe de la dĂ©fense â ⊠quâils peuvent forcer la main de Poutine par toute forme dâagitation politiqueâ.
Ă lâheure oĂč nous publions, Gerasimov et Shoigu sont toujours en poste.
Travaillait-il pour des services de renseignement Ă©trangers ?
Comme Prigozhin semblait rĂ©pondre aux objectifs de lâOccident, des spĂ©culations ont Ă©tĂ© Ă©mises sur le fait quâil aurait pu travailler avec les services de renseignement amĂ©ricains, britanniques ou ukrainiens, ou avec lâensemble de ces services.
Ritter a dĂ©clarĂ© catĂ©goriquement sur sa page Substack et lors dâentretiens en podcast que Prigozhin travaillait avec des services de renseignement Ă©trangers : « Quâil nây ait aucun doute dans lâesprit de quiconque â Evgeniy Prigozhin est devenu un agent consentant de lâUkraine et des services de renseignement de lâOccident collectif ». Il a Ă©crit :
âLes frasques de Prigozhin, diffusĂ©es dans les moindres dĂ©tails sur les rĂ©seaux sociaux, ont attirĂ© lâattention des spĂ©cialistes de la guerre de lâinformation pro-ukrainiens, qui ont commencĂ© Ă promouvoir lâidĂ©e que Prigozhin â un ancien dĂ©tenu sans aucune expĂ©rience politique â assumerait une position de leader en Russie. Prigozhin lui-mĂȘme semble vouloir alimenter cette idĂ©e. Tout en niant publiquement une telle ambition, Prigozhin a continuĂ© Ă harceler publiquement Shoigu et Gerasimov. âŠ
Ă un moment donnĂ©, les frasques de Prigozhin ont attirĂ© lâattention des services de renseignement ukrainiens et de leurs homologues britanniques et amĂ©ricains. Le besoin narcissique dâattention, associĂ© Ă une suffisance monumentale, a fait de Prigozhin le candidat idĂ©al pour ĂȘtre recrutĂ© par un service de renseignement Ă©tranger hostile. Une composante financiĂšre â lâappĂąt du gain â peut Ă©galement venir complĂ©ter ce modĂšle comportemental.âÂ
Ritter a ensuite rajouté ce qualificatif : « La collusion entre Prigozhin et les Ukrainiens, bien que non prouvée à ce stade, semble évidente rétrospectivement. »
Le New York Times et dâautres mĂ©dias ont rapportĂ© que les services de renseignement amĂ©ricains Ă©taient informĂ©s des projets de rĂ©bellion de Prigozhin plusieurs jours avant lâĂ©vĂ©nement. « La possibilitĂ© quâun grand rival des Ătats-Unis dotĂ© de lâarme nuclĂ©aire puisse sombrer dans le chaos interne impliquait une nouvelle sĂ©rie de risques », a dĂ©clarĂ© le Times.
MalgrĂ© cela, les Ătats-Unis nâont pas averti la Russie de ce quâils savaient, ce qui aurait peut-ĂȘtre permis dâĂ©viter une crise nuclĂ©aire, comme lâa indiquĂ© M. Ritter dans un article de Consortium News lundi.
Plus important encore, les fuites des renseignements amĂ©ricains sur Discord ont rĂ©vĂ©lĂ© que Prigozhin Ă©tait prĂȘt Ă donner aux services de renseignements ukrainiens la position des troupes russes en Ă©change de la levĂ©e de leur dĂ©fense Ă Bakhmut.
Bien avant la mutinerie, le Washington Post a rapporté le 14 mai :
âPrigozhin a dĂ©clarĂ© que si les commandants ukrainiens retiraient leurs effectifs de la zone entourant Bakhmut, il donnerait Ă Kiev des informations sur les positions des troupes russes, que lâUkraine pourrait utiliser pour lancer une offensive contre elles. Prigozhin a transmis cette proposition Ă ses contacts au sein de la direction du renseignement militaire ukrainien, avec lesquels il a entretenu des communications secrĂštes au cours de la guerre, selon des documents du renseignement amĂ©ricain inĂ©dits divulguĂ©s sur la plateforme de discussion de groupe DiscordâÂ
Les Ătats-Unis ont Ă©veillĂ© les soupçons en faisant tout pour affirmer quâils nâavaient rien Ă voir avec la rĂ©volte. Le prĂ©sident Joe Biden, le secrĂ©taire dâĂtat Antony Blinken et lâambassadeur des Ătats-Unis Ă Moscou ont tous fait des dĂ©clarations en ce sens.
M. MacGregor ne partage pas lâavis selon lequel lâancien chef de Wagner serait de mĂšche avec les ennemis de la Russie.
Il a déclaré :
âJe ne vois aucune preuve que le chef de Wagner soit de mĂšche avec les ennemis de la Russie, et quâil ait Ă©tĂ© transformĂ© en agent par le MI6, la CIA ou qui que ce soit dâautre. Quiconque connaĂźt les Russes sait que tout officier supĂ©rieur, commandant ou dirigeant est entourĂ© de nombreux informateurs du FSB. LâidĂ©e quâil aurait pu se vendre mĂȘme sâil lâavait voulu semble absurdeâ.
