đâđš La longue histoire de la russophobie
âQuelle sorte de paix existe sous occupation russe, quand on craint chaque jour d'ĂȘtre assassinĂ© de sang-froid, violĂ© ou enlevĂ© en tant quâenfant ?â â A. Baerbock, ministre des Aff. Ă©trangĂšres (2023)
đâđš La longue histoire de la russophobie
Par Stefan Korinth, le 5 juin 2023
Comment les hommes politiques et les journalistes occidentaux peuvent-ils tenir des propos si dĂ©sobligeants Ă l'Ă©gard de la Russie sans que cela ne suscite de tollĂ© immĂ©diat ? En thĂ©orie, tous les tabous peuvent ĂȘtre brisĂ©s. Ce traitement mĂ©prisant, difficilement imaginable Ă l'Ă©gard d'autres pays, va bien au-delĂ des critiques factuelles Ă l'encontre des dirigeants russes et s'observe aussi bien en temps de guerre qu'en temps de paix. Les auteurs recourent Ă des stĂ©rĂ©otypes et insinuations sur la Russie rĂ©currents au fil des siĂšcles et profondĂ©ment ancrĂ©s dans l'inconscient occidental.
âLa seule vĂ©ritĂ© qui Ă©merge de la Russie, câest le mensongeâ.
â Robert Habeck, ministre allemand de l'Ăconomie (2022)
âQuelle sorte de paix existe-t-il sous l'occupation russe, alors que l'on craint chaque jour d'ĂȘtre assassinĂ© de sang-froid, violĂ© ou mĂȘme enlevĂ© quand on est enfant ?â
â Annalena Baerbock, ministre des Affaires Ă©trangĂšres (2023)
Quand ils parlent ou écrivent publiquement sur la Russie, les hommes politiques et les journalistes occidentaux le font souvent de maniÚre presque exclusivement négative et souvent trÚs péjorative. Leurs remarques sont souvent caractérisées par des insinuations malveillantes, et toute vision de la perspective russe est manifestement exclue. Les déclarations des hommes politiques et des journalistes russes sont systématiquement qualifiées de propagande et de mensonges. Le président russe est ouvertement et manifestement insulté et assimilé à certains des pires personnages de l'histoire du monde. Les soldats russes sont exclusivement dépeints comme des criminels de guerre, des pilleurs ou des violeurs. Les journalistes russes comme des info-guerriers retors, les hommes d'affaires russes comme des criminels, les fonctionnaires comme corrompus. De fait, la population tout entiÚre du pays est dépeinte comme plus ou moins autoritaire, homophobe et arriérée.
Les sources occidentales de ces dĂ©clarations, en revanche, ne subissent aucune critique publique dans leur pays d'origine. Il semble aller de soi, dans le paysage politico-mĂ©diatique Ă©tabli, que la Russie puisse ĂȘtre dĂ©criĂ©e et dĂ©peinte d'une maniĂšre difficilement imaginable dans les relations publiques avec d'autres pays, mĂȘme en guerre. Ce faisant, les responsables se rĂ©fugient dans des schĂ©mas de pensĂ©e figĂ©s et des images nĂ©gatives de la Russie reproduites depuis des siĂšcles dans les pays occidentaux, dont les concepts sont simplement remis au goĂ»t du jour. Ces reprĂ©sentations de la Russie sont devenues, par la rĂ©pĂ©tition incessante, une vĂ©ritĂ© fondamentale en Occident, rarement remise en question.
Ce phénomÚne est appelé russophobie.
Peur, dégoût, haine
Le terme anglais ârussophobiaâ a Ă©mergĂ© en Grande-Bretagne au dĂ©but du XIXe siĂšcle, lorsque, aprĂšs la chute de NapolĂ©on, les politiciens et les principaux mĂ©dias du pays ont positionnĂ© la Russie dans l'opinion publique comme le nouvel adversaire redoutable de l'Empire. Ce phĂ©nomĂšne n'Ă©tait pas nouveau Ă l'Ă©poque. C'est simplement qu'un terme concis lui a Ă©tĂ© attribuĂ©. Le terme russophobie Ă©tait centrĂ© sur la peur - la peur de l'expansion russe dans les zones d'influence de l'Empire britannique, en Iran ou en Inde, par exemple. Cette âpeur de la Russieâ a pris des proportions telles que mĂȘme la Nouvelle-ZĂ©lande, nation insulaire lointaine, a construit une sĂ©rie de forts cĂŽtiers dans les annĂ©es 1880 pour se prĂ©munir contre une attaque russe prĂ©sumĂ©e.
Cependant, le phĂ©nomĂšne de la russophobie n'englobe pas seulement la peur, mais aussi des Ă©lĂ©ments de prĂ©jugĂ©s et de mĂ©fiance, ainsi qu'une attitude hostile envers la Russie. En allemand, on utilise parfois les termes Russlandhass (âhaine de la Russieâ) ou Russenfeindlichkeit (âhostilitĂ© envers la Russieâ). Ces termes font rĂ©fĂ©rence Ă âune attitude nĂ©gative Ă l'Ă©gard de la Russie, des Russes ou de la culture russeâ, selon la dĂ©finition Ă©vasive de WikipĂ©dia en allemand. Alors qu'aucune variante de ces termes n'apparaĂźt dans le Duden (le dictionnaire allemand de rĂ©fĂ©rence) le Collins English Dictionary indique clairement que la russophobie est âune haine intense et souvent irrationnelle envers la Russieâ.
L'historien Oleg Nemensky critique ces définitions qu'il juge triviales. Chercheur à l'Institut russe d'études stratégiques, Nemensky a examiné le phénomÚne de maniÚre plus approfondie dans un essai publié en 2013. Bien que des attitudes hostiles aient persisté tout au long de l'histoire et à l'encontre de nombreux pays et peuples, écrit-il, la russophobie va bien plus loin. Selon Nemensky, il s'agit d'une idéologie presque universelle :
â[Il s'agit] d'un ensemble spĂ©cifique d'idĂ©es et de concepts qui possĂšde sa propre structure, son propre systĂšme et sa propre histoire d'Ă©mergence et de dĂ©veloppement dans la culture occidentale, ainsi que ses manifestations typiques. L'Ă©quivalent le plus proche d'une telle idĂ©ologie est l'antisĂ©mitismeâ.
Ce parallÚle a également été relevé par le journaliste et homme politique suisse Guy Mettan. Mettan a publié en 2017 un livre sur la russophobie (1) dans lequel il souligne le caractÚre exclusivement occidental du phénomÚne, qui n'existe pas dans d'autres parties du monde. La russophobie est profondément ancrée dans l'inconscient des Occidentaux et pratiquement indissociable de la conscience identitaire locale, qui, pour asseoir sa prétendue supériorité, a besoin de la Russie pour adversaire.
