👁🗨 La normalisation israélo-saoudienne, un mirage dans le désert
Pour l'instant, le concept d'un accord israélo-saoudien relève plus du fantasme que de la réalité - une illusion entretenue par des vœux pieux plutôt que par des réalités politiques.
👁🗨 La normalisation israélo-saoudienne, un mirage dans le désert
Par Stasa Salacanin, le 5 février 2025
Le rapprochement israélo-saoudien est peut-être le fantasme diplomatique de Trump, mais les réalités régionales profondément enracinées, les intérêts fluctuants de l'Asie occidentale et les aspirations nationales palestiniennes en font un mirage insaisissable plutôt qu'un aboutissement imminent.
Le 4 février, à la question de savoir si les Saoudiens exigent la création d'un État palestinien comme condition à la reconnaissance d'Israël, le président américain Donald Trump, assis aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou dans le bureau ovale, a rapidement répondu : “Non, ils ne le font pas”.
Le ministère saoudien des Affaires étrangères n'a pas tardé non plus à réagir, affirmant que sa position sur la création d'un État palestinien demeure “ferme et irrévocable”, soulignant que Riyad ne conclurait aucun accord avec Tel-Aviv dans le cas contraire :
“Son Altesse Royale (le prince héritier Mohammed bin Salman - ou MbS) a insisté sur son intention de poursuivre sans relâche ses efforts pour la création d'un État palestinien indépendant avec Jérusalem-Est comme capitale, et n'établira aucune relation diplomatique avec Israël sans cela”.
La déclaration souligne en outre que la position saoudienne sur ce point est “non négociable et ne fera l'objet d'aucun compromis”.
Malgré l'optimisme débordant de la nouvelle équipe de politique étrangère de M. Trump, l'accord de normalisation israélo-saoudien tant vanté reste un objectif hors de portée, tout comme il l'était pour son prédécesseur, M. Joe Biden. Alors que Washington soutient qu'un tel accord est potentiellement à portée de main, une analyse plus sobre suggère que le chemin vers cet accord est semé d'embûches.
Un coup d'épée dans l'eau
Les accords d'Abraham, négociés sous le premier mandat de M. Trump, ont été salués à Washington comme une percée historique dans la diplomatie de l'Asie occidentale, amenant l'État d'occupation à instaurer des relations officielles avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et le Soudan. Pourtant, l'absence flagrante de l'Arabie saoudite - l'État arabe le plus influent - était la pièce manquante la plus convoitée par les États-Unis et Israël.
Le mandat de M. Biden, au lieu de faire progresser l'initiative de M. Trump, l'a sans doute sapée. Le soutien inconditionnel de son administration à la guerre génocidaire d'Israël à Gaza et à sa campagne militaire brutale au Liban a aliéné de nombreux États arabes et musulmans, diminuant encore la probabilité de nouveaux accords de normalisation.
Entre-temps, la Chine a tiré parti de la perte de crédibilité de Washington, réalisant un coup diplomatique majeur en 2023 en négociant un rapprochement historique entre l'Arabie saoudite et l'Iran - une relation qui, contre toute attente, est demeurée intacte.
Malgré l'évolution des événements sur le terrain, l'administration américaine continue de croire que l'accord entre le plus grand exportateur de pétrole au monde et Israël est toujours réalisable à ses conditions. Mike Waltz, le nouveau conseiller à la Sécurité nationale de l'administration Trump, a déclaré que la conclusion d'un accord de paix entre Riyad et Tel-Aviv serait la “priorité absolue” de la nouvelle administration.
Les Saoudiens sont prudents : un accord, mais à quelles conditions ?
Alors que les Saoudiens ont clairement fixé la limite et l'ont maintenue pendant très longtemps, subordonnant la normalisation avec Israël à la création d'un État palestinien, ni Israël ni la nouvelle administration Trump n'ont manifesté la moindre velléité de tenir compte des intentions saoudiennes.
De nombreux partisans et grands donateurs de Trump, comme Miriam Adelson, ainsi que le gouvernement israélien, non seulement s'opposent à toute forme d'État palestinien, mais parlent ouvertement d'annexer l'ensemble de la Cisjordanie occupée. Par conséquent, on ne sait toujours pas comment Trump entend concilier deux visions et attentes radicalement opposées et approfondir les accords d'Abraham.
Selon Giuseppe Dentice, analyste à l'Observatoire méditerranéen (OSMED) de l'Institut italien d'études politiques “San Pio V”, M. Trump se rabattra probablement sur son ancienne approche, qui a fait ses preuves : il se fondera sur les accords d'Abraham en tant que trame tout en revenant sur des aspects de ce qui est appelé “l'accord du siècle”.
M. Dentice explique à The Cradle que le but ultime de ces manœuvres est d'écarter complètement la cause palestinienne, en la reléguant à la périphérie des agendas régionaux et mondiaux.
En outre, nombreux sont ceux qui pensent que l'administration Trump lancera une croisade contre l'“intifada mondiale” et ceux qui osent critiquer Israël ou insister sur l'urgence de poursuivre les crimes de guerre israéliens.
Cette approche, affirme M. Dentice, contraint essentiellement à une seule option dans les négociations : À prendre ou à laisser.
“L'approche agressive de Trump à l'égard de Riyad pourrait se retourner contre les États-Unis et leurs intérêts au Moyen-Orient (Asie occidentale), surtout si le royaume des Al-Saoud continue de rejeter ces conditions, risquant de s'aligner plus étroitement sur les agendas d'autres acteurs internationaux (tels que la Chine ou la Russie, ne serait-ce qu'en termes stratégiques ou instrumentaux)”.
