👁🗨 La lutte pour sauver Julian Assange
Si botter en touche était un sport olympique, les juges de l'affaire Assange mériteraient la médaille d'or. Nouvelle audience le 20 mai.
👁🗨 La lutte pour sauver Julian Assange
Par John Rees, le 27 mars 2024
Maintenant que la High Court a reconnu que Julian Assange pouvait être exécuté par les États-Unis pour avoir dénoncé des crimes de guerre, la lutte pour sauver sa vie et défendre la liberté de la presse ne saurait être plus urgente.
Cette semaine, la High Court avait une seule mission : décider si Julian Assange devait bénéficier d'une audience d'appel complète ou s'il devait être immédiatement extradé vers les États-Unis pour y être jugé. Face à deux options claires, elle a décidé de ne retenir aucune des deux. Au lieu de cela, alors que Julian Assange va bientôt avoir passé cinq ans dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, ils ont décidé d'attendre encore avant de rendre leur ultime verdict .
Ce dernier délai est dû à la requête de la Cour au gouvernement américain de fournir des “garanties” que si Assange est jugé aux États-Unis, il sera traité comme s'il était un citoyen américain et non un étranger, qu'il bénéficiera des protections du Premier Amendement en matière de liberté d'expression et qu'il ne sera pas passible de la peine de mort. Si les États-Unis ne fournissent pas ces garanties, les juges se réuniront à nouveau et accorderont une audience d'appel complète. Si ces garanties satisfont la Cour, l'extradition aura lieu. Tout cela sera débattu lors d'une nouvelle audience le 20 mai.
C'est bien sûr un soulagement qu'Assange n'ait pas été embarqué dans un avion et envoyé dans une prison supermax américaine cette semaine. Mais de nombreux autres points de ce jugement sont erronés. Les retards interminables sont désormais monnaie courante et constituent une forme de torture pour Assange. Et la procédure consistant à demander à l'autorité chargée des poursuites de donner sa parole qu'elle se comportera bien, malgré toutes les preuves du contraire, est profondément viciée.
Le gouvernement américain a déjà cité un témoin clé qui a admis s'être parjuré, a espionné Assange et ses avocats, et a planifié de l'enlever ou de l'assassiner. Ce ne sont pas là les pratiques d'entités dignes de confiance, dont les intentions seraient honnêtes vis-à-vis de celui qu'elles poursuivent depuis des années et contre qui tout le monde, de Donald Trump, peut-être bientôt à nouveau président, au chef de la CIA, s'est déchaîné.
De plus, Assange sera jugé en vertu de la loi américaine de 1917 sur l'espionnage, et sera le premier journaliste à subir cette épreuve. L'ensemble du dossier américain repose sur la qualification du journaliste comme espion étranger. C'est dans ce sens que Mike Pompeo, alors directeur de la CIA, a qualifié WikiLeaks d'“agence de renseignement hostile et non étatique”. Mais les garanties que la High Court exige équivalent à souligner qu'Assange sera jugé comme le serait un citoyen américain et un journaliste, avec l'intégralité des droits du Premier Amendement. En d'autres termes, les juges demandent aux États-Unis d'abandonner tout le cadre de l'affaire contre Assange.
La Cour doit certainement savoir que quelles que soient les garanties données - et bien sûr, les États-Unis jureraient que tout est blanc ou noir si cela permet de livrer Assange aux États-Unis - elles ne seront pas mises en œuvre et ne devraient jamais être prises au sérieux.
Mais la véritable signification de ce nouveau retard est sans doute d'ordre politique. Cette affaire l'a toujours été, abandonnée par Obama et relancée par Trump. Elle se heurte désormais à une opposition considérable de la part du gouvernement australien et des législateurs du monde entier. Au Royaume-Uni, en Europe, en Amérique latine et, de plus en plus, aux États-Unis, des campagnes en faveur d'Assange se font entendre et bénéficient d'un large soutien.
Le camp Biden et les partisans de Trump doivent maintenant se demander s'ils souhaitent que le procès le plus important concernant la liberté de la presse se déroule pendant les dernières étapes de la course à la présidence des États-Unis. Ce qui pourrait expliquer la rumeur selon laquelle les États-Unis envisageraient un accord de plaidoyer permettant à Assange de retourner en Australie s'il admet sa culpabilité.
Nombreux sont ceux qui, dans les sphères washingtoniennes, espèrent sans doute que les tribunaux britanniques vont faire disparaître le problème. Toutefois, le pire moyen d'y parvenir serait une audience complète et prolongée en appel, une issue possible si les garanties données par les États-Unis sont jugées trop minces.
Non pas que M. Assange ne mérite pas une audience complète en appel. Il le mérite. Jusqu'à présent, son affaire n'a été entendue que par un tribunal de première instance (magistrates court), la juridiction la plus basse du système britannique, qui entend normalement les appels contre les amendes de stationnement. Une audience complète devant une juridiction plus élevée serait le moins que cette affaire puisse mériter.
Mais même si les garanties américaines sont rejetées, il n'y aura pas d'audience complète. Cette semaine, les juges n'ont autorisé un appel que sur trois des douze points d'appel présentés par les avocats d'Assange. Une fois de plus, ils ont rejeté les défenses d'intérêt public et les justifications politiques des actions d'Assange. Voilà pourquoi les États-Unis sont invités à clarifier leurs engagements sur trois points seulement. Tout appel sera donc également très limité.
C'est en soi une contradiction. La High Court refuse à la fois de reconnaître les objections à l'extradition fondées sur les opinions politiques de Julian Assange tout en exigeant que les États-Unis lui garantissent les droits du Premier Amendement, qui sont précisément les droits qui protègent la liberté d'expression politique.
Tout ceci signifie que le sort d'Assange ne peut pas être laissé entre les mains des tribunaux. Ce sont les campagnes publiques et la pression politique qui ont permis d'obtenir ce sursis. Seule une intensification de cette pression peut convaincre l'establishment politique, tant ici qu'aux États-Unis, qu'il sera politiquement plus dommageable de poursuivre la persécution de Julian Assange que d'abandonner une affaire qui n'aurait jamais dû être intentée.
* John Rees est cofondateur de la Stop the War Coalition et chercheur invité à Goldsmiths, University of London.
https://tribunemag.co.uk/2024/03/the-fight-to-save-julian-assange