👁🗨 La Maison Blanche, un asile de fous
On ne peut pas savoir ce que Trump dira ou fera mardi en se basant sur ce qu'il dit ou fait lundi. On peut avoir 78 ans et passer encore pour un enfant hyperactif. Trump en est la preuve.

👁🗨 La Maison Blanche, un asile de fous
Par Patrick Lawrence, Spécial Consortium News, le 28 mai 2025
Il est tout simplement temps d'abandonner l'idée que les trois ans et demi à venir sous Trump apporteront quoi que ce soit de bon.
Bon, le golfe du Mexique conservera son nom, et le Government Publishing Office de North Capitol Street à Washington peut lever le pied : l'idée d'un “golfe de l'Amérique” ne fait plus vraiment rêver.
Dans le même ordre d'idées, le Groenland restera une possession danoise. Le Canada continuera de s'appeler Canada, et les Canadiens pourront continuer de se considérer comme plus gentils et plus courtois que la nation de rustres qui vit à leur frontière sud.
Il y a quelques semaines encore, nous étions nombreux à anticiper la disparition de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord au cours du printemps. Non, l'avenir de l'OTAN est assuré : son grand quartier général à Bruxelles ne sera pas transformé en hôpital, comme le prédisaient certains, animés par la vieille “effervescence irrationnelle” des débuts du régime Trump.
Il en va de même pour l'Union européenne : les technocrates de Bruxelles et les banquiers de Francfort ont tout à gagner à voir le continent dériver vers sa propre version de l'autoritarisme néolibéral.
Quant à l'État profond, cette structure tentaculaire, invisible et antidémocratique, n'est pas près de disparaître. Et les partisans de Trump ne feront pas du siège du Federal Bureau of Investigation, à quelques pâtés de maisons de la Maison Blanche, le long de Pennsylvania Avenue un musée consacré à la corruption institutionnelle.
La Maison Blanche de Trump ne s'exprime guère sur ce genre de choses ces jours-ci. C'était amusant, mais les choses amusantes cessent de l'être quand, tel un jouet à remontoir, elles s'arrêtent de fonctionner quand le ressort est usé.
Certes, Radio Free Europe/Radio Liberty, la façade de propagande de la CIA que le New York Times s'obstine à décrire comme un organisme de “journalisme indépendant” – soyons sérieux – pourrait bien finir au musée des artefacts de la guerre froide maintenant que Trump lui coupe les vivres. Mais attendons de voir.
Quand les distractions s'épuisent, il faut en trouver d'autres. C'est le mode opératoire du régime Trump, vous l’avez compris.
Nous lisons actuellement des articles sur le projet de Trump visant à mettre en place un système de bouclier antimissile hypertechnologique qu'il appelle Golden Dome. Il s'agit de centaines de satellites dans l'espace et de fusées sophistiquées qui s'activeront dès que des projectiles ennemis seront détectés.
“Quand les distractions s'épuisent, il faut en trouver d'autres”.
Les collaborateurs de Trump estiment le coût du Golden Dome à 175 milliards de dollars, soit un coût réel plusieurs fois supérieur. Le Bureau du budget du Congrès estime quant à lui que ce chiffre est plus proche de 500 milliards de dollars. Trump promet que ce projet sera achevé dans trois ans. Les spécialistes des technologies de défense affirment qu'il faudra deux décennies pour développer un tel système.
Je pense à l'ancienne Initiative de défense stratégique, la débâcle “Star Wars” de l'époque Reagan. Je m'intéresse uniquement au temps qu'il faudra pour que le Dôme d'Or s'avère être le dernier fantasme irresponsable en date et aux milliards qui seront gaspillés d'ici là.
Bilan de son deuxième mandat à ce jour

Que penser de Donald John Trump maintenant qu'il est en fonction depuis quelques mois et que la situation commence à se clarifier ? Qui est-il ? Qu'est-ce qui le motive, selon le vieil adage ?
La tendance chez ceux qui font avancer l'Amérique et qui sont prêts à tout accepter tant que cela leur est profitable, est qu'on ne peut cette fois-ci ni renier, ni rejeter, ni contourner Trump. Il faut le côtoyer – dîners à Mar-a-Lago, séances dans le Bureau ovale, etc. – pour survivre à ces prochaines années.
Ce revirement est une évidence depuis la campagne électorale de 2024. Vous vous souvenez quand Mark Zuckerberg est allé dîner avec Trump à Mar-a-Lago et que tous les libéraux ont poussé des cris d'orfraie ? Le PDG de Meta a juste été le premier à se prosterner au pied du trône.