Des siÚcles de représentation négative de la Russie
Les avis divergent quant Ă l'origine de cette attitude. Le journaliste Dominic Basulto, qui considĂšre la russophobie avant tout comme un phĂ©nomĂšne mĂ©diatique, dĂ©crit dans son livre Russophobia (2015) comment les rĂ©cits occidentaux sur la Russie remontent Ă plus de 150 ans. Le phĂ©nomĂšne est âcycliqueâ, avec des descriptions d'une âbonneâ Russie lorsqu'elle traverse une phase difficile, et des reprĂ©sentations d'une âmauvaiseâ Russie lorsque le pays se montre plus âaffirmĂ©â dans les mĂ©dias occidentaux. Ces descriptions sont intemporelles et presque mythologiques. (2)
Oleg Nemensky remonte encore plus loin et affirme que l'idéologie de la russophobie est apparue dÚs la fin du XVIe siÚcle, lorsque les Russes ont été proclamés ennemis du christianisme européen avec la menace des Turcs. La Russie a combattu plusieurs puissances européennes pendant la longue guerre de Livonie (1558-1583), notamment la Pologne, la Lituanie, le Danemark et la SuÚde. La noblesse polonaise, qui cherchait à conquérir des territoires en Russie, a joué un rÎle majeur dans cette guerre idéologique en Occident et a ainsi façonné l'image de la Russie.
L'historien autrichien Hannes Hofbauer rappelle dans son livre âFeindbild Russland. Geschichte einer DĂ€monisierungâ [L'image de la Russie comme ennemie. Histoire d'une diabolisation] que la Pologne et la Russie s'Ă©taient dĂ©jĂ affrontĂ©es Ă travers cinq guerres en Livonie au cours des cent annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. âL'image d'une âRussie asiatique et barbareâ, rĂ©pandue dans l'ouest du continent, remonte Ă cette Ă©poqueâ. (3) Elle est nĂ©e d'intĂ©rĂȘts politiques et Ă©mane d'intellectuels polonais, dont le philosophe Jean de GlogĂłw, l'Ă©vĂȘque Ărasme de Ciolek et le recteur de l'universitĂ© de Cracovie Jean Sacranus, qui ont diffusĂ© leur propagande de guerre anti-russe dans des discours et dans des brochures en plusieurs langues Ă travers l'Europe.
Dans son livre, Guy Mettan revient Ă©galement sur le schisme de l'Ăglise chrĂ©tienne entre l'Ăglise orthodoxe orientale et l'Ăglise catholique romaine occidentale (le âschisme de 1054â) comme fondement de l'hostilitĂ© envers la Russie. Ă cette Ă©poque, un conflit fondamental entre l'Orient et l'Occident existait dĂ©jĂ , nĂ© de la propagande, et les catholiques attribuaient des caractĂ©ristiques nĂ©gatives Ă l'Ăglise orientale byzantine et aux fidĂšles orthodoxes. Ces accusations ressemblaient dĂ©jĂ fortement aux stĂ©rĂ©otypes russophobes ultĂ©rieurs de barbarie, d'arriĂ©ration et de despotisme.
Ainsi, des images hostiles Ă la Russie ont Ă©mergĂ© dans diffĂ©rentes parties de l'Occident contemporain, Ă des Ă©poques et pour des raisons diffĂ©rentes. Bien que le contexte relĂšve toujours des relations de pouvoir, les justifications diffĂšrent. Dans l'Ăglise catholique, la russophobie a Ă©tĂ© lĂ©gitimĂ©e par la religion. En Pologne-Lituanie, elle rĂ©sultait de conflits territoriaux directs. Ă l'Ă©poque des LumiĂšres en France, la motivation Ă©tait philosophique. En Angleterre, le âGrand Jeuâ la justifiait au nom de l'impĂ©rialisme. En Allemagne aprĂšs 1900, un racisme profond prĂ©valait, et aux Ătats-Unis, la guerre froide a confĂ©rĂ© Ă la russophobie une dimension principalement anticommuniste. Ces diffĂ©rentes approches et sources de la russophobie ont Ă©tĂ© soit latentes, soit trĂšs explicites selon les Ă©poques, pour finalement se fondre en un phĂ©nomĂšne global, unique et extrĂȘmement puissant dans l'Occident politiquement et mĂ©diatiquement soudĂ© qui se manifeste aujourd'hui.
La russophobie s'appuie sur plusieurs stéréotypes récurrents, que certains auteurs qualifient également de métarécits. Examinons de plus prÚs les allégations russophobes classiques révélatrices des origines et de la persistance de l'image négative de la Russie en Occident.
Les convoitises territoriales comme fin en soi
Lorsque l'actuel chancelier allemand Olaf Scholz accuse les dirigeants russes de vouloir bĂątir un empire en envahissant l'Ukraine, il s'engage sur des sentiers russophobes trĂšs anciens :
âLa Pologne n'Ă©tait que le petit-dĂ©jeuner... OĂč dĂźneront-ils ?â
Telle était la crainte de l'homme politique et écrivain britannique Edmund Burke en 1772 concernant le rÎle de la Russie dans la premiÚre partition de la Pologne. (4)
âLorsque la Russie se sera Ă©tablie sur le Bosphore, elle conquerra Rome et Marseille avec la mĂȘme rapiditĂ©â,
prévoyait le journal français Le Spectateur de Dijon en 1854, juste avant la guerre de Crimée. (5)
âL'avenir appartient Ă la Russie, qui grandit et pĂšse sur nous comme un cauchemar de plus en plus oppressantâ,
selon l'opinion exprimée par le chancelier allemand Theobald von Bethmann Hollweg en 1914, peu avant le début de la PremiÚre Guerre mondiale. La théorie du domino de la guerre froide s'inscrit également dans ce schéma.
Pendant des siĂšcles, de nombreux acteurs de la sphĂšre publique occidentale ont accusĂ© les dirigeants russes de vouloir constamment s'Ă©tendre au dĂ©triment des Ătats voisins. Bien que des conquĂȘtes russes de cette nature se soient produites Ă plusieurs reprises dans l'histoire, ce rĂ©cit ignore complĂštement les Ă©volutions historiques contraires. Le retrait pacifique de l'ArmĂ©e rouge et la dissolution du Pacte de Varsovie aprĂšs 1990, par exemple, n'ont pas eu d'impact significatif sur l'image de la Russie en Occident : ils ont simplement Ă©tĂ© perçus comme un signe de faiblesse momentanĂ©e de la Russie.
Les comparaisons avec les pays occidentaux sont Ă©galement rĂ©vĂ©latrices. Les Ătats-Unis ont annexĂ© de grandes parties de leur territoire et ont continuĂ© Ă Ă©tendre leur sphĂšre d'influence jusqu'Ă leur prĂ©sence militaire internationale actuelle. L'OTAN, elle aussi, n'a cessĂ© de s'Ă©tendre depuis sa crĂ©ation et se trouve aujourd'hui aux portes de la Russie. Pendant des siĂšcles, les puissances coloniales europĂ©ennes ont conquis, morcelĂ© et accaparĂ© les richesses de presque toutes les rĂ©gions du monde. Mais aucun de ces agissements n'a pour autant transformĂ© leurs Ătats respectifs en empires âvoracesâ et âavidesâ dans leur propre reprĂ©sentation de lâOccident.
