👁🗨 La lâcheté morale, obstacle au plaidoyer pour une humanité collective à Gaza
La réponse aux atrocités à Gaza implique de cesser d'ergoter sur les mots, vaincre la peur, et se faire entendre, découvrir les bienfaits universels que procure le courage d'afficher ses convictions.
👁🗨 La lâcheté morale, frein au plaidoyer d'une humanité collective à Gaza
Par Stuart Rees, le 26 mars 2024
Confronté à la guerre en Europe, William Wordsworth, poète du XIXe siècle, s'interrogeait : “Quel beau monde pourrions-nous peindre en vers, si le pouvoir pouvait vivre avec retenue ?” Il s'inspirait de John Donne, du XVIe siècle, qui reconnaissait l'interdépendance humaine : “Aucun homme n'est une île, tout entière à elle-même ; chaque homme est un fragment du continent, une partie de l'ensemble...”
Les poètes contemporains ont dépeint une vision similaire. Dans “All One Race”, le poète aborigène australien Oodgeroo Nunucaal déclare : “Je suis international, peu importe le lieu, je suis pour l'humanité, pour une seule race”. Dans “La famille humaine”, l'Afro-Américaine Maya Angelou écrit : “Je note les différences évidentes entre chaque espèce et chaque type, mais mes amis, nous nous ressemblons plus que nous ne nous sommes différents”.
Dans “Indignez vous !”, architecte de la Déclaration universelle des droits de l'homme, le poète et diplomate français Stéphane Hessel demande aux citoyens de protéger les idéaux inhérents à la notion d'humanité commune. Il insistait : “Ne pas s'indigner face à l'injustice, c'est perdre le sens de sa propre humanité”.
Dans ses commentaires sur le mépris de l'humanité dont témoignent les brutalités à Gaza, la romancière palestinienne Susan Abulhawa a résumé les morts et les destructions palestiniennes en termes de “guerre, génocide, holocauste”. L'auteur Max Blumenthal qualifie Gaza de “chemin des larmes” de notre temps.
Les visions de ces poètes, le plaidoyer de chaque auteur, mettent en évidence les qualités d'une humanité collective : la reconnaissance de l'interdépendance de tous les peuples, le recours au pouvoir pour améliorer la vie, le respect de la dignité de chacun, le courage de s'opposer à l'injustice, quel qu'en soit le prix.
Mon désarroi face à l'enfer de Gaza, “un enfer grouillant d'innocents” selon Abulhawa, a été exacerbé par l'absence de commentaires sérieux sur l'humanité collective. Au lieu de cela, les hommes politiques et leurs conseillers ont calculé le degré de tuerie acceptable, déterminé de quelle manière la critique d'une guerre sera qualifiée d'antisémite, évalué si les ventes d'armes à Israël peuvent être associées à des déclarations de cessez-le-feu, et si la condamnation du Hamas a été suffisamment virulente.
Lorsque je pense à l'attaque du Hamas le 7 octobre et à l'assassinat par Israël de 31 000 Palestiniens, dont deux tiers de femmes et d'enfants, j'en ai appris autant sur l'humanité en constatant la lâcheté qu'en dénombrant les actes de courage. Cette triste ironie s'est manifestée en écoutant les raisons invoquées par certains pour refuser de soutenir le “plaidoyer de Gaza pour une humanité collective” qui doit être présenté au Parlement fédéral australien le 28 mars.
Ce plaidoyer fait valoir que le respect d'une humanité collective mettrait la violence hors la loi et pourrait contribuer à l'instauration d'une paix et d'une justice profitables aux Israéliens et aux Palestiniens. Le plaidoyer critique les politiques visant à interrompre l'aide humanitaire à Gaza, s'interroge sur les raisons pour lesquelles des gouvernements puissants ont refusé de soutenir l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice et sur les raisons pour lesquelles les gouvernements ont gardé le silence sur les conclusions provisoires de la Cour internationale de justice concernant le génocide à Gaza.
Plus d'un millier de citoyens de tous horizons ont répondu à ce plaidoyer pour Gaza. Ils ont dit “Comptez sur moi”, mais leur enthousiasme a été tempéré par ceux qui ont refusé de soutenir le plaidoyer, leurs décisions étant apparemment motivées par la peur et la lâcheté.
