👁🗨 La patience stratégique de la Russie et de la Chine va-t-elle éteindre l'incendie en Asie occidentale ?
Netanyahou, tel la réplique de l'acteur en t-shirt de Kiev, est un vrai cadeau géopolitique - détournant le blâme de l'Hégémon pour un génocide diffusé en direct sur tous les smartphones de la planète
👁🗨 La patience stratégique de la Russie et de la Chine va-t-elle éteindre l'incendie en Asie occidentale ?
Par Pepe Escobar, le 21 novembre 2023
Netanyahou, tel la réplique de l'acteur en t-shirt de Kiev, est un vrai cadeau géopolitique - détournant le blâme de l'Hégémon pour un génocide diffusé en direct sur tous les smartphones de la planète.
Il était une fois, au bord du Don, dans les steppes méridionales de ce que l'on appelle aujourd'hui l’Ukraine, un Grand Roi de Perse, le puissant Darius, à la tête de la plus puissante armée jamais rassemblée sur terre, qui reçut un message déconcertant d'un ennemi qu'il poursuivait : le chef nomade Idanthyrsus, roi des Scythes.
Un envoyé scythe arrive au camp perse avec un oiseau, une souris, une grenouille et cinq flèches.
Puis il s'en alla précipitamment.
Le rusé Darius interpréta le message comme une volonté des Scythes de se soumettre aux Perses.
Pas si vite. C'est au conseiller principal en politique étrangère de Darius, Gobryas, également son beau-frère, qu'il échut de déchiffrer le code :
“Si vous, les Perses, ne vous transformez pas en oiseau et ne vous envolez pas dans les airs, en souris et ne vous enfoncez pas dans le sol, en grenouille et ne sautez pas dans les mares, vous ne rentrerez jamais chez vous, mais resterez ici, dans ce pays, pour être abattus par les flèches des Scythes”.
Apparemment, ce récit tiré des tréfonds des routes de la soie prouve le cauchemar stratégique que représente la guerre contre les insaisissables archers nomades à cheval dans les steppes eurasiennes.
Mais il pourrait aussi s'agir d'un récit sur l’offensive contre des guérilleros urbains invisibles en sandales et armés de lance-roquettes cachés dans les décombres à Gaza, ces mini-escouades éclair émergeant de tunnels pour frapper et brûler des chars Merkava avant de se volatiliser sous terre.
L'histoire nous apprend également que Darius n'a pas réussi à affronter les nomades scythes. C'est pourquoi, à l'automne 512 avant J.-C., il a eu recours à un stratagème pré-américain en Afghanistan, 2 500 ans avant les faits : il s’est déclaré victoirieux, et s'en est allé.
Le porte-avions américain
Tous ceux qui connaissent l'Asie occidentale - des généraux américains aux épiciers de la rue arabe - savent qu'Israël est un porte-avions terrestre dont la mission est de maintenir l'Asie occidentale sous contrôle pour le compte de l'hégémon.
Bien sûr, dans un environnement géopolitique où l’homme est un loup pour l’homme, il est facile de se méprendre sur toutes les manigances du loup. Ce qui est certain, c'est que pour les cercles hégémoniques de l'État profond américain, et certainement pour la Maison Blanche et le Pentagone, ce qui compte dans la conjoncture incandescente actuelle, c'est le gouvernement Netanyahou uber-extrême/génocidaire dirigé par le Likoud en Israël, et non pas Israël en tant que tel.
Ce qui place Netanyahou comme l'exacte réplique de l'acteur en sweat-shirt assiégé à Kiev. C'est un véritable cadeau géopolitique - détournant le blâme de l'Hégémon pour un génocide diffusé en direct sur tous les smartphones de la planète.
Et l’ensemble sous un vernis de légalité - comme dans le cas de la Maison Blanche et du Département d'État qui “conseillent” à Tel-Aviv d'agir avec modération : oui, vous pouvez bombarder des hôpitaux, des écoles, des travailleurs médicaux, des journalistes, des milliers de femmes, des milliers d'enfants, mais s'il vous plaît, soyez raisonnables.
Pendant ce temps, l'Hégémon a déployé une armada en Méditerranée orientale, avec deux très coûteuses baignoires de fer, des groupes de porte-avions regrettables et un sous-marin nucléaire à proximité du golfe Persique. Ce n'est pas tant pour surveiller les guérillas dans les tunnels souterrains que pour “protéger” Israël.
Les cibles ultimes - des néoconservaterurs et des zio-conservateurs - sont bien sûr le Hezbollah, la Syrie, les Hachd al-Chaabi en Irak et l'Iran : tout l'Axe de la Résistance.
