đâđš La guerre d'IsraĂ«l contre l'histoire & le patrimoine du Liban
Le défi actuel ne se limite pas à la résistance militaire, mais à préserver l'unité, la culture et l'identité historique du Liban face à une tentative délibérée et systématique de la désagréger.
đâđš La guerre d'IsraĂ«l contre l'histoire & le patrimoine du Liban
Par Ghassan Jawad, le 6 novembre 2024
Israël ne se contente pas de combattre le Hezbollah. Il cherche intentionnellement à éradiquer le riche patrimoine culturel et l'histoire collective du Liban, dans le but de faire grimper le coût du soutien à la Résistance pour les Libanais et de remodeler le tissu politique et démographique de la nation.
Dans l'histoire moderne, Guernica est un symbole bouleversant. Pendant la guerre civile en Espagne, la ville basque a Ă©tĂ© soumise Ă un bombardement aĂ©rien sans prĂ©cĂ©dent par les forces ânationalistesâ du gĂ©nĂ©ral Franco en avril 1937, et est devenue un rappel obsĂ©dant des horreurs de la guerre.
Il s'agit du premier cas moderne de bombardement aérien visant des civils, effectué avec l'aide de l'Allemagne nazie et de l'Italie fasciste contre les forces républicaines - une coalition comprenant des communistes, des socialistes et d'autres résistants aux ambitions fascistes de Franco.
La tragédie de Guernica a été immortalisée par la fresque de Pablo Picasso, qui a immortalisé la dévastation de la ville, ensevelissant sous les décombres ses habitants, dont la plupart étaient des femmes et des enfants. L'intention de Picasso était de graver cet incident sanglant dans la conscience culturelle collective en tant que symbole des atrocités que l'homme peut commettre - un avertissement durable pour les générations futures.
L'Occident a habilement exploité la propagande culturelle et la fresque de Picasso a fait le tour du monde, présentée dans des expositions et des événements internationaux comme un contre-symbole du concept de guerre. Elle est devenue un document humanitaire de solidarité avec les victimes civiles de Guernica et d'autres tragédies.
Destruction au Liban
Pourtant, cette célébration mondiale de l'art en tant que reflet du progrÚs de l'humanité semble s'appliquer de maniÚre sélective, en particulier lorsqu'il s'agit des pays et des peuples d'Asie occidentale.
Au cours des 40 derniers jours, à Baalbek, Jabal Amel, Nabatieh, Tyr et dans la banlieue sud de Beyrouth, Israël s'est déchaßné sur d'anciennes cités, des villages et des villes avec un acharnement implacable. Des quartiers entiers ont été rasés avec minutie, comme pour effacer leur histoire.
L'Agence nationale de presse libanaise (NNA) a rapporté qu'au moins 40 000 logements ont été détruits par Israël dans le sud du Liban depuis le 8 octobre 2023, et 37 villes anéanties, la majorité d'entre elles se trouvant à moins de trois kilomÚtres de la frontiÚre méridionale. Des villes comme Aita Shaab et Kafr Kila sont parmi les plus touchées. Depuis qu'Israël a lancé son invasion terrestre le 2 octobre, l'ampleur des destructions s'est intensifiée, prÚs de 80 % des dégùts ayant eu lieu aprÚs cette date. Une analyse satellite réalisée par le Washington Post révÚle que prÚs d'un quart des bùtiments de 25 villes libanaises proches de la frontiÚre ont été endommagés ou détruits.
On peut voir des soldats de l'occupation se délecter de l'anéantissement des maisons, se vengeant comme pour punir ceux qui y ont vécu - des gens qui, comme l'histoire nous l'apprend, sont intimement liés à la Résistance. Ces villages, ces villes et ces cités, autrefois bastions du sentiment nationaliste, ont résisté depuis l'époque de la Conférence de Hujair en 1920, et au-delà .
On y trouve encore des octogĂ©naires, barbus et rĂ©solus, qui vĂ©nĂšrent des hommes comme Gamal Abdel Nasser [homme dâĂ©tat Ă©gyptien, 1918-1970] ou Antoun Saadeh [homme politique, journaliste et philosophe libanais, 1904 -1949]. D'autres restent rĂ©solument fidĂšles Ă la gauche et s'accrochent aux idĂ©aux de l'Ăšre soviĂ©tique, ou se battent aux cĂŽtĂ©s de la rĂ©sistance palestinienne depuis sa crĂ©ation.
