đâđš âLa parole avant toutâ
"Nous ne pouvons pas compter sur ceux qui sont rĂ©duits au silence pour nous raconter leur souffrance" â Hanan Ashrawi
đâđš âLa parole avant toutâ
Un reportage en Suisse par Cara Marianna, le 26 avril 2024
"Nous humanisons ce qui se passe dans le monde en nous en parlant, et dans ce parler, nous apprenons Ă ĂȘtre humain" â Hannah Arendt
"Nous ne pouvons pas compter sur ceux qui sont rĂ©duits au silence pour nous raconter leur souffrance" â Hanan Ashrawi
J'Ă©cris depuis le New Imperial Hotel, porte de Jaffa, vieille ville de JĂ©rusalem, oĂč je commence Ă travailler sur âPalestinian Voicesâ, le projet de recherche et de publication que j'ai passĂ© de nombreuses semaines Ă prĂ©parer. Dans quelques jours, j'irai en Cisjordanie.
Je suis arrivĂ© de Suisse, oĂč j'ai prĂ©sentĂ© un travail sur l'influence corruptrice du lobby israĂ©lien aux Ătats-Unis. J'ai pu y rencontrer Sumaya Fahart-Naser, militante palestinienne de longue date pour la paix, Ă l'issue de sa confĂ©rence. Fahart-Naser l'a prĂ©sentĂ©e en allemand. La traduction simultanĂ©e en anglais Ă©tait parfois un peu approximative, et des dĂ©tails et des nuances m'ont certainement Ă©chappĂ©.
J'ai écrit ce qui suit avant mon départ pour Israël-Palestine.
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Le matin du 13 avril, j'ai rejoint un petit groupe de personnes rassemblées à Sirnach, un village situé à 50 km au nord est de Zurich, pour écouter le Dr Sumaya Fahart-Naser, militante palestinienne pour la paix, parler de la situation en Palestine, qui ne cesse de s'aggraver et de se révéler de plus en plus dangereuse.
DerriĂšre les fenĂȘtres, sous un chaud soleil de printemps, des poiriers en fleurs d'un blanc Ă©blouissant parsemaient des pĂąturages verdoyants. Le contraste entre ce que je voyais par la fenĂȘtre et ce que j'entendais du haut de l'estrade n'aurait pu ĂȘtre plus saisissant. S'exprimant en allemand, Mme Fahart-Naser a confirmĂ© certains des pires faits rapportĂ©s par les journalistes de Gaza.
De 1997 à 2001, Mme Fahart-Naser a été directrice du Jerusalem Center for Women, une organisation féministe qui promeut des projets éducatifs et d'autonomisation pour les femmes palestiniennes. Le Centre a travaillé sur des initiatives de paix avec Bat Shalom, un groupe de femmes israéliennes également situé à Jérusalem, par l'intermédiaire d'un organisme de coordination appelé The Jerusalem Link. Fahart-Naser a écrit de maniÚre poignante et franche sur leurs actions, leurs espoirs et leurs échecs dans son livre, Daughter of the Olive Trees (Lenos Velag, 2014).
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Parmi les nombreuses violations des droits de l'homme dont Fahart-Naser a fait Ă©tat dans son exposĂ©, la pire est de loin celle dĂ©crite par l'une de ses filles qui se rend quotidiennement Ă Gaza avec une organisation humanitaire allemande. Cette fille, dont l'identitĂ© n'a pas Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e, a racontĂ© qu'un camion Ă©tait revenu rempli d'hommes palestiniens retenus en captivitĂ© et torturĂ©s. Leurs bras et leurs jambes avaient Ă©tĂ© intentionnellement brisĂ©s. Les dommages causĂ©s par ce type de torture - frĂ©quente, selon Fahart-Naser - sont graves et peuvent nĂ©cessiter une amputation lorsque les chairs ont commencĂ© Ă se nĂ©croser. Fahart-Naser a parlĂ© d'un mĂ©decin qui a avouĂ© ĂȘtre physiquement et Ă©motionnellement dĂ©passĂ© par le nombre d'amputations qu'il Ă©tait contraint de pratiquer.
Ce sont lĂ quelques-unes des innombrables rĂ©alitĂ©s qui ne sont pas rapportĂ©es dans les grands mĂ©dias amĂ©ricains, oĂč le parti pris pro-israĂ©lien prĂ©vaut encore et toujours. Cette situation perdurera tant que les vies et les droits des Palestiniens ne seront pas reconnus et que le lobby israĂ©lien aux Ătats-Unis, au premier rang duquel l'AIPAC, n'aura pas reculĂ©.