L'Iran, la Russie et la Chine, le nouvel “axe du mal” défini par les néoconservateurs, qui se trouvent être les trois principaux acteurs de l'intégration de l'Eurasie, ont interprété le génocide de Gaza comme une opération israélo-américaine. Et ils ont clairement identifié le vecteur clé : l'énergie.
L'inestimable Michael Hudson a noté que
“nous assistons ici à quelque chose qui ressemble beaucoup aux Croisades. Il s'agit d'une véritable lutte pour le contrôle de l'énergie, parce que, là encore, la clé, si vous pouvez contrôler le flux mondial d'énergie, est de faire au monde entier ce que les États-Unis ont fait à l'Allemagne l'année dernière en faisant exploser les pipelines Nord Stream".
Les BRICS 10 en mouvement
Cela nous amène au cas fascinant de la délégation des ministres des Affaires étrangères de l'OCI et du monde arabe, actuellement en tournée dans certaines capitales pour promouvoir leur plan en faveur d'un cessez-le-feu total à Gaza et de négociations en vue de la création d'un État palestinien indépendant. La délégation, appelée groupe de contact pour Gaza, comprend l'Arabie saoudite, l'Égypte, la Jordanie, la Turquie, l'Indonésie, le Nigeria et la Palestine.
Leur première étape a été Pékin, où ils ont rencontré Wang Yi, et leur deuxième étape a été Moscou, où ils ont rencontré Sergei Lavrov. Cela nous dit tout ce qu'il faut savoir sur les BRICS 11 en action - avant même qu'ils n'entrent en action.
En fait, il s'agit des BRICS 10, car après l'élection du sioniste pro-hégémon Javier Milei dit “Massacre à la tronçonneuse” à la présidence, l'Argentine est désormais hors jeu, et peut-être écartée d'ici le 1er janvier 2024, date à laquelle les BRICS 11 démarreront sous la présidence de la Russie.
La conférence spéciale de l'OCI et de la Ligue arabe sur la Palestine, qui s'est tenue en Arabie saoudite, a débouché sur une déclaration finale peu convaincante qui a déçu la quasi-totalité des pays du Sud et de la majorité mondiale. Mais quelque chose a commencé à bouger.
Les ministres des Affaires étrangères ont commencé à se coordonner étroitement. D'abord l'Égypte avec la Chine, après une coordination antérieure avec l'Iran et la Turquie. Cela peut sembler contre-intuitif, mais c'est dû à la gravité de la situation. Cela explique pourquoi le ministre iranien des affaires étrangères ne fait pas partie de la délégation qui se déplace actuellement, laquelle est pilotée, dans la pratique, par l'Arabie saoudite et l'Égypte.
La rencontre avec M. Lavrov a coïncidé avec une réunion extraordinaire en ligne des BRICS sur la Palestine, convoquée par l'actuelle présidence sud-africaine. Point crucial : les drapeaux des nouveaux membres, l'Iran, l'Égypte et l'Éthiopie, étaient visibles derrière les orateurs.
Le président iranien Raisi a fait feu de tout bois, appelant les États membres des BRICS à utiliser tous les outils politiques et économiques disponibles pour faire pression sur Israël. Xi Jinping a de nouveau appelé à une solution à deux États et a positionné la Chine comme médiateur de choix.
Pour la première fois, Xi s'est exprimé lui-même :
“Il ne peut y avoir de sécurité au Moyen-Orient sans une solution juste à la question de la Palestine. J'ai souligné à maintes reprises que le seul moyen viable de rompre le cycle du conflit israélo-palestinien réside dans une solution à deux États, dans la restauration des droits nationaux légitimes de la Palestine et dans l'établissement d'un État palestinien indépendant”.
Et tout cela devrait commencer par une conférence internationale.
Tout ce qui précède implique une position concertée et unifiée des BRICS 10, dans les prochains jours, appliquant une pression maximale sur Tel Aviv/Washington pour un cessez-le-feu, pleinement soutenu par la quasi-totalité de la majorité mondiale. Bien sûr, il n'y a aucune garantie que l'hégémon permettra à cette initiative d'aboutir.
Les négociations secrètes impliquant la Turquie, par exemple, ont échoué. L'idée était qu'Ankara coupe l'approvisionnement en pétrole d'Israël provenant de l'oléoduc BTC de Bakou à Ceyhan : le pétrole est ensuite chargé sur des pétroliers à destination d'Ashkelon en Israël. Cela représente au moins 40 % du pétrole qui alimente la machine militaire d'Israël.