Le stĂ©rĂ©otype tenace du dĂ©sir de conquĂȘte territoriale de la Russie, en revanche, est un des piliers de la russophobie et repose en partie sur un document falsifiĂ© mais trĂšs convaincant. Selon l'historien anglais Orlando Figes, plusieurs auteurs polonais, hongrois et ukrainiens ont falsifiĂ© un testament de Pierre le Grand au cours du XVIIIe siĂšcle, puis l'ont fait circuler en Europe. Le document falsifiĂ©, dĂ©posĂ© aux archives du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres français dans les annĂ©es 1760, faisait Ă©tat d'un ambitieux projet russe visant Ă soumettre l'Europe, le Moyen-Orient et mĂȘme l'Asie du Sud-Est. Bien que le testament prĂ©sumĂ© du tsar ait Ă©tĂ© rapidement reconnu comme un faux, il a Ă©tĂ© instrumentalisĂ© par les responsables politiques occidentaux pendant prĂšs de 200 ans pour justifier la guerre contre la Russie. Orlando Figes Ă©crit (6) :
âLe âtestamentâ a Ă©tĂ© publiĂ© par les Français en 1812, l'annĂ©e de leur invasion de la Russie, et a ensuite Ă©tĂ© reproduit et citĂ© dans toute l'Europe comme preuve concluante de la politique Ă©trangĂšre expansionniste de la Russie.
âIl a Ă©tĂ© republiĂ© avant chaque guerre Ă laquelle la Russie a participĂ© sur le continent europĂ©en - en 1854, 1878, 1914 et 1941 - et pendant la guerre froide, afin de justifier les intentions agressives de l'Union soviĂ©tiqueâ.
Les insinuations actuelles selon lesquelles la Russie âs'en prendraitâ Ă d'autres Ătats d'Europe de l'Est aprĂšs une victoire en Ukraine illustrent Ă©galement l'esprit de ce testament falsifiĂ©, selon les critiques formulĂ©es par le ministre russe des Affaires Ă©trangĂšres SergueĂŻ Lavrov en 2022. Pour les russophobes, la falsification du testament n'a jamais Ă©tĂ© pertinente, car elle correspond idĂ©ologiquement au stĂ©rĂ©otype selon lequel âaprĂšs tout, ce qui caractĂ©rise la politique de la Russie mieux que toute vĂ©ritĂ© historiquement authentifiĂ©e, c'est le fauxâ, selon la propagande de guerre allemande concernant le document en 1916. Adolf Hitler a tenu des propos trĂšs similaires en 1941, alors mĂȘme que l'armĂ©e allemande Ă©tait stationnĂ©e en Russie et avait annexĂ© de vastes territoires pendant les deux guerres mondiales.
Le stĂ©rĂ©otype rĂ©vĂšle principalement les projections des politiciens des puissances occidentales, qui prĂȘtent aux dirigeants russes leur propre façon de penser et d'agir. En outre, le refus occidental de reconnaĂźtre que le conflit armĂ© russe puisse ĂȘtre motivĂ© par d'autres motifs que la simple soif de conquĂȘte et la primitive soif de territoire, ce qui prĂ©vaut encore aujourd'hui, contribue largement Ă la vision extrĂȘmement limitĂ©e du conflit qui prĂ©vaut en Occident pour expliquer la guerre actuelle. Les politiciens et les journalistes se refusent Ă admettre que l'invasion de l'Ukraine par la Russie, bien loin de vouloir restaurer l'Union soviĂ©tique, cherche Ă prĂ©venir une menace existentielle de l'OTAN aux portes de la Russie, et qu'elle neutralise toute tentative constructive de rĂ©solution des problĂšmes pour au contraire favoriser de trĂšs dangereuses dĂ©cisions politico-militaires.
Un pays de barbares
Selon une autre idée reçue, la Russie est un pays arriéré, brutal et incivilisé, voire barbare. Cette vision stéréotypée s'applique à son niveau de développement matériel et technologique, ainsi qu'à la composition intellectuelle et culturelle de sa population. Elle est souvent associée à un sentiment de supériorité manifeste de la part des Occidentaux et à la conviction que la Russie doit d'abord rattraper le retard qu'elle aurait pris sur eux.
Cette croyance est perceptible dans des discours publics trĂšs variĂ©s, qu'il s'agisse de la politique sociale, de l'Ă©conomie et de la technologie russes ou de la guerre actuelle. Dans le cas de la guerre, l'image stĂ©rĂ©otypĂ©e de la Russie est dĂ©jĂ largement relayĂ©e : des hommes politiques et des journalistes occidentaux ont accusĂ© Vladimir Poutine d'agir comme un âdirigeant du XIXe siĂšcleâ dans le conflit ukrainien. On peut rĂ©guliĂšrement lire que l'armĂ©e russe possĂšde âdes armes obsolĂštesâ et que, sans l'importation de technologies occidentales de pointe, son industrie de l'armement est confrontĂ©e Ă une crise imminente. En outre, la Russie menerait depuis toujours cette guerre selon des principes de masse plutĂŽt que de classe, en suivant des âdoctrines obsolĂštesâ. L'armĂ©e russe, contrairement Ă l'OTAN, serait si peu professionnelle et barbare qu'elle serait incapable de faire quoi que ce soit, Ă part commettre des crimes de guerre.
Le stĂ©rĂ©otype de l'arriĂ©ration russe est ancien et n'a pu s'enraciner dans l'histoire que parce que l'Occident a systĂ©matiquement prĂ©fĂ©rĂ© ignorer les rĂ©alitĂ©s contraires. âLa Russie est comme un autre mondeâ, Ă©crivait l'Ă©vĂȘque de Cracovie, Matvey, dĂšs le milieu du XIIe siĂšcle dans une lettre au prĂ©dicateur français Bernard de Clairvaux. Mais le stĂ©rĂ©otype ne s'est vraiment imposĂ© qu'Ă la transition du Moyen Ăge aux temps modernes, lorsque l'Europe a commencĂ© Ă se forger une identitĂ© en tant qu'espace culturel distinct, notamment en se distinguant d'autres aires culturelles, explique l'historien Christophe von Werdt.
âLa Russie a jouĂ© un rĂŽle particuliĂšrement important Ă la fois dans cette construction identitaire europĂ©enne et dans la perception de ce qui est Ă©tranger.
âL'Europe Ă©tait en effet confrontĂ©e Ă une terre chrĂ©tienne âĂ©trangĂšreâ qu'elle ne pouvait ni coloniser ni assimiler culturellementâ.
Aux XVIe et XVIIe siĂšcles, les EuropĂ©ens occidentaux affluent en Russie comme diplomates, mercenaires ou marchands, et consignent leurs impressions sur ce pays inconnu. L'historien d'Europe de l'Est Manfred Hildermeier Ă©crit que le fossĂ© culturel dont tĂ©moignent les archives âse doublait progressivement d'un sentiment de supĂ©rioritĂ©â. Les voyageurs allemands, par exemple, ont rapportĂ© avec Ă©tonnement que les Russes se baignaient nus dans la riviĂšre Ă la vue de tous et que les hommes et les femmes n'Ă©taient pas sĂ©parĂ©s par sexe dans les saunas prĂ©sents presque partout, mais s'y rendaient ensemble. Se moucher, cracher, roter ou jurer en public Ă©tait considĂ©rĂ© comme une offense par les visiteurs occidentaux de l'Ă©poque.
âCe que les voyageurs dĂ©nonçaient Ă propos de la Russie, c'Ă©tait notamment l'histoire de leur propre culture.
âC'est peut-ĂȘtre aussi ce qui explique le sentiment de supĂ©rioritĂ© des voyageurs envers les Russes et leur indiffĂ©rence pour ce qui ne coĂŻncidait pas avec leur vision des choses, comme les frĂ©quentes sĂ©ances de sauna (Ă une Ă©poque oĂč le parfum remplaçait l'hygiĂšne corporelle dans les cours aristocratiques europĂ©ennes), la censure de la nuditĂ© en public ou les bagarres sans effusion de sang (car les Russes ne maniaient pas l'Ă©pĂ©e).
