đâđš La lutte contre l'extradition d'Assange ne faiblit pas
Ce sont les droits de l'homme qui sont en jeu, et peut-ĂȘtre mĂȘme la vie dâAssange. Pour le reste d'entre nous, c'est la fin de la libertĂ© de la presse et de l'Ă©quitĂ© juridique fondamentale.
đâđš La lutte contre l'extradition d'Assange ne faiblit pas
Par Eve Ottenberg, le 30 juin 2023
Ce sont les droits de l'homme qui sont en jeu, et peut-ĂȘtre mĂȘme la vie dâAssange. Pour le reste d'entre nous, c'est la fin de la libertĂ© de la presse et de l'Ă©quitĂ© juridique fondamentale.
Alors que l'appel de Julian Assange contre son extradition vers les Ătats-Unis suit son cours devant les tribunaux britanniques, le moment est venu de faire le point sur les enjeux. Rien de moins que la libertĂ© de la presse, et l'Ătat de droit. En effet, M. Assange est persĂ©cutĂ© pour avoir publiĂ© des preuves des actes criminels de l'armĂ©e amĂ©ricaine, parmi d'autres sujets liĂ©s Ă la guerre et Ă la politique. Les accusations peuvent sembler techniques et porter sur le "piratage", mais les Ătats-Unis le poursuivent depuis plus de dix ans, grĂące Ă ses rĂ©vĂ©lations choquantes sur les crimes de guerre amĂ©ricains en Irak. Si les Ătats-Unis peuvent l'arrĂȘter pour une raison technique, mĂȘme fabriquĂ©e de toutes piĂšces, ils continueront de le faire pour dâautres. Ce faisant, l'empire a perverti l'Ătat de droit au Royaume-Uni, oĂč M. Assange a Ă©tĂ© jugĂ© par un tribunal fantoche. âTribunal kangourou" parce que la juge, Vanessa Baraitser, a ignorĂ© les normes reconnues de la justice et du droit pour parvenir Ă une conclusion prĂ©dĂ©terminĂ©e.
DĂ©but juin, le juge Jonathan Swift a rejetĂ© l'appel d'Assange contre son extradition. En outre, il a informĂ© les avocats que "la requĂȘte d'invoquer de nouvelles preuves est rejetĂ©e". Les preuves dont nous disposons dĂ©jĂ datent de septembre 2020, lorsque M. Baraitser a entendu l'affaire. Il n'est pas surprenant que, depuis lors, les avocats d'Assange aient fourni d'autres preuves, car, franchement, elles ne manquent pas. Plus important encore, les anciennes n'ont jamais Ă©tĂ© Ă©valuĂ©es correctement par Baraitser. Elles mĂ©ritent d'ĂȘtre rĂ©examinĂ©es.
Mais le juge Swift, anciennement avocat du gouvernement britannique, a balayé tout cela d'un revers de main. "Il y a huit motifs d'appel proposés. Ils sont exposés trÚs longuement (quelque 100 pages), mais la longueur extraordinaire de la plaidoirie ne sert qu'à montrer clairement que l'appel proposé n'est rien d'autre qu'une tentative de reprendre les arguments détaillés présentés au juge de district, et rejetés par celui-ci". Peu importe que le juge de district, Baraitser, ait adopté les directives du procureur comme étant ses décisions juridiques, et que ce procureur, John Lewis, ait reçu ces directives du gouvernement américain, selon l'ancien diplomate Craig Murray. La décision de Mme Baraitser a créé un désordre juridique dont il ne sera pas facile de se remettre.
Et peu importe que, comme l'a fait remarquer le journaliste primĂ© Chris Hedges, "la CIA a espionnĂ© Julian dans le cadre de ses activitĂ©s de dĂ©fense des droits de l'homme et a enregistrĂ© les conversations privilĂ©giĂ©es entre Julian et ses avocats alors qu'ils discutaient de sa dĂ©fense. Ce seul fait a invalidĂ© le procĂšs". Et peu importe qu'Assange ne soit mĂȘme pas citoyen amĂ©ricain, la question de savoir si l'Espionage Act peut s'appliquer Ă son cas est loin d'ĂȘtre claire pour le profane. Une telle application signifie apparemment que les lois amĂ©ricaines s'appliquent globalement, Ă toute personne que les Ătats-Unis jugent bon de poursuivre oĂč que ce soit sur la planĂšte, mĂȘme si ces non-citoyens ne bĂ©nĂ©ficient d'aucun des droits amĂ©ricains dĂ©finis dans la constitution des Ătats-Unis. Ă premiĂšre vue, c'est absurde. La question reste donc posĂ©e : par quel tour de passe-passe juridique Assange, un Ă©diteur, peut-il ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un traĂźtre aux Ătats-Unis, alors qu'il n'est pas citoyen amĂ©ricain ?
En laissant de cĂŽtĂ© le dĂ©bat sur la question de savoir si l'horrible loi sur l'espionnage - qui ne devrait pas exister dans un gouvernement et une jurisprudence qui vantent tant leurs libertĂ©s - peut mĂȘme s'appliquer Ă Assange, il convient de noter que l'acte d'accusation outrepasse Ă©galement d'autres limites. Jameel Jaffer, du Knight Premier Amendement Institute de l'UniversitĂ© de Columbia, a dĂ©clarĂ© au New York Times, dĂšs le 23 mai 2019 : "Les accusations reposent presque entiĂšrement sur une pratique que les journalistes d'investigation appliquent tous les jours. L'acte d'accusation doit ĂȘtre compris comme une attaque frontale contre la libertĂ© de la presse."
