👁🗨 La mort d'Amr
Plus de 13 000 enfants ont été tués à Gaza. Amr Abdallah était l'un d'entre eux.
👁🗨 La mort d'Amr
Par Chris Hedges, le 3 avril 2024
Le matin où Amr Abdallah a été tué, il s'est réveillé avant l'aube pour faire ses prières du Ramadan avec son père, sa mère, ses deux jeunes frères et sa tante, dans un champ du sud de Gaza.
“C'est toi que nous adorons et c'est à toi que nous demandons de l'aide”, ont-ils prié. “Guide-nous sur le droit chemin - le chemin de ceux à qui Tu as accordé la grâce, et non de ceux qui ont suscité Ta colère ou de ceux qui se sont égarés”.
Il faisait nuit. Ils sont retournés dans leur tente. Leur vie d'avant avait disparu : leur village, Al-Qarara, leur maison - construite avec l'argent que le père d'Amr avait économisé pendant ses 30 années de travail dans le golfe Persique -, leurs vergers, leur école, la mosquée locale et le musée de la ville, avec des vestiges datant de 4 000 ans avant Jésus-Christ.
Des décombres.
La maison d’Amr en ruine
Amr, qui avait 17 ans, aurait dû obtenir son diplôme de fin d'études secondaires cette année. Les écoles ont été fermées en novembre. Il serait allé à l'université, peut-être pour devenir ingénieur comme son père, un éminent chef de la communauté. Amr était un élève doué. Aujourd'hui, il vit sous une tente dans une “zone de sécurité” déclarée qui, comme lui et sa famille le savaient déjà, n'avait rien de sûr. Elle était bombardée régulièrement par les Israéliens.
Il faisait froid et il pleuvait. Toute la famille s'est blottie, les uns contre les autres, pour se réchauffer. La faim s'enroulait autour d'eux comme une spirale.
“Quand on prononce le nom d'Amr, c'est comme si on parlait de la lune”, me dit son oncle, Abdulbaset Abdallah, qui vit dans le New Jersey. “c’était un garçon exceptionnel, beau, brillant et gentil”.
Amr à Gaza
Les attaques israéliennes ont commencé dans le nord de la bande de Gaza. Puis elles se sont étendues au sud. Le matin du vendredi 1er décembre, des drones israéliens ont largué des tracts au-dessus du village d'Amr.
“Aux habitants d'al-Qarara, de Khirbet al-Khuza'a, d'Absan et de Bani Soheila”, peut-on lire sur les tracts. “Évacuez immédiatement et rendez-vous dans les abris de la région de Rafah. La ville de Khan Yunis est une zone de dangereuse combat. Vous êtes prévenus. — Par l'armée de défense israélienne.”
L'un des tracts largués sur le village d'Amr
À Gaza, les familles vivent ensemble. Des générations entières. C'est pourquoi des dizaines de membres d'une même famille sont tués par une seule frappe aérienne. Amr a grandi entouré de ses oncles, tantes et cousins.
Les villageois ont paniqué. Certains ont commencé à faire leurs bagages. D'autres ont refusé de partir.
L'un des oncles d'Amr est resté inflexible. Il resterait sur place tandis que la famille se rendrait dans la “zone de sécurité”. Son fils était médecin à l'hôpital Nasser. Le cousin d'Amr a quitté l'hôpital pour implorer son père de partir. Quelques instants après sa fuite et celle de son père, leur rue a été bombardée.
Amr et sa famille se sont installés chez des parents à Khan Yunis. Quelques jours plus tard, de nouveaux tracts ont été largués. Tout le monde a été invité à se rendre à Rafah.
La famille d'Amr, rejointe par des parents de Khan Yunis, a fui vers Rafah.
Rafah était un cauchemar. Des Palestiniens désespérés vivaient en plein air et dans les rues. La nourriture et l'eau étaient rares. La famille a dormi dans sa voiture. Il faisait froid et il pleuvait. Ils n'avaient pas de couvertures. Ils ont cherché désespérément une tente. Il n'y en avait pas. Ils ont trouvé une vieille bâche en plastique qu'ils ont fixée à l'arrière de la voiture pour créer un espace protégé. Il n'y avait pas de toilettes. Les gens se soulageaient sur le bord de la route. La puanteur était insupportable.
Ils ont été déplacés deux fois en l'espace d'une semaine.
Le père d'Amr, qui souffre de diabète et d'hypertension, est tombé malade. La famille l'a emmené à l'hôpital européen près de Khan Yunis. Le médecin lui a dit qu'il était malade parce qu'il ne mangeait pas assez.
“Nous ne pouvons pas vous prendre en charge”, lui a dit le médecin, “il y a d'autres cas plus graves”.
“Il avait une belle maison”, dit Abdallah en parlant de son frère aîné. “Maintenant, il est sans abri. Il connaissait tout le monde dans sa ville natale. Maintenant, il vit dans la rue avec une foule d'étrangers. Personne ne mange à sa faim. Il n'y a pas d'eau potable. Il n'y a pas d'installations sanitaires ou de salles de bains correctes.”