âCes voyageurs n'ont Ă©tĂ© victimes d'aucun malentendu, mais ils Ă©taient partiellement aveuglesâ. (7)
L'auteur suisse Guy Mettan dĂ©montre de maniĂšre encore plus frappante la sĂ©lectivitĂ© du jugement occidental. Il compare le rĂ©cit de voyage populaire de 1761 de l'astronome français Jean Chappe d'Auteroche avec le rĂ©cit contemporain d'un capitaine de bateau japonais nommĂ© Kodayu, qui a parcouru la mĂȘme route Ă travers la SibĂ©rie au mĂȘme moment que le Français. âMais ils semblent dĂ©crire deux planĂštes diffĂ©rentesâ, note Mettan (8), âleurs rĂ©cits de voyage ne pourraient ĂȘtre plus diffĂ©rentsâ.
Alors que d'Auteroche discerne partout en Russie le retard et la barbarie, Kodayu dĂ©crit sobrement la vie quotidienne, les conditions de vie et le contexte sociopolitique. La lecture parallĂšle des deux ouvrages est fascinante, car elle rĂ©vĂšle douloureusement le contraste entre l'impartialitĂ© du voyageur venu d'ExtrĂȘme-Orient et le besoin de l'Occidental de juger les autres avec supĂ©rioritĂ© et de mettre en avant sa supposĂ©e suprĂ©matie civilisationnelle.
On peut tout aussi bien affirmer que, dans la perspective d'autres rĂ©gions du monde, la Russie n'Ă©tait ni spĂ©cialement sous-dĂ©veloppĂ©e ni barbare. Manfred Hildermeier prĂ©cise : âCeux qui ont attestĂ© du retard de l'Empire russe l'ont mesurĂ© [exclusivement] Ă l'aune de l'Europe occidentaleâ. (9) Les EuropĂ©ens de l'Ouest n'ont toujours identifiĂ© le progrĂšs que chez eux. Hildermeier, historien de l'Europe de l'Est, considĂšre le stĂ©rĂ©otype de l'arriĂ©ration comme si central qu'il lui a consacrĂ© tout le dernier chapitre de son livre Geschichte Russlands (Histoire de la Russie).
Certains intellectuels russes et une partie de leur classe dirigeante ont Ă©galement contribuĂ© au renforcement de ce concept en l'adoptant et en dĂ©clarant que certains pays occidentaux (Pays-Bas, France, Italie, Prusse) Ă©taient des modĂšles Ă suivre dans certains domaines de la connaissance. L'exemple le plus cĂ©lĂšbre est certainement celui de Pierre le Grand, qui a âpropulsĂ©â la Russie dans l'Ăšre moderne europĂ©enne grĂące Ă de nombreuses rĂ©formes imposĂ©es par le haut aprĂšs son voyage en Europe.
Hildermeier Ă©crit cependant que l'arriĂ©ration est toujours relative, ou plutĂŽt temporaire et limitĂ©e Ă certains domaines. En d'autres termes, une fois qu'un pays a rattrapĂ© son retard dans un secteur, il peut toujours devenir un leader dans ce mĂȘme domaine. Les rĂ©alisations de la Russie dans les sciences physiques et naturelles et les arts au XIXe siĂšcle ou dans l'aĂ©ronautique et les voyages spatiaux au XXe siĂšcle en sont des exemples. La Russie est Ă©galement passĂ©e de la simple transposition des innovations occidentales sous Pierre le Grand Ă l'adaptation crĂ©ative et innovante de ces modĂšles pour les adapter Ă ses propres besoins au cours des siĂšcles suivants.
En raison de son Ă©tendue gĂ©ographique, la Russie se caractĂ©rise par de grandes disparitĂ©s entre les diffĂ©rentes rĂ©gions du pays, raison pour laquelle elle peut difficilement ĂȘtre comparĂ©e Ă des pays comme la France, l'Angleterre ou l'Allemagne, et ne peut donc adopter leurs modĂšles supposĂ©s efficaces que dans une mesure limitĂ©e. Sur quoi mettez-vous l'accent ? Sur le village de province ou sur la vaste mĂ©tropole ? Ă la veille de la PremiĂšre Guerre mondiale, Saint-PĂ©tersbourg et Moscou Ă©taient mentionnĂ©es au mĂȘme titre que Berlin, Paris et Londres, affirme Hildermeier. Et quelle sphĂšre spĂ©cifique doit-on prendre en compte ? AprĂšs les rĂ©formes judiciaires d'Alexandre II, les juges russes jouissaient âd'une indĂ©pendance sans prĂ©cĂ©dent comparĂ©s Ă lâEuropeâ (10).
Mais pendant des siÚcles, les politiciens et les journalistes occidentaux se sont rarement souciés de telles distinctions. Les symboles de la culture russe n'étaient ni Pouchkine, ni Gogol, ni Tolstoï, ni Tchaïkovski, mais souvent les puces et les poux. Le stéréotype initial d'arriération et de barbarie des Russes, créé par les visiteurs d'Europe occidentale, a perduré au fil des siÚcles. Bien qu'il ait été conceptuellement mis à jour ici et là , les jugements péjoratifs qui prévalent restent inchangés :
Adam Olearius, visiteur allemand en Russie (1656) :
âSi l'on considĂšre les Russes selon leurs dispositions/coutumes et leur vie, ils doivent ĂȘtre comptĂ©s parmi les barbares... Ă©tant rusĂ©s/tĂȘtus/inflexibles/rĂ©pugnants/pervers et sans honte, enclins Ă tout malâ.
Charles Maurice de Talleyrand, ministre français des Affaires étrangÚres (1796 à 1807) :
âL'ensemble du systĂšme [de l'Empire russe] [...] est conçu pour inonder l'Europe d'une horde de barbaresâ. (11)
George S. Patton, général américain (1945) :
âEn plus de ses autres caractĂ©ristiques asiatiques, le Russe ignore tout du respect de la vie humaine et est un vĂ©ritable fils de pute, un barbare et un ivrogne chroniqueâ.
Le quotidien allemand BZ (2022) :
âIls pillent, violent et torturent : c'est ainsi que Poutine a créé son armĂ©e barbareâ.
Bien sûr, on a toujours propagé des atrocités et dévalorisé l'ennemi en temps de guerre, mais cette vision trÚs négative de la Russie prévaut presque en permanence en Occident. Aucune des citations ci-dessus n'a été faite en temps de guerre avec la Russie. Le stéréotype d'une Russie barbare et non civilisée semble inébranlable.

