đâđš La Palestine, catalyseur d'une renaissance islamique ?
On ne peut compter sur les pays arabes corrompus pour stopper le gĂ©nocide Ă Gaza. Les extrĂ©mistes talmudiques dâIsraĂ«l ne s'engageront pas dans la diplomatie, si ce n'est par la pression militaire.
đâđš La Palestine, catalyseur d'une renaissance islamique ?
Par Pepe Escobar, le 11 octobre 2024
ISTANBUL - Parmi toutes les innombrables analyses effectuĂ©es en terre d'Islam sur la signification profonde du fatidique âAl-Toofanâ (Al-Aqsa Flood) le 7 octobre 2023, l'une d'entre elles sort du lot : un cycle de confĂ©rences Ă Istanbul en dĂ©but de semaine, incluant le 7 octobre, intitulĂ© âPalestine : le pivot de la renaissance civilisationnelleâ, liĂ© au Forum de Kuala Lumpur pour la PensĂ©e et la Civilisation.
Il s'agit d'un partenariat entre la Malaisie et la Turquie : l'Asie du Sud-Est rencontre l'Asie de l'Ouest, une illustration graphique du monde multi-nodal qui se réunira dans moins de deux semaines à Kazan, capitale de la Russie musulmane, pour le sommet tant attendu des BRICS sous la présidence russe. Il est révélateur que le rÎle central de Gaza n'ait pas été débattu à Doha, Riyad ou Abou Dhabi, qui disposent tous de fonds illimités pour accueillir de telles discussions.
Istanbul a Ă©tĂ© une occasion unique de comparer les points de vue d'Osama Hamdan, reprĂ©sentant l'ensemble de la RĂ©sistance palestinienne, de Numan Kurtulmus, prĂ©sident du Parlement turc, et de Khaled Meshaal, haut diplomate du Hamas, s'exprimant depuis Doha sur la âvictoire stratĂ©giqueâ de la RĂ©sistance. Ă tout cela s'ajoute un message fort du Dr Mahathir Mohammad, ancien Premier ministre malaisien et prĂ©sident du Forum de Kuala Lumpur.
M. Mahathir a soulignĂ© qu'une bonne solution serait âune force de maintien de la paix de l'ONU Ă Gaza pour les protĂ©gerâ. Le principal problĂšme est que l'Oumma [communautĂ© des musulmans] ân'a pas d'alternative au droit de veto de l'ONUâ.
C'est pourquoi âles pays musulmans doivent s'unir, car il n'y a pas d'autres moyens de pression sur IsraĂ«lâ.
Pour illustrer l'appel de M. Mahathir, les nations à majorité musulmane ne représentent que 6 % du PIB mondial et 6 % des investissements, alors qu'elles abritent 25 % de la population mondiale.
M. Mahathir a audacieusement proposé de
ârefuser notre pĂ©trole au reste du mondeâ et de âreprendre les fonds investis dans les obligations en dollars, forçant ainsi l'Occident Ă prendre des mesuresâ Ă Gaza.
à présent, essayez de convaincre MbS à Riyad et MbZ à Abu Dhabi.
âConcentrez-vous sur les organisations populaires. Oubliez les gouvernementsâ
Le trĂšs respectable Sami al-Arian, Palestinien nĂ© au KoweĂŻt, directeur du Centre pour l'islam et les affaires mondiales (CIGA) Ă l'universitĂ© Sabahattin Zaim d'Istanbul, dont l'Ă©tonnante histoire de vie inclut la persĂ©cution et l'isolement aux Ătats-Unis en tant que âterroriste prĂ©sumĂ©â, a rĂ©sumĂ© l'impuissance des Ă©lites politiques arabes vis-Ă -vis de la Palestine : aprĂšs tout, le monde arabe âest le maillon le plus faible sur le plan mondialâ - avec 63 bases militaires uniquement en Asie de l'Ouest contrĂŽlĂ©es par le CENTCOM. Et pourtant, âquelle autre cause peut galvaniser le monde entier en dehors de la Palestine ?â.
M. Al-Arian a soulignĂ© qu'âAl-Aqsa Floodâ âa exposĂ© le monde arabeâ, car la destruction de la Palestine a Ă©tĂ© âimposĂ©e pour faire d'IsraĂ«l l'hĂ©gĂ©mon rĂ©gionalâ.
Subsiste cependant une lueur d'espoir :
âRegardez tous ces Ă©lĂ©ments qui nous divisent. Nous devrions nous concentrer sur les organisations populaires. Oublions les gouvernements.â
M. Al-Arian, qui vit et travaille à Istanbul, a abordé de front l'un des principaux thÚmes de la conférence : la relation complexe entre la Turquie et l'Occident :
âLa Turquie est liĂ©e Ă l'Occident, pour l'essentiel. Les Palestiniens ne bĂ©nĂ©ficient pas d'un soutien Ă 100 %. Nombre d'entre eux sont encore victimes de concepts orientalistesâ.