L'appel d'Assange porte sur sa dĂ©nonciation de la criminalitĂ© du gouvernement amĂ©ricain dans ses activitĂ©s bellicistes. "La loi protĂšge farouchement les dĂ©fenseurs des droits de l'homme", note l'appel. "La dĂ©nonciation de la criminalitĂ© de l'Ătat est, en droit, un acte politique protĂ©gĂ©, le produit d'une opinion politique. Les poursuites pour de tels actes sont tout simplement interdites... L'histoire de ces poursuites... est un exemple classique de persĂ©cution politique. L'Ă©volution de cette affaire depuis 2011 est tout simplement extraordinaire. Elle implique, entre autres, des complots du gouvernement amĂ©ricain pour interfĂ©rer avec les juges qui enquĂȘtent sur les affaires rĂ©vĂ©lĂ©es par M. Assange, pour rĂ©duire au silence la Cour pĂ©nale internationale (CPI) qui s'est saisie des rĂ©vĂ©lations de M. Assange, ainsi que pour projeter de kidnapper et restituer M. Assange lui-mĂȘme, voire l'assassiner". Les Ătats-Unis ont donc violĂ© les droits de l'homme de M. Assange en raison de ses opinions politiques. Ils l'ont persĂ©cutĂ© sur la base de ces opinions politiques. Ces faits rĂ©futent les dĂ©cisions prises Ă son encontre. Mais les juges Swift et Baraitser ont fermĂ© tant les yeux, les oreilles et que lâesprit Ă ces vĂ©ritĂ©s Ă©videntes.
Pendant ce temps, la violation des droits d'Assange par les Ătats-Unis est plus grave et plus sombre qu'il n'y paraĂźt Ă premiĂšre vue. L'administration Trump Ă©tait plongĂ©e jusqu'au cou dans des machinations criminelles sur la façon d'assassiner ou d'enlever Assange. Le 27 septembre 2021, le Guardian a relatĂ© que
"Les discussions sur l'enlÚvement ou le meurtre d'Assange ont eu lieu en 2017, a rapporté Yahoo News... Le directeur de la CIA de l'époque, Mike Pompeo, et ses hauts fonctionnaires étaient furieux de la publication de "Vault7" par WikiLeaks... Certains hauts fonctionnaires de la CIA et de l'administration Trump sont allés jusqu'à demander des "croquis" ou des "options" pour tuer Assange."
Une fois de plus, comme l'indique le recours d'Assange, les poursuites s'apparentent à une persécution politique. L'avocat d'Assange démolit ces poursuites, arguant que :
"(a) Elle est sans précédent en droit.
(b) Est en contradiction flagrante avec les principes établis de la liberté d'expression.
(c) Pour y faire face, elle prévoit un procÚs au cours duquel M. Assange, en tant qu'étranger, peut se voir refuser le recours au Premier Amendement
(d) En effet un procÚs sans aucune protection de la Constitution américaine et
(e) S'accompagne d'une exposition à une peine grossiÚrement disproportionnée."
Vous avez compris ? Assange sera poursuivi aux Ătats-Unis sans AUCUNE protection constitutionnelle, comme s'il se trouvait devant un tribunal nazi ou soviĂ©tique.
La section de l'appel traitant des opinions politiques d'Assange commence ainsi :
"Le professeur Noam Chomsky, le professeur Paul Rogers et Daniel Ellsberg ont tous exposĂ© au DJ [le juge de district Baraitser] les opinions politiques de M. Assange, et comment et pourquoi ces opinions l'ont placĂ© en conflit avec le gouvernement amĂ©ricain. Les Ătats-Unis n'ont finalement pas contestĂ© l'affirmation de ces tĂ©moins selon laquelle M. Assange a des "opinions politiques" liĂ©es Ă la transparence, Ă la responsabilitĂ© dĂ©mocratique, Ă l'opposition Ă la surveillance, aux crimes de guerre et aux violations des droits de l'homme. L'accusation n'a pas non plus contestĂ© les preuves apportĂ©es par Rogers, Ellsberg et Chomsky selon lesquelles ces opinions ont motivĂ© son comportement".
L'accusation n'a pas contesté ces éléments parce qu'elle ne le pouvait pas. Ce n'est que dans le monde trÚs biaisé de la salle d'audience de Baraitser qu'une accusation aussi atroce a pu prévaloir.
Assange a donc Ă©tĂ© persĂ©cutĂ© par une accusation abusive pour ses opinions politiques et pour le droit Ă la libertĂ© d'expression qu'il a acquis en les exprimant. Ces poursuites dĂ©fient la loi. Elles n'auraient jamais dĂ» avoir lieu. Il est Ă espĂ©rer que le prochain appel d'Assange devant le tribunal britannique, ou celui devant la Cour europĂ©enne des droits de l'homme l'emportera. Au Royaume-Uni, son affaire sera examinĂ©e par deux nouveaux juges, de sorte que, comme l'a fait remarquer son Ă©pouse, Stella Assange, il y a de bonnes raisons d'ĂȘtre optimiste quant Ă son refus d'ĂȘtre extradĂ©. Pour M. Assange, ce sont ses droits de l'homme qui sont en jeu, et peut-ĂȘtre mĂȘme sa vie, comme l'a fait remarquer la juge Baraitser, qui a Ă©voquĂ© un risque sĂ©rieux de suicide dans une prison supermax amĂ©ricaine. Pour le reste d'entre nous, c'est la fin de la libertĂ© de la presse et de l'Ă©quitĂ© juridique fondamentale qui est en jeu.
* Eve Ottenberg est romanciĂšre et journaliste. Son dernier livre s'intitule Roman Summer. Elle est joignable sur son site web.
https://www.counterpunch.org/2023/06/30/the-struggle-against-assanges-extradition-continue/