Puisque ce schĂ©ma de pensĂ©e est devenu une sorte de vĂ©ritĂ© incontestĂ©e en Occident, des Ă©vĂ©nements tels que la crise dite du Spoutnik (1957), lorsque l'Union soviĂ©tique, supposĂ©e arriĂ©rĂ©e, a envoyĂ© Ă la surprise gĂ©nĂ©rale le premier satellite dans l'espace, se produiront inĂ©vitablement Ă un moment donnĂ©. Dans son autobiographie, le cinĂ©aste français Claude Lanzmann raconte comment son hĂŽte lui a appris, lors d'un dĂźner mondain en 1961, qu'un Russe venait juste de devenir le premier homme Ă voler dans l'espace. Georges Pompidou, qui deviendra plus tard Premier ministre et prĂ©sident de la RĂ©publique française et Ă©tait assis Ă cĂŽtĂ© de Lanzmann, a refusĂ© d'y croire et s'est contentĂ© de rĂ©pondre : âC'est de la propagande !â (12)
L'éternel mensonge russe
La ruse et la tromperie des Russes sont un autre paradigme récurrent de la russophobie. DÚs les XVIe et XVIIe siÚcles, les visiteurs occidentaux en Russie considéraient la tromperie et l'hypocrisie comme des traits de caractÚre typiquement russes, non pas individuellement, mais collectivement. Selon la logique russophobe, ce trait de caractÚre général se refléterait donc aussi dans la politique russe.
En conséquence, de nombreuses affirmations selon lesquelles la Russie a toujours recours à la tromperie et au mensonge en politique étrangÚre sont documentées pour les siÚcles suivants.
âLa diplomatie russe, comme vous le savez, n'est qu'un long et multiple mensongeâ,
affirmait par exemple l'homme d'Ătat britannique George Curzon en 1903. (13) Les allĂ©gations de ce type s'Ă©tendent jusqu'aux accusations actuelles selon lesquelles la Russie a recours en permanence Ă la propagande et manipule les Ă©lections occidentales.
âEn temps de paix, la Russie s'efforce de plonger non seulement ses voisins, mais tous les pays du monde dans un Ă©tat de confusion par la dĂ©fiance, l'agitation et la discorde. [...] La Russie n'avance pas directement vers son objectif [...] mais sape les fondations de la maniĂšre la plus sournoise qui soitâ. (14)
Cette dĂ©claration sur une forme de guerre hybride russe semble assez familiĂšre aux internautes d'aujourd'hui, mais elle date dĂ©jĂ de plus de 200 ans et Ă©mane du diplomate français Alexandre d'Hauterive Ă l'Ă©poque de NapolĂ©on Bonaparte. Ăcrivant sur les mĂ©dias anglais pendant le Grand Jeu, l'historien Orlando Figes note :
âLe stĂ©rĂ©otype de la Russie Ă©mergeant de ces Ă©crits extravagants est celui d'une puissance brutale, agressive et expansionniste par nature, mais aussi suffisamment sournoise et trompeuse pour conspirer avec des âforces invisiblesâ contre l'Occident et infiltrer d'autres sociĂ©tĂ©sâ.
Les affirmations récentes de cette nature s'énoncent ainsi ou presque de la part de l'Académie fédérale allemande pour la politique de sécurité (2017) :
âDans sa confrontation avec l'Occident, la Russie utilise des mĂ©thodes qui, dans le passĂ©, Ă©taient principalement utilisĂ©es contre les anciens Ătats soviĂ©tiques (ce que l'on appelle âl'Ă©tranger procheâ) ou les Ătats non occidentaux. C'est particuliĂšrement vrai des cyberattaques agressives combinĂ©es Ă une propagande massive dans le but d'interfĂ©rer dans les affaires intĂ©rieures et d'influencer les processus politiquesâ.
Ă ce stade, on peut se passer de l'analyse des deux poids, deux mesures flagrants de ces analyses, qui oublient tout simplement les innombrables ingĂ©rences Ă©lectorales, coups d'Ătat, cyberattaques et autres tentatives hybrides de dĂ©stabilisation organisĂ©s par l'Occident dans des pays du monde entier. Ce qui devient alors trĂšs clair, c'est que malgrĂ© l'anciennetĂ© des affirmations russophobes citĂ©es, elles sont presque identiques et interchangeables. Et comme le stĂ©rĂ©otype du dĂ©sir de territoire des Russes, ce clichĂ© met surtout en Ă©vidence les projections des politiciens et des journalistes occidentaux. Cette logique devient particuliĂšrement claire dans la pĂ©riode de 1917 Ă 1919.
AprÚs que Lénine ait été introduit clandestinement en Russie par les dirigeants allemands et qu'il ait mené la révolution bolchevique avec succÚs, les dirigeants allemands ont commencé à craindre que cette expérience russe ne s'étende à leur propre pays, explique l'historien Mark Jones.
En janvier 1919, les journaux allemands de presque toutes les tendances politiques ont affirmé que les Russes avaient joué un rÎle déterminant dans le soulÚvement spartakiste à Berlin et dans l'appel à une lutte armée contre l'Allemagne.
âCette propagande a Ă©tĂ© largement rĂ©pandue et a conduit Ă une augmentation de la xĂ©nophobie dĂšs la phase de fondation de la RĂ©publique de Weimar, qui s'est encore intensifiĂ©e plus tard sous le TroisiĂšme Reich. En fait, rien de tout cela n'Ă©tait vraiâ. (15)
Jones explique en outre que de nombreux politiciens et journalistes pensaient qu'une grande quantité d'argent russe affluait à Berlin pour financer le soulÚvement. Le sentiment russophobe dans les médias a eu des conséquences meurtriÚres : les troupes gouvernementales ont commis de nombreuses atrocités lors de l'écrasement de la République soviétique de Munich en mai 1919. Le plus grand incident de ce type a été la fusillade de 53 prisonniers de guerre russes le 2 mai à GrÀfelfing, au motif que les Russes avaient combattu pour la République soviétique.
Le stĂ©rĂ©otype des intrigues et mensonges russes apparaĂźt Ă de nombreux niveaux thĂ©matiques. La dĂ©valorisation de toute position russe adverse en tant que âpropagandeâ et âmensongesâ est un Ă©lĂ©ment central de la russophobie, Ă©crit Dominic Basulto dans son livre. Ainsi, un pays dont les dirigeants mentent constamment ne saurait se doter de mĂ©dias d'Ătat diffusant lĂ©gitimement Ă l'Ă©tranger les points de vue de son propre gouvernement, comme le font les mĂ©dias d'Ătat d'autres pays. Non, aux yeux des russophobes, les mĂ©dias d'Ătat russes ne peuvent ĂȘtre que des âmĂ©dias propagandistesâ.
Depuis des siĂšcles, les observateurs occidentaux dĂ©noncent l'apparence europĂ©enne des Russes, c'est-Ă -dire le fait que les Russes, par leurs vĂȘtements et leur apparence, mentent dĂ©jĂ virtuellement. L'Ă©crivain français Astolphe Marquis de Custine a Ă©crit en 1839 :
âJe ne leur reproche pas d'ĂȘtre ce qu'ils sont, je leur reproche de feindre d'ĂȘtre ce que nous sommes. Ils sont encore barbares... et, en cela, ils suivent l'exemple des singes et dĂ©forment ce qu'ils copientâ.
Que les Russes âsingentâ la culture française a Ă©galement Ă©tĂ© rapportĂ© dans les journaux français Ă l'approche de la guerre de CrimĂ©e. Et c'est lĂ que les clichĂ©s russophobes convergent. Si les Russes tentent de remĂ©dier Ă leur supposĂ©e arriĂ©ration en s'orientant vers l'Occident, ils ont encore tort : au fond, ils ne sont que des barbares Ă peine civilisĂ©s.
