👁‍🗨 La mort hante mes rêves

Les murs de ma chambre, la nuit, sont un écran géant d'images de perte & de désespoir. Dans mon sommeil, la frontière entre réalité & rêve est brouillée, et je vois les êtres chers qu'on m'a enlevés.

Un petit garçon devant l'hôpital al-Shifa dans la ville de Gaza, le 3 novembre 2023. (Saeed Jaras / APA Images)

👁‍🗨 La mort hante mes rêves

Par Mahmoud Alyazji, le 14 mars 2024

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Cette nuit, mon rêve était différent.

J'ai rêvé de mon ami Muhammad et de mon cousin Shadi, tués par des bombes israéliennes en novembre 2023. Dans mon rêve, ils semblaient lointains, malheureux.

Muhammad était assis sur la route, les yeux baissés, tandis que Shadi se rongeait nerveusement les ongles, comme il avait l'habitude de le faire lorsqu'il était stressé. Puis ils ont disparu.

Je me suis réveillé en pleurant, appelant leurs noms dans la nuit.

Ce rêve était plus pesant que d'habitude, et je n'arrivais pas à me rendormir. Je suis resté éveillé et j'ai pensé à mes amis, et là où ils étaient partis. Était-ce le paradis ? Étaient-ils en paix ? Pourquoi ne pouvais-je pas leur parler ?

Depuis octobre 2023, mon sommeil est hanté.

Les murs de ma chambre, la nuit, sont un écran géant d'images de perte et de désespoir. Dans mon sommeil, la frontière entre réalité et rêve est brouillée, et je vois les êtres chers qu'on m'a enlevés. Parfois, je vois des étrangers.

Je vois le corps d'une fillette accroché à un mur. Je vois le visage brûlé d'un petit garçon.

Mais je vois aussi des images de chaleur dans l'obscurité. Mon cerveau endormi aspire à la normalité et à un retour à ma vie passée. Il m'offre des moments de répit face au massacre généralisé des Palestiniens par Israël.

Dans un de mes rêves, j'ai vu ma mère en train de cuisiner un vendredi matin. Je pouvais percevoir le parfum des épices, et je savais qu'elle cuisinait des mahshi, des légumes farcis. J'entendais même un enregistrement de la sourate al-Kahf, du Coran, diffusé dans les airs.

Lorsque je lui ai dit bonjour, elle m'a demandé de ne pas faire de bruit pendant la prière.

J'ai aussi rêvé de scènes encore plus quotidiennes : mon père réparant un ventilateur cassé, mon frère jouant à l'ordinateur.

Pourquoi mes rêves m'apportent-ils ces scènes de paix et d'autres de destruction et de mort ?

Lorsque je me réveille, c'est comme si tout espoir de paix et de stabilité m'était arraché, et que la seule alternative était de prier.

Quelqu'un m'a dit que je ne devrais pas prier, parce que Dieu laisse les enfants se faire tuer par Israël. Mais je pense que Dieu a un plan pour nous. Je crois que Dieu connaît la raison de tout cela.

Que peuvent bien vouloir dire mes rêves ?

Au royaume étrange de mes rêves, je suis aussi entouré de gens que je connais à peine. Des plats sont là, que je peux attraper et goûter, et de la musique s’échappe du restaurant universitaire. Les gens se plaignent du gâteau au chocolat, qu'ils trouvent mauvais.

J'attends l'arrivée de mon ami Muhammad, mais il tarde à se montrer. Je me sens si seul, même entouré de gens. Les rires francs et chaleureux de mes amis me manquent.

Dans ces rêves, la vie est stressante mais normale. Je vais en cours, comme d'habitude. Je dois résoudre un problème de maths très compliqué.

Je vois un chat et, dans mon rêve, je me souviens que tout va mal pour une raison ou une autre. Je me souviens de notre propre chat, de la façon dont nous avons dû le relâcher pendant notre évacuation, car ils ne voulaient pas nous le laisser au checkpoint.

Je ne sais pas s'il est vivant, j'espère que oui.

Dans le monde éveillé, je me sens engourdi. J'ai envie de m'allonger, et regarder à nouveau mon plafond.

La vie à Gaza est vide et dépourvue de la chaleur et des liens qui rythmaient mes journées. Tout ce qui me reste, ce sont des souvenirs, les lambeaux d'une vie perdue.

* Mahmoud Alyazji est un écrivain, photographe et monteur vidéo basé à Gaza.

https://electronicintifada.net/content/death-stalks-my-dreams/45141