Les refus ont pris plusieurs formes, à commencer par la technique de l'évitement : ne pas vouloir savoir, ne pas répondre aux messages, aux appels téléphoniques ou aux courriels.
Puis il y a eu les ergotages sur les termes du plaidoyer. L'un d'entre eux a demandé : “Pourriez-vous être plus nuancé dans le premier paragraphe ? Un autre a demandé : "Je signerais si vous faisiez plus court et si vous en disiez plus sur le Hamas”.
Ces réponses, qui se voudraient peut-être pertinentes, ressemblent néanmoins à un moyen de se mettre à l'abri, en refusant de dénoncer ouvertement le carnage dans la bande de Gaza.
Certains ont reconnu qu'ils craignaient d'offenser les partisans d'Israël, ce que n'a pas manqué de souligner l'un d'entre eux, qui a déclaré qu'il ne pouvait pas se permettre d'être condamné par le “lobby de vous savez qui”.
J'ai été sidéré par la réaction de ceux dont je pensais qu'ils s'y connaissaient en matière de justice, mais qui ont hésité à soutenir un plaidoyer parce qu'il avait été rédigé principalement par “un critique permanent de la politique israélienne”. L'argument de l'humanité collective n'a pas convaincu. Ils ont craint de prendre ce qu'ils pensaient être un risque.
Le premier prix de la lâcheté revient aux individus, y compris aux dirigeants d'institutions publiques qui ont déclaré qu'ils pourraient soutenir le plaidoyer s'ils savaient quelles autres personnalités importantes le soutenaient. Une telle réponse suggère que le principe du courage de ses convictions n'est pas reconnu ou, en relation avec la controverse sur le carnage à Gaza, qu'il devrait être écarté.
Aussi décevante soit-il, le comportement de ceux qui ont refusé peut être considéré comme leur droit, mais pour entretenir toute lutte pour la justice, ce sont les appels à l'humanité commune des philosophes, des poètes et des activistes locaux qui donnent de l'espoir grâce à des exemples de courage dans la vie publique qui sont source de motivation.
La philosophe Hannah Arendt a démontré que quiconque souhaite atteindre les objectifs de bien commun doit passer de la sphère privée à la sphère publique. Contrairement aux préoccupations liées aux besoins particuliers, elle soutenait que l'engagement en faveur d'une humanité collective était le seul moyen de rester pertinent et vivant.
Bien que le plaidoyer en faveur d'une humanité collective préconise les principes, le discours et la pratique de la non-violence comme moyen d'instaurer la paix en Palestine et en Israël, il tient compte aussi des preuves de la violence terroriste perpétrée par les forces israéliennes, et pas seulement par le Hamas.
Ce plaidoyer fait appel à la fibre morale indispensable pour exprimer l'indignation face aux plans visant à déplacer plus d'un million de personnes à Rafah afin que la prétendue éradication du Hamas puisse se poursuivre, mais il souligne également la peur de la jeune fille gazaouie de seize ans qui a déclaré à la BBC World le 18 mars : “La seule solution est de mourir, de s'abandonner à la mort”.
Que vaut l'humanité si le sort de cette adolescente effrayée n'a guère d'importance ?
Notre enthousiasme pour une humanité collective nous permet d'imaginer un avenir inédit. En rejetant l'oppression et la colonisation, il préconise le courage de conquérir la liberté. Dans l'esprit du poète John Donne, la solidarité est synonyme de justice pour les Palestiniens, mais aussi de solidarité mondiale face à la pauvreté, aux catastrophes écologiques et aux pandémies.
Dans n'importe quel contexte, le recours à des mots pour décrire des images peut donner de l'espoir ou, du moins, montrer l'étendue des inhumanités.
La réponse aux atrocités commises à Gaza doit rappeler qu'il faut cesser d'ergoter sur les mots, qu'il est temps de vaincre la peur, de se lever et se faire entendre, qu'il est temps de découvrir les bienfaits universels du courage de ses convictions.
Les raisons qui ont motivé le “plaidoyer de Gaza pour une humanité collective” ont des répercussions à l'échelle mondiale. Elles s'opposent à la violence, qu'elle soit le fait du Hamas ou de l'armée israélienne, mais se réfèrent en particulier à la destruction massive de la vie des Palestiniens.
Les raisons de plaider pour une humanité collective ont également été confortées par le courage des Russes rassemblés autour de la tombe d'Alexei Navalny.