On peut généralement compter sur les cliques libérales, en particulier les corporatistes de la Silicon Valley, pour faire fausse route. Durant son premier mandat, ils ont fait tout ce qu'ils ont pu pour faire échouer Trump. Ceux qui ont autrefois tenté de couler son navire se précipitent aujourd'hui sur le pont de première classe.
C'est le monde à l'envers. Trump avait quelques idées sensées – démanteler l'OTAN, mettre fin aux guerres éternelles, renouer avec la Russie – durant sa première tentative pour devenir président. Aujourd'hui, il se perd en inepties et n'arrive pas à mener à bien son unique bonne idée – améliorer les relations avec la Russie – héritée de son premier mandat.
Quelques mois après le début de son second mandat, Trump s'avère être un personnage dangereux à tous égards – dangereusement stupide, dangereusement incompétent, dangereusement imprévisible, dangereusement distrait – ce qui justifie de limiter autant que possible les dégâts.
“Aujourd'hui, il se perd en inepties et n'arrive pas à mener à bien son unique bonne idée – améliorer les relations avec la Russie – héritée de son premier mandat”.
Les tribunaux jouent déjà un rôle clé à cet égard. Un “mouvement” cohérent au sens où on l'entendait dans les années 1960 semble hors de question – les Américains semblent trop atomisés, individualisés et aliénés pour qu'une telle chose puisse se concrétiser –, mais n'oublions pas que les années 1960 étaient inimaginables dans les années 1950.
On ne peut pas savoir ce que Trump dira ou fera mardi en se basant sur ce qu'il dit ou fait lundi. Il a déjà voulu sortir l'Amérique de ses guerres aventureuses et de toutes les ingérences dans les affaires des autres pays. Aujourd'hui, il se vante qu'un budget d'un billion de dollars pour le complexe militaro-industriel est en préparation.
Il est temps, tout simplement, de renoncer à l'idée que quelque chose de bon puisse sortir des trois ans et demi à venir.
Pour mieux comprendre qui est réellement l'occupant de la Maison Blanche, trois approches différentes peuvent être envisagéespour que nos attentes quant au 47e président des États-Unis restent réalistes d'ici au 20 janvier 2029.
On peut avoir 78 ans et passer encore pour un enfant hyperactif. Trump en est la preuve, selon moi.
Imaginez un enfant le matin de Noël, passant d'un jouet à l'autre, peut-être même fasciné un instant par les paquets d'emballage. Et en un rien de temps, c'est le chaos général.
Maintenant, pensez au bilan de Trump ces quatre derniers mois – le Groenland, le golfe du Mexique, “je viens d'avoir une excellente conversation téléphonique avec Vladimir Poutine”, “Poutine est complètement fou”, etc. – et demandez-vous pourquoi cette différence entre les deux postures.
On peut s'interroger sur les fondements mêmes d'une société démocratique, même si celle-ci était déjà en train de s'effondrer bien avant l'arrivée de Trump.
“On ne peut pas savoir ce que Trump dira ou fera mardi en se basant sur ce qu'il dit ou fait lundi”.
Quand je regarde Trump, je ne peux m'empêcher de penser à un correspondant de la Seconde Guerre mondiale nommé Mark Gayn, aussi improbable que cela puisse paraître. Gayn a couvert Tokyo après la capitulation et a décrit ce qu'il a vu durant l'occupation dans son livre Japan Diary (William Sloane, 1948).
À part une brève expérience au début du XXe siècle, les Japonais n'avaient aucune expérience de la démocratie — ni expérience, ni compréhension, ni aucune idée de son fonctionnement. À l'automne 1945, Gayn a observé avec perspicacité que de nombreux Japonais pensaient par conséquent que la démocratie voulait dire “vous pouvez faire ce que vous voulez”. Un certain chaos social et politique a régné pendant les premiers mois de l'occupation.
C'est tout à fait Trump. Il bafoue la Constitution, qu'il n'a sans doute jamais lue, ignorant ou méprisant – voire les deux – les principes tels que l'équilibre des pouvoirs, et multiplie les décrets présidentiels qui pourraient tout aussi bien commencer par “Je veux…”.
Cet homme n'a manifestement aucune idée des limites qui s'imposent au président comme à chacun d'entre nous. “Je peux faire tout ce que je veux” semble être son principe de fonctionnement.
Le mépris de l'expertise

À voir le cabinet de Trump – Pete Hegseth, Kristi Noem et Pam Bondi parmi les plus incontestablement incompétents –, on ne peut que constater que Trump méprise presque totalement les experts et la notion même d'expertise.