Mme Fahart-Naser a citĂ© d'autres exemples flagrants de brutalitĂ© Ă Gaza et en Cisjordanie, oĂč la violence des colons s'intensifie. Plus de 466 Palestiniens ont Ă©tĂ© tuĂ©s en Cisjordanie par les forces israĂ©liennes et les colons depuis le 7 octobre.
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La violence du nettoyage ethnique et du génocide s'exerce lorsqu'un peuple est systématiquement déshumanisé, réduit au silence et oblitéré. C'est à cela - le mal de la déshumanisation - qu'il faut résister. C'est pour cette raison que je me rendrai prochainement en Cisjordanie.
Le message de Fahart-Naser Ă©tait principalement axĂ© sur l'importance de la parole elle-mĂȘme. La parole et l'urgence de la parole :
âNous devons parler pour restaurer notre humanitĂ©. Si nous ne sommes pas autorisĂ©s Ă parler, le mal est normalisĂ©â.
Au moment oĂč nous avons le plus besoin d'entendre les voix palestiniennes et pro-palestiniennes, elles sont rĂ©duites au silence. Les Palestiniens et ceux qui soutiennent les droits des Palestiniens sont dĂ©sormais censurĂ©s aux Ătats-Unis et en Europe. Des confĂ©rences, des Ă©vĂ©nements et des manifestations sont interdits. Des personnes sont menacĂ©es d'arrestation et d'expulsion. Des manifestations pro-palestiniennes ont Ă©clatĂ© sur les campus amĂ©ricains et des Ă©tudiants, accusĂ©s d'antisĂ©mitisme et d'incitation Ă la haine, sont arrĂȘtĂ©s et exclus. En IsraĂ«l, la situation est bien pire. Toute expression de protestation ou de rĂ©sistance se heurte Ă une violence extrĂȘme, Ă l'emprisonnement ou Ă la mort.
Fahart-Naser vit en Cisjordanie, Ă seulement 45 km de l'aĂ©roport Ben Gurion. Mais il lui a fallu prĂšs de cinq heures pour s'y rendre le jour oĂč, la premiĂšre semaine d'avril, elle s'est envolĂ©e pour l'Allemagne afin d'y donner une sĂ©rie de confĂ©rences. Elle a Ă©tĂ© refoulĂ©e Ă de nombreux barrages et a finalement dĂ» soudoyer un chauffeur de taxi pour qu'il l'introduise clandestinement en IsraĂ«l. Elle a ensuite Ă©tĂ© retenue Ă l'aĂ©roport et n'a pas Ă©tĂ© autorisĂ©e Ă embarquer sur le vol prĂ©vu.
âJ'ai Ă©tĂ© invitĂ©e Ă prendre la parole par les grands mĂ©dias, et si je ne peux pas venir, ce sera une honte pour IsraĂ«lâ, a-t-elle dĂ©clarĂ© aux autoritĂ©s de l'aĂ©roport. Celles-ci ont fini par l'autoriser Ă embarquer.
Pour les Palestiniens vivant sous occupation militaire, la libertĂ© de mouvement n'existe pas. Parce que le gouvernement ne veut pas que quiconque soit tĂ©moin de ce qui se passe en Cisjordanie ou en rende compte, IsraĂ«l bloque rĂ©guliĂšrement l'entrĂ©e en Palestine. Pour la mĂȘme raison, IsraĂ«l refuse de plus en plus d'autoriser les Palestiniens Ă quitter le territoire. Invoquant des raisons de sĂ©curitĂ©, l'armĂ©e israĂ©lienne applique une forme extrĂȘme de sĂ©grĂ©gation raciste, une politique au cĆur de l'occupation militaire actuelle du territoire palestinien.
Aux Ătats-Unis et en Europe, les Palestiniens et ceux qui soutiennent leurs droits sont confrontĂ©s Ă une censure croissante. Lorsque Fahart-Naser est arrivĂ©e en Allemagne, quelques jours avant sa confĂ©rence Ă Sirnach, elle a appris que trois des organisations qui l'avaient invitĂ©e Ă s'exprimer avaient annulĂ© ses interventions. Toutes l'avaient dĂ©jĂ accueillie auparavant et toutes craignaient d'ĂȘtre accusĂ©es d'antisĂ©mitisme. En Allemagne, les accusations d'antisĂ©mitisme peuvent donner lieu Ă des poursuites judiciaires pour incitation Ă la haine, un dĂ©lit passible d'une peine pouvant aller jusqu'Ă cinq ans de prison.
