👁🗨 La High Court britannique s'acharne sur Julian Assange
Un tribunal américain accepterait d'appliquer le Premier Amendement et de se conformer aux exigences en matière de condamnation. L'accumulation d'obscénités dans la saga Assange se poursuit.
👁🗨 La High Court britannique s'acharne sur Julian Assange
Par Binoy Kampmark, le 28 mars 2024
Les partisans de l'éditeur de WikiLeaks, Julian Asssange, qui risque l'extradition vers les États-Unis, espéraient une décision claire de la High Court britannique le 26 mars.
Soit elle rejetterait l'autorisation d'interjeter appel de l'affaire Assange, mettant ainsi en branle la procédure d'extradition, soit elle autoriserait un réexamen complet de l'affaire.
Au lieu de cela, elle a opté pour un compromis tortueux, qui donne au gouvernement des États-Unis la possibilité de faire amende honorable.
Il y a un sentiment désespérant de répétition dans tout cela.
La High Court britannique a annulé la décision prise en décembre 2021 par la juge Vanessa Baraitser de la District Court d'interdire l'extradition, sur la base de certaines assurances fournies par le gouvernement américain.
Son jugement avait été sévère à tous égards sauf un : l'extradition mettrait en péril la vie d'Assange dans le système pénal américain, en grande partie à cause de ses idées suicidaires et des installations inadéquates pour faire face à ce risque.
Les juges de la High Court ont accepté les assurances du ministère de la Justice (DOJ) selon lesquelles Assange ne serait pas confronté à des conditions de détention éprouvantes dans la tristement célèbre prison ADX Florence, et ne subirait pas les mesures de restriction musclées appelées “mesures administratives spéciales”.
Selon les premières “garanties”, il recevrait également les soins médicaux appropriés et aurait la possibilité de purger le reste de sa peine en Australie.
Le refus du juge de se pencher sur ces garanties aléatoires ne leur a pas permis d'obtenir gain de cause.
Le jugement du 26 mars s'inscrit dans la continuité de ce constat.
Les motifs invoqués par l'équipe d'Assange sont au nombre de neuf au total et se divisent en deux parties.
La première, qui comprend sept motifs, affirme que la décision de transmettre l'affaire au ministre de l'intérieur était erronée pour les raisons suivantes :
ignorer l'interdiction d'extradition prévue par le traité d'extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis pour les délits politiques, pour lesquels M. Assange est recherché
les poursuites dont il fait l'objet portent sur des opinions politiques
l'extradition est incompatible avec l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) qui stipule qu'il ne peut y avoir de peine sans loi
la procédure est incompatible avec l'article 10 de la CEDH protégeant la liberté d'expression
qu'il ne soit pas de nationalité américaine lui causerait un préjudice lors du procès
le droit à un procès équitable, protégé par l'article 6 de la CEDH, n'était pas garanti
et que l'extradition est incompatible avec les articles 2 et 3 de la CEDH (droit à la vie et interdiction des traitements inhumains et dégradants).
La deuxième partie de la requête contestait la décision du ministre de l'Intérieur britannique d'approuver l'extradition d'Assange. Cette extradition aurait dû être interdite par le traité entre la Grande-Bretagne et les États-Unis et au motif qu'il n'existait pas de “protection adéquate en matière de sécurité et de peine de mort”.
La High Court n'a retenu que trois arguments, laissant de côté une grande partie des raisons invoquées par M. Baraitser.
L'équipe juridique de M. Assange a établi qu'il était contestable de renvoyer l'affaire au ministre de l'intérieur, car M. Assange risquait d'être lésé lors du procès en raison de sa nationalité.
Si l'on suit ce raisonnement, “mais seulement par voie de conséquence”, l'extradition serait incompatible avec les protections de la liberté d'expression en vertu de l'article 10 de la CEDH.
La décision du ministre de l'Intérieur pourrait également être contestée, dans la mesure où elle est incompatible avec une protection inadéquate en matière de sécurité et de condamnation à la peine capitale.
Rien de politique ?
Nous avons assisté à un élagage sauvage, déguisé sous des apparences juridiques, de la persécution politique.
Sur la question de savoir si M. Assange est poursuivi pour ses opinions politiques, la Cour a accepté la conclusion de M. Baraitser selon laquelle ce n'est pas le cas.
La juge était “en droit de parvenir à cette conclusion sur la base des éléments de preuve dont elle disposait et du témoignage sous serment non contesté du procureur (qui réfute les arguments du requérant)”.
Tout en acceptant le point de vue selon lequel Assange “a agi par conviction politique”, l'extradition n'a pas été ordonnée “en raison de ses opinions politiques”.
Une fois de plus, le pouvoir judiciaire a évité de se rendre à l'évidence : la dénonciation de crimes de guerre, d'atrocités, de tortures et de diverses fautes commises par l'État est un acte politique.