La famille a décidé de déménager à nouveau à al-Mawasi, désignée comme “zone humanitaire” par Israël. Ils seraient au moins sur un terrain dégagé, dont une partie appartenait à leur famille. La zone côtière, avec des dunes à l’infini, abrite aujourd'hui quelque 380 000 Palestiniens déplacés. Les Israéliens ont promis l'acheminement de l'aide humanitaire internationale à al-Mawasi, mais celle-ci est rarement arrivée. L'eau doit être acheminée par camion. Il n'y a pas d'électricité.
En janvier, une frappe des avions de chasse israéliens a touché un complexe résidentiel à al-Mawasi où étaient hébergées des équipes médicales et leurs familles du International Rescue Committee et de Medical Aid for Palestinians. Il y a eu plusieurs blessés. En février, un char israélien a tiré sur une maison d'al-Mawasi où des employés de Médecins sans frontières et leurs familles étaient hébergés, faisant deux morts et six blessés.
La famille d'Amr a monté deux tentes de fortune avec des feuilles de palmier et des bâches en plastique. Des drones israéliens tournaient au-dessus d'eux jour et nuit.
La veille de sa mort, Amr a réussi à capter une connexion téléphonique - les télécommunications sont souvent coupées - pour parler à sa sœur au Canada.
“S'il te plaît, fais-nous sortir d'ici”, a-t-il supplié.
La société égyptienne Hala, qui signifie “Bienvenue” en arabe, délivrait des visas aux habitants de Gaza et entrer en Égypte pour 350 dollars, avant l'assaut israélien. Depuis le début du génocide, le prix est passé à 5 000 dollars pour un adulte, et 2 500 dollars pour un enfant. Elle a parfois demandé jusqu'à 10 000 dollars pour un laissez-passer.
Hala a des bureaux au Caire et à Rafah. Une fois l'argent versé - Hala n'accepte que les dollars américains - le nom du demandeur est transmis aux autorités égyptiennes. L'obtention d'un permis peut prendre plusieurs semaines. Il en aurait coûté environ 25 000 dollars pour faire sortir la famille d'Amr de Gaza, et le double si l'on inclut sa tante veuve et ses trois cousins. Les proches d'Amr à l'étranger n'ont pas pu réunir cette somme assez vite. Ils ont créé une page GoFundMe ici. Ils tentent toujours de rassembler suffisamment d'argent.
Une fois que les Palestiniens arrivent en Égypte, les visas expirent au bout d'un mois. La plupart des réfugiés palestiniens en Égypte survivent grâce à l'argent qui leur est envoyé de l'étranger.
Amr s'est réveillé dans le noir. C'était le premier vendredi du Ramadan. Il a rejoint sa famille pour la prière du matin. Le Fajr. Il était 5 heures du matin.
Les musulmans jeûnent pendant la journée au cours du mois de ramadan. Ils mangent et boivent une fois le soleil couché, et un peu avant l'aube. Mais la nourriture est maintenant très rare. Un peu d'huile d'olive. Du za'atar, un mélange d’épices. Vraiment pas grand-chose.
Après la prière, ils sont retournés dans leur tente. Amr y était avec sa tante et ses trois cousins. Un obus a explosé près de la tente. Des éclats d'obus ont déchiqueté la jambe de sa tante et grièvement blessé ses cousins. Amr a désespérément essayé de les aider. Un deuxième obus a explosé. Des éclats d'obus ont traversé l'estomac d'Amr et sont sortis par le dos.
Amr s'est levé. Il est sorti de la tente. Puis il s'est effondré. Des cousins plus âgés ont couru vers lui. Ils avaient assez d'essence dans leur voiture - le carburant est très rare - pour conduire Amr à l'hôpital Nasser, à cinq kilomètres de là.
“Amr, ça va ?”, lui ont demandé ses cousins.
“Oui”, a-t-il gémi.
“Amr, tu es avec nous ?”, demandent-ils après quelques minutes
“Oui”, a-t-il murmuré.
Ils l'ont sorti de la voiture. Ils l'ont porté dans les couloirs surpeuplés de l'hôpital. Ils l'ont posé sur le sol.
Il était mort.
Amr mort
Ils ont ramené le corps d'Amr dans la voiture. Ils ont roulé jusqu'au campement de la famille.
L'oncle d'Amr m'a montré une vidéo de la mère d'Amr pleurant sur son cadavre.
“Mon fils, mon fils, mon fils bien-aimé”, pleurait elle dans la vidéo, sa main gauche caressant tendrement son visage. “Que vais-je devenir sans toi ?”.
Ils ont enterré Amr dans une tombe de fortune.
L'enterrement d'Amr
Plus tard dans la nuit, les Israéliens ont de nouveau bombardé la ville. Plusieurs Palestiniens ont été blessés, d'autres ont été tués.
La tente vide, occupée la veille encore par la famille d'Amr, a été détruite.