Ça vaut bien sûr pour Trump lui-même : lui qui est censé pouvoir mettre fin à une guerre en 24 heures, relancer l'industrie manufacturière aux États-Unis et rendre sa grandeur à l'Amérique.
C'est vrai, les experts méritent une grande part, sinon l’essentiel de la méfiance et de la malveillance que Trump exprime au nom de beaucoup, beaucoup de gens.
En effet, une bonne partie d'entre eux, renonçant à toute impartialité, ont longtemps abusé de leur pouvoir d'influencer les politiques et les événements pour servir leurs propres intérêts ou ceux d'autrui.
Nous vivons aujourd'hui dans une société où les élites et toute forme d'élitisme, ainsi que les experts et l'expertise, sont largement discrédités, cela ne fait aucun doute. C'est là un des problèmes. Et Trump et sa terrible clique d'incompétents ne sont pas la solution.
L'autre semaine, Maggie Hassan, sénatrice démocrate du grand État du New Hampshire, a demandé à Kristi Noem : “Qu'est-ce que l'habeas corpus ?” Il faut savoir que Mme Hassan a parfaitement cerné la secrétaire à la Sécurité intérieure.
“Eh bien”, a répondu Mme Noem – et cela s'est passé lors d'une audience au Sénat, je le précise – “l'habeas corpus est un droit constitutionnel qui permet au président d'expulser des gens de ce pays et de suspendre leur droit à…”
Là, Maggie Hassan l'a coupée, son propos ayant fait mouche. Je partage son avis : il y a de bonnes raisons de se méfier des experts, compte tenu de ce que beaucoup d'entre eux ont fait de leur formation et de leurs éminentes fonctions. Mais cela ne suffit pas pour faire comme si une société saine pouvait se passer d'eux.
En bref, le régime Trump nous confronte à une vérité qui semble avoir été oubliée depuis de nombreuses années. Aucune communauté politique ne peut fonctionner sans experts qualifiés. Elle a besoin d'experts animés de principes et de scrupules éthiques pour mettre leurs qualifications et leurs connaissances au service du bien commun.
Trump, dans son mépris, a un gros souci de “bébé et l'eau du bain”, pour le dire autrement.
Il en va de même pour les élites, autant le dire. L’“élitisme” a beau être condamné par beaucoup, mais pas là où je vis. Épargnez-moi l'idée d'une société sans élite. Cette pensée sent à plein nez ce qu'on appelait autrefois “l'aventurisme ultra-gauche”.
Je veux parler ici d'une élite qui, à l'instar des experts, a conscience des responsabilités qui lui incombent du fait de ses privilèges et de sa position. Et je parle bien de sa position dans la société, pas à son sommet.
Mais ce sont les mauvais experts que Donald Trump va nous servir pendant les trois prochaines années et quelques. Il peut bien continuer à vanter la capacité de Monsieur Tout-le-monde à accomplir des tâches complexes. Mais cela ne rendra pas l'Amérique plus démocratique.
À mon avis, toutes ces postures creuses ne feront que confirmer l'influence du type même d'experts que Trump et son équipe prétendent éviter, notamment ceux du Pentagone et d'autres institutions vitales pour l'empire.
J'aimerais pouvoir terminer cette chronique par quelque chose comme “Good night and Good Luck” [Ndt :“Bonne nuit et bonne chance”: phrase par laquelle Edward R. Murrow, présentateur du journal télévisé, terminait régulièrement ses émissions dans les années 1950 dans son combat mené pour mettre fin à la carrière du sénateur Joseph McCarthy et sa ‘chasse aux sorcières’ anti-communiste], mais Ed Murrow restera inégalé dans l'art de donner du poids à une phrase, et celle-ci lui appartient d'ailleurs. “Bon courage” a été la formule finale de Dan Rather pendant une brève période, tentative solennelle rapidement huée par les téléspectateurs devant tant de prétention.
“M.I.C.*, à très vite”, est le mieux que j’ai pu trouver.
Traduit par Spirit of Free Speech
* référence humoristique et auto-dérisoire à la chanson de clôture du Mickey Mouse Club
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, conférencier et auteur. Son dernier ouvrage, Journalists and Their Shadows, est disponible chez Clarity Press ou via Amazon. Parmi ses autres livres, citons Time No Longer: Americans After the American Century. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré.
https://consortiumnews.com/2025/05/28/patrick-lawrence-the-white-house-as-playpen/