La veille de l'intervention de Fahart-Naser en Suisse, la police allemande a interdit une confĂ©rence pro-palestinienne Ă Berlin. Alors que la confĂ©rence devait durer trois jours, la police a pris la salle d'assaut au moment oĂč le premier intervenant, le Dr Salman Abu-Sitta, commençait Ă s'exprimer par vidĂ©oconfĂ©rence. Une minute aprĂšs le dĂ©but de son intervention, la police a coupĂ© l'Ă©lectricitĂ© et mis fin Ă la confĂ©rence. (Le discours d'Abu-Sitta peut ĂȘtre lu ici, sur le site de la Palestine Land Society).
Trois des participants prĂ©vus Ă la confĂ©rence ont Ă©tĂ© interdits d'entrer en Allemagne ou mĂȘme de s'adresser au public allemand par liaison vidĂ©o. Il s'agit de Yanis Varoufakis, l'ancien ministre grec des finances, aujourd'hui secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du parti politique paneuropĂ©en Democracy in Europe Movement 2025 (DiEM25), du chercheur palestinien Salman Abu-Sitta et de son neveu, le chirurgien britannico-palestinien Ghassan Abu-Sitta, qui a rĂ©cemment Ă©tĂ© nommĂ© recteur de l'universitĂ© de Glasgow.
Ghassan Abu-Sitta a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© Ă l'aĂ©roport de Berlin, interrogĂ© pendant plus de trois heures, puis expulsĂ© du pays.
Voici ce que Ghassan Abu-Sitta a dit de l'incident dans une vidéo que M. Varoufakis a publiée sur X :
Au bout de trois heures et demie, on m'a dit que je ne serai pas autorisé à pénétrer sur le sol allemand et que cette interdiction durera tout le mois d'avril. Et ce n'est pas tout.
Que si j'essayais de me connecter par Zoom ou FaceTime Ă la confĂ©rence, mĂȘme si je me trouvais hors d'Allemagne, ou si j'envoyais une vidĂ©o de ma confĂ©rence Ă la confĂ©rence de Berlin, cela constituerait une infraction Ă la loi allemande et que je m'exposerais Ă une amende ou mĂȘme Ă une annĂ©e de prison.
à la fin, on m'a demandé de réserver un vol pour rentrer au Royaume-Uni. On m'a confisqué mon passeport et je ne l'ai récupéré qu'au moment de monter dans l'avion.
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Il y a seulement deux semaines, j'ai cru devoir reporter mon voyage lorsque l'Iran a ripostĂ© au bombardement sans prĂ©cĂ©dent de son ambassade en Syrie par IsraĂ«l. Mais la rĂ©ponse mesurĂ©e de l'Iran, essentiellement par la performance, a jusqu'Ă prĂ©sent rĂ©ussi Ă calmer une situation extrĂȘmement dangereuse, Ă©vitant probablement une guerre rĂ©gionale. Nous devons tous ĂȘtre reconnaissants Ă l'Iran pour son inlassable patience.
Pour une fois, IsraĂ«l semble avoir fait preuve de la mĂȘme retenue. Jeudi dernier, il a lancĂ© de nouvelles attaques contre l'Iran, qui semblent avoir Ă©tĂ© mineures et dont l'Iran a prĂ©tendu qu'elles n'avaient pas eu lieu. Nous ne pouvons qu'espĂ©rer que les dirigeants de Washington maintiendront fermement leur refus d'ĂȘtre entraĂźnĂ©s dans une guerre avec l'Iran.
Continuons tous à veiller, à prier pour ceux qui le souhaitent et à nous exprimer chaque fois que l'occasion se présente.
Maintenant que je suis en IsraĂ«l-Palestine, mes rapports sur le Winter Wheat et The Floutist risquent d'ĂȘtre rares jusqu'Ă mon retour aux Ătats-Unis. Tout dĂ©pendra de divers facteurs inconnus pour l'instant. En attendant, je vous remercie de votre soutien.
Note : Le discours interdit de Yanis Varoufakis est disponible ici.