Les Russes sont des gens âau physique caucasien et Ă l'Ăąme mongoleâ, Ă©crivait le journaliste amĂ©ricain Ambrose Bierce dans son Dictionnaire du diable en 1911. (16) La satire Ă©tait le but de Bierce, comme pour chacune des quelque 1 000 dĂ©finitions de son dictionnaire. Il se faisait le relais critique des idĂ©es reçues de son Ă©poque. En 2022, la politologue Florence Gaub a dĂ©clarĂ© Ă la chaĂźne de tĂ©lĂ©vision publique allemande ZDF :
âNous ne devons pas oublier que mĂȘme si les Russes ont l'air europĂ©ens, ils ne le sont pas, en tout cas pas au sens culturel du termeâ.
Et ce n'était pas de l'ironie.
Le despote et sa nation obéissante
Le stéréotype de la tyrannie russe est probablement l'élément le plus fort de la russophobie. Il comporte deux aspects complémentaires : un dirigeant démoniaque et une mentalité d'esclave de la population russe.
Le tsar Ivan IV, surnommĂ© âl'AustĂšreâ en Russie et âle Terribleâ en Occident, Ă©tait l'archĂ©type du souverain russe cruel, explique Oleg Nemensky. Selon Nemensky, le âmythe noirâ du tyran sanguinaire, âdont la brutalitĂ© aurait dĂ©passĂ© toutes les limites imaginablesâ, a Ă©mergĂ© au XVIe siĂšcle, Ă l'Ă©poque de la guerre de Livonie, et occupait la place la plus en vue parmi les stĂ©rĂ©otypes propagandistes russes de l'Ă©poque. Ivan le Terrible, aux yeux des Occidentaux, âcombinait l'incarnation du mal et du pouvoir brutal avec l'asservissement de ses sujetsâ.
En effet, Ivan IV Ă©tait un dirigeant brutal et apparemment un personnage sadique qui employait des mĂ©thodes cruelles de torture et d'exĂ©cution. Cependant, on peut se demander si cela le rendait exceptionnel Ă son Ă©poque. Pourtant, la rĂ©putation lĂ©gendaire d'Ivan le Terrible a façonnĂ© l'image des dirigeants russes en gĂ©nĂ©ral dans le reste de l'Europe, qui a d'ailleurs Ă©tĂ© appliquĂ©e aux dirigeants russes des siĂšcles suivants : cruels, tyranniques, brutaux. Par contre, peu de gens ont entendu parler du tsar Alexis Ier, surnommĂ© âle plus douxâ, qui succĂ©da Ă Ivan aprĂšs 31 ans de rĂšgne.
Nous ne citerons pas ici toutes les insultes profĂ©rĂ©es par les Occidentaux pour dĂ©crire les dirigeants russes au pouvoir. De celle consistant Ă qualifier le tsar Pierre Ier de âplus grand barbare de l'humanitĂ©â (Montesquieu) Ă celle selon laquelle Vladimir Poutine serait un âtueurâ (Joe Biden), cette longue Ă©numĂ©ration s'Ă©tendrait sur plusieurs siĂšcles.
Il est indĂ©niable qu'en temps de guerre, il est courant de diaboliser le dirigeant d'une puissance adverse en le dĂ©signant comme le mal personnifiĂ©. Selon Arthur Ponsonby, la propagande de guerre a pour principe de susciter la haine du dirigeant ennemi. Mais dans la culture russophobe de nombreux pays occidentaux, cette logique s'applique Ă©galement en temps de paix. Bien que l'on puisse trouver des exceptions de dirigeants russes parfois bien perçus en Occident parce qu'ils ont accompli des choses extraordinaires â Alexandre Ier (victoire sur NapolĂ©on) ou MikhaĂŻl Gorbatchev (rĂ©unification allemande) mĂ©ritent d'ĂȘtre mentionnĂ©s ici â, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, c'est plutĂŽt l'inverse qui prĂ©vaut.
Par exemple, l'attribution d'un doctorat honorifique Ă Vladimir Poutine par l'universitĂ© de Hambourg en 2004 a suscitĂ© une telle indignation dans l'opinion publique que l'universitĂ© et Poutine ont tous deux renoncĂ© Ă la cĂ©rĂ©monie. La raison de cette tempĂȘte de protestations, a-t-on dit, Ă©tait la âguerre en TchĂ©tchĂ©nie menĂ©e en violation du droit internationalâ. En 2011, l'attribution prĂ©vue du prix Quadriga Ă Poutine (alors Premier ministre russe) a Ă©galement Ă©tĂ© annulĂ©e en raison dâun tollĂ© gĂ©nĂ©ral. En revanche, ces normes n'ont pas Ă©tĂ© appliquĂ©es aux prĂ©sidents amĂ©ricains comme Bill Clinton, qui a reçu le Prix des mĂ©dias allemands en 1999, le Prix Charlemagne Ă Aix-la-Chapelle en 2000 et le Mittelstandspreis europĂ©en (prix des moyennes entreprises) en 2002, peu de temps aprĂšs menĂ© une guerre d'agression contre la Yougoslavie en violation du droit international,
Selon Dominic Basulto, comparer ces deux prĂ©sidences est tout Ă fait pertinent dans l'analyse de la russophobie, car les mĂ©dias occidentaux dĂ©peignent rĂ©guliĂšrement les dirigeants de la Russie et des Ătats-Unis comme s'ils Ă©taient diamĂ©tralement opposĂ©s. Le dirigeant russe, dit-il, joue toujours le rĂŽle du âmauvais jumeauâ. Cette image a culminĂ© dans la reprĂ©sentation sĂ©culaire de la Russie comme Ă©tant âl'autreâ, âle malâ. Aux yeux des Occidentaux, la dualitĂ© entre eux et nous, la libertĂ© et la tyrannie, la dĂ©mocratie et l'autocratie, la civilisation et la barbarie, la lumiĂšre et les tĂ©nĂšbres, a toujours prĂ©valu. La reprĂ©sentation mĂ©diatico-politique de la Russie en tant qu'âempire du malâ (Ronald Reagan) est gĂ©nĂ©ralement caricaturale.

Oleg Nemensky explique comment cette vision manichĂ©enne du monde est particuliĂšrement caractĂ©ristique de la culture amĂ©ricaine contemporaine et implique l'existence du bien absolu, incarnĂ© par les Ătats-Unis, et du mal absolu. âCe sont les annĂ©es de la guerre froide qui ont imposĂ© une telle vision Ă la Russieâ, et jusqu'Ă ce jour, dit-il, rien n'a changĂ©. Incidemment, les Ătats-Unis ont empruntĂ© de nombreux Ă©lĂ©ments de leur russophobie Ă l'Empire britannique. Nemensky souligne qu'il est particuliĂšrement remarquable que l'antithĂšse de la libertĂ© occidentale et de l'esclavage russe se reproduise Ă travers les diffĂ©rentes Ă©poques de l'histoire, mĂȘme si les concepts spĂ©cifiques changent. Les siĂšcles d'esclavage occidental, qui ont durĂ© bien plus longtemps aux Ătats-Unis que le servage de la Russie âarriĂ©rĂ©eâ, n'y changent rien.
Selon le discours russophobe, les Russes sont un peuple incapable de se gouverner et vouent donc une passion Ă l'esclavage. Un peuple constamment gouvernĂ© par des tyrans et des dictateurs doit lui-mĂȘme ĂȘtre intrinsĂšquement autoritaire et servile, selon l'argument cyclique rĂ©pĂ©tĂ© depuis des siĂšcles.