L'évaluation de Mme Baraitser concernant la loi américaine sur l'espionnage de 1917 a également été exemptée de tout commentaire.
Le point omis dans son jugement et dans la dernière décision de la High Court est l'incapacité manifeste d'admettre que la loi est conçue pour contourner les protections constitutionnelles, un point soulevé par le sénateur républicain du Wisconsin, Robert M La Follette.
Quant à la question de savoir si Assange serait privé d'une procédure régulière, dans la mesure où il peut être poursuivi pour avoir publié des documents classifiés en 2010, le point de vue selon lequel les tribunaux américains sont “conscients des questions liées aux imprécisions et à la portée excessive” de la loi n'est pas pertinent.
Il n'est guère rassurant pour M. Assange d’entendre qu'il ne serait pas soumis à un “risque réel de violation flagrante” des droits protégés par l'article 7 de la CEDH, et encore moins par l'équivalent du cinquième amendement de la Constitution américaine.
Déni de procès équitable
Le fait qu'Assange soit privé d'un procès équitable aurait dû être une évidence, comme en témoignent les remarques tendancieuses de hauts fonctionnaires (l'ancien directeur de la CIA et secrétaire d'État américain Mike Pompeo me vient à l'esprit) sur sa culpabilité présumée, les preuves corrompues, un jury potentiellement partial et la négociation d’un accord de plaidoyer.
Il pourrait être, ou serait également condamné pour des faits dont il n'a pas été accusé “sur la base de preuves dont il ne prendra pas connaissance et qui peuvent avoir été obtenues illégalement”.
La conclusion négative de Baraitser n'a pas été mise à mal comme elle le méritait.
“Comme le juge [Baraitser], nous considérons que les objections soulevées par les requérants au titre de l'article 6 n'ont pas de fondement défendable, d'où il découle qu'il n'est pas défendable que son extradition donnerait lieu à un déni flagrant de ses droits à un procès équitable”.
Le refus de la High Court d'accepter de “nouvelles preuves” est d'une importance considérable et déformante.
Il s'agit notamment de l'article de Yahoo News datant de septembre 2021, qui expose le point de vue des services de renseignement sur un éventuel enlèvement, voire un assassinat, d'Assange.
Une déclaration de l'avocat américain Joshua Dratel a fait valoir de manière pertinente que la désignation de WikiLeaks en tant que “service de renseignement hostile non étatique” visait à “placer [le requérant] au-delà de tout cadre juridique identifiable qui pourrait le protéger des actions américaines basées sur de prétendus impératifs de “Sécurité nationale’”.
Une déclaration signée d'un témoin a également confirmé qu'UC Global, la société de sécurité espagnole chargée de la surveillance d'Assange dans l'ambassade de l'Équateur à Londres, organisée par la CIA, avait les moyens de fournir des informations importantes sur les “options d'assassinat” d'Assange.
Au lieu de prendre en compte ces éléments comme preuve de menace pour le droit à la vie d'Assange, ou de la perspective d'une condamnation à une peine ou à un traitement inhumain ou dégradant, les juges de la High Court ont spéculé sur ce qu'aurait fait Mme Baraitser si elle les avait vus.
De manière fantaisiste, mais inexplicable, les juges ont accepté sa conclusion selon laquelle la conduite de la CIA et d'UC Global concernant l'ambassade d'Équateur n'avait aucun lien avec la procédure d'extradition.
Le raisonnement orwellien des juges consiste à affirmer que toute la logique des opérations violentes envisagées par les services de renseignement américains à l'encontre d'Assange “disparaît si le requérant est extradé”.
La High Court a réitéré la position adoptée par ses collègues américains dans leur décision de 2021.
Les inquiétudes concernant les mauvais traitements infligés à Assange seraient dissipées si
des “garanties étaient données selon lesquelles le requérant est autorisé à invoquer le Premier Amendement, qu'il ne sera pas lésé lors du procès (y compris la peine) en raison de sa nationalité, qu'il bénéficiera de la même protection du Premier Amendement qu'un citoyen américain, et que la peine capitale ne sera pas appliquée)”.
Une démarche aussi absurde implique que les procureurs seraient tenus de respecter leurs engagements, et qu'un tribunal américain accepte d'appliquer le Premier Amendement et de se conformer aux exigences en matière de condamnation requises.
Le gouvernement américain a jusqu'au 16 avril pour fournir des garanties concernant les trois motifs. L'équipe de M. Assange peut déposer d'autres observations écrites avant le 30 avril, et le ministre de l'Intérieur avant le 14 mai. Une autre requête en appel sera examinée le 20 mai.
Si le ministère de la justice ne fournit aucune garantie, l'autorisation d'appel sera accordée.
L'accumulation d'obscénités dans la saga Assange se poursuit.
* Binoy Kampmark est actuellement chargé de cours à l'université RMIT.
https://www.greenleft.org.au/content/julian-assange-tormented-british-high-court