Investissements saoudiens aux États-Unis : Gagner du temps ou de l'influence ?
Certains observateurs estiment que l'annonce récente de l'Arabie saoudite selon laquelle Riyad prévoit d'investir 600 milliards de dollars aux États-Unis au cours des quatre prochaines années pourrait être considérée comme un pot-de-vin offert à Trump en échange d'un relâchement de son zèle concernant l'accord de normalisation israélo-saoudien et d'autres questions géopolitiques.
Même s'il est vrai que convaincre les Saoudiens ne sera pas chose aisée, M. Dentice ne pense pas que cet investissement considérable puisse détourner ou dissuader le nouveau gouvernement d'atteindre ses objectifs.
Il estime qu'au-delà de la question des accords de normalisation avec Israël, Riyad souhaite renforcer son rapprochement et sa coopération avec Washington, en particulier avec ce gouvernement. Il n'en reste pas moins vrai que des personnages clés associés à cette administration, comme Jared Kushner, le gendre de Trump, pourraient saper les processus et les intentions saoudiennes par le biais de leurs propres relations d'affaires.
Pour le Dr Paul Rogers, professeur émérite d'études sur la paix au département des études sur la paix et des relations internationales du College of Bradford, le président Trump est bien trop imprévisible pour que quiconque puisse se prononcer sur les chances d'un accord avec l'Arabie saoudite, mais ses récents commentaires sur le choix d'expulser les Palestiniens de Gaza indiquent un lien très étroit avec les factions politiques israéliennes d'extrême-droite.
Le Dr Rogers déclare à The Cradle qu'il soupçonne “les Saoudiens de rester à l'écart de toute forme d'accord, quelle que soit leur offre”.
Pour l’opinion publique arabe, ce sera dur à vendre
Au-delà des calculs géopolitiques, l'opinion publique du monde arabe reste un obstacle majeur à la normalisation. Le rejet de la création d'un État palestinien, conjugué à une offensive agressive en faveur des relations israélo-saoudiennes, est largement perçu comme une tentative d'effacer complètement la cause palestinienne - un programme qui manque de légitimité pour les populations arabes et musulmanes.
En outre, de nombreux observateurs estiment que les crimes de guerre d'Israël et le génocide à Gaza ont considérablement compliqué la tâche du prince héritier saoudien Mohammed bin Salman (MbS) et l'ont mis dans l'embarras lorsqu'il s'est agi de poursuivre les pourparlers de paix.
Mais les opinions de l'Asie occidentale contre la normalisation sont antérieures même à la guerre brutale de 15 mois. Selon le Arab Opinion Index de 2022, par exemple, 84 % en moyenne des citoyens de 14 pays ont rejeté les relations diplomatiques avec Israël. Ces chiffres montrent que les responsables arabes de l'application des accords d'Abraham n'ont finalement pas réussi à atteindre ou à influencer l'opinion publique arabe dans son ensemble.
La guerre à Gaza n'a fait que souder les opinions anti-israéliennes en Arabie saoudite, et un accord de normalisation inconditionnel avec Israël ne ferait qu'accroître le risque de déstabilisation du prince héritier dans le royaume et à l'étranger. Ce serait également une humiliation pour MbS, qui a publiquement condamné les actions d'Israël à Gaza, les qualifiant de “génocide”.
Le mirage dans le désert
La création d'un État palestinien est loin d'être une affaire entendue, même si les autorités israéliennes soutenaient l'initiative, ce que l'actuel gouvernement rejette catégoriquement.
Les aspirations nationales palestiniennes peuvent s'essouffler en raison de divisions internes, de l'absence d'un leadership organisé capable de relever les défis actuels et futurs, et du soutien vacillant des sponsors arabes traditionnels - notamment avec la chute de la Syrie après l'éviction de l'ancien président Bachar al-Assad par des extrémistes liés à Al-Qaida - Hayat Tahrir al-Sham (HTS) - qui composent aujourd'hui le nouveau gouvernement.
Malgré toutes les spéculations autour d'un accord israélo-saoudien, le fait est qu'aucune des propositions de création d'un État palestinien n'a progressé de manière significative au cours des trois dernières décennies. Les initiatives unilatérales ad hoc ont donc progressivement pris le devant de la scène, avec souvent des conséquences désastreuses.
Dans ce contexte, l'initiative en faveur d'un accord israélo-saoudien évoque moins une percée diplomatique qu'un mirage imaginé par Washington et Tel-Aviv.
M. Dentice estime que dans un tel climat, et avec la perspective d'un éventuel accord israélo-saoudien, les Palestiniens perdront encore davantage de leur pertinence politique dans les temps à venir. Ce qui permettra aux groupes radicaux armés de gagner du terrain et d'exacerber les tensions dans les rues palestiniennes et arabes.
Les tactiques agressives de M. Trump arrivent peut-être à maîtriser certains dirigeants, mais il est peu probable que cela modifie des mentalités régionales profondément enracinées. Au contraire, la conclusion d'un accord sans concessions majeures en faveur des Palestiniens pourrait exacerber les tensions, et plonger la région dans une instabilité grandissante.
Pour l'instant, le concept d'un accord israélo-saoudien relève plus du fantasme que de la réalité - une illusion entretenue par des vœux pieux plutôt que par des réalités politiques.
https://thecradle.co/articles/the-saudi-israeli-normalization-delusion