Il a également évoqué la façon dont 35 futures nations ont vécu en paix à l'intérieur des frontiÚres de l'Empire ottoman, qui s'étendait sur 35 millions de kilomÚtres carrés.
En Palestine, Al-Arian voit trois scénarios possibles :
le maintien des âillusions de Netanyahuâ. Rien ne prouve que les Ătats-Unis s'opposent Ă ces dĂ©lires. Il n'y a âaucune dissuasion en dehors de l'Axe de la rĂ©sistanceâ.
Il est difficile de nier ces illusions car âIsraĂ«l a les rĂ©gimes [arabes] de son cĂŽtĂ©. Pourtant, IsraĂ«l doit ĂȘtre engagĂ© sur tous les frontsâ. La Palestine âest le symbole de tout ce qui est justeâ, et âpas uniquement un symbole pour les Palestiniensâ. Il est impĂ©ratif de âdĂ©manteler la structure sioniste, et la Palestine ne peut le faire seuleâ.
Le troisiĂšme scĂ©nario n'est plus si farfelu, compte tenu de l'imminence des Ă©lections prĂ©sidentielles amĂ©ricaines : âLes Ătats-Unis pourraient opter pour la destitution de Netanyahuâ, Ă savoir les DĂ©mocrates terrifiĂ©s Ă l'idĂ©e de perdre Ă cause de l'engrenage de la guerre du cabinet Netanyahu.
LâĂtat de JudĂ©e hors de contrĂŽle
Plusieurs échanges avec des universitaires et des chercheurs égyptiens, soudanais, pakistanais, malaisiens, mauritaniens et bosniaques ont permis de dégager un certain consensus.
Quand IsraĂ«l considĂšre les autres comme âAmaleksâ ou ĂȘtres infĂ©rieurs, les limites sont absolues.
Si Israël s'effondre, ce sera une bonne chose pour tous les habitants de l'Asie occidentale : plus besoin de diviser pour régner.
Et puis il y a les divisions internes d'IsraĂ«l. L'historien israĂ©lien Ilan PappĂ©, Ă©tabli au Royaume-Uni et auteur de l'ouvrage phare âLe nettoyage ethnique de la Palestineâ, a proposĂ© une analyse concise et surprenante du conflit entre l'Ătat de JudĂ©e et l'Ătat d'IsraĂ«l, les Palestiniens Ă©tant considĂ©rĂ©s comme un obstacle Ă une coalition messianique nĂ©o-sioniste poussant Ă l'extrĂȘme l'idĂ©ologie coloniale des colons.
M. PappĂ© soutient que ce qui ressort du succĂšs de l'Ătat de JudĂ©e aux Ă©lections de novembre 2022, puisqu'ils se sont alignĂ©s sur Netanyahu, a brisĂ© le mythe d'IsraĂ«l en tant qu'âoccupants progressistesâ et purificateurs ethniques âlibĂ©rauxâ. Il est impossible de concilier tout cela avec un gĂ©nocide.
M. Pappé a souligné à quel point
âils veulent mettre en Ćuvre leur idĂ©e sans tarder, Ă©liminant tout simulacre de lĂ©galitĂ©â, y compris la crĂ©ation d'un ânouveau ministĂšre pour la Cisjordanie afin d'intensifier la purification ethniqueâ.
Et cela ne peut qu'empirer. Le ministre des finances Bezalel Smotrich, un fou dangereux, a déclaré sur la chaßne franco-allemande ARTE :
âJe veux un Ătat juif qui englobe la Jordanie, le Liban et des parties de l'Ăgypte, de la Syrie, de l'Irak et de l'Arabie saoudite. Selon nos plus grands sages, JĂ©rusalem est destinĂ©e Ă s'Ă©tendre jusqu'Ă Damasâ.
En fin de compte, ajoute M. Pappé, dans la société israélienne d'aprÚs al-Aqsa,
âl'Ătat de JudĂ©e prend le dessus - l'armĂ©e, les services de sĂ©curitĂ©, la policeâ. Leur base Ă©lectorale soutient une guerre rĂ©gionale. M. PappĂ© est catĂ©gorique :
âL'Ătat d'IsraĂ«l a dĂ©jĂ disparu. Et l'Ătat de JudĂ©e est un Ătat suicidaire. Plus de 500 000 IsraĂ©liens sont dĂ©jĂ partis, et ils pourraient bien ĂȘtre 700 000. Le gĂ©nocide et le nettoyage ethnique sont dĂ©sormais des faits Ă©tablis.â
Le âmanque de cohĂ©sion socialeâ dans une âsociĂ©tĂ© profondĂ©ment divisĂ©eâ mĂšne finalement Ă la âdĂ©sintĂ©gration destructriceâ d'IsraĂ«l.
Atrocity Inc.
Le professeur Mohammad Marandi, de l'université de Téhéran, dans son intervention à la conférence et dans plusieurs conversations privées, a offert une synthÚse essentielle de tout ce qui se joue entre la Palestine, le Liban et l'Iran. Voici, sans doute, ses principales réflexions.
