đâđš La mort solitaire d'une femme dĂ©placĂ©e
Je suis sûre qu'elle était si bouleversée qu'elle est morte de chagrin. Morte dans un monde hostile. Elle avait faim, elle avait soif, et sa famille n'était pas prÚs d'elle.
đâđš La mort solitaire d'une femme dĂ©placĂ©e
Par Eman Hillis, le 21 mars 2024
Suhaila était seule dans son appartement lorsqu'Israël a commencé sa guerre génocidaire le 7 octobre.
Elle n'entendait que le bruit des explosions. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était prier pour les victimes assassinées.
Avant de revenir Ă Gaza, il y a quelques annĂ©es, Suhaila avait passĂ© une dizaine d'annĂ©es en Ăgypte.
Elle est revenue parce qu'elle voulait connaĂźtre ses neveux et niĂšces. Elle Ă©tait loin de se douter des horreurs qui l'attendaient.
ĂgĂ©e de 63 ans et en fauteuil roulant, Suhaila vivait dans le quartier de Sheikh Radwan, dans la ville de Gaza. Elle y est restĂ©e aprĂšs qu'IsraĂ«l a ordonnĂ© Ă tous les habitants du nord de la bande de Gaza - y compris ceux de la ville de Gaza - de quitter leur domicile au dĂ©but de la guerre.
La situation à Sheikh Radwan est devenue de plus en plus dangereuse, surtout aprÚs qu'Israël a envoyé des chars dans le secteur. Israël n'a manifesté aucune compassion à l'égard des enfants ni des personnes ùgées.
La flambée de violence s'est rapprochée toujours plus prÚs de l'appartement de Suhaila.
Elle n'entendait plus que les explosions, les sirĂšnes dâambulances et les cris des gens. Les bruits Ă©taient si forts et si intenses qu'elle a cru devenir sourde.
AprĂšs une accalmie, Suhaila a entendu frapper Ă sa porte.
âIl y a quelqu'un ?â, a demandĂ© une voix.
âOuiâ, a-t-elle rĂ©pondu. âJe suis lĂ â.
Sa voix Ă©tait faible, et elle ne pouvait pas parler plus fort.
On a continuĂ© Ă frapper Ă sa porte et Suhaila a rĂ©pĂ©tĂ© âJe suis lĂ â. Elle a rĂ©ussi Ă s'asseoir dans son fauteuil roulant.
Peu de temps aprĂšs, la porte s'est ouverte. Un homme est apparu.
âVous ĂȘtes la seule dans cet appartementâ, a-t-il demandĂ©.
Suhaila a acquiescĂ©. âQui ĂȘtes-vous ?â
L'homme a expliqué qu'il travaillait pour la protection civile. Il lui a dit qu'elle devait sortir rapidement de l'appartement.
Il a ajoutĂ© que tout le quartier Ă©tait sur le point d'ĂȘtre pris pour cible par IsraĂ«l.
Suhaila a été choquée et furieuse d'apprendre cette nouvelle, mais elle a réprimé ses émotions. Elle a demandé à l'agent de la protection civile de l'aider à prendre deux thobes dans son placard.
Elle a ensuite quitté précipitamment son appartement.
Suhaila a été emmenée à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. Elle y a séjourné dans sa famille.
La maison de ses proches n'était pas aménagée pour les personnes en fauteuil roulant.
Suhaila avait besoin d'aide pour aller aux toilettes. Elle dépendait de ses proches pour la nourriture et l'eau.
Agitée
Suhaila n'est pas restée longtemps à Khan Younis.
Peu de temps aprÚs son arrivée, Israël a commencé à bombarder la ville, imposant une évacuation à grande échelle.
Suhaila est partie avec ses proches vers Rafah, plus au sud. Malheureusement, elle a été séparée d'eux dans la cohue généralisée.
Seule dans les rues de Rafah, Suhaila ne savait pas quoi faire ni oĂč aller. Un jeune homme lui est venu en aide et l'a emmenĂ©e dans une mosquĂ©e.
Je m'Ă©tais rĂ©fugiĂ©e dans la mĂȘme mosquĂ©e. C'est lĂ que Suhaila m'a racontĂ© ce qui lui Ă©tait arrivĂ©.
à la mosquée, Suhaila a est devenue de plus en plus agitée.
Une infirmiÚre bénévole, Samah, a remarqué que l'état de santé de Suhaila s'aggravait.
Lorsqu'on lui a proposé de quoi manger, Suhaila a refusé.
En proie à la panique, elle a accusé les autres réfugiés dans la mosquée de vouloir la tuer.
Un jour, aprÚs des heures passées à la persuader, elle a accepté de manger un petit peu. Elle a demandé une pomme et du chocolat.
Mais on n'a trouvé ni l'un ni l'autre. Il y en avait encore sur les marchés, mais ils étaient trop chers pour que les réfugiés puissent se les offrir.
Un matin tÎt, Suhaila a eu un regain d'énergie. Elle a demandé à aller aux toilettes et à se changer.
Mais soudain, elle s'est mise Ă vomir.
Une ambulance est arrivée et a emmené Suhaila.
Suhaila est morte avant d'arriver à l'hÎpital. Il n'y a pas eu de cérémonie.
On a parlĂ© de âcauses naturellesâ pour expliquer la mort de Suhaila.
Ou de son Ăąge.
Ou de sa pathologie.
Mais je suis sûre qu'elle était si bouleversée qu'elle est morte de chagrin.
Morte dans un monde hostile.
Elle avait faim, elle avait soif, et sa famille n'Ă©tait pas prĂšs d'elle.
* Eman Hillis est une Ă©crivaine de Gaza.
Operation Al-Aqsa Flood eiGazaDispatches
https://electronicintifada.net/content/lonely-death-displaced-woman/45291