Plaidoyer pour une humanité collective à Gaza
Palestine - Gaza, Cisjordanie, Jérusalem-Est
Au Parlement australien : Plaidoyer pour une humanité collective
À Gaza et en Cisjordanie, le gouvernement israélien doit mettre fin aux massacres, à la famine, à la destruction d'enfants, aux souffrances infligées à des milliers de personnes, à la détention et à la torture de milliers de personnes, à la destruction d'hôpitaux, d'écoles, d'universités, de mosquées, d'églises, de maisons, d'infrastructures d'eau et d'électricité, de banques, de l'assemblée législative, au meurtre de médecins et de journalistes. De même, l'Australie doit cesser d'être complice d'actes génocidaires tels qu'identifiés par la Cour internationale de justice.
Le silence du gouvernement australien en réponse au constat provisoire de génocide plausible de la Cour et à ses ordonnances de cessation immédiate des actes de génocide est incompréhensible. Son inaction face à l'ampleur du massacre à Gaza symbolise l'abandon des principes d'une humanité collective et l'indifférence face à la responsabilité commune de l'interdépendance de tous les peuples et de tous les êtres vivants sur la planète Terre.
Nous demandons au gouvernement australien et à tous les politiciens fédéraux de cesser d'apaiser Israël contre les coûts politiques supposés de la prise au sérieux des droits de l'homme de tous les Palestiniens. Nous appelons les dirigeants australiens de prendre en considération les principes d'une humanité commune, ce qui inclut la référence à la vie des Israéliens, et à l'impératif moral de prévenir les génocides.
Nous sommes reconnaissants au gouvernement australien d'avoir repris le financement de l'UNRWA, mais nous déplorons les propos inhumains de l'opposition qui prétend qu'il est dangereux de rétablir des fonds pour des populations menacées de famine.
Nous déplorons que le gouvernement ait refusé de soutenir l'Afrique du Sud devant la CIJ, qu'il n'ait pas réagi à la décision de la CIJ sur le génocide et qu'il ait fermé les yeux sur les ventes d'armes australiennes à Israël. Notre gouvernement semble craindre de condamner les politiques d'un État résolu à éliminer brutalement tout un peuple.
Les autorités australiennes ont adhéré à la guerre des États-Unis contre le terrorisme, qui s'étend désormais au Hamas. Le carnage d'Israël à Gaza n'est pas, comme le prétendent ses dirigeants, dirigé contre le Hamas, mais contre l'ensemble du peuple palestinien. Il s'agit d'une terreur d'État, d'une punition collective et d'un génocide en puissance. Au mépris de la décision de la CIJ, en violation des obligations prévues par le droit international, le gouvernement australien ne peut soutenir la politique du gouvernement israélien.
Le respect d'une humanité collective implique que l'Australie plaide énergiquement en faveur de la reconnaissance des droits de l'homme de tous les Palestiniens, un objectif qui nécessite la dissolution de tout régime israélien raciste et d'apartheid. L'adhésion aux principes d'une humanité collective profitera à tous les Israéliens. La justice pour la Palestine signifie la sécurité pour Israël. Les plaidoyers en faveur d'une humanité commune comprennent des objectifs urgents et pratiques :
Rejoindre 139 pays dans la mise en œuvre des décisions de la conférence générale du parti travailliste de reconnaître l'État de Palestine.
Appliquer les décisions de la CIJ.
Exiger un cessez-le-feu permanent et la fin du blocus de Gaza.
Exiger le retour de tous les otages.
Envisager l'expulsion de l'ambassadeur d'Israël en Australie et le rappel de l'ambassadeur d'Australie en Israël.
Mettre fin à tout soutien militaire australien à Israël
Élaborer des plans de paix et de justice auxquels participeront des Palestiniens de tous horizons.
Envisager des propositions en vue d'une conférence de paix internationale qui traiterait du droit des Palestiniens à l'autodétermination et du droit des réfugiés au retour.
Soutenir un programme humanitaire d'urgence mené par les Nations unies qui réponde aux besoins humanitaires urgents des habitants de Gaza, qu'il s'agisse de soins médicaux, de vivres ou de logements.
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* Stuart Rees est professeur émérite à l'université de Sydney et lauréat du prix de la paix de Jérusalem (Al Quds).
https://johnmenadue.com/moral-cowardice-hinders-pleas-for-a-common-humanity-in-gaza/