Sur la résistance et la responsabilité personnelle :
âDans un sens, les plus grands hĂ©ros sont les Libanais, qui se mettent volontairement en danger. Ensuite, nous avons bien sĂ»r Ansarallah au YĂ©men, qui a fermĂ© les portes du commerce au rĂ©gime israĂ©lien, et ce Ă un prix Ă©norme. Le YĂ©men, le Hezbollah se sont vus offrir des contreparties extraordinaires par les AmĂ©ricains, mais ils ont refusĂ© (...) Le rĂ©gime israĂ©lien bombarde en mĂȘme temps la Syrie, rĂ©guliĂšrement, parce que celle-ci soutient la RĂ©sistance. Est-il capable de faire tout cela tout seul ? Bien sĂ»r que non. Il a le soutien de l'Occident collectif. Qu'il s'agisse de collecte de renseignements, d'aide technologique, de couverture politique, et d'armes. Sans l'Occident, le rĂ©gime israĂ©lien disparaĂźtrait. J'ai encouragĂ© les gens, Ă titre individuel, Ă cesser d'acheter des biens produits dans les pays occidentaux. En tant qu'individus, nous avons aussi une responsabilitĂ©.â
Sur la patience stratégique de l'Iran :
âNous attendons Ă TĂ©hĂ©ran que le rĂ©gime israĂ©lien frappe. Et l'Iran ripostera plus durement. Lorsque le rĂ©gime a bombardĂ© le consulat iranien Ă Damas, nous savions que sans la Syrie, le soutien au Hamas, au Jihad islamique et au Hezbollah serait trĂšs difficile. Et les consĂ©quences du 7 octobre seraient bien plus graves que ce que nous voyons aujourd'hui. AprĂšs le bombardement de Damas, l'Iran a ripostĂ©. Certains ont dit que c'Ă©tait insuffisant. Or, nous savons tous que l'objectif des Iraniens Ă©tait de recueillir des renseignements sur les capacitĂ©s de dĂ©fense antiaĂ©rienne et antimissile. Nous en avons dĂ©jĂ vu le rĂ©sultat la semaine derniĂšre. Si les autoritĂ©s israĂ©liennes frappent TĂ©hĂ©ran, elles risquent d'assister Ă quelque chose de bien pire. Je suis optimiste quant Ă l'avenir, mĂȘme si les jours et les mois Ă venir risquent d'ĂȘtre Ă©prouvantsâ.
Sur l'assassinat de Sayyed Nasrallah :
âJe me suis rendu au Liban dĂšs le dĂ©but des bombardements âchoc et stupeurâ. Et j'Ă©tais lĂ avant que Hassan Nasrallah, le grand martyr de la RĂ©sistance, ne soit assassinĂ©. J'Ă©tais littĂ©ralement Ă quelques centaines de mĂštres d'eux lorsqu'ils ont frappĂ©. Ils ont tuĂ© des centaines de personnes et fait s'Ă©crouler six immeubles d'habitation pour assassiner Sayyed Hassan. VoilĂ ce que le rĂ©gime israĂ©lien est prĂȘt Ă faire. Il est brutal, il est illĂ©gitime et nous ne pouvons pas traiter avec un rĂ©gime illĂ©gitime. Les mĂ©dias occidentaux racontent une histoire peu crĂ©dible et malhonnĂȘteâ.
Plusieurs des thĂšmes brĂ»lants abordĂ©s lors de la confĂ©rence ont Ă©tĂ© traitĂ©s au Centre pour l'islam et les affaires mondiales (CIGA) de l'universitĂ© de Zaim, oĂč Max Blumenthal, de The Grayzone, a prĂ©sentĂ© son nouveau documentaire intitulĂ©
âAtrocity Inc : How Israel Sells the Destruction of Gazaâ : un long reportage qui Ă©viscĂšre le principal rĂ©cit israĂ©lo-amĂ©ricain de l'aprĂšs-7 octobre, le canular des âbĂ©bĂ©s dĂ©capitĂ©sâ, essentiel pour obtenir le consentement de l'Occident au gĂ©nocide de Gaza.
Le cycle de conférences d'Istanbul a permis d'éclaircir un certain nombre de points. On ne peut compter sur les régimes arabes corrompus - le maillon faible - pour faire cesser le génocide de Gaza, qui s'étend maintenant à des bombardements massifs sur le Liban. Il est impossible d'obtenir des extrémistes psychopathologiques talmudiques de Tel-Aviv qu'ils s'engagent dans la voie de la diplomatie, si ce n'est par la force militaire.
Cependant, il est possible qu'une vague de fond de l'opinion publique à travers la Majorité Mondiale incite à imposer des contraintes sévÚres et concrÚtes à Atrocity Inc. - par exemple, une asphyxie économique - et contribue ainsi à façonner l'avÚnement d'une Palestine souveraine comme axe viable de la renaissance civilisationnelle de l'Islam.