âCette nation trouve plus de plaisir dans l'esclavage que dans la libertĂ©â,
rapporta l'envoyé autrichien Sigismund von Herberstein depuis Moscou en 1549. Les Russes sont une
âtribu nĂ©e dans l'esclavage, habituĂ©e au joug et incapable de vivre en libertĂ©â,
écrivait le Néerlandais Edo Neuhusius à ses lecteurs en 1633. (17)
âLa soumission politique est devenue un culte, une religion pour les Russesâ,
notait le susmentionné Astolphe Marquis de Custine en 1837.
âLa Russie incarne pour nous l'esclavage et la domination forcĂ©e, un danger pour notre civilisationâ,
écrivait Fritz Pleitgen, correspondant de la chaßne publique allemande ARD, à propos de la pensée des journalistes allemands dans les années 1960. (18)
âEsclavage des consciences : pourquoi de nombreux Russes sont-ils si soumis ?â
s'interrogeait la chaĂźne publique allemande Bayrischer Rundfunk en 2022.
Aussi interchangeables que soient ces dĂ©clarations Ă travers les siĂšcles, cette analyse permet de comprendre la haine viscĂ©rale et historique de la Russie par les classes moyennes libĂ©rales des pays occidentaux. C'est prĂ©cisĂ©ment dans ces groupes, reprĂ©sentĂ©s aujourd'hui par le Parti dĂ©mocrate aux Ătats-Unis ou le Parti vert en Allemagne, par exemple, que les stĂ©rĂ©otypes d'une Russie despotique ont toujours Ă©tĂ© extrĂȘmement puissants.
Le soulĂšvement polonais contre la âtyrannieâ russe en 1830/31 en fut Ă l'origine et suscita un grand enthousiasme dans les mĂ©dias libĂ©raux allemands et le mouvement Ă©tudiant, ainsi qu'en France et en Angleterre. L'Ă©crasement du soulĂšvement polonais Ă l'Ă©poque est entrĂ© dans les livres d'histoire et de nombreuses âchansons de Pologneâ (Polenlieder) ont Ă©tĂ© Ă©crites en Allemagne. Les paroles de l'une d'entre elles disaient :
âNous avons vu les Polonais, ils sont sortis quand leur sort a Ă©tĂ© scellĂ©. Ils ont quittĂ© leur patrie, la maison de leur pĂšre, pour se retrouver aux mains des barbares : le Polonais Ă©pris de libertĂ© ne s'incline pas devant le visage sombre du tsarâ. (19)
Ă l'Ă©poque, le politicien Friedrich von Blittersdorf reconnaissait dĂ©jĂ
âune fascination presque surnaturelle des gouvernements et une illusion tout aussi incomprĂ©hensible de nombreux hommes d'Ătatâ.
Les parallĂšles avec la âsolidaritĂ©â Ă l'Ă©gard de l'Ukraine en 2022 sont indĂ©niables.
En soutien Ă la libĂ©ration de la Pologne, la gauche du Parlement de la Paulskirche (le Parlement de Francfort) a Ă©galement flirtĂ© avec l'idĂ©e d'une grande guerre contre la Russie en 1848. (20) Selon Hannes Hofbauer, cette gauche allemande de l'Ă©poque, qui se considĂ©rait comme patriotique et libĂ©rale, a toujours perçu l'empire tsariste comme une forteresse menaçante. Les intellectuels libĂ©raux ont Ă©galement attribuĂ© toutes sortes de caractĂ©ristiques nĂ©gatives aux Russes. Au cours de leur critique de l'autocratie, les libĂ©raux allemands ont dĂ©veloppĂ© l'image d'un âcaractĂšre national russe mĂ©prisableâ, qui s'est transformĂ© au fil des dĂ©cennies en un racisme Ă part entiĂšre contre les Russes.
Friedrich Engels, qui est passé de Démocrate radical à théoricien communiste, était l'un des journalistes politiques à attribuer un rÎle civilisateur aux Allemands et un rÎle barbare aux Russes en Europe. Il écrivait en 1890 que le tsarisme représentait déjà une menace et un danger pour nous de par
âsa simple existence passiveâ et que âl'ingĂ©rence incessante de la Russie dans les affaires de l'Occident entrave et perturbe notre dĂ©veloppement naturelâ.
Marx et Engels ont appelĂ© Ă une guerre rĂ©volutionnaire contre la Russie. Leur lutte passionnĂ©e contre la monarchie russe ân'a pas Ă©tĂ© qualifiĂ©e Ă tort de russophobieâ, a Ă©crit le sociologue Maximilien Rubel. (21)
Ainsi, les idées russophobes ont également trouvé leur place dans la social-démocratie allemande. Selon l'historien Christopher Clark, le sentiment antirusse était aussi fort au sein du SPD qu'au sein du mouvement libéral de Grande-Bretagne, avant la PremiÚre Guerre mondiale (22). Le leader du SPD, August Bebel, qui a également fait partie du mouvement libéral-démocrate, a déclaré ce qui suit (23) dans un discours prononcé en 1907 :
âS'il devait y avoir une guerre avec la Russie, que je considĂšre comme l'ennemie de toute culture et de tous les opprimĂ©s, non seulement dans mon propre pays, mais aussi comme l'ennemie la plus dangereuse de l'Europe et surtout pour nous, les Allemands... alors moi, vieux garçon, je serait toujours prĂȘt Ă prendre mon fusil et Ă partir en guerre contre la Russieâ.
Les membres actuels du Bundestag allemand ne sont probablement plus prĂȘts Ă s'engager de la sorte, mais leurs dĂ©clarations sur la Russie sont par ailleurs trĂšs similaires.
Conclusion : la rhétorique guerriÚre
Il y adix ans, Oleg Nemensky Ă©crivait que bien que la russophobie soit une idĂ©ologie apparue au fil des siĂšcles, elle existe sous une forme presque inchangĂ©e dans les pays occidentaux. Selon lui, ce phĂ©nomĂšne se manifeste en Occident comme une sorte de âpolitiquement correct inversĂ©â. Depuis 2013, la russophobie s'est Ă nouveau considĂ©rablement intensifiĂ©e. Actuellement, nous sommes confrontĂ©s Ă un pic de dĂ©clarations russophobes, rĂ©itĂ©rĂ©es sans cesse Ă l'approche des guerres. Le degrĂ© de russophobie pourrait donc servir d'indicateur aux observateurs attentifs de l'actualitĂ©. Il est particuliĂšrement dangereux que les politiciens et les journalistes non seulement instrumentalisent Ă des fins politiques les stĂ©rĂ©otypes russophobes, mais y croient rĂ©ellement.
L'histoire a Ă©galement montrĂ© que la russophobie finit par s'estomper. Cela peut se produire en l'absence de guerre, comme l'a montrĂ© la fin de la confrontation Est-Ouest en 1990. Cependant, le phĂ©nomĂšne ne disparaĂźtra pas, et restera latent tant que les sociĂ©tĂ©s occidentales n'auront pas traitĂ© le problĂšme en profondeur. Il existe des rĂ©fĂ©rences historiques Ă ce sujet, et les parallĂšles entre la russophobie et l'antisĂ©mitisme sont un sujet d'Ă©tude en soi. Pour cette raison, nous n'entrerons pas au cĆur des propositions pour y remĂ©dier, telles que celles de Nemensky (une rĂ©solution de l'ONU contre la russophobie, la crĂ©ation d'une ligue contre la diffamation et d'instituts spĂ©cialisĂ©s pour enquĂȘter et dĂ©noncer publiquement les cas de russophobie). On se contentera de dire ceci : ces propositions seraient difficiles Ă mettre en Ćuvre Ă l'heure actuelle, car elles auraient besoin du soutien des gouvernements et des principaux mĂ©dias, notamment occidentaux, car c'est lĂ que se trouve le cĆur du problĂšme.