M. Ritter a soulignĂ© dans son article sur CN que le gouvernement russe enquĂȘtait sur cette affaire.
Si Prigozhin Ă©tait bel et bien au service des services de renseignement occidentaux ou ukrainiens, il est clair quâils nâen ont pas eu pour leur argent.
Les enseignements
Pour la Russie : Ne pas reproduire lâerreur de recruter une armĂ©e privĂ©e.Plusieurs analystes ont rappelĂ© un enseignement de Niccolo Machiavel, vieux de 500 ans, que la Russie a ignorĂ© :
« Les mercenaires et les auxiliaires sont inutiles et dangereux ; si lâon fonde son Ătat sur ces forces, on ne peut ni tenir bon ni ĂȘtre en sĂ©curitĂ©, car elles sont dĂ©sunies, ambitieuses, indisciplinĂ©es et infidĂšles. âŠ
Je tiens Ă souligner lâinfĂ©rioritĂ© de ces troupes [câest-Ă -dire les mercenaires]. Les capitaines mercenaires sont soit des hommes capables, soit ils ne le sont pas ; sâils le sont, vous ne pouvez pas leur faire confiance, car ils aspirent toujours Ă leur propre grandeur, soit en vous Ă©crasant, vous qui ĂȘtes leur maĂźtre, soit en opprimant dâautres personnes au mĂ©pris de vos intentions ; mais si le capitaine [câest-Ă -dire le chef des mercenaires] nâest pas habile, vous ĂȘtes ruinĂ© de la maniĂšre habituelle [câest-Ă -dire que vous perdez la guerre] ».
MacGregor conteste cette idée. Il a déclaré à Galloway :
« Je rejette lâidĂ©e que ces gens sont des mercenaires. Je les comparerais Ă la LĂ©gion Ă©trangĂšre française. La LĂ©gion Ă©trangĂšre française est composĂ©e dâun grand nombre de non-Français dans la plupart des cas, mais ils ont prĂȘtĂ© serment dâallĂ©geance Ă lâĂtat français et Ă la nation française, et personne ne sâest battu plus durement et plus loyalement pour la France que la LĂ©gion Ă©trangĂšre française. Je dirais quâil y a quelque chose de trĂšs similaire dans le Groupe Wagner.
Il sâagit toujours de Russes dans leur grande majoritĂ©, mais on y trouve aussi des Serbes, des Allemands ou autres, qui ont eux aussi prĂȘtĂ© serment dâallĂ©geance Ă lâĂtat russe. Pour autant que nous puissions le savoir, aucun dâentre eux nâa pensĂ© quâil marchait sur Moscou pour destituer Poutine. Au contraire, ils pensaient se rendre Ă Moscou pour sauver Poutine de ceux qui, de lâavis gĂ©nĂ©ral, Ă©taient de mauvais conseillers, freinant lâoffensive russe et faisant durer cette guerre au-delĂ du raisonnable ».
Quâil sâagisse ou non de mercenaires, le Kremlin et le ministĂšre de la DĂ©fense ont tentĂ© de sâen tirer par une manĆuvre juridique douteuse, qui leur a valu un embarras international et a failli provoquer un conflit civil sanglant.
Pour lâOccident : Attendre la fin dâune opĂ©ration avant de sabrer le champagne. Les appels Ă la guerre civile en Russie, tels que les messages sur Twitter de lâancien ambassadeur des Ătats-Unis en Russie Michael McFaul, qui a dĂ©clarĂ© : « Le combat est maintenant engagĂ©. Il sâagit Ă prĂ©sent dâune guerre civile », leur a explosĂ© au visage lorsque Prigozhin a pris la poudre dâescampette.
La leçon la plus importante serait de ne pas sâimmiscer dans les affaires intĂ©rieures des autres pays, mais câest sans doute trop demander.
La nation russe tout entiĂšre sâest ralliĂ©e Ă Poutine, ce qui lâa placĂ© dans une position beaucoup plus forte et a dĂ©menti lâargument selon lequel la Russie serait aujourdâhui une nation dangereusement instable.
Les gouvernements et les experts occidentaux ont manifestement été plus embarrassés que Poutine par cet épisode.
Mais les idĂ©ologues ne tirent que rarement les enseignements qui sâimposent.
* Joe Lauria est rĂ©dacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant aux Nations unies pour le Wall Street Journal, le Boston Globe et de nombreux autres journaux, dont The Montreal Gazette et The Star of Johannesburg. Il a Ă©tĂ© journaliste dâinvestigation pour le Sunday Times de Londres, journaliste financier pour Bloomberg News et a commencĂ© sa carriĂšre professionnelle Ă 19 ans comme pigiste pour le New York Times. Il est lâauteur de deux livres, A Political Odyssey, avec le sĂ©nateur Mike Gravel, prĂ©facĂ© par Daniel Ellsberg, et How I Lost By Hillary Clinton, prĂ©facĂ© par Julian Assange. Il peut ĂȘtre contactĂ© Ă lâadresse joelauria@consortiumnews.com et suivi sur Twitter @unjoe