Ankara, toujours membre de l'OTAN, a hésité, effrayé par la réaction américaine, inévitablement musclée.
À long terme, Riyad pourrait être encore plus audacieux : plus d'exportations de pétrole jusqu'à ce qu'une solution définitive soit trouvée pour la Palestine, conformément à l'initiative de paix arabe de 2002. Mais MbS ne le fera pas, car les richesses saoudiennes sont toutes placées à New York et à Londres. Le chemin vers le pétroyuan est encore long, sinueux et semé d'embûches.
Pendant ce temps, les praticiens de la realpolitik tels que John Mearsheimer soulignent à juste titre qu'une solution négociée pour Israël-Palestine est impossible. Un rapide coup d'œil sur la carte actuelle montre que la solution à deux États - préconisée par tous, de la Chine et de la Russie au monde arabe - est vouée à l'échec ; un État palestinien, comme l'a noté Mearsheimer, "sera comme une réserve indienne" aux États-Unis, "coupé en deux et isolé, pas vraiment un État".
On ne couvre pas un génocide
Que doit donc faire la Russie ? Voici une indication éclairée et très pertinente.
“Poutine dans le labyrinthe” signifie que Moscou s'implique activement, à la manière des BRICS 10, dans l'instauration d'une Asie occidentale pacifique tout en maintenant la stabilité interne de la Russie dans le cadre de la guerre hybride des hégémons en constante évolution : tout est interconnecté.
L'approche du partenariat stratégique Russie-Chine face à l'Asie occidentale mise à feu et à sang par les suspects habituels est une question de timing stratégique et de patience - où le Kremlin et le Zhongnanhai excellent.
Personne ne sait vraiment ce qui se passe en arrière-plan - les jeux d'ombres profonds dissimulés par le brouillard des guerres mêlées. Surtout lorsqu'il s'agit de l'Asie occidentale, toujours en proie à des mirages en série surgissant des sables du désert.
Nous pouvons au moins essayer de discerner les mirages autour des monarchies du golfe Persique, le CCG - et surtout ce à quoi MbS et son mentor MbZ jouent réellement. C'est un fait absolument crucial : aussi bien la Ligue arabe que l'OCI sont contrôlées par le Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Et pourtant, alors que Riyad et Abou Dhabi deviennent tous deux membres des BRICS 10, ils voient certainement que le nouveau stratagème de l'Hégémon consiste à faire reculer les avancées de la Belt and Road Initiative (BRI) en Asie de l'Ouest en mettant le feu à la région.
Oui, c'est la guerre contre la Chine qui passe d'hybride à chaude, parallèlement à la solution finale du “problème palestinien”.
Et en prime, du point de vue de l'hégémon, cela devrait amener cette bande de bédouins du désert à embarquer fermement dans le nouveau gambit du ministère de l'Agriculture, l'IMEC (Corridor Inde-Moyen-Orient), en fait le corridor commercial Europe-Israël-Émirats-Arabie saoudite-Inde, en théorie un concurrent de l'initiative BRI.
Un thème récurrent dans tous les coins et recoins du monde arabe est que l'élimination de la résistance palestinienne est une question encore plus passionnante pour les élites vendues du Conseil de coopération du Golfe (CCG) que la lutte contre le sionisme.
Cela explique, du moins en partie, l'absence de réaction du CCG face au génocide en cours (ils essaient maintenant de faire amende honorable). Et ce parallèlement à leur non-réaction au génocide, au rapt et au pillage méthodiques et au ralenti des Irakiens, des Syriens, des Afghans, des Libyens, des Yéménites, des Soudanais et des Somaliens, perpétrés par l'hégémon au fil du temps.
Il est absolument impossible - et inconcevable - de couvrir un génocide. Le verdict n'a pas encore été rendu quant à savoir si le CCG a choisi un camp, se séparant ainsi complètement, spirituellement et géopolitiquement, de la rue arabe au sens large.
Le génocide pourrait être déterminant pour le tout jeune XXIe siècle - réalignant l'ensemble du Sud mondial et de la Majorité mondiale, et clarifiant qui est du bon côté de l'Histoire. Quoi qu'il fasse ensuite, l'hégémon semble destiné à perdre toute l'Asie occidentale, le Heartland, l'Eurasie élargie et la majorité mondiale du Sud.
Le retour de bâton a des effets mystérieux : alors que le “porte-avions” de l'Asie occidentale est devenu complètement fou, le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine n'en a été que plus efficace pour façonner l'histoire sur la voie du siècle de l'Eurasie.
https://www.unz.com/pescobar/will-russia-china-strategic-patience-extinguish-the-fire-in-west-asia/