L'ancien agent de la CIA Phil Giraldi, par exemple, a déclaré dans une interview que le cabinet Biden est truffé de russophobes accusant la Russie de toutes sortes de maux. Il a également affirmé que de nombreux membres de la CIA affichent leur russophobie et adhÚrent aux stéréotypes. Dans le paysage politico-médiatique des pays occidentaux, cependant, les gens sont généralement réticents à reconnaßtre le problÚme.
Le phĂ©nomĂšne de la russophobie n'a que peu Ă voir avec la Russie et les Russes eux-mĂȘmes, mais beaucoup avec les sociĂ©tĂ©s occidentales. Il traduit un sentiment permanent de supĂ©rioritĂ©, une politique de deux poids deux mesures. Oui, la Russie mĂšne des guerres. Oui, les politiciens et les journalistes russes ont dĂ©jĂ menti et les soldats russes ont commis des crimes. Pourtant, tous ces aspects s'appliquent plus encore aux acteurs des pays occidentaux. Mais alors qu'ici, on passe sous silence nos propres guerres, nos propres mensonges et on rĂ©interprĂšte ses propres crimes pour en faire des cas individuels, la Russie est dĂ©clarĂ©e coupable de tels actes, comme si c'Ă©tait la norme, de tous temps et en tous lieux.
La russophobie constitue fondamentalement un phĂ©nomĂšne raciste, note Guy Mettan. Les russophobes refusent catĂ©goriquement de reconnaĂźtre les peuples de Russie ou l'Ătat russe comme leurs Ă©gaux, semblables Ă leurs homologues occidentaux. Les peuples de Russie vivent leurs propres expĂ©riences et dĂ©fendent leurs propres perspectives politiques, et leur Ătat poursuit ses propres intĂ©rĂȘts Ă©conomiques et politiques, qui ne sont ni meilleurs ni pires que ceux de leurs homologues occidentaux. Les objectifs et les moyens mis en Ćuvre pour les atteindre peuvent ĂȘtre lĂ©gitimes ou illĂ©gitimes, lĂ©gaux ou illĂ©gaux, moraux ou immoraux. Chaque cas doit ĂȘtre examinĂ© avec objectivitĂ©, sans ĂȘtre systĂ©matiquement et d'emblĂ©e condamnĂ© par des stĂ©rĂ©otypes pĂ©joratifs sĂ©culaires qui ne suscitent que la haine et le dĂ©sir de guerre.
Victor Klemperer a écrit (24) juste aprÚs la Seconde Guerre mondiale :
âJe tiens Ă le souligner tout particuliĂšrement ici et aujourd'hui : il est en effet absolument indispensable que nous reconnaissions le vĂ©ritable esprit des peuples dont nous avons Ă©tĂ© si longtemps coupĂ©s, Ă propos desquels on nous a si longtemps menti. Et nous n'avons jamais Ă©tĂ© autant trompĂ©s qu'Ă propos des Russesâ.
Notes
(1) Guy Mettan : Creating Russophobia, Boston, 2017. Page 21 : « Comme l'antisĂ©mitisme, la russophobie n'est pas un phĂ©nomĂšne transitoire liĂ© Ă des Ă©vĂ©nements historiques spĂ©cifiques ; elle existe d'abord dans la tĂȘte de celui qui regarde, et non dans le comportement ou les caractĂ©ristiques prĂ©sumĂ©s de la victime. Comme l'antisĂ©mitisme, la russophobie est un moyen de transformer des pseudo-faits spĂ©cifiques en valeurs essentielles et unidimensionnelles, en barbarie, en despotisme et en expansionnisme dans le cas de la Russie, afin de justifier la stigmatisation et l'ostracisme. »
(2) Dominic Basulto : Russophobia. How Western Media Turns Russia Into The Enemy. 2015 ; page 2 f.
(3) Hannes Hofbauer : Feindbild Russland. Geschichte einer DĂ€monisierung (La Russie, l'ennemi : une histoire de diabolisation). Vienne, 2016 ; page 13 f.
(4) Cité par Adam Zamoyski : 1812. Napoleons Feldzug in Russland (La campagne de Napoléon en Russie). Munich, 2004 ; page 37.
(5) Cité par Orlando Figes : Krimkrieg. Der letzte Kreuzzug (La guerre de Crimée. La derniÚre croisade). Berlin, 2011 ; page 236.
(6) Citation de Figes ; page 126.
(7) Manfred Hildermeier : Geschichte Russlands. Vom Mittelalter bis zur Oktoberrevolution (Histoire de la Russie. Du Moyen Ăge Ă la rĂ©volution d'octobre). Munich, 2013 ; page 380 et suivantes.
(8) Guy Mettan : Creating Russophobia, Boston, 2017. Page 155 et suivantes.
(9) Hildermeier ; page 1321.
(10) Hildermeier ; page 918.
(11) Cité par Figes ; page 125.
(12) Claude Lanzmann : Le liÚvre de Patagonie. Mémoires. Paris, 2012 ; page 464.
(13) Christopher Clark : Les Somnambules. L'Europe et la Grande Guerre, 1914-1918. Paris, 2013 ; page 226.
(14) Cité par Figes ; page 125f.
(15) Mark Jones : Am Anfang war Gewalt. Die deutsche Revolution 1918/19 und der Beginn der Weimarer Republik (Au commencement était la violence. La révolution allemande de 1918/19 et le début de la République de Weimar). Berlin, 2017 ; page 209 f. ainsi que pages 178 et 297.
(16) Cité par Basulto ; page 16.
(17) Cité par Nemensky ; note de bas de page 18.
(18) Fritz Pleitgen, Mikhail Shishkin : Frieden oder Krieg. Russland und der Westen â eine AnnĂ€herung (Paix ou guerre. La Russie et l'Occident â un recentrage) Munich, 2019 ; page 20.
(19) Cité par Hofbauer ; page 33.
(20) Sebastian Haffner : Von Bismarck zu Hitler (De Bismarck Ă Hitler). Munich, 2001 ; page 11.
(21) L'affirmation selon laquelle la critique de la Russie par Marx et Engels était de la russophobie est toutefois discutable. Tous deux ont vivement critiqué l'autocratie tsariste, mais étaient également proches des révolutionnaires russes et ont beaucoup échangé avec eux. Engels a appris le russe dans sa jeunesse ; Marx a tenté d'acquérir la langue sur le tard.
(22) Clark ; page 673.
(23) Cité par Hofbauer ; page 37.
(24) Victor Klemperer : LTI. Notizbuch eines Philologen (LTI â Lingua Tertii Imperii. La langue du TroisiĂšme Reich. Carnet de notes d'un philologue). Ditzingen, 2010 ; page 179.
https://multipolar-magazin.de/artikel/the-long-lineage-of-russophobia