AprĂšs avoir subi des pertes humiliantes face Ă l'Ătat occupant, et lorsque la vague nationaliste arabe a refluĂ© dans les annĂ©es 1970, alors que ces Ătats ont tournĂ© le dos et se sont alliĂ©s aux ennemis du Liban, les habitants de ces rĂ©gions ont adoptĂ© l'islam rĂ©volutionnaire comme rempart contre l'occupation et l'hĂ©gĂ©monie.
La guerre contre la culture et le patrimoine du Liban
Dans le cas du Liban d'aujourd'hui, les attaques d'IsraĂ«l ne visent pas seulement le Hezbollah, le mouvement Amal [plus grand parti chiite au Parlement libanais avec 14 reprĂ©sentants pour 13 pour le Hezbollah] ou mĂȘme le groupe islamique dirigĂ© par les sunnites - elles visent l'histoire collective du pays, son prĂ©sent et l'hĂ©ritage mĂȘme de la rĂ©sistance qui a longtemps formĂ© son identitĂ©.
Dans la banlieue sud de Beyrouth, ce ne sont pas seulement les immeubles de logements qui ont été touchés. Les raids d'Israël ont systématiquement visé les infrastructures, notamment les réseaux d'eau, les télécommunications, les réseaux électriques et les routes.
à Tyr, ville chargée d'histoire, les destructions sont à l'image des zones frontaliÚres. Le patrimoine culturel, sauvegardé au fil des siÚcles, est réduit à néant sous les bombardements israéliens. à Baalbek, la dévastation s'est étendue à des sites archéologiques classés par l'UNESCO, dont des ruines romaines vieilles de 3 000 ans prÚs de la citadelle de Baalbek, un site d'une immense importance historique.
Le gouvernement libanais à déposé une plainte auprÚs de l'UNESCO afin de protéger ce patrimoine inestimable. à Nabatieh, les bombardements ont atteint des niveaux sans précédent, avec 1 763 raids qui ont pulvérisé le marché historique de la ville, centre vital de la vie économique, historique et culturelle.
Le 26 octobre, une analyse par satellite a révélé qu'au moins 9 934 bùtiments ont été endommagés ou détruits au Liban, représentant prÚs d'1% de l'ensemble des bùtiments du pays. C'est un élément de la stratégie plus générale de Tel-Aviv : augmenter ainsi le coût de la Résistance dans l'esprit de ses soutiens.
Le coût de la Résistance...
ConformĂ©ment Ă la fameuse âdoctrine Dahiyeâ [doctrine militaire israĂ©lienne qui prĂŽne un usage disproportionnĂ© de la force au cours de reprĂ©sailles, et, contre le principe fondamental du droit de la guerre, de ne plus faire de distinction entre cibles civiles et militaires] et par le biais d'une destruction totalement disproportionnĂ©e, IsraĂ«l espĂšre faire payer la rĂ©sistance Ă l'occupation et Ă la dĂ©fense des droits des Palestiniens, en utilisant des mĂ©thodes conçues pour punir et dĂ©moraliser, faire disparaĂźtre des populations, leur hĂ©ritage historique et les traces physiques de leur existence.
La destruction de maisons, de quartiers et de sites culturels est une campagne délibérée visant à rompre les liens entre les populations et leur terre, à détruire au bulldozer les attaches physiques et émotionnelles qui définissent une communauté.
Dans les villages du sud, comme Al-Adaisa et Mohibib, mĂȘme les tombes des anciens n'ont pas Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©es. IsraĂ«l mĂšne une guerre parallĂšle : il ne s'agit pas seulement d'un assaut militaire, mais aussi d'une Ă©radication morale et culturelle, d'une tentative de dĂ©truire au bulldozer la rĂ©sistance matĂ©rielle et spirituelle d'une sociĂ©tĂ© qui rĂ©siste depuis longtemps.
Cette punition collective, en violation flagrante des lois et conventions internationales, vise Ă saper l'infrastructure matĂ©rielle et morale du Liban. La population, l'urbanisation, les infrastructures et les services sont les piliers de toute sociĂ©tĂ©, et tous sont systĂ©matiquement attaquĂ©s, comme l'a montrĂ© la rĂ©cente attaque d'IsraĂ«l contre les succursales d'Al-Qard al-Hassan, les institutions financiĂšres gĂ©rĂ©es par le Hezbollah destinĂ©es Ă fournir des prĂȘts sans intĂ©rĂȘt et d'autres services de base Ă la population civile libanaise.
Obstacles au retour et Ă la reconstruction
Il ne fait aucun doute que les effets de cette destruction se feront sentir pendant des générations. Alors que le conflit s'éternise, sans qu'aucune fin apparente ne soit en vue, la population libanaise est systématiquement déplacée. Des communautés entiÚres ont été déracinées, beaucoup d'entre elles ont été déplacées plus d'une fois, certaines cherchant refuge jusqu'en Irak, en Syrie, en Iran et en Afrique.
MĂȘme si un cessez-le-feu est conclu, le retour au foyer n'est pas aisĂ©. Les destructions subies signifient que de nombreux villages et villes seront inhabitables. La reconstruction prendra du temps, et le spectre du dĂ©placement menace d'altĂ©rer de façon permanente le dĂ©licat tissu dĂ©mographique du pays.
Les intentions d'IsraĂ«l vont au-delĂ de ses objectifs dĂ©clarĂ©s - qui sont loin de s'ĂȘtre concrĂ©tisĂ©s, notamment le retour des colons du nord du pays. En rasant les villages frontaliers et en anĂ©antissant les moyens de subsistance, IsraĂ«l laisse entrevoir un projet plus vaste, Ă savoir un remodelage dĂ©libĂ©rĂ© de la gĂ©ographie et de la dĂ©mographie.
La tentative d'établir une zone tampon à la frontiÚre libanaise, similaire au modÚle de Gaza, en est la preuve. La Résistance, quant à elle, se prépare à un conflit de longue haleine, consciente qu'il ne s'agit pas seulement d'une bataille pour un territoire, mais d'une confrontation existentielle sur l'identité et l'avenir du Liban.
La RĂ©sistance, avec son nouveau leadership, reste inĂ©branlable, sachant que la campagne d'IsraĂ«l tend non seulement Ă la dĂ©sarmer mais aussi Ă dĂ©manteler la relation entre le peuple libanais et sa cause, comme ce fut le cas Ă Gaza avec le âPlan des gĂ©nĂ©rauxâ.
Une bataille civilisationnelle
Pourtant, malgré les bombardements incessants et la volonté de diviser le Liban, la solidarité persiste. Les réfugiés du sud, de la Bekaa et des banlieues ont trouvé refuge dans tout le Liban, et l'accueil qu'ils ont reçu en dit long sur la résilience de la population libanaise.
Bien que des divisions subsistent et que les pressions exercĂ©es par les dĂ©placements puissent potentiellement semer la discorde, le climat actuel est celui d'une large compassion humanitaire. Mais cette solidaritĂ© reste fragile, vulnĂ©rable aux pressions exercĂ©es par les dĂ©placements prolongĂ©s et les difficultĂ©s Ă©conomiques. Si elle venait Ă souffrir de mauvaises gestions, elle pourrait facilement devenir le point de dĂ©part de conflits internes, exploitĂ©s par ceux qui ont intĂ©rĂȘt Ă y semer encore plus de confusion.
La campagne israĂ©lienne au Liban, soutenue par les Ătats-Unis, n'est pas seulement une question de supĂ©rioritĂ© militaire : il s'agit de remodeler la rĂ©alitĂ© politique, sociale et culturelle du Liban. Heureusement, la RĂ©sistance l'a compris, tout comme le peuple qui continue Ă faire face.
Le défi actuel ne se limite donc pas à la résistance militaire, mais à préserver l'unité, la culture et l'identité historique du Liban face à une tentative délibérée et systématique de la désagréger.
https://thecradle.co/articles/israels-war-on